Nouvelles de l'environnement

Des mines anti personnelles à la lutte pour la vie, le Chouf du Liban est un rare exemple de réussite en matière de conservation

  • La réserve libanaise de biosphère du Chouf est un laboratoire vivant qui expérimente la restauration des écosystèmes dégradés selon des méthodes qui prennent également en compte le bien être des communautés.
  • Les anciens efforts de conservation dans la zone impliquaient l’utilisation de mines anti personnelles et de gardes armés pour réduire l’exploitation illégale du bois et les risques d’incendies.
  • Aujourd’hui, la réserve investit dans les compétences locales et crée des emplois dans une tentative d’aider les communautés touchées par la sévère crise économique que traverse le Liban.
  • Les responsables de la réserve emploient également des techniques d’adaptation pour créer de la résilience dans ce lieu frappé par le changement climatique.

La réserve de biosphère du Chouf au Liban. La lumière ténue des fins d’après-midi éclaire le visage patiné de Talal Riman, alors qu’il se tient debout sous les vieux cèdres dont il s’occupe depuis une trentaine d’années dans la réserve libanaise de biosphère du Chouf. C’est avec un fusil à pompe que Riman avait l’habitude de protéger ces arbres contre les potentiels coupeurs de bois et les feux de forêts provoqués. Mais aujourd’hui, l’équipe de la réserve du Chouf protège ce qu’il reste des cèdres symboliques du Liban, ainsi que la nature environnante, via un engagement communautaire et une nouvelle génération de militants pour l’écologie.

« J’ai fait ma part du travail, mais aujourd’hui, c’est bien de laisser la place à une génération nouvelle et éduquée », déclare -après avoir encaissé la veille son premier chèque de retraité- l’homme de 64 ans, en souriant en direction de Farid Tarabay, le nouveau guide forestier de 19 ans qui le remplace.

Dans le monde, les réserves de biosphère de l’Unesco testent des méthodes innovantes de restauration des lieux naturels et explorent les moyens de rétablir les systèmes écologiques dégradés, tout en bénéficiant au bien être humain. Dans la réserve de biosphère du Chouf, les gardes forestiers comme Farid Tarabay instruisent désormais les visiteurs, au lieu de les tenir à part, tandis que l’organisation crée des emplois et des formations autant pour restaurer l’écosystème que pour bénéficier aux communautés locales.

Malgré l’actuelle crise économique et politique que le Liban traverse, la réserve de biosphère du Chouf est un laboratoire vivant dont les nombreuses expériences semblent être un succès.

Talal Riman, pris en photo ici en compagnie du nouveau guide forestier, Farid Tarabay, 19 ans, a finalement pris sa retraite en septembre 2021, à 64 ans, après une trentaine d’années passées à protéger les cèdres. Photo d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.
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« L’idée est de gérer ce lieu avec l’implication et coopération entières des communautés qui y vivent », avait confié à Mongabay, Nizar Hani, directeur de la réserve, lors d’une journée ensoleillée du mois de novembre dernier, autour d’un café arabe dans le montagneux village de Maasser El Chouf.

Au loin dans la brume, se distinguent les sommets de la chaîne du Mont Liban, qui traversent la réserve du Chouf, surmontant un ensemble de terrasses agricoles et d’anciens villages, peuplés principalement par les communautés Druzes, qui se sont installées dès le Moyen Âge déjà sur ces terres. Le reste des 228.000 habitants de la réserve sont des chrétiens orthodoxes maronites et grecs, des musulmans sunnites et des personnes déplacées par la guerre en Syrie.

La réserve naturelle du Chouf est également le refuge de 32 espèces de mammifères, de plus de 275 espèces d’oiseaux, et de 31 espèces d’amphibiens et de reptiles. Cela inclut des loups, des hyènes, des chacals, des porcs-épics, des caméléons, des tortues, des blaireaux, des aigles, des damans, des serpents, des cigognes et bien d’autres animaux. Les chercheurs ont recensé plus de 1.100 espèces de plantes ; dont 25 sont menacées aussi bien au Liban qu’ailleurs, selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), tandis que 48 sont endémiques du Liban et de la région.

Avec 50 000 hectares, une superficie 10 fois supérieure à la taille de Manhattan, la réserve naturelle du Chouf est la plus grande réserve de tout le Moyen Orient. Désignée par l’UNESCO en 2005, elle compte 620 hectares pour la conservation des anciens cèdres du Liban.

Un daman de la région montagneuse du Chouf, vu près de Niha, Liban. Photo reproduite avec l’autorisation d’Elizabeth Fitt.
Nizar Hani, directeur de la réserve de biosphère du Chouf. Photo d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Une réflexion commune

Selon Nizar Hani, pour trouver l’équilibre entre les besoins des humains et ceux de la faune, la réserve du Chouf s’appuie sur deux approches.

La première est de gérer et de restaurer des sites, ce qui implique l’augmentation de la résilience de l’écosystème au changement climatique et sa protection contre les feux et autres activités humaines, qui ont contribué à la dégradation de la région, comme la coupe de bois, l’urbanisation et l’exploitation des pierres.

La deuxième approche encourage les pratiques culturelles qui conservent la nature tout en bénéficiant aux communautés locales ; en encourageant par exemple l’écotourisme et l’agrotourisme et en offrant un ensemble d’options nouvelles de formations.

C’est entre 727 réserves de biosphères dans le monde, et sur la base d’un cas d’étude de Sarah Wilson, experte de la restauration de forêt et co-fondatrice de Cities4Forests, que la réserve a été acclamée par le réseau écologique pour la restauration, Restor, comme un exemple de réussite des meilleures pratiques de conservation.

Plantation d’un semis de pin sauvage dans le cadre d’un projet de reboisement de la réserve près du village de Niha, dans le Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

« Ce projet a été pensé du début à la fin » a déclaré Sarah Wilson à Mongabay par email. « Cela semble évident, mais trop souvent, ce n’est pas le cas ».

Selon l’experte, démontrer à ses habitants la valeur économique et sociale de la réserve, est essentiel pour susciter leur intérêt et assurer son succès. Les programmes qui offrent aux communautés locales des formations et un soutien des chaînes de valeurs vertes, « de l’idée jusqu’à la vente », sont aussi clé, ajoute-t-elle.

Sarah Nasrallah, directrice de communications de la réserve, explique à Mongabay que cela débute avec des experts locaux qui enseignent aux agriculteurs comment restaurer les terres, comment cultiver des produits locaux de manière durable, et comment les vendre.

La réserve forme aussi les propriétaires de petites entreprises à transformer les produits locaux en Mouneh, des produits alimentaires traditionnels et artisanaux, et à les vendre. Le programme entraîne en outre des restaurateurs et propriétaires de maison d’hôtes aux techniques d’accueil des clients. À leur tour, ils achètent du mouneh et d’autres produits pour les servir aux clients locaux et aux touristes.

« Nous créons une économie circulaire », se réjouit Nasrallah.

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Les temps ne sont plus les mêmes

Mais le Chouf n’a pas toujours été aussi accueillant.

Les graines de la réserve ont été semées dans les conflits de la guerre civile libanaise qui, de 1975 à 1990, a dévasté le pays. À cette époque, le politicien et leader local Walid Joumblatt a pris des mesures drastiques pour conserver les forêts de cèdres du Chouf, près de son village natal. Joumblatt a confié à Mongabay, que son père, Kamal Joumblatt, politicien socialiste et leader de l’opposition durant la guerre civile, lui avait inculqué la valeur de la nature, évoquant souvent devant lui, la pionnière du mouvement environnemental, Rachel Carson, durant son enfance.

Suite à l’assassinat de son père durant la guerre, Walid Joumblatt reprend la tête du Parti Socialiste Progressiste et met en place « une sorte de mini État », appelé Administration Civile dans la région du Chouf. Il voulait s’assurer que les forêts de cèdres sous l’Administration Civile survivent à la guerre, sans être ravagées par les coupes de bois ou les incendies incontrôlables accidentellement déclenchés par les fumeurs et les pique-niqueurs, dans cette région aride, indique-t-il.

« J’ai décidé d’intervenir et d’empêcher les gens d’entrer (dans la réserve) », explique Joumblatt. « Mais tout le monde n’a pas coopéré. Alors, j’ai bloqué les routes et j’ai dû poser des mines ».

En plus de poser des explosifs et des bermes de terre en travers des routes menant aux forêts, Joumblatt a employé des gardes armés pour dissuader encore plus les éventuelles personnes tentées d’entrer et limiter au maximum les accidents dus aux mines. Mais de temps à autres, des chevriers s’aventuraient dans la forêt, ce qui a provoqué au moins un décès, selon Joumblatt.

Le cèdre Cathédrale dans la zone Maasser El Chouf, dans la réserve. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

À la fin de la guerre civile, Talal Riman est devenu, en 1992, l’un de ces gardes forestiers. Aux côtés de cinq autres hommes armés, il passait ses journées à tenter de maintenir les gens hors de la forêt avec son fusil à pompe et à infliger des amendes aux intrus.

Ces tactiques défensives ont duré jusqu’en 1996, lorsque le gouvernement a déclaré la forêt réserve naturelle et que l’armée a enlevé les mines. À ce moment-là, cela faisait alors des décennies que les cèdres du Chouf n’avaient pas été dérangés.

« D’un côté, on s’entretuait, mais de l’autre, on construisait quelque chose », se souvient avec nostalgie Joumblatt, à propos de ses décisions prises en temps de guerre. Depuis lors, il a soutenu le développement d’initiatives de conservation moins sinistres dans le Chouf.

« C’est une histoire triste de conservation, mais c’est une histoire de conservation », déclare Nizar Hani. « Les gens étaient dans un endroit différent ».

Assis dans son fauteuil avec le Mossberg 500 qui lui servait d’arme pour défendre la forêt, Talal Riman regarde de vieilles photos sur son téléphone. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Des cèdres essentiels

Le passage de la force brute à un nouveau modèle de conservation a commencé « par une pleine concentration sur les cèdres », affirme Nizar Hani.

Le cèdre occupe une place particulière dans le cœur des libanais. L’art, la musique et les logos des entreprises de ce pays mettent en scène cet arbre majestueux. Il figure sur le drapeau national, et même la marque de cigarettes la plus populaire du pays s’appelle Cedars.

Les défenseurs de la nature appellent une espèce qui sous-tend l’identité d’une communauté, un pivot culturel. Ce sont des points de départ utiles pour l’engagement communautaire. Le lien étroit entre le peuple libanais et les cèdres a contribué à créer un élan pour restaurer la réserve du Chouf, dont dépendent à la fois les cèdres et les populations locales, a déclaré Hani.

Le fait qu’en 2013, l’UICN ait désigné le cèdre du Liban comme vulnérable, faisant passer l’espèce dans la catégorie « menacée » de sa liste rouge, a également contribué à la sensibilisation à l’étranger, précise Hani.

Cèdres dans la zone de Barouk dans la réserve. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.
Farid Tarabay, le nouveau guide forestier, sous le cèdre de Lamartine, l’un des plus anciens de la réserve. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Les défis libanais

Depuis que Hani a repris la relève dans la réserve de biodiversité du Chouf, plus d’un million et demi de personnes sont arrivées au Liban depuis la Syrie, déplacées par la guerre civile. Aujourd’hui, environ 58 000 syriens vivent dans la réserve.

En 2019, une révolte populaire a renversé le gouvernement libanais, puis la pandémie de Covid-19 est arrivée. Le 4 août 2020, après que l’explosion du port de Beirut a détruit 40 000 immeubles et blessé près de 7 000 personnes, le pays était déjà aux prises avec une crise économique ; décrite comme l’une des pires au monde depuis les années 1850.

Aujourd’hui, les conséquences de cette crise économique menacent le financement de la réserve du Chouf. Les arrières sont assurés jusqu’en 2024, grâce surtout aux partenaires internationaux, commente Hani. Mais plusieurs sponsors, dont des banques libanaises, de grandes entreprises donatrices et le Ministère de l’Environnement, ont tout simplement disparu. Ce dernier avait pour habitude de contribuer à hauteur de 53 000 dollars annuellement, mais n’a rien payé en trois années, relève Hani.

Le Liban se débat aujourd’hui avec une dépréciation de plus de 90% de sa monnaie ainsi qu’avec une gouvernance bancale, entravée par un leadership fractionné. À première vue, la nation ne semble pas être l’endroit idéal pour les meilleures pratiques écologiques, mais jusqu’à présent, les 60 personnes qui travaillent de façon permanente au sein de la réserve sont prêtes à relever le défi.

« Nous devons être résilients face à cette crise », déclare Hani. « Nous ne pouvons pas nous effondrer comme le reste du pays ».

Après une journée à planter des semis dans le cadre d’un projet de reforestation près de Niha, dans le Chouf, des travailleurs rentrent chez eux à l’arrière d’un camion. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Offrir à ceux qui en ont le plus besoin, une alternative à la déforestation

Les prix du diesel et autres combustibles utilisés pour chauffer les maisons ont augmenté d’environ 1 800% en 2021. Les températures glaciales de l’hiver peuvent forcer les personnes qui n’ont pas d’autre choix, à recourir à la coupe de bois.

« Ils ont besoin de maintenir leurs enfants au chaud. Face à cela, peu leur importe de détruire la nature », reconnaît Sarah Nasrallah, la responsable de la communication de la réserve.

Face à ce problème, la réponse est la suivante : les éco-briquettes. Auparavant, ces blocs de combustible se vendaient environ 200 dollars par tonne, mais cet hiver, la réserve les fournit gratuitement aux habitants vulnérables, qui se tourneraient sinon vers l’exploitation forestière pour rester au chaud.

Les travailleurs transforment en briquettes, les résidus, ou grignons, de la production locale d’huile d’olive et les matériaux obtenus après avoir éclairci les arbres. Ces briquettes peuvent être utilisées dans des poêles à bois, et les coûts de production sont payés par la réserve grâce à l’aide internationale.

La fabrication de ces éco-briquettes crée également des opportunités d’emploi, aidant ainsi l’économie locale. Selon les Nations unies, le taux de chômage au Liban atteint les 40 %, tandis que plus des trois quarts de la population vit dans la pauvreté. Pour lutter contre cette situation, la réserve se concentre sur la création d’emplois à court terme dans le domaine de l’agriculture durable, grâce aux programmes « rémunération contre formation » et « rémunération contre travail », mis en œuvre en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial.

Fatmi Ramadan El-Saleh, arrivée au Liban depuis la Syrie après qu’une frappe aérienne a détruit sa maison en 2013, se rendait à un atelier de formation « rémunération contre travail » de 10 jours, sur l’élevage d’animaux, lorsque Mongabay l’a rencontrée.

« J’aurais aimé m’inscrire à cet atelier il y a longtemps ! », dit-elle. « Je suis ici pour apprendre à m’occuper de poulets mais aussi parce que nous sommes payés ».

Fatmi prévoit se servir ce qu’elle aura appris pour élever des poulets destinés à la vente.

Des adultes et des jeunes emballent des éco-briquettes tout en apprenant des techniques de restauration durable dans le cadre d’un programme de l’Initiative libanaise de reboisement. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.
Fatmi Ramadan El-Saleh lors d’un cours « rémunération contre formation » organisé par la réserve. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Le programme « rémunération contre formation » a formé 376 stagiaires en 2020, dont deux tiers étaient Syriens. Les diplômés sont encouragés à créer leur propre petite entreprise ou à chercher un emploi dans le cadre du programme « rémunération contre travail ».

« N’importe qui peut suivre ces cours et être payé », dit à Mongabay, Salar Ghassan El-Choufi, superviseur de la reforestation de la réserve, alors qu’il attend sur un flanc de montagne isolé qu’un véhicule tout-terrain cabossé livre des plants d’arbres sur un site de restauration près du village de Niha.

« Les villageois qui y participent commencent à gagner bien plus que de l’argent ».

Ses dires sont approuvés par les travailleurs qui expliquent avec enthousiasme comment creuser des trous et planter en utilisant les techniques apprises à la réserve pour protéger les semis du vent et conserver l’humidité du sol.

« Je serai très heureuse et fière quand je verrai ces semis pousser », déclare Marwa Selmenmeh à l’heure de la pause, en sirotant un thé sucré infusé dans une bouilloire noircie par la fumée.

Marwa Selmenmeh (deuxième à partir de la gauche) et ses collègues en pause lors de la plantation de semis sur un site de reforestation près de Niha, dans le Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Lutter contre le changement climatique

Le projet de plantation d’arbres de Salar Ghassan El-Choufi, financé par l’AFD, l’agence française de développement international, a pour mission de planter 40 000 semis. L’objectif est d’accroître la couverture arborée et la biodiversité en cultivant de l’aubépine méditerranéenne (Crataegus azarolus) et du chêne du Liban (Quercus libani), ainsi que des pins à pignons (Pinus pinea), tout en employant la population locale pour la culture et l’entretien.

Les jeunes plants ont besoin de toute l’aide possible. Selon le Ministère de l’Environnement, les températures, qui augmentent plus rapidement au Liban que la moyenne mondiale, devraient augmenter de 3,2° Celsius d’ici 2100, et les précipitations diminuer de 11 %.

Travaillant dans la spectaculaire vallée d’Ain Nameh, les travailleurs choisissent soigneusement l’endroit où planter chaque semis, en fonction du type de sol, de la profondeur et des sources d’eau. Les graines sont locales et cultivées à l’aide d’une technique d’élagage aérien des racines, afin de maximiser la résistance au réchauffement climatique.

« En passant des sacs en polyéthylène aux pots de taille à l’air, nous avons pu faire passer le taux de survie des semis de moins de 15 % à plus de 90 % », se réjouit Khaled Fouad Sleem, ingénieur agricole et propriétaire d’une pépinière d’arbres.

Un réfrigérateur rempli de graines d’arbres d’origine locale pour garantir des semis génétiquement diversifiés à la pépinière de Khaled Fouad Sleem, Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.
Khaled Fouad Sleem décrit le processus de taille à l’air qu’il utilise pour créer des plants résilients dans sa pépinière d’arbres, Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Sleem, qui est né et qui a grandi dans le Chouf, prodigue depuis 17 ans ses conseils à la réserve et lui fournit des plants provenant de sa pépinière. Il espère que la plus grande diversité génétique que l’on trouve dans les semences, en comparaison avec les clones, aidera la forêt restaurée à résister aux changements prévus par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Mais il ajoute : « Je ne sais vraiment pas. Je veux dire, avec cette hausse des températures et le fait d’avoir de moins en moins d’eau et de moins en moins de neige… Cela m’effraie beaucoup ».

Le réchauffement climatique provoque des effets visibles dans le Chouf.

« Il y a vingt ans, la limite des arbres était très claire, à 1 800 mètres » déclare Hani, en traçant une ligne droite avec sa main sur le flanc de la montagne, où l’on aperçoit des parcelles de jeunes arbres chancelants et se déhanchant inégalement. « Le changement climatique pousse la forêt vers une altitude plus élevée – nous appelons cela la migration de la forêt ».

Si la forêt atteint les sommets des montagnes, de nombreuses espèces endémiques vivant au-dessus de la limite des arbres seront perdues car elles n’auront nulle part où aller, explique Hani.

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Un véritable retour vers des pratiques culturelles durables

« Si nous voulons maintenir ces zones protégées […] à long terme, nous devons examiner les pratiques culturelles et les adapter à nos besoins actuels et à notre époque » assure Hani.

La plupart des terrasses en pierre sèche de la réserve sont abandonnées, alors qu’elles sont utilisées pour la culture depuis environ 5 000 ans. Pour remédier à cette situation, la réserve du Chouf restaure 600 hectares de terrasses afin de permettre une culture plus durable et de réduire les risques d’incendie.

Pour les frères Abou Saad, il s’agit d’un véritable changement de donne, et en 2019, ils ont commencé à cultiver les terres abandonnées de leur grand-père.

Grâce à la formation et au soutien de la réserve, ils ont non seulement restauré les terrasses de la ferme, mais ont aussi appris à fabriquer du compost et à faire pousser des plantes pour attirer les insectes bénéfiques afin d’augmenter les rendements et lutter contre les parasites. Et ils gèrent une entreprise d’agritourisme durable où les visiteurs cueillent leurs propres légumes et apprennent à les cuisiner de manière traditionnelle sur place.

« Nous en avions assez d’utiliser des produits chimiques et des pesticides sur nos plantes. C’était coûteux et nous avons réalisé que nous nous faisions du mal et que nous faisions du mal aux autres et à la nature », a révélé Ramzi Abou Saad à Mongabay.

Lorsqu’ils ont été sélectionnés pour recevoir une formation de la réserve, « nous avons eu l’impression d’être les rois de l’agriculture ! » s’enthousiasme Ramzi.

Bashir Abou Ali ouvre une de ses ruches pour vérifier les niveaux de production de miel à la ferme des frères Abou Saad à Ain Zhalta, Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.
Youssef Mahmoud verse du thé produit localement dans son magasin de produits bio à Barouk, Chouf. Image par Elizabeth Fitt pour Mongabay.

La réserve indique qu’elle génère jusqu’à 21,4 millions de dollars de retombées économiques par an grâce aux produits qu’elle commercialise, ainsi qu’au tourisme, à la protection des eaux de source, aux services culturels et à la séquestration du carbone.

Youssef Mahmoud, 75 ans, un ancien de la communauté qui vend également des produits biologiques, a déclaré que la connaissance de la valeur de la réserve s’infiltre dans la communauté, même pour ceux qui, comme lui, ne sont pas affiliés.

Mahmoud a vécu plusieurs guerres et n’est pas étranger à la restauration des forêts. Il y a soixante ans, il a planté des cèdres sur la montagne en face de son village.

« Ce sentiment est quelque chose de spécial, d’unique, ils sont comme mes enfants. C’est un sentiment magnifique », dit Mahmoud, la fumée de sa cigarette de la marque Cedars tournoyant doucement dans l’air frais, tandis qu’il fait un geste vers la montagne de cèdres qu’il a plantés ; aujourd’hui une grande forêt.

En regardant ses arbres pousser, Mahmoud a vu les techniques de conservation de la région changer. « La réserve a éclairé les esprits fermés », dit-il.

Des cèdres de 60 ans que Youssef Mahmoud a aidé à planter lorsqu’il avait 14 ans. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Image de la bannière : Farid Tarabay, le nouveau guide forestier, sous le cèdre de Lamartine, l’un des plus anciens de la réserve naturelle du Chouf. Image d’Elizabeth Fitt pour Mongabay.

Reportage supplémentaire de Karl Wehbe.

Citations:

Garibaldi, A., & Turner, N. (2004). Cultural keystone species: Implications for ecological conservation and restoration. Ecology and Society, 9(3): Retrieved from http://www.ecologyandsociety.org/vol9/iss3/art1/

Wilson, S. J., & McCallum, S. (2021). Case Study #6: Forest and Landscape Restoration for livelihoods and biodiversity in the Shouf, Lebanon. Crowther Lab. ETH Zurich. Retrieved from https://crowtherlab.com/wpcontent/uploads/2021/12/Restor_Case_Study_8_Lebanon_03_06122021.pdf

Article original: https://news.mongabay.com/2022/03/from-land-mines-to-lifelines-lebanons-shouf-is-a-rare-restoration-success-story/

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