- Un projet de fabrication de charbon de bois à partir de déchets alimentaires cherche à alléger la pression exercée sur les forêts autour du camp de réfugiés de Minawao, au Cameroun.
- L’afflux de réfugiés nigérians fuyant Boko Haram a entraîné un pic d’abattage des arbres pour le bois-énergie, déclenchant des conflits avec les résidents.
- Ce projet d’écocharbon requiert des matériaux tels que des épis de maïs, des coques d’arachides, de la balle de riz, de l’herbe, des feuilles mortes ou des déchets ménagers organiques afin de confectionner des briquettes.
- Le programme a permis de former au moins 8 000 foyers à la fabrication de leur propre charbon écologique. Deux défis de taille demeurent toutefois puisqu’il faut maintenir un prix compétitif face au bois de chauffe et assurer un approvisionnement durable en matières premières.
MINAWAO, Cameroun — Au camp de réfugiés de Minawao, les jours de marché voient tous les produits de première nécessité exposés sous le soleil matinal : légumes, poisson séché, savon, vêtements neufs et d’occasion, ou encore outils agricoles. Il pourrait s’agir de n’importe quel marché de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, à un détail près : à l’extrémité sud, à côté des fagots de bois de chauffe, se trouvent des pyramides de briquettes bien ordonnées.
Le camp s’étend sur 623 hectares dans une plaine entourée de collines vallonnées. La température est de 40 ° Celsius, mais l’air ondule comme si elle était plus élevée encore. Comme beaucoup d’autres régions du Sahel, la bande de brousse semi-aride qui borde le Sahara, cette partie du nord du Cameroun a subi des sécheresses de fréquence et d’intensité croissantes ces dernières années. À Minawao, la tendance a été exacerbée par l’abattage de presque tous les arbres environnants pour fournir du combustible à une population locale gonflée par la présence de près de 60 000 réfugiés fuyant une insurrection islamiste au Nigeria voisin.
D’après une estimation du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), approximativement 80 % des Camerounais dépendent uniquement du bois pour cuisiner. Ce sont 2,2 millions de tonnes métriques qui seraient brûlées chaque année dans le pays.
Moins d’un quart des ménages camerounais ont l’électricité, et le gaz domestique est cher, voire introuvable dans les zones rurales telles que Minawao. Le bois est donc la solution la plus accessible et la plus abordable.
Cette réalité place toutefois une pression immense sur les forêts du pays. D’après la plateforme de suivi Global Forest Watch, le Cameroun a perdu 1,7 million d’hectares de forêt, soit 5 % de son total, entre 2002 et 2021. Les principales raisons de cette déforestation sont l’abattage, la coupe de bois de chauffe et la conversion en terres agricoles.
Près de la moitié de la disparition du couvert concerne les forêts humides du sud et de l’est du pays. Mais les habitants de la région septentrionale, plus sèche et à la végétation moins dense, où se trouve Minawao, ont également abattu des arbres pour le bois de chauffe et la construction. Dans les zones boisées restantes, ils font paître le bétail et cueillent des fruits et des herbes sauvages.
L’afflux de dizaines de milliers de réfugiés nigérians à Minawao à la mi-septembre 2016 a drastiquement accru la pression exercée sur ces forêts. Les déplacés ont en effet dépouillé le paysage pour se nourrir, se chauffer et se loger.
Avec l’augmentation du nombre de réfugiés, les forêts de la région ont été défrichées et les tensions entre les nouveaux arrivants et les communautés environnantes se sont intensifiées. Les deux groupes ont échangé des accusations d’agressions contre des femmes allant chercher du bois de chauffe et certains des hommes des camps en sont venus aux mains à plusieurs reprises.
ChLa nouvelle solution alternative : le charbon de biomasse
En 2017, la Fédération luthérienne mondiale (FLM), une organisation protestante à but non lucratif qui aide les réfugiés du camp, a introduit une alternative au bois de chauffe : des briquettes d’écocharbon.
Ousmane Bidal monte la garde près de l’une des deux petites usines qui ont été mises en place. C’est un jour férié d’avril et il n’y a pas d’activité dans les bâtiments, mais il est là pour s’assurer que personne ne franchit la limite marquée par une palissade grossière. L’une des bâtisses sert à entreposer les centaines de fours écologiques destinés à être distribués gratuitement. Non loin, une autre abrite divers équipements dont un séchoir solaire, de grands tamis et un broyeur. S’y trouvent également des sacs d’épis de maïs, de coques d’arachides, de balle de riz, d’herbe, de feuilles mortes et de déchets ménagers organiques. Ces matières premières sont brûlées dans de gros fûts en métal. Une fois carbonisées, elles sont réduites en poudre puis mélangées à de l’eau afin de créer une pâte qui sera compressée mécaniquement ou à la main. Les briquettes ou les boules ainsi confectionnées sont enfin séchées au soleil.
Selon Bidal, l’installation permet de produire 200 kilogrammes de briquettes par jour.
« Cette source d’énergie pour la cuisson innovante a changé la donne et nous a considérablement aidés ici dans le camp », dit-il. Près de sept enfants, il a fui l’État de Borno, au Nigeria, et n’a pas l’intention d’y retourner.
Bidal et sa famille sont partis à l’apogée des violences de Boko Haram en 2014, après avoir appris que le groupe avait attaqué un village voisin, massacrant ses habitants, volant leur nourriture et brûlant leurs maisons.
Boko Haram continue d’être actif dans le nord-est du Nigeria, et bien que la vie à Minawao ne soit pas confortable, Bidal confie qu’il a peur de rentrer chez lui.
Tout comme les autres réfugiés du camp, lui et sa famille reçoivent une ration alimentaire mensuelle de la part du Programme alimentaire mondial de l’ONU. Son salaire de vigile pour la petite usine de briquettes l’aide à couvrir le reste de leurs besoins.
À l’origine, les seules matières premières utilisées étaient les déchets ménagers. La demande a toutefois rapidement excédé l’offre, d’après Tcheou Tcheou Samading Abel, délégué à l’environnement et l’énergie de l’Agence de Développement Économique et Social (ADES). Cette ONG internationale est à la tête du projet d’écocharbon et mène également une campagne promouvant la reforestation.
« Nous avons fait face à un cruel manque de matières premières, les déchets ménagers, à mesure que les personnes ont adopté l’usage de l’écocharbon et appris à le fabriquer », explique-t-il à Mongabay. Ils se sont donc tournés vers SEMRY, la Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua, pour se fournir en balle de riz et ont obtenu « une réponse favorable », indique Abel. Depuis lors, la petite usine a profité d’un approvisionnement stable de plusieurs tonnes de balle de riz de la part de SEMRY.
Abel affirme que depuis le lancement du projet en 2017, au moins 8 000 foyers ont été formés à la fabrication d’écocharbon à partir de biomasse.
Pour Djumai Britus, 42 ans, l’écocharbon est une solution à la pénurie chronique de bois-énergie.
« J’ai été contrainte d’apprendre à confectionner et à recourir au charbon de bois fait de coques d’arachides, car nous manquons de bois, que j’utilisais couramment lorsque je suis arrivé en 2015 », explique-t-elle à Mongabay en allumant un four à charbon pour préparer le dîner de sa famille. Le programme a également formé des volontaires qui, à leur tour, enseignent aux autres réfugiés et aux locaux hors du camp à réaliser les briquettes pour leur usage personnel. L’usine que Bidal surveille produit quant à elle de l’écocharbon à plus grande échelle à des fins commerciales.
Le projet de production de briquettes à Minawao est durable, assure Asaba Lynda Sirri, responsable de l’éducation environnementale pour Voice of Nature (VoNat), une ONG communautaire axée sur la préservation de la biodiversité et le développement durable. « La présence du camp de réfugiés crée automatiquement des déséquilibres environnementaux, incluant d’autres habitudes non durables. »
Sirri affirme à Mongabay que l’adoption de ces briquettes à travers le Cameroun pourrait aider à réduire l’abattage d’arbres pour le bois de chauffe ainsi que la quantité de déchets qui aboutissent dans les décharges. Pour elle, les briquettes sont une alternative rentable pour les ménages qui ont peu de ressources tout en offrant une source de revenus éventuels aux petits producteurs.
Une solution véritablement durable ?
Les bénéfices ne sont toutefois pas aussi clairs pour beaucoup des résidents du camp.
Selon Luka Arona, superviseur de terrain sur l’un des sites de production, l’adoption des briquettes d’écocharbon par la plupart des réfugiés du camp a été lente. « Mais nous continuons de les sensibiliser. Nous leur faisons comprendre que Minawao est notre chez nous et que la protection de notre environnement profite au plus grand nombre. »
Le message d’Arona sur le caractère respectueux de la nature des briquettes n’a en revanche pas convaincu Abara Goni. S’il préfère utiliser le bois qu’il collecte aux alentours du camp, c’est parce qu’il n’a pas les moyens d’acheter des alternatives.
« C’est difficile de gagner de l’argent ici », confie Goni, 28 ans, à Mongabay. Le jeune homme explique qu’il échange fréquemment tout ou partie de sa ration alimentaire mensuelle contre des espèces. « Avec le peu que j’ai, je ne me vois pas donner la priorité à l’achat de charbon. Et puis je ne cuisine pas souvent. », dit-il.
L’aspect économique de la production des briquettes est également incertain. Layatou Abila est assise sur une natte à l’ombre et allaite son bébé. Elle est en pleine discussion avec d’autres femmes lors d’une réunion hebdomadaire des membres d’une coopérative appelée Hadankai.
Hadankai gère les affaires de l’usine de briquettes, de la fabrication à la distribution, et verse un salaire à ses 60 membres, qui se voient aussi offrir quelques boules d’écocharbon. L’excédent éventuel, après déduction des frais de fonctionnement et des rémunérations, est déposé sur un compte dans une microbanque. S’ils le souhaitent, les membres de la coopérative peuvent emprunter cet argent afin de mettre en place d’autres activités génératrices de revenus, comme la couture.
Mais les surplus sont maigres. « Il y a un manque de motivation financière. Depuis le début de l’année, nous n’avons rien reçu. L’année dernière, nous avions au moins eu quelque chose », Abila explique-t-elle à Mongabay. Elle continue toutefois de participer au projet, car elle le considère comme « un lien vital pour la survie ».
Au marché de Minawao, Faye Mostapha, un jeune homme de la localité voisine de Gawar, fait partie des vendeurs de bois de chauffe. Il le collecte aux alentours de Gawar et de Minawao et le transporte à vélo jusqu’au marché chaque jeudi.
« C’était aussi l’activité de mon père de son vivant. La demande [en bois de chauffe] est stable, car ici, c’est la source d’énergie traditionnelle pour la cuisine », dit-il. Il ajoute également que les affaires vont bon train, quels que soient les dégâts apparents qu’elles causent à l’environnement.
Afin d’encourager l’adoption des briquettes d’écocharbon par les réfugiés et les communautés locales environnantes, Abel explique qu’ils ont baissé le prix des 50 kg de 5 000 francs CFA à 3 000 francs CFA (de 7,75 $ à 4,65 $).
Malgré ses limites, le projet de charbon écologique à Minawao est prometteur dans le cadre de la protection de l’écosystème de l’Extrême-Nord du Cameroun, affirme Xavier Bourgois, un porte-parole de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), l’organisme chargé du camp. Selon lui, le programme a rendu le camp plus sûr, plus inclusif, plus résilient et plus durable. « Les femmes sont plus en sécurité puisqu’elles n’ont plus besoin de s’exposer au risque d’agression en allant chercher du bois hors du camp », explique-t-il dans un courriel adressé à Mongabay.
Puisque rien n’indique que les réfugiés rentreront bientôt chez eux, le projet d’écocharbon à Minawao est prometteur dans la course à la protection de l’écosystème fragile du camp et de ses environs. Reste toutefois le défi de trouver des sources de matières premières durables pour la production des briquettes afin que les réfugiés ne reprennent pas leur ancienne habitude : abattre des arbres.
Image de bannière : Une réfugiée nigériane traverse le camp de Minawao, au Cameroun. Image d’Amindeh Blaise Atabong pour Mongabay.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/07/nigerian-refugees-in-cameroon-turn-biomass-into-charcoal-to-spare-trees/