Nouvelles de l'environnement

Inquiétudes et assurances à l’endroit d’un projet de chemin de fer en Afrique centrale et orientale

Photo illustrative du project de chemin de fer pour le desenclavement de l'Afrique de l'Est/AfDB

Photo illustrative du project de chemin de fer pour le desenclavement de l'Afrique de l'Est/AfDB

  • Les pays de la communauté est-africaine sont activement engagés à développer leurs infrastructures ferroviaires et assurer du coup même leur désenclavement interne et externe.
  • L’objectif principal de ce projet est le désenclavement des pays du bloc et la possibilité d’exploiter et de transporter des ressources minières vers le port de Dar es-Salaam.
  • Pour réduire les dépenses gouvernementales, les États partenaires de la communauté de l’Afrique orientale se sont fixé l’objectif stratégique de ranimer leur économie par l’augmentation du transport de marchandises et de passagers par la liaison d’un chemin de fer.
  • Les présidents tanzanien et burundais se sont exprimés sur ce projet qu’ils voient comme un avantage. Mais les activistes de la conservation expriment des craintes quant à l’avenir des écosystèmes qui seront affectés par ce soi-disant progrès.

Le projet concerne d’abord la construction d’une ligne de 240 kilomètres entre le Burundi et la Tanzanie. Elle reliera Uvinza, dans l’ouest de la Tanzanie, à Gitega, au centre du Burundi, en passant par Musongati, dans la région du sud-est du Burundi frontalière avec la Tanzanie riche en nickel.

Un chemin de fer de 450 kilomètres traversant le Rwanda et la Tanzanie serait ensuite construit. Une ligne de 300 kilomètres se prolongerait du port de Dar es-Salaam jusqu’à celui de Mwanza sur le lac Victoria, en Ouganda. Une autre ligne pourra atteindre l’est de la République démocratique du Congo, riche en matières premières. Rappelons que ce pays occupe à lui seul 60 % du bassin du Congo. Que ça soit la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda ou la République démocratique du Congo, le projet touchera sans doute des zones riches en minerais ou en gaz.

Le Protocole  signé

Selon un protocole signé en janvier dernier entre la Tanzanie, le Burundi et la RDC, des extensions pour raccorder la localité congolaise de Kindu ont été approuvées. Ce projet ferroviaire d’environ 600 kilomètres s’étend de Gitega-Bujumbura à Uvinza-Kindu.

Le même plan directeur a également identifié la ligne Bihanga-Kabale-Kigali destinée à relier le Rwanda à l’Ouganda. Un réseau ferroviaire kenyan, également prévu au schéma directeur, semble être au point mort.

Capture des lignes de fer à cxonstruire en Afrique centrale et orientale
Capture des lignes de fer à cxonstruire en Afrique centrale et orientale. Source: https://www.afdb.org

 

Potentiel minier et gazier non exploité

La Banque Africaine de Développement a révélé que le sous-sol des Grands Lacs dispose d’immenses gisements de nickel dont le plus célèbre est celui du Burundi. Il en existe un autre dans l’ouest de la Tanzanie.

L’intérêt porté à la construction des lignes ferroviaires découle donc de ces richesses minières non valorisées. Ces zones ont été jusqu’alors exploitées de façon artisanale sans maîtrise de l’activité dommageable avec le risque de causer de graves dégâts environnementaux.

Selon les études menées par la Banque, les gisements de Musongati regorgent de nickel dont la quantité est évaluée à plus de 185 millions de tonnes. Ce gisement fournirait environ 6 % des réserves mondiales du métal très convoité.

Le Rwanda dispose également de réserves de gaz naturel dans le lac Kivu estimées à 55 milliards de mètres cube, indique la Banque.

Enfin, la Tanzanie dispose de gisements de nickel, d’or et de diamants non encore pleinement exploités, notamment dans sa partie occidentale vers sa frontière avec le Burundi.

Situation préoccupante

Des recherches dirigées par l’université de New York dans le cadre du projet Development Corridors Partnership montrent que les problèmes environnementaux du tracé de chemin de fer dans la région des Grands Lacs sont le résultat de la division de vastes zones d’habitat en parcelles plus petites et plus isolées.

Leonidas  Nzigiyimpa, lauréat du prix Wangari Maathai dirige actuellement le Réseau des coaches pour l’efficacité de gestion des aires protégées. Il pense pour sa part que s’il y a des ressources naturelles à valoriser, cela doit être fait dans le respect des mesures environnementales et en visant la réduction des impacts.

« À mon avis, exploiter le nickel ou tracer un chemin de fer fait partie du développement. Il faut toutefois agir dans le strict respect de l’environnement et cela est possible. Là où il y a des dégâts, il faut compenser », précise-t-il.

Il ajoute que c’est important de minimiser les impacts à travers le principe de pollueur payeur. C’est-à-dire que, quand on a contribué à la dégradation, il faut contribuer aussi au rétablissement, à la restauration et à la réhabilitation.

L’exploitation du nickel ou d’autres minerais suppose le creusement. On déplace, on ouvre des routes, on coupe des arbres, on provoque une érosion le long du tracé. Selon lui, il faut montrer comment cela sera exécuté.

Robert Marchant, professeur d’environnement et de géographie à l’université de New York, soutient cette approche. Il indique qu’avant d’investir dans les infrastructures à grande échelle comme le chemin de fer ou l’exploitation des minerais, il faut procéder à des travaux pour qualifier les impacts écologiques sur le territoire.

Impacts sur la faune et la flore

La région des Grands Lacs possède une grande richesse sur le plan de la flore et de la faune.

Pour le moment, elles sont confinées dans les aires protégées où les richesses naturelles seront également extraites. C’est le cas surtout des mammifères.

Selon les écologistes, les empreintes de chemin de fer provoquent la perte d’habitat des animaux sauvages. Des produits nocifs sont aussi utilisés pendant l’extraction. Le bruit des machines et le dynamitage lors du traçage des routes ou la construction de la voie ferrée provoquent aussi des dommages.

Le tracé qui en résulte et les activités associées affectent aussi la faune locale en raison du déplacement de la terre et du déracinement de la végétation basse ou  élevée.

Ce sont donc ces risques sur l’environnement et la santé de la population qu’il faut prévenir, faute de quoi la population est lésée, insiste Leonidas Nzigiyimpa.

Dans les pays qui accueilleraient le chemin de fer, dont le Burundi, les écologistes proposent qu’on préconise des passages sous terre sous forme de tunnels pour laisser le passage aux grands et aux petits animaux.

Cela permettrait aux animaux sauvages de se déplacer sans trop de risques même quand un train circule, ajoute-t-il. Il estime aussi qu’il faut veiller à la sécurité des personnes qui tenteraient de franchir la voie ferrée car elles sont partie intégrante de cet environnement.

Les écologistes proposent des compensations

Laure Malchair travaille pour l’organisation Justice et Paix en République démocratique du Congo. Elle s’est intéressée à l’impact environnemental de l’extraction de minerais. Elle juge que les populations subissent de nombreuses violations de leurs droits par suite des activités de sociétés multinationales qui n’hésitent pas à délocaliser les résidents sans les compenser à la juste valeur de ceux qu’ils ont perdus.

Pour minimiser les dégâts dans l’exploitation du nickel, il faut préconiser des mesures compensatoires.

Comme les eaux deviendront polluées, il faut prévoir des mesures compensatoires pour minimiser les phénomènes d’érosion, de glissement de terrain ou de pollution de la nappe phréatique.

Les militants pour l’environnement proposent aux gouvernements bénéficiaires de négocier à l’avance un fonds d’indemnisation constitué d’un important montant pour compenser les pertes de la biodiversité. Créer un parc national pour restaurer le paysage dégradé par les activités d’extraction est une possibilité.

Il faut aussi négocier le paiement annuel d’un montant versé aux communautés pour les aider à faire face aux risques environnementaux car les pays sont développés pour le compte des communautés.

« En plus d’éviter les dégâts, aucune personne n’a à quitter sa terre ou ses moyens de subsistance avant de recevoir une compensation appropriée pour les terres comme pour les cultures », précise Leonidas Nzigiyimpa.

Le président burundais Évariste Ndayishimiye, dans une longue conférence de presse au palais présidentiel Ntare House, s’est montré plutôt déterminé à ce que ce projet aboutisse dans les plus brefs délais. À la tête d’un pays enclavé, il pense qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients dans le projet ferroviaire qui lierait le Burundi et au port de Dar es-Salam.

« Si le chemin de fer est construit, il y aura un grand répit pour le pays et la sous-région. »


Photo de bannière : Photo illustrative du project de chemin de fer pour le desenclavement de l’Afrique de l’Est/AfDB

Quitter la version mobile