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La pollution par les aérosols : une menace pour le climat et notre santé

  • Les aérosols sont des particules fines qui sont en suspension dans l’atmosphère. Beaucoup sont d’origine naturelle, mais l’humanité en produit également, notamment au travers des cheminées, des gaz d’échappement de nos véhicules, des incendies ou même des sèche-linge. Et si les premières sont demeurées stables des siècles durant, les secondes ont en revanche connu une augmentation rapide, en phase avec les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique.
  • Chaque année, la pollution par les aérosols fait 4,2 millions de victimes, dont 200 000 aux États-Unis. Il est donc logique de juguler cette hausse au plus vite. Il y a toutefois un problème : en l’état actuel des choses, les aérosols produits par l’Homme aident à réguler le climat. Ainsi, ils nous protègent d’une partie du réchauffement causé par les gaz à effet de serre que nous émettons en continu.
  • Les scientifiques ignorent cependant l’ampleur de cet effet de refroidissement, ou si une réduction rapide de l’émission d’aérosols dans l’atmosphère conduirait à une augmentation drastique et catastrophique du réchauffement. Cette incertitude provient du caractère complexe des aérosols. Les particules atmosphériques varient en taille, en forme et en couleur, dans leurs interactions avec d’autres particules et, plus important, dans leurs impacts.
  • Pour les chercheurs, modéliser précisément l’intensité des effets des aérosols sur le changement climatique est vital pour l’avenir de l’humanité. Les aérosols sont toutefois très difficiles à modéliser et sont donc probablement les moins bien compris parmi les neuf frontières planétaires, dont la déstabilisation pourrait menacer les systèmes de fonctionnement de la Terre.

Au cours des deux derniers millénaires, la Chine a vu nombre de dynasties s’élever et chuter. Tels sont les aléas de l’histoire humaine. Des chercheurs du Trinity College de Dublin et de l’Université Zhejiang de Hangzhou ont néanmoins récemment proposé une explication naturelle: surprenante : les volcans. Sur 68 effondrements dynastiques survenus depuis l’an 0, ils ont constaté que 62 avaient été précédés d’éruptions volcaniques de grande ampleur dans le monde.

Lorsqu’ils entrent en éruption, les volcans éjectent des tonnes de minuscules particules dans l’air, appelées aérosols. Ceux-ci sont en suspension dans l’atmosphère et peuvent avoir des effets majeurs : dispersion de la lumière du soleil, absorption des radiations solaires, refroidissement de la planète et modification du régime des pluies. Par exemple, lorsque le Pinatubo, aux Philippines, est entré en éruption en 1991, le nuage de cendres émis a fait baisser la température mondiale de 0,6 °C pendant au moins deux ans.

L’équipe à l’origine de la recherche sur les dynasties chinoise suppose que les aérosols d’origine volcanique ont provoqué une sécheresse et détruit les récoltes, menant à des troubles sociaux catastrophiques dans l’économie agricole chinoise. Cette relation de cause à effet est difficile à démontrer avec certitude, mais les résultats suggèrent que l’effet que les aérosols pourraient avoir sur le climat et les civilisations passées (et présentes) sont énormes.

L’éruption volcanique du Pinatubo, aux Philippines, en 1991, a projeté suffisamment de particules aérosol, dont du sulfate, dans la stratosphère pour refroidir la Terre pendant au moins deux ans. Image de Sgt. Val Gempis.

Des aérosols mystérieux

Lorsqu’il est question des causes du changement climatique, nous pensons généralement aux gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone ou le méthane. Ces gaz forment des mélanges homogènes répartis de manière égale sur la planète, entraînant des effets relativement uniformes et bien compris : le réchauffement climatique. Mais les chercheurs se rendent de plus en plus compte que les gaz à effet de serre ne sont qu’une partie du problème.

Les aérosols, quant à eux, racontent une autre histoire du réchauffement climatique. Il s’agit d’un mélange de substances, liquides et solides, qui diffèrent de leurs homologues gazeux dans presque tous les domaines. Les aérosols ont tendance à rester dans l’atmosphère près de leur source, ou à se déplacer sous forme de masses localisées ou régionales via les courants atmosphériques. Ils peuvent affecter le climat de multiples façons contradictoires, en le refroidissant ou en le réchauffant, en déclenchant des sécheresses ou des pluies intenses. Les effets des aérosols sont difficiles à quantifier et à caractériser, mais ils ont le potentiel de combler de nombreuses lacunes dans la science du climat.

« C’est pourquoi la communauté veut [les] comprendre », explique Stephen Schwartz, chercheur principal au Département des sciences environnementales et climatiques du Brookhaven National Laboratory. « Ils sont la grande inconnue. »

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Un coup d’œil au microscope révèle la complexité des aérosols. Leur taille varie de quelques atomes à la largeur d’un cheveu humain. Ils comprennent des cristaux de sulfate, des boules de carbone noir presque pur (communément, mais pas tout à fait correctement, appelé suie), des gouttelettes d’acide nitrique ou sulfurique ou encore du pollen. Il peut s’agir de sel libéré par les crêtes des vagues déferlantes ou de sable du désert emporté par le vent. L’une des principales sources naturelles d’aérosols est le plancton, qui rejette du sulfure de diméthyle (DMS), un produit chimique très odorant qui donne à la mer l’odeur âcre qu’on lui connaît. Le DMS réagit avec l’oxygène pour produire des nuages d’acide sulfurique. Le dioxyde de soufre libéré par les volcans fait de même.

Quatre-vingt-dix pour cent des aérosols présents dans l’atmosphère sont d’origine naturelle, mais leurs niveaux sont restés relativement constants au fil du temps, explique le physicien Yi Ming, maître de conférences à l’université de Princeton et chercheur au Geophysical Fluid Dynamics Laboratory de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis. « S’ils ne changent pas tant que ça, vous n’avez pas à vous en inquiéter. »

En revanche, selon lui, nous devons nous préoccuper des aérosols anthropiques (produits par l’homme). Ces émissions proviennent des gaz d’échappement des véhicules, des cheminées des usines, des navires et des centrales électriques au charbon, des agriculteurs qui brûlent le chaume de leurs champs et des accapareurs de terres qui font de même dans la forêt amazonienne, des torchères des plateformes pétrolières et des sacs en plastique jetés au rebut. Même les sèche-linge libèrent des fibres microplastiques qui flottent dans l’atmosphère. Ces sources ont augmenté de façon spectaculaire au cours de la période industrielle, à peu près au même rythme que les gaz à effet de serre.

Ces images au microscope électronique à balayage (pas à la même échelle) montrent la grande variété de formes des aérosols. De gauche à droite, en partant du haut : cendres volcaniques, pollen, carbone noir (également appelé suie) et sel marin. Les différentes formes, tailles, couleurs, ainsi qu’une foule d’autres caractéristiques peuvent modifier les effets des aérosols. Image reproduite avec l’autorisation de l’USGS, l’Université du Maryland, Comté de Baltimore (Chere Petty) et de l’Arizona State University (Peter Buseck) depuis Earth Observatory.

Les aérosols : le joker du changement climatique

Comme pour les gaz à effet de serre, il existe de bonnes raisons de réduire la pollution par les aérosols. Une motivation prime : préserver la santé humaine. « Les aérosols ont un impact sur presque toutes les parties du corps humain, en fonction de leur composition, du degré d’exposition et de leur taille », explique Bhupesh Adhikary, spécialiste de la pollution atmosphérique au Centre international pour le développement intégré des montagnes basé à Katmandou, et auteur principal du dernier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Selon lui, les pires aérosols sont les particules très fines, « qui peuvent pénétrer profondément dans les poumons et même dans la circulation sanguine », exacerbant ainsi les problèmes respiratoires et cardiovasculaires.

D’après le corpus de recherche actuellement disponible, les particules atmosphériques font 4,2 millions de victimes par an, dont 200 000 rien qu’aux États-Unis, ce qui en fait « une source majeure de mortalité prématurée au niveau mondial ». D’autres estimations placent ce chiffre 6 millions de décès par an dans le monde.

À cet égard, il y a de bonnes nouvelles. Contrairement aux gaz à effet de serre, les aérosols ne restent pas longtemps dans l’atmosphère. « Si on arrêtait toutes nos émissions de gaz à effet de serre, [ils] persisteraient dans l’atmosphère pendant des centaines d’années », explique Y. Ming. « Si on arrête toutes les émissions d’aérosols [d’origine humaine] maintenant, elles auront disparu [en] une semaine environ. »

Mais maintenant que nous les produisons, éliminer les aérosols n’est pas si simple. La plupart d’entre eux contribuent à refroidir la planète en renvoyant la lumière du soleil dans l’espace, réduisant ainsi la quantité d’énergie de rayonnement qui atteint la surface de la Terre. Ils contribuent également à la création de nuages ou à l’éclaircissement de nuages existants, en agissant comme des noyaux de condensation autour desquels la vapeur d’eau se concentre. Ce phénomène est clairement visible sur les images satellites de ce que l’on appelle les « traces des navires », où des navires crachant du soufre sont passés sous les nuages. Les nuages réfléchissent la lumière dans l’espace encore mieux que les particules elles-mêmes.

Lorsque des navires rejetant des sulfates passent sous des nuages, ceux-ci sont éclaircis par l’action des aérosols dans un processus connu sous le nom d’effet Twomey, créant ainsi ce qu’on appelle les « traces des navires ». Image reproduite avec l’autorisation de la NASA.

Voici la partie importante : on pense que l’effet refroidissant des aérosols anthropiques a contrebalancé de manière significative le réchauffement de la planète, réduisant potentiellement de moitié l’effet réchauffant de nos émissions de gaz à effet de serre. Sans cet effet de masquage, le monde pourrait déjà avoir dépassé le seuil de 1,5 °C supplémentaire par rapport aux niveaux préindustriels. Ce seuil, défini dans l’Accord de Paris sur le climat de 2015, est celui à ne pas franchir afin d’éviter une catastrophe planétaire.

Le chercheur en climatologie James Hansen, qui a prédit de manière célèbre l’effet refroidissant du Pinatubo dans les années 1990, a fait les gros titres l’année dernière en avertissant que l’élimination des aérosols sulfatés pourrait doubler le taux de réchauffement de la planète au cours des 25 prochaines années.

Mais selon de nombreux autres chercheurs, l’ampleur réelle de l’augmentation du réchauffement qui pourrait résulter d’une réduction radicale des aérosols est encore très incertaine. La nature vaporeuse des aérosols leur permet d’échapper à l’observation et les rend difficiles à prévoir, malgré les progrès récents des techniques de modélisation. En plus de ne pas pouvoir être facilement reportés sur un graphique, il est difficile de distinguer les aérosols anthropiques des aérosols naturels. Sans compter que leurs effets dépendent de leur position par rapport aux nuages, de s’ils survolent de l’eau ou de la terre ferme, ainsi que de la taille et de la forme des particules elles-mêmes. Même la couleur du tissu dont sont issues les fibres microplastiques en suspension dans l’air a une incidence sur la quantité de lumière qu’elles reflètent.

Le GIEC estime que les gaz à effet de serre piègent un supplément de 3,3 watts (W) par mètre carré d’énergie solaire par rapport à ce que la Terre recevait à l’ère préindustrielle, un processus appelé forçage radiatif. Les aérosols anthropiques, quant à eux, reflètent entre 0,4 et 1,7 W par mètre carré d’énergie solaire.

« C’est énorme », affirme S. Schwartz à propos de l’écart. « Si c’est à l’extrémité supérieure, on soustrait 1,7 à 3,3 pour obtenir 1,6, si c’est 0,4, on obtient 2,9. Donc, c’est presque un facteur de deux. » Il ajoute que « c’est pour cela que certains considèrent le forçage des aérosols comme le joker de la compréhension de l’influence humaine sur la température. »

L’Arctique est cinq fois plus susceptible de fondre à cause de sources locales de carbone noir qu’à cause de sources extérieures. L’émission d’aérosols en Arctique pourrait grandement augmenter si le transport de marchandises, l’exploration pétrolifère ou d’autres industries s’y étendent, faisant fondre la glace de mer et la neige polaires. Image du Arctic Council Expert Group on Black Carbon and Methane.

Dépassement d’une limite planétaire ?

Y a-t-il un niveau optimal de pollution par les aérosols que nous pouvons tolérer ? Un compromis difficile entre la santé humaine et le refroidissement ? Le Stockholm Resilience Centre, un groupe international de chercheurs, compte la pollution par les aérosols parmi les neuf limites planétaires, c’est-à-dire les limites critiques des processus naturels clés sur lesquelles notre espèce exerce actuellement une influence négative et qu’elle dépasse.

La déstabilisation de l’une de ces limites pourrait menacer l’équilibre du système de fonctionnement de la Terre, provoquer l’effondrement de notre civilisation et même mettre en danger la vie telle que nous la connaissons. Parmi ces neuf limites, on compte le réchauffement climatique, l’acidification des océans, l’introduction d’entités chimiques nouvelles dans l’environnement (dont les métaux lourds et les plastiques), l’intégrité de la biosphère et, bien sûr, la charge en aérosols atmosphériques (ou pollution par les aérosols).

Au niveau international, le Stockholm Centre admet que nous ne disposons pas de données scientifiques suffisantes pour savoir à quels niveaux la pollution par les aérosols devient trop importante. Au niveau régional, cependant, ces minuscules particules peuvent déjà avoir des répercussions complexes et interactives.

Les aérosols ont attiré l’attention du public dans les années 1970, non pas tant pour leur effet refroidissant, mais à cause des pluies acides. Les voitures et les centrales électriques au charbon d’Amérique du Nord rejetaient alors chaque année une quantité de dioxyde de soufre équivalente à sept fois l’éruption du Pinatubo. Ce dioxyde de soufre réagissait avec l’eau présente dans l’atmosphère pour produire de l’acide sulfurique, qui retombait sur les forêts et les stocks de poisson sous forme de pluie. En conséquence, nombre d’épicéas et de sapins sont morts dans les hautes altitudes des Appalaches américaines et toute vie a disparu dans les lacs des monts Adirondack, dans l’État de New York.

Cette catastrophe a suscité une recherche scientifique fébrile sur les aérosols sulfatés, ainsi qu’un examen minutieux par les médias et un dialogue public, même dans les écoles. À l’époque, je n’étais qu’un enfant et une partie du discours des adultes me faisait craindre que ma peau ne fonde.

La tendance avait cependant changé à l’orée des années 1990, des lois sur la qualité de l’air ayant été mises en place aux États-Unis (Clean Air Act), au Canada et en Europe. Ces lois prévoyaient l’obligation d’installer des épurateurs dans les cheminées et des convertisseurs catalytiques dans les voitures et imposaient des amendes aux pollueurs. Les résultats ont été spectaculaires. Depuis 1980, les émissions de dioxyde de soufre en Amérique du Nord et en Europe ont diminué d’environ 80 %, et en 2018, les arbres à feuilles persistantes de la Nouvelle-Angleterre montraient des signes de rétablissement. Vers mon adolescence, les gens ont cessé de parler des pluies acides et j’ai oublié ma peur.

Pollution par les aérosols au-dessus de la Chine orientale. L’utilisation accrue du charbon et du bois pour le chauffage en hiver en Asie entraîne souvent une brume sèche généralisée, comme celle que l’on voit sur cette image prise par le satellite Terra le 9 février 2004. La topographie amplifie l’effet, car cette région est une cuvette entourée d’un terrain montagneux à l’ouest, ce qui empêche la dispersion de la pollution par les aérosols. Le relief du globe, c’est-à-dire les grandes chaînes de montagnes telles que la cordillère des Andes à l’ouest de l’Amazonie brésilienne, pourrait avoir des répercussions imprévues sur la dérive des aérosols atmosphériques. Image de Jacques Descloitres, MODIS Rapid Response Team NASA/GSFC.

On l’a échappé belle… non ? Pas du tout !

Pendant que ma famille polluait l’air canadien avec son énorme break V6, la région du Sahel en Afrique souffrait également : la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso subissant l’une des pires sécheresses du XXe siècle. Les récoltes ont été perdues et on estime que 100 000 personnes sont mortes de faim. Entre les années 1960 et 1990, le lac Tchad a été réduit à 5 % de sa taille initiale.

À l’époque, la sécheresse était entièrement imputée à la déforestation et à la désertification. Mais dans son dernier rapport publié l’année dernière, le GIEC affirme désormais que le refroidissement de l’hémisphère Nord induit par les aérosols anthropiques produits en Amérique du Nord et en Europe a été un facteur déterminant. Ce refroidissement a entraîné des changements dans la circulation de l’air près de l’équateur, déplaçant la ceinture de pluie tropicale vers le sud et coupant le Sahel de sa source annuelle de précipitations.

Avec la diminution des émissions de sulfate en Amérique du Nord, les précipitations sont revenues dans une grande partie du Sahel, mais pas dans toute la région, et par endroits, le régime des pluies est plus irrégulier qu’auparavant. Selon Charles Ichoku, professeur de sciences de la terre et de l’atmosphère à l’Université Howard et ancien chercheur au Goddard Space Center de la NASA, les aérosols africains pourraient être à l’origine de la persistance de ces anomalies des précipitations.

Aujourd’hui, la pollution en Afrique de l’Ouest est « énorme », affirme C. Ichoku, qui rend souvent visite à sa famille au Nigeria, son pays natal, à la fin de l’année. À cette période, des nuages âcres de fumée de bois provenant de feux de cuisine se mélangent à la poussière arrachée par le vent au lit asséché du lac Tchad. « Il y a beaucoup de fumée dans l’atmosphère. Je le sens. J’ai l’impression que ce n’est pas normal. Mais pour les gens d’ici “c’est la vie”. »

La poussière souffle sur les restes asséchés du lac Tchad. Si la poussière ralentit les précipitations, comme le pensent certains chercheurs, alors elle pourrait contribuer à assécher encore plus la région. Image reproduite avec l’autorisation du Goddard Space Flight Center de la NASA.
La NOAA utilise des ballons comme celui-ci (que l’on voit être lâché en prises de vue à intervalle régulier) pour mesurer la taille et le nombre des aérosols présents dans la stratosphère. Les aérosols produits par l’homme sont déjà à l’origine de problèmes environnementaux majeurs sur Terre, notamment le vaste nuage brun d’Asie. Ce nuage de pollution atmosphérique a été lié aux perturbations des moussons en Asie. Image de Patrick Cullis, CIRES/NOAA GML.

Selon une étude, la pollution atmosphérique a tué un million de personnes sur le continent en 2019. Pendant la saison des feux, l’imagerie satellite révèle un panache de fumée de la taille d’un continent qui obscurcit le littoral et repousse visiblement les autres masses d’air.

Mais le mélange de suie, de poussière et de carbone organique agit très différemment des autres aérosols. Bien qu’ils refroidissent la surface de la Terre au-dessous d’eux en bloquant l’énergie solaire, leur couleur sombre fait que les nuages absorbent cette énergie au lieu de la renvoyer dans l’espace, réchauffant ainsi la basse atmosphère. « Lorsque ce mélange réchauffe l’atmosphère, il n’y a plus de gradient [de température] », explique C. Ichoku. « Il stabilise l’atmosphère, et empêche la convection. » Cet effet retarde le cycle de l’eau et empêche la pluie de tomber.

Lorsqu’il travaillait pour la NASA, C. Ichoku a dirigé une étude qui a révélé que les modèles climatiques sous-estimaient le réchauffement atmosphérique causé par le carbone noir des feux de brousse, en partie parce que toutes les fumées de bois ne sont pas égales. En effet, il s’avère que la combustion de la végétation de la savane africaine n’a pas les mêmes effets sur le climat que la combustion de la forêt amazonienne, car les particules ont des propriétés différentes. C. Ichoku a également trouvé des indications selon lesquelles le brûlage pendant la saison sèche peut réduire les précipitations pendant la saison des pluies.

« Nous avons prouvé la corrélation, pas la causalité », prévient-il toutefois. La difficulté est la même que celle qui affecte la science des aérosols en général : le manque de données détaillées. Les stations météorologiques fiables sont rares en Afrique. Les instruments que son équipe a installés près du lac Tchad, par exemple, ont été endommagés par les conflits avec les rebelles de la région.

Brûlage des résidus de riz dans l’état du Punjab, en Inde, avant la saison du blé. Le brûlage des cultures est l’une des principales sources d’aérosols de carbone noir dans le monde. Image de Neil Palmer(CIAT) depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).

Un nuage brun sur l’Asie

À peu près à l’époque où l’Amérique du Nord et l’Europe s’appliquaient à lutter contre le smog, la Chine, l’Inde et d’autres pays d’Asie s’industrialisaient à une vitesse vertigineuse. Au début des années 2000, les émissions de dioxyde de soufre avaient quadruplé dans la région et le refroidissement provoqué par les aérosols avait atteint un niveau similaire à celui de l’Amérique du Nord 30 ans auparavant. « C’était horrible », affirme Y. Ming. « On voyait rarement la couleur du ciel. »

Depuis 2010, la Chine a réduit ses émissions, soufre compris, au travers d’un contrôle plus strict de la pollution, bien que le pays continue à construire en moyenne une centrale à charbon presque chaque semaine. Les niveaux d’émissions sont restés si élevés que lorsque, en 2020, les restrictions liées au Covid-19 ont ralenti la production industrielle de la Chine, les températures locales ont augmenté de 0,3 °C.

Les émissions d’aérosols de l’Inde continuent de croître, comme c’est le cas pour d’autres pays d’Asie. Il faut également noter que l’industrie lourde n’est pas la seule en cause. « Par le passé, en Asie du Sud, on se déplaçait majoritairement à vélo ou à pied », explique B. Adhikary. « [Les gens] se déplaçaient en bus, mais aujourd’hui, une famille va avoir trois voitures ou deux motos. » Il souligne que les émissions d’aérosols provenant de sources énergétiques plus traditionnelles, comme le chauffage et la cuisine au bois ou au fumier, augmentent en même temps que la population.

De nos jours, un nuage immense tourbillonne sur l’Inde, la Chine et l’Asie du Sud-Est et flotte au-dessus de l’océan Indien. Il est alimenté par des particules sombres qui absorbent les radiations telles que la cendre, la suie ou les composés de carbone organique provenant des fours, des centrales à charbon, des voitures ou encore des omniprésentes motos-taxis, ou tuk-tuk.

Les particules de la pollution atmosphérique, qui font partie du nuage brun d’Asie, peuvent voyager autour du globe et être distribuées de manière inégale par les vents, avec des impacts variables. En avril 2021, les satellites de la NASA ont observé cette gigantesque tempête de poussière au-dessus de la Chine. La portion la plus dense de ce nuage d’aérosols s’est déplacée au-dessus du Japon, puis de l’océan Pacifique, et a atteint les côtes américaines en une semaine. Modéliser les aérosols est très complexe. En effet, pour être précis, il faut connaître parfaitement les types et les mélanges de particules, leur taille, leur couleur, et même leur forme. Image reproduite avec l’autorisation de la NASA.
Tous les aérosols anthropiques ne sont pas le résultat de la pollution industrielle. Les fourneaux à bois et à fumier sont parmi les principaux responsables du nuage brun d’Asie. Image de Cyril Bèle depuis Flickr (CC BY 2.0).

Baptisée « nuage brun d’Asie », cette masse de 3 km d’épaisseur empêche jusqu’à 10 % de la lumière solaire d’atteindre la surface de la Terre dans certaines régions. Le nuage, très dense, a été associé à un affaiblissement spectaculaire de la mousson d’hiver Selon C. Ichoku, tout comme le brûlage de biomasse et les tempêtes de poussière en Afrique, ce nuage bloque la convection, empêchant les précipitations, car les gouttes présentes dans les nuages s’accrochent aux particules au lieu de tomber.

Lorsque ces aérosols finissent enfin par pleuvoir, ils peuvent atterrir sur la neige et la glace alpine, accélérant ainsi leur fonte au travers de l’absorption des radiations solaires. Ainsi, les glaciers de l’Himalaya perdent jusqu’à 1 m environ par an et on estime que leur taille aura été réduite de moitié d’ici 2050. Certains experts attribuent la quasi-totalité de cette perte aux aérosols plutôt qu’au réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre. Il faut savoir que les glaciers himalayens alimentent des rivières qui sont la source d’eau de quelque 750 millions de personnes. Perdre cette eau serait donc une catastrophe humaine et écologique qui pourrait déstabiliser la Chine, ainsi que l’ont fait les éruptions volcaniques tout au long de l’Histoire.

La pollution de l’air a commencé à s’épaissir au-dessus de Beijing aux environ de 2014. Bien que la Chine soit parvenue à réduire considérablement ses émissions de soufre, elle continue de construire en moyenne une centrale à charbon par semaine. Image de 螺钉 depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Les aérosols assombrissent l’avenir

Pendant ce temps, en Amérique du Nord, le continent a maîtrisé ses émissions de soufre, mais les incendies de forêt sont en augmentation et représentent le même type de menaces que le nuage brun d’Asie et que la pollution par la suie et la poussière en Afrique. Certains signes indiquent déjà que le carbone brun, des résidus de biomasse non brûlée provenant de l’herbe et des arbres, s’accumule dans la haute atmosphère, tandis que les dépôts de carbone noir réchauffent la glace et la neige arctiques, bien qu’il y ait peu de sources locales de cet aérosol.

Si la fonte de la glace marine ouvre l’Arctique à l’industrie et aux navires marchands, les panaches de carbone noir dans la région polaire (provenant de la navigation transpolaire, du brûlage des gaz dans les puits de pétrole et d’autres sources industrielles) pourraient multiplier par cinq la hausse de la température de surface de l’Arctique par rapport à la même quantité de carbone noir émise aux latitudes moyennes. Cela aurait un impact majeur sur la fonte de la neige et de la glace.

Malgré l’incertitude qui plane sur les impacts des aérosols, leur action de refroidissement semble prévaloir. L’amélioration de la modélisation ces dernières années a révélé de nombreuses façons dont le refroidissement par les aérosols permet de contenir les pires effets du réchauffement dû aux gaz à effet de serre. Par exemple, sans le refroidissement par les aérosols, les rivières atmosphériques, qui transportent de grandes quantités d’humidité et provoquent des inondations parfois violentes autour du globe, pourraient avoir des effets plus importants. De même, la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique (des courants océaniques parmi lesquels le Gulf Stream) serait plus faible. Enfin, les eaux de la partie équatoriale orientale de l’océan Pacifique deviendraient plus chaudes.

« Nous nous creusions la tête en pensant que cela n’avait pas de sens », déclare Ulla Heede, étudiante en master de Sciences de la terre et planétologie à l’université de Yale, qui étudie l’anomalie de l’océan Pacifique. Des modèles antérieurs basés uniquement sur les effets des gaz à effet de serre suggéraient que le réchauffement de la planète aurait dû affaiblir les vents alizés d’est, ce qui leur aurait permis d’aspirer une quantité moindre de l’eau océanique froide et profonde qui régule les températures régionales. Enfin, « sauf si les aérosols ont un rôle à jouer », ajoute-t-elle. U. Heede a introduit les estimations du refroidissement par aérosols dans les modèles, et a découvert une correspondance parfaite. « C’était l’élément manquant. »

Schéma illustrant le rôle des aérosols dans l’atmosphère. Image reproduite avec l’autorisation de Jagabandhu Panda et Sunny Kant depuis geographyanyyou.com.

Mais alors, que se passe-t-il si les aérosols et leur effet refroidissant sont réduits ? U. Heede prédit des inondations pour les habitants des îles du Pacifique, ainsi que d’autres conséquences imprévisibles. « Si la circulation ralentit, beaucoup d’autres paramètres vont s’ajuster, et je ne pense pas que nous sachions, en tant qu’humains, comment ces changements vont être vécus. »

L’affinement de nos modèles et de nos données d’observation pourrait permettre de faire diminuer cette incertitude épineuse. Nous devons comprendre le pouvoir que le mystérieux joker que sont les aérosols sur l’atmosphère de notre planète, et ce rapidement. Sinon, l’humanité pourrait bien se retrouver dans la même situation que les dynasties chinoises d’il y a 1 000 ans : renversée par un chaos climatique dont nous ne comprenons pas clairement les causes et les effets aux quatre coins du globe.

 
Image de bannière : Pollution atmosphérique à Anyang, en Chine, vers 2013. La pollution par les aérosols, en Chine comme dans le reste du monde, continue de poser un problème de santé publique et donne lieu à des millions de décès prématurés chaque année. Image de V.T. Polywoda depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/03/aerosol-pollution-destabilizing-earths-climate-and-a-threat-to-health/

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