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Côte d’Ivoire : L’habitat du chimpanzé se rétrécit, mais la taille de sa population redonne espoir

  • Malgré une décennie de braconnage incontrôlé, les chercheurs ont recensé une taille de population « saine » de 200 chimpanzés dans le parc national de la Comoé en Côte d’Ivoire.
  • À l’aide de caméras cachées, les chercheurs ont découvert chez le chimpanzé du parc de la Comoé des habitudes uniques, jamais encore identifiées auprès d’autres groupes de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest.
  • Comme partout ailleurs en Afrique de l’Ouest, l’habitat du primate reste menacé par l’agriculture et l’élevage.

Les spécialistes de la conservation craignaient que les populations de chimpanzés du parc national de la Comoé n’aient été décimées après une décennie de conflits civils en Côte d’Ivoire. Mais les caméras installées dans le parc ont révélé une taille de population saine et ont permis depuis d’identifier des comportements uniques, jamais encore observés auprès d’autres populations de chimpanzés en Afrique de l’Ouest.

Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus) du parc national de la Comoé en Côte d’Ivoire ont une technique bien spécifique et unique de s’hydrater pendant la saison sèche. Ils mâchent l’extrémité d’une liane pour en faire une sorte de pinceau qu’ils plongent ensuite dans les cavités des arbres remplies d’eau. Ensuite ils retirent la liane et aspirent l’eau par l’extrémité du pinceau.

Ce type de comportement avait déjà été observé de manière occasionnelle auprès d’autres populations de chimpanzés, mais les chercheurs ont cette fois été surpris de voir à quel point ce comportement était répandu chez les chimpanzés du parc national de la Comoé.

« Nous avons découvert qu’ils n’utilisent pas les lianes parce qu’elles sont plus efficaces, mais tout simplement parce qu’ils préfèrent se désaltérer de cette façon », a expliqué Juan Lapuente, directeur du projet de conservation des chimpanzés du parc national de la Comoé, à Mongabay. « Cela fait partie de leur culture. C’est comme cela qu’ils s’hydratent. »

Chimpanzees using sticks to drink water.
Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest du parc national de la Comoé ont une technique bien spécifique et unique de s’hydrater pendant la saison sèche : Ils mâchent l’extrémité d’une liane pour en faire une sorte de pinceau qu’ils plongent ensuite dans les cavités des arbres remplies d’eau. Ensuite ils retirent la liane et aspirent l’eau par l’extrémité du pinceau. Image de Juan Lapuente pour Mongabay.

Bien que les différences culturelles entre groupes sociaux chez les chimpanzés aient fait l’objet d’études et de recherches depuis des décennies, les chercheurs n’en savent toujours que très peu sur les raisons qui poussent certains groupes plus que d’autres à développer des comportements liés à l’utilisation d’outils, ou sur la manière dont ces comportements se transmettent d’un groupe à un autre.

De récentes études suggèrent que l’environnement dans lequel le chimpanzé évolue peut jouer un rôle significatif dans le genre de comportement affiché par certains groupes. Dans le cadre d’une étude, les comportements de 144 groupes de chimpanzés ont été analysés et les scientifiques ont découvert que les chimpanzés vivant dans des environnements variés tendaient à développer un éventail de comportements plus large.

« Les chimpanzés connaissant une plus grande saisonnalité, vivant dans des habitats de savane boisés et situés plus loin des refuges forestiers historiques du Pléistocène, étaient plus susceptibles de démontrer une plus grande variété de comportements », a commenté la primatologue Ammie Kalan sur le site Web de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste.

Le paysage du parc national de la Comoé est une véritable mosaïque de forêt-savane, le genre d’environnement dans lequel nos ancêtres humains sont supposés avoir vécu pendant plus de six millions d’années. Juan Lapuente et d’autres chercheurs ayant étudié l’évolution des chimpanzés au sein de cet environnement pourraient nous aider à comprendre notre propre histoire. La manière dont les chimpanzés s’adaptent à leur environnement pourrait nous éclairer sur la manière dont nos propres ancêtres se sont adaptés au leur il y a des millions d’années.

Pour survivre pendant les saisons où l’eau se fait plus rare, le chimpanzé du parc de la Comoé a une grande faculté d’adaptation. Le chercheur espagnol et son équipe ont découvert que les lianes choisies pour puiser l’eau avaient généralement des pinceaux plus longs et plus épais à leur extrémité que celles que les chimpanzés utilisaient à d’autres fins, comme pour la récolte de miel par exemple. En pliant et en mâchant des feuilles, les chimpanzés fabriquent aussi des éponges qu’ils plongent ensuite dans les cavités des arbres remplies d’eau. Lorsque la nourriture se fait rare, ils ont été observés à peler l’écorce des kapokiers (Ceiba pentandra) pour prélever le cambium comestible qui se trouve juste sous l’écorce.

Tous ces comportements liés à l’utilisation d’outils ont été filmés en caméras cachées par Juan Lapuente et son équipe. Les caméras ont également permis de révéler d’autres comportements, tels que les jets de pierres, par exemple.

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Résultats des recherches du parc national de la Comoé

Ce type de recherche n’a pu reprendre qu’au cours des 10 dernières années dans le parc national de la Comoé. Après des élections contestées, la Côte d’Ivoire est en effet entrée dans une période de guerre civile de 2002 à 2004, et de nouveau de 2011 à 2012, mais entre les deux, le pays est resté le théâtre de fortes tensions.

Les conflits civils dans d’autres pays ont été dévastateurs pour les populations d’espèces en danger, car la violence donne aux braconniers, y compris parfois aux factions en guerre, un libre accès à la vie sauvage lorsque la surveillance des aires protégées est plus difficile à assurer. Des études menées à Comoé en 2007, 2010 et 2012 n’avaient pas permis de fournir de réelles preuves sur la présence des chimpanzés au sein du parc. Les spécialistes de la conservation travaillant à Comoé craignaient que les populations de chimpanzés n’aient complètement disparu.

« Entre 2002 et 2011, ça a été le chaos complet », a souligné Juan Lapuente. « Il n’y avait aucune surveillance dans le parc. Les braconniers arrivaient avec des camions tout droit du Nigeria. Ils se servaient en viande de brousse et en animaux. Ils ont, entre autres, décimé la population restante de lions, car il existait un marché énorme à cette époque-là. »

Mais ce n’est pas uniquement le manque de surveillance pendant la guerre civile qui a nui aux populations de chimpanzés en Côte d’Ivoire. La perte d’habitat et le braconnage sont des problèmes qui existaient déjà avant les conflits ; entre 1990 et 2007, le pays a perdu 90 % de sa population de chimpanzés.

Depuis 1960, la Côte d’Ivoire a perdu près de 90 % de son couvert forestier. Beaucoup de forêts du pays ont été défrichées pour les plantations de cacao ; la Côte d’Ivoire est d’ailleurs le premier producteur mondial de fèves de cacao. Une étude publiée en 2015, qui a porté sur 23 aires protégées en Côte d’Ivoire a révélé que sur plus de la moitié de ces aires, les chimpanzés et autres populations primates avaient disparu, principalement en raison de la destruction de leur habitat.

Roman Wittig, directeur du Projet des chimpanzés de Taï, a observé le paysage autour du parc national de Taï, au sud-ouest du pays sur plusieurs décennies. Il s’est rendu pour la première fois à Taï à la fin des années 1990 pendant son doctorat. Lorsqu’il y est retourné en 2011, le paysage s’était radicalement transformé.

« C’était choquant de voir que les terres [agricoles] avaient atteint les limites du parc ; il n’y avait donc plus aucune zone tampon », a rapporté Roman Wittig à Mongabay. « [Avant] la forêt s’étendait même jusqu’à l’extérieur du parc national actuel. »

Roman Wittig a noté un déclin rapide de la population de chimpanzés après ses premières visites. Il a expliqué à Mongabay que dans les années 1990, les scientifiques estimaient que plus de 3 000 chimpanzés vivaient au sein du parc national de Taï, mais qu’aujourd’hui on n’en comptait plus qu’entre 400 et 1 000.

A western chimpanzee in Comoé National Park.
Un chimpanzé d’Afrique de l’Ouest dans le parc national de la Comoé. Les conflits civils dans d’autres pays ont été dévastateurs pour les populations d’espèces en danger, car la violence donne aux braconniers, y compris parfois aux factions en guerre, un libre accès à la vie sauvage lorsque la surveillance des aires protégées est plus difficile à assurer. Image de Juan Lapuente pour Mongabay.

Un regain d’espoir pour les chimpanzés du parc

Quand Juan Lapuente et ses collègues ont entrepris leurs recherches dans le parc national de la Comoé après la guerre civile, ils ne savaient pas à quoi s’attendre. Mais en trois ans, à compter de 2015, leurs recherches ont révélé l’existence d’une population de chimpanzés viable. Et depuis, et avec l’aide de caméras cachées, ils ont recensé quelque 200 chimpanzés à l’intérieur et à proximité du parc. C’est possiblement la deuxième plus large population de chimpanzés en Côte d’Ivoire.

« Bien sûr, il y a moins de chimpanzés dans le parc qu’il y a 20 ans », a reconnu Juan Lapuente. « [Mais] 200 chimpanzés, c’est une taille de population très saine pour les niveaux d’aujourd’hui. »

Ses assistants l’ont aidé à dissimuler des caméras au sein de la forêt et à poursuivre les travaux d’observation pendant ses voyages. Bien que la technologie se soit améliorée, il s’agit encore d’un travail éprouvant. L’installation des caméras peut prendre plus d’une semaine, comme l’a expliqué Harouna Dabila, l’un de ses assistants, à Mongabay. Certains jours, ils doivent parcourir plus de 30 kilomètres à pied.

Juan Lapuente a indiqué qu’il espérait que la présence des chercheurs ait un effet dissuasif sur les braconniers du parc. Avec l’aide de son équipe, il a également mis en place des projets de collaboration avec les communautés locales visant à les faire participer à leurs efforts de conservation.

Néanmoins, le braconnage ne demeure pas sa seule et unique préoccupation. Il a déclaré qu’il redoutait les menaces accrues émanant des personnes extérieures au parc qui essaient de trouver des moyens de subsistance. Comme les éleveurs, par exemple, ne peuvent pas faire paître leurs troupeaux sur des terres agricoles dans la zone tampon du parc, ils les emmènent dans la forêt à la place.

« Les chimpanzés voient leur habitat se rétrécir à une vitesse grand V », a déploré Juan Lapuente. « On voit des éleveurs entrer dans le parc en toute liberté et venir y brûler la forêt-galerie pour obtenir de l’herbe fraîche pour leur bétail ; c’est terriblement destructeur pour la forêt. Jamais elle ne retrouvera son aspect normal après cela. »

Image de bannière : Le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus) en danger d’extinction. Image de Mario Plechaty via Adobe Stock.

Citations:

Lapuente, J., Hicks, T. C., & Linsenmair, K. E. (2016). Fluid dipping technology of chimpanzees in Comoé National Park, Ivory Coast. American Journal of Primatology79(5), e22628. doi:10.1002/ajp.22628

Lapuente, J., Arandjelovic, M., Kühl, H. S., Dieguez, P., Boesch, C., & Linsenmair, K. E. (2020). Sustainable peeling of kapok tree (Ceiba pentandra) bark by the chimpanzees (Pan troglodytes verus) of Comoé National Park, Ivory Coast. International Journal of Primatology41(6), 962-988. doi:10.1007/s10764-020-00152-9

Kalan, A. K., Kulik, L., Arandjelovic, M., Boesch, C., Haas, F., Dieguez, P., … Kühl, H. S. (2020). Environmental variability supports chimpanzee behavioural diversity. Nature Communications11(1), 4451. doi:10.1038/s41467-020-18176-3

Lapuente, J., Ouattara, A., Köster, P. C., & Linsenmair, K. E. (2020). Status and distribution of Comoé chimpanzees: Combined use of transects and camera traps to quantify a low-density population in savanna-forest mosaic. Primates61(5), 647-659. doi:10.1007/s10329-020-00816-3

Article original: https://news.mongabay.com/2022/04/cote-divoires-chimp-habitats-are-shrinking-but-theres-hope-in-their-numbers/

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