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Interview : Un expert onusien apporte la lumière sur une crise climatique terrible somalienne

Vue aerienne du camp Baidoa. Image de Abdulkadir Mohamed/Norwegian Refugee Council via AP

Vue aerienne du camp Baidoa. Image de Abdulkadir Mohamed/Norwegian Refugee Council via AP

  • La Somalie, pays de la Corne d’Afrique fait face à une pire situation climatique jamais connue au paravent et l’espoir n’est pas aussi proche. Depuis plus de dix ans, ce pays qui émerge des décombres d’un mélange de guerre civile, rébellion et militantisme violent fait face à une crise climatique suivie d’un déplacement des habitants touchés.
  • Pour comprendre, on a cherché la lumière auprès du Premier Conseiller des Nations Unies pour la sécurité climatique et environnement en Somalie. Doté d’une expertise dans l’environnement, l’ancien responsable de Médecin sans Frontières en RDC et Tchad tente d’éveiller les donateurs.
  • Christophe Hodder travaille sur les questions de l'environnement et la sécurité en Somalie pour le compte des Nations Unies. Auparavant, il a travaillé comme directeur de projet pour Médecins Sans Frontières (MSF) en RDC et au Tchad et a dirigé la réponse de Save the Children UK à la crise d'Ebola en Afrique de l'Ouest. Il a travaillé en Asie du Sud et au Népal.
  • Depuis un moment, des températures se sont élevées à travers ce pays de presque 12 millions d’habitants, causant ainsi des déplacements massifs des populations. Selon les rapports de pas mal d’organisations internationales œuvrant en Somalie, plus de 7 millions d’habitants sont menacés par des conséquences du changement climatique.

Mongabay : Cela fait plus d’une décennie que la Somalie et certains autres pays de la région de la corne d’Afrique sont confrontés à la sécheresse et à ses conséquences. Pouvez-vous, en tant qu’expert de l’ONU en Somalie, nous expliquer les causes de cette situation sans fin ?

Christophe Hodder : Il n’est pas possible d’établir une corrélation directe entre la situation actuelle et le changement climatique, mais lorsque l’on regarde les tendances en termes de nombre et de fréquence des sécheresses et autres événements climatiques (inondations, cyclones, vents violents), on constate que les tendances indiquent un réchauffement global et des événements météorologiques irréguliers.

Les scientifiques, par le biais du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ont montré qu’il existe une corrélation entre le réchauffement et les impacts que les humains ont sur la planète liés à la libération de carbone dans l’atmosphère, directement liée à notre surutilisation des combustibles fossiles. La combustion des combustibles fossiles crée une couverture sur la terre et, par conséquent, la lumière du soleil est réfléchie et provoque cette augmentation globale du réchauffement. L’augmentation de la température mondiale est liée à l’évolution des conditions météorologiques qui font fondre les calottes glaciaires, l’augmentation du niveau des océans et également l’augmentation globale des températures.

Ces hausses de température ont un impact dans des pays comme la Somalie où la chaleur conduit à la désertification, à de mauvaises récoltes, à des niveaux réduits de disponibilité de l’eau et à une détérioration de la santé des sols dans tout le pays. De tels changements entraînent également une réduction des précipitations ou des changements dans les régimes de pluie, ce qui signifie qu’il est maintenant beaucoup plus difficile de planifier les cycles de plantation et d’agriculture. Le changement climatique est peut-être l’une des causes les plus importantes du cycle auquel la Somalie est confrontée. Il existe cependant plusieurs autres causes, telles que la poursuite des bouleversements politiques et sociaux, les déplacements dus aux événements climatiques et le conflit en cours avec les groupes militants. Les déplacements de populations conduisent également à des techniques de mal adaptation des communautés.

Des femmes somaliennes portant du bois collectés ici et là. Celui-ci est utilisé pour la construction, le chauffage ou vendu Photo de Abdulkadir Mohamed/NRC
Des femmes somaliennes portant du bois collectés ici et là. Celui-ci est utilisé pour la construction, le chauffage ou vendu Photo de Abdulkadir Mohamed/NRC

La combustion du charbon de bois en tant que besoin énergétique quotidien est compréhensible lorsqu’il n’y a pas d’autres options pour les communautés, mais une utilisation non durable ainsi que l’exportation de charbon de bois pour les États du Golfe ont massivement contribué à la désertification et à l’augmentation des terres arides. Alimentée davantage par les conflits et la dégradation incontrôlée de l’environnement, l’instabilité de la politique contribue également au manque de véritable protection de l’environnement et de régénération des écosystèmes sur lesquels les peuples et les traditions prospèrent.

Par conséquent, en bref, ce sont les changements sous-jacents du changement climatique entraînés plus rapidement par des stratégies d’adaptation incontrôlées et aggravés par l’instabilité et les conflits qui ont conduit à la situation sans fin de sécheresses cycliques. Le pire reste cependant à venir, avec des projections d’une augmentation de 3 à 4 degrés des températures moyennes en Somalie, ce n’est que le début des conséquences désastreuses du changement climatique en Somalie.

Mongabay : En 2017, on a vu la mort (atroce) des enfants à cause des conséquences de la sécheresse en Somalie. De nombreuses familles ont quitté leurs maisons pour trouver des abris ailleurs. Quelles sont vos prédictions sur les déplacements futurs dus à la sécheresse en Somalie et dans la région ?

Christophe Hodder : En regardant le rapport 2022 du (IPCC-Groupe d’experts intergouvernemental sur le Changement Climatique), nous pouvons voir que la situation désastreuse ne fera que continuer. La hausse de la température (…) de l’air en Somalie est très susceptible d’augmenter de 1,4 à 3,4 °C d’ici 2080 entraînant une augmentation des décès d’humains et de bétail liés à la chaleur, une perte de moyens de subsistance, un stress thermique dans les zones urbaines affectant ainsi la capacité des personnes à travailler, en particulier à l’extérieur. (Un autre danger est) l’élévation du niveau de la mer  qui est projetée de 36cm à 42 cm avec une grande certitude d’ici 2080, conduisant à la perturbation des moyens de subsistance côtiers, au déplacement des communautés côtières vers d’autres zones urbaines et à la salinisation des réservoirs d’eau souterraine déjà raréfiés. Il y a risque de variabilité interannuelle plus élevée des précipitations (ce qui signifie que) les régimes de précipitations ou les événements de précipitations deviendront plus irréguliers et intenses jusqu’en 2080.

Tout cela va conduire à une fréquence accrue de périodes de précipitations intenses, d’inondations et de sécheresse, entraînant une dégradation des terres et des sols, affectant la culture des cultures et intensifiant la désertification, et l’accélération des déplacements, les décès, la destruction des infrastructures, les maladies, les famines possibles ainsi que les pratiques de mauvaise adaptation, qui dégradent continuellement l’environnement. Enfin, et peut-être l’une des projections les plus effrayantes, c’est que d’ici 2080, la Somalie aura 50 % moins d’eau disponible pour la population.

Mongabay : En tant qu’expert du climat, entrevoyez-vous un espoir pour les prochaines années, ou la situation pourrait-elle continuer ainsi ?

Christophe Hodder : Il faut toujours garder espoir. Je crois que si nous comprenons tous les projections et les courbes jusqu’en 2080, nous pouvons faire une différence, mais nous devons agir maintenant et nous devons agir ensemble. Une véritable approche multilatérale, avec nous tous concentrant tous nos efforts sur les approches paix, sécurité et politique, doit travailler main dans la main avec les approches humanitaires et de développement pour apporter un véritable style de travail Nexus où nous répondons aux besoins humanitaires immédiats tous en même temps.

Des femmes sure file d'attente pour avoir de l'eau. Celle-ci est devenue trop chère pour des familles déjà atteinte par une pauvreté extreme/ Photo de Abdoulkadir Mohamed/NRC
Des femmes sure file d’attente pour avoir de l’eau. Celle-ci est devenue trop chère pour des familles déjà atteinte par une pauvreté extrême/ Photo de Abdulkadir Mohamed/NRC

La paix et la sécurité et les besoins de développement sont aussi très importants. L’espoir peut venir d’une restauration de l’écosystème de masse, poussant les jeunes et différents programmes et projets ainsi que les entreprises à protéger et régénérer les écosystèmes, tant terrestres que maritimes. La nature peut revenir assez rapidement mais elle a besoin d’aide, elle a besoin de soutien et cela doit être une chose consciente vers laquelle nous travaillons tous.

Je pense également qu’investir dans la nature et l’environnement apportera une approche plus pacifique au conflit en cours. Une concurrence réduite sur les ressources conduira à une meilleure plate-forme pour la construction de la paix entre les communautés et les différentes organisations.

 Mongabay : Quelles sont les solutions possibles pour y mettre fin ou l’atténuer ?

Christophe Hodder : Je demanderais tout d’abord que nous soutenions tous le nouveau Ministère de l’environnement et encouragions un leadership fort au sein du gouvernement fédéral de la Somalie d’utiliser son mandat pour vraiment se concentrer sur l’intégration du changement climatique dans tous les aspects du gouvernement.

L’ONU et la communauté internationale devraient également soutenir une approche interdépendante de la programmation et du soutien où nous travaillons vraiment sur la paix, l’humanitaire et le développement dans les mêmes domaines pour les mêmes objectifs. Il est essentiel d’encourager le mouvement des jeunes et les militants qui reconnaissent l’urgence climatique et de soutenir les mouvements de base pour renforcer la résilience des communautés face au changement climatique.

La restauration de l’écosystème, la conduite de la protection de l’environnement, la police de l’environnement et la régénération des écosystèmes sont des domaines tellement importants sur lesquels il faut travailler. Tout cela peut être fait grâce à un meilleur accès au financement climatique, en favorisant le dialogue sur les pertes et les dommages pour s’assurer que des pays comme la Somalie ne supportent pas seuls le poids du changement climatique, montre qu’il existe des solutions possibles.

Nous devons simplement tous travailler ensemble pour essayer d’atténuer les pressions et les impacts en Somalie.


Image de bannière : Vue aerienne du camp Baidoa. Photo de Abdulkadir Mohamed/Norwegian Refugee Council via AP

 

 

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