- Un collectif de pêcheurs à Cayar estime qu’une usine de farine de poisson compromet ses activités rémunératrices et menace la santé des populations.
- Une analyse d’eau dans un lac en septembre montre une pollution par la matière organique biodégradable avec une faible oxydation du milieu entraînant une impossibilité de vie aquatique.
- Selon des habitants de Mbawane, dans la commune de Cayar, les activités de l’entreprise de farine de poisson permettent de régler le surplus de poisson qui pourrit sur la plage.
Un collectif de pêcheurs dénommé Taxawu Cayar a saisi la justice sénégalaise pour exiger la fermeture d’une usine de farine située sur la Grande Côte à environ 60 kilomètres de Dakar la capitale.
Touba Protéine Marine, connue autrefois sous le nom de Barna Sénégal, transforme du poisson séché en farine vendue comme engrais ou aliments pour les animaux en Europe et en Asie depuis 2020. Un kilo de farine est obtenu à partir de 5 kilos de poisson selon l’ONG Greenpeace au Sénégal qui soutient l’initiative du Collectif.
« Les usines de farine de poisson comme celle de Cayar se permettent de priver les populations locales de leur poisson et de l’exporter sous forme de farine et d’huile en Europe et en Asie pour nourrir des animaux », déclare Aliou Ba, responsable de la campagne Océans de Greenpeace Afrique.
Selon lui, ces usines concurrencent les marchés locaux de consommation, poussent les acteurs de la pêche à la faillite et privent les ménages sénégalais de poisson abordable pour leur repas quotidien. Les usines sapent la sécurité alimentaire de plusieurs millions de personnes dans le Global South au profit des pays riches, ajoute Ba.
L’ouverture du procès du 22 septembre est une nouvelle étape dans le long combat engagé par les pêcheurs contre Touba Protéine Marine. Le 20 août dernier, ils avaient déjà manifesté contre la présence de la société.
Pour les responsables du collectif Taxawu Cayar, l’installation de Touba Protéine Marine a déclenché un malaise socio-économique et des problèmes de santé dans la ville. « Il y a environ 300 à 400 femmes sur le site de transformation » dit Mamadou Leye, le secrétaire administratif de Taxawu Cayar. « La plupart aujourd’hui manque de ressources pour leur travail au quotidien ». Il ajoute que beaucoup parmi les habitants de la localité souffrent de plus en plus des maladies respiratoires et d’autres infections chroniques.
« Pour tout étranger qui vient à Cayar, il suffit d’humer le vent pour se rendre compte des difficultés auxquelles nous faisons face », souligne Alé Sy, le président du collectif Taxawu Cayar. C’est une usine qui pollue l’environnement et prive les pêcheurs ainsi que les mareyeurs de leur subsistance quotidienne, dit-il après l’audience du 22 septembre devant le tribunal de Grande instance de Thiès situé à l’Est de Dakar.
Ce procès historique entre la société et le collectif a été renvoyé au 6 octobre à la demande de la défense selon l’avocat du collectif Me Demba Ciré Bathily. « L’usine a enfreint à plusieurs reprises le code de l’environnement et l’étude d’impact réalisée avant son ouverture présente d’énormes lacunes. Nous restons confiants que ce dossier aboutira à la fermeture de cette usine », dit-il.
En réponse, Me Boubacar Cissé, avocat de la défense, déclare que les accusations du collectif sont infondées. Pour lui, l’usine ne constitue aucun danger pour Cayar. Malgré les résultats alarmant d’une analyse psycho-chimique de l’eau à Cayar effectuée à la demande du collectif, Talla Gueye, le responsable de la communication de Touba Protéine Marine, estime que les activités de l’usine ne polluent pas l’eau à Cayar. « Le directeur et de nombreux ouvriers vivent à côté de l’usine et personne n’a été diagnostiquée avec des maladies dues aux impacts de l’eau », assure-t-il.
L’usine avait été créée à une époque où il y avait un surplus de poisson abandonné sur la plage, explique Gueye. Aujourd’hui, poursuit-il, les habitants de Cayar veulent que cette usine reste car elle crée beaucoup d’emplois. Dans la presse locale, en effet, les habitants de Mbawane, un village de la commune de Cayar, déclarent que les activités de l’entreprise ont permis de régler le surplus de poisson qui pourrit sur la plage.
Greenpeace qui dit être mobilisée aux côtés du collectif a annoncé avoir récemment alerté sur l’impact négatif du déclin des stocks de poisson sur les moyens de subsistance des 825 000 personnes au Sénégal qui tirent leurs revenus de la pêche. Selon un rapport du groupe de travail de la FAO cité par l’ONG, les principales espèces de poissons ciblées par l’industrie de farine et d’huile de poisson sont surexploitées. L’épuisement des stocks de petits pélagiques, selon le document des experts onusiens, constitue une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest.
Pour Maty Ndao, transformatrice de poisson à Cayar cité dans un communiqué de Greenpeace, la demande du renvoi du procès formulée par la défense est une manière pour les responsables de l’usine de chercher des excuses pour dissuader le collectif.
« Mais nous sommes prêts, les preuves scientifiques dont nous disposons révèleront au monde entier qu’ils ont enfreint la loi », soutient-elle.
« Le fait que les anciens propriétaires [les espagnols qui ont fait place aux sénégalais] s’enfuient après que nous ayons protesté contre eux nous rend encore plus déterminés dans notre combat. Ils polluent la terre, l’eau potable et détruisent la mer. Notre ville est empestée d’une terrible odeur nauséabonde. La santé de nos enfants et notre capacité à gagner notre vie sont en jeu. C’est pourquoi nous n’abandonnerons jamais ».
Contacté par Mongabay pour une interview, le ministère sénégalais de la pêche et de l’économie maritime dit suivre aussi l’affaire qui est désormais dans les mains de la justice.
Image de bannière : Des membres de Taxawu Cayar devant le tribunal de grande instance de Thiès pour demander avec leur avocat une injonction qui fermerait provisoirement l’usine de farine de poisson. Image © Greenpeace / Annika Hammerschlag.