Nouvelles de l'environnement

Il faut inclure les populations autochtones pour conserver la diversité exceptionnelle des forêts d’Afrique centrale (commentaire)

  • La culture et les connaissances traditionnelles des Ba’Aka sont, sur de nombreux aspects, intimement liées à leur dépendance et à leur respect envers la forêt. Cette relation avec la forêt a permis à ce peuple de prospérer dans le bassin du Congo pendant des millénaires.
  • Le colonialisme et la création de zones protégées en Afrique centrale ont conduit à l’expulsion forcée des tribus Ba’Aka de leurs terres ancestrales dans la région, et cela sans compter les violations des droits de l’homme qui y ont été signalées.
  • Pour s’attaquer à ces injustices efficacement et équitablement, les défenseurs de l’environnement travaillant en Afrique centrale devraient adopter une approche de la conservation basée sur les droits de l’homme qui reconnaît et soutient la manière dont les Ba’Aka dirigent les efforts locaux de sauvegarde et qui intègre leurs droits de propriété forestière comme mesure du succès global de la conservation.
  • Cet article est un commentaire. Les opinions exposées sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Mongabay ou de tout autre organisme auquel elle pourrait être affiliée.

Le son de nos pas se mêle à celui de la pluie qui traverse la canopée tandis que j’observe la végétation florissante alentour, normalement si vibrante, mais aujourd’hui ternie par les sombres nuages qui occultent le ciel et obscurcissant notre chemin. Je reporte mon attention sur le sentier, veillant à éviter les racines et le sable rouge, qui se mue en boue glissante à mesure que l’eau s’y mélange. Devant moi, à quelques pas seulement, se trouve Bonga Bertin, un pisteur qui travaille avec moi au Bai de Dzanga.

Si mes oreilles saturées par l’agitation propre à la forêt tropicale ne peuvent distinguer l’origine précise de certains sons, celles de Bonga perçoivent les bruissements d’un éléphant de forêt fourrageant non loin de nous. Nous ne devons pas trop nous en approcher : sur le terrain, c’est une règle de précaution qui permet de minimiser les risques de conflit entre humains et éléphants. Nous rebroussons chemin rapidement, afin de trouver un nouveau sentier plus sûr pour rentrer au campement. Comme il fait partie de la communauté Ba’Aka des Aires protégées de Dzanga-Sangha (APDS), Bonga connaît et comprend cette forêt mieux que quiconque.

Bonga and his brother, Mobeawe, collecting data on forest elephant entrances into Dzanga Bai in 2018. Image courtesy of Ana Verahrami/Elephant Listening Project.
Bonga et son frère, Mobeawe, collectent des données sur les entrées des éléphants de forêt dans le Bai de Dzanga en 2018. Image reproduite avec l’autorisation d’Ana Verahrami/Elephant Listening Project.

Les Ba’Aka, à distinguer culturellement du peuple Baka, sont des autochtones établis entre le Nord de la République du Congo et le sud de la République centrafricaine (RCA). Leur mode de vie semi-nomade est demeuré presque identique au fil des millénaires, alors qu’ils parcouraient les forêts du bassin du Congo. Toutefois, la création de zones protégées dans la région a soumis ledit mode de vie à des changements importants. Parmi eux, un accès réduit à leurs ressources forestières essentielles et des signalements de violations des droits de l’homme.

Mais récemment, le mouvement visant à soutenir les traditions et la culture Ba’Aka et à intégrer leurs connaissances en matière de gestion durable des forêts dans une aire protégée a pris de l’ampleur. Si les défenseurs de l’environnement travaillant en Afrique centrale souhaitent véritablement aider à la protection de ces forêts, alors il est impératif que cet élan se poursuive. Une nouvelle approche de la gestion durable des forêts, fondée sur le respect des droits de l’homme, devrait être mise en place afin de faire face efficacement et équitablement à la perte de biodiversité de la région.

Certains connaissent peut-être les Ba’Aka pour leur théâtre spirituel : un type de théâtre immersif au travers duquel ils se connectent, communiquent et réaffirment leur relation profonde de respect et de soutien mutuels avec la forêt. Ce respect est reflété dans leurs pratiques de foresterie durables, dont leurs méthodes de récolte de l’igname sauvage, qui sont régénératives à la fois pour les personnes et pour les animaux tels que les éléphants de forêt et les hylochères.

Certains aspects de la vie des Ba’Aka, comme la musique et la chasse, sont intimement liés à leur dépendance et à leur respect envers la forêt. Cette relation leur a permis de prospérer pendant des milliers d’années dans le bassin du Congo, jusqu’à ce qu’ils soient expulsés de leurs terres par les gouvernements régionaux. Ce qui a poussé les fonctionnaires à prendre une telle décision, c’est la croyance que la nature se porte mieux si elle est laissée « intacte » par les humains, une philosophie coloniale qui a pris de l’ampleur au cours du mouvement de conservation américain du XIXe siècle. Ce discours, pourtant, est tout à fait faux. Les « étendues sauvages » d’Afrique centrale en question ont été façonnées et gérées par les Ba’Aka.

The rainforest of the Dzanga-Sangha Protected Areas, Central African Republic from above. Image courtesy of Ana Verahrami/Elephant Listening Project.
La forêt tropicale humide des Aires protégées de Dzanga-Sangha, en République centrafricaine, vue du ciel. Image reproduite avec l’autorisation d’Ana Verahrami/Elephant Listening Project.

L’expulsion des populations de leurs terres natales s’est accompagnée de problèmes auxquels les Ba’Aka et les militants de la conservation continuent de se heurter aujourd’hui. La peur d’être appréhendés par les écogardes pour avoir pratiqué la chasse de subsistance dans la forêt a poussé les membres de la communauté à rester dans des villages en bordure de route plutôt que dans leurs campements forestiers traditionnels. D’un autre côté, la chasse commerciale à la viande de brousse se développe rapidement, car l’accessibilité à la forêt augmente avec la construction de nouvelles routes pour l’exploitation forestière.

Tandis que la demande d’extraction de ressources croît, les Ba’Aka sont bien souvent employés soit par les exploitants forestiers, soit pour servir de guide aux braconniers, qui les chargent de trouver la ressource qu’ils recherchent. Dans chacune de ces situations, les Ba’Aka sont coincés entre les intérêts « étrangers », qui détruisent leur habitat ancestral, et la nécessité d’assurer leur subsistance et celle de leur famille. Ceux qui vivent dans les villages subissent également un déclin rapide de leurs savoirs traditionnels, car il est de plus en plus difficile de partager ces connaissances et les likano, les récits de la forêt, avec les jeunes générations.

Le rôle de l’intendance et des savoirs autochtones étant progressivement reconnu sur la scène internationale, et le signalement des abus des écogardes ayant attiré l’attention, les organisations de conservation concernées ont mis en place des programmes visant à inclure et à soutenir le peuple Ba’Aka. Le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui est chargé de la gestion des APDS en collaboration avec le gouvernement de la RCA, épaule les mouvements locaux qui s’efforcent de remédier à ces impacts négatifs. Ndima-Kali, un groupe à but non lucratif des APDS, fait partie des organisations soutenues par WWF. Son action se concentre sur la promotion de la culture et des connaissances traditionnelles Ba’Aka, en particulier chez les jeunes, et aide les membres de la communauté à lutter contre la discrimination et l’exploitation.

A performance by Lih Ngolio in Bomassa in 2021. Image courtesy of Ana Verahrami/Elephant Listening Project.
Un spectacle donné par la troupe Lih Ngolio à Bomassa en 2021. Image reproduite avec l’autorisation d’Ana Verahrami/Elephant Listening Project.

Les défenseurs locaux de l’environnement soutiennent le renouveau de la culture Ba’Aka d’autres manières. Phael Malonga est un chercheur qui travaille pour la Wildlife Conservation Society et participe à The Elephant Listening Project (ELP) au parc national de Nouabalé-Ndoki (PNNN) en République du Congo. Il collabore avec Lih Ngolio, une troupe de spectacles vivants alliant théâtre et musique qui rassemble des membres des tribus Ba’Aka Bangombé et Bambezelé de Bomassa (auparavant nommé Ngolio, qui signifie aigle), un village situé en dehors de la base de vie du PNNN. Phael et ses compagnons espèrent que ceux qui s’impliquent au sein de Lih Ngolio pourront reconnecter avec les traditions et la culture ancestrale par l’expression artistique.

Les défenseurs de la nature de l’ELP, un groupe de recherche du K. Lisa Yang Center for Conservation Bioacoustics du Cornell Lab of Ornithology, ont récemment fait le premier pas vers le renforcement des capacités de la communauté à conserver son patrimoine naturel lors d’un atelier organisé dans les APDS. Au cours de l’atelier, les chercheurs de l’ELP du PNNN ont formé deux de leurs collègues de l’ELP des APDS à la surveillance acoustique passive, un outil de suivi de la faune utilisé par les participants au projet pour étudier les éléphants et aider à leur protection. Bonga était l’un des membres des APDS formés et sera le premier de nombreux scientifiques de l’ELP issus de la communauté Ba’Aka, le projet continuant à mettre l’accent sur la valorisation des capacités de conservation des chercheurs autochtones dans la région.

Aujourd’hui, si une grande partie de la biodiversité mondiale est intacte, c’est grâce aux communautés qui vivent et gèrent ces hotspots de biodiversité depuis des millénaires. En 2019, un rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques de l’ONU a conclu que les Autochtones sont plus à même de protéger la biodiversité de leurs terres que quiconque.

Given the extreme heat that can sometimes characterize Central Africa, it is no wonder that forest elephants find themselves drawn to cool mud. Depending on what color mud the forest elephant is wearing, one can often figure out where that elephant was the few hours before. Yellow mud is found in the three mud-pits at Dzanga Bai while the red mud is often worn by forest elephants entering the bai after having spent the past few hours in the forest, where we assume they are enjoying some cool, red, forest mud. Copyright Ana Verahrami/Elephant Listening Project.
Considérant la chaleur extrême qui règne souvent en Afrique centrale, il n’est pas surprenant que les éléphants de forêt soient attirés par les mares de boue fraîche. Il est généralement possible de déduire quels endroits les éléphants ont visités en fonction de la couleur de la boue qui les recouvre. Si elle est jaune, elle provient de l’une des trois fosses à boue du Bai de Dzanga. Si elle est rouge, elle vient de la forêt, où les éléphants ont probablement passé quelques heures à profiter de la fraîcheur de la boue qu’ils y trouvent. Image reproduite avec l’autorisation d’Ana Verahrami/Elephant Listening Project.

Éthiquement, il est de la responsabilité des groupes de conservation de soutenir les communautés Ba’Aka et les modes de vie durables. Les défenseurs de la nature entrent dans une nouvelle ère de conservation en Afrique centrale. En ce sens, la mise en place d’une approche de protection basée sur les droits de l’homme se doit de reconnaître la manière dont les Ba’Aka dirigent les efforts de conservation locaux et d’intégrer leurs droits sur la forêt comme une mesure du succès global de nos actions.

Les défenseurs de la nature en Afrique centrale doivent aussi pratiquer la conservation collective et faire participer les Ba’Aka aux efforts de conservation locaux en usant de leurs connaissances écologiques traditionnelles et en soutenant la gestion de leur patrimoine naturel. Les organisations devraient offrir aux communautés la possibilité de découvrir les méthodologies de recherches établies en fournissant des équipements de recherche essentiels ainsi que des ressources financières.

Les savoirs traditionnels et la gestion des forêts des Ba’Aka demeurent inégalés et nous devrions y prêter une plus grande attention. Après des siècles d’exploitation extensive et de colonisation, ce qui reste de la biodiversité de leurs forêts témoigne de la nécessité d’entrer au plus vite dans cette nouvelle ère de conservation basée que les communautés en Afrique centrale.

 

Sources :

S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). (2019). Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. IPBES. https://doi.org/10.5281/zenodo.3831673

 

Image de bannière : Bonga profitant d’un peu de fraîcheur lors de notre marche à travers la forêt, un après-midi en 2018. Image reproduite avec l’autorisation d’Ana Verahrami/Elephant Listening Project.

À écouter aussi, avec le podcast de Mongabay : Ana Verahrami, analyste de recherche pour le Elephant Listening Project, nous explique pourquoi le rôle des éléphants de forêt comme espèce clé rend leur préservation cruciale pour la bonne santé des forêts tropicales et de leurs autres habitants en Afrique centrale. Écoutez ici [en anglais] :

Article original: https://news.mongabay.com/2022/05/to-conserve-the-vibrant-diversity-of-central-africas-forests-include-indigenous-people-commentary/

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