- La caféine est le psychostimulant le plus consommé au monde et fait partie du quotidien de beaucoup d’entre nous. On la retrouve dans le café, le chocolat, les boissons énergisantes et mêmes dans certains médicaments.
- Partiellement rejetée dans les urines, elle est désormais omniprésente dans les eaux fluviales et littorales. À tel point qu’elle est utilisée pour détecter les traces de pollution par les eaux usées. En effet, une récente étude a montré qu’on la retrouve dans plus de 50 % des 1 052 sites d’échantillonnage et 258 rivières autour du globe. Une autre étude tout aussi récente liste quant à elle les dégâts causés par la caféine dans les milieux littoraux et sous-marins.
- Le flux continu de caféine dans les écosystèmes aquatiques provoque l’inquiétude des scientifiques en raison de ses impacts sur un large éventail d’organismes aquatiques dont les microalgues, les coraux, les bivalves, les éponges et vers marins, ainsi que les poissons. La plupart des répercussions environnementales, notamment les effets plus larges au sein des écosystèmes, n’ont pas encore fait l’objet de recherches.
- En outre, la très forte hausse de la consommation de produits caféinés signifie que la situation ne fera que s’aggraver à l’avenir. La source principale de cette pollution est le rejet d’eaux usées non traitées. Bien que certaines stations d’épuration puissent filtrer la caféine, beaucoup n’en sont pour l’instant pas capables. De plus amples recherches sur le sujet sont nécessaires à déterminer la portée et les impacts du problème dans leur intégralité.
De l’espresso au carré de chocolat, en passant par les boissons énergisantes, la caféine fait partie de nos « drogues » préférées. Malheureusement, ce stimulant psychotrope léger contenu dans nos « remontants » quotidiens doit bien aller quelque part.
Dans le cadre d’une étude à visée internationale, publiée le 22 février dernier, portant sur la pollution par les produits pharmaceutiques, des chercheurs ont analysé des échantillons provenant de 1 052 sites et 258 rivières dans 104 pays. Ils ont découvert que la pollution par la caféine est monnaie courante dans les réserves d’eau douce de notre planète. Elle faisait en effet partie des éléments ayant la plus haute concentration dans les eaux de surface des rivières et a été détectée dans plus de 50 % des sites d’échantillonnage.
Cette révélation fait suite à une autre étude, publiée en janvier dans la revue Chemosphere. On peut y lire que la consommation mondiale de caféine, dont celle contenue dans les aliments, les boissons et les produits pharmaceutiques courants, est une préoccupation émergente pour les milieux littoraux et sous-marins.
Une équipe de chercheurs dirigée par Rosa Freitas, professeure à l’université d’Aveiro au Portugal, a passé en revue l’ensemble des preuves scientifiques actuelles et a constaté les effets de la caféine sur un large éventail d’espèces marines. Selon elle, cette exposition, même si elle est minime, peut avoir des effets néfastes sur les organismes aquatiques.
Ces deux études prises ensemble font apparaître la pollution par la caféine dans les écosystèmes d’eau douce et salée comme un problème grave d’envergure mondiale.
Une substance omniprésente
La caféine fait partie intégrante de la vie quotidienne de nombreuses personnes. Elle est donc sans surprise le stimulant psychotrope le plus consommé dans le monde. Le voyage de notre dose quotidienne à travers les cours d’eau débute généralement dans une machine à café, une cannette, un emballage de bonbon ou une plaquette de médicaments.
Elle est en grande partie métabolisée par notre organisme, qui n’en rejette que très peu : on estime que seulement 5 % de la caféine consommée est excrétée dans les urines. Mais ces quantités, si infimes soient-elles, finissent par s’accumuler. Jeter ses restes de café, marc compris, de thé, de soda dans l’évier, ou bien mettre ses médicaments à la poubelle, ne fait qu’augmenter la quantité de caféine qui passe dans l’eau.
Une fois qu’elle atteint les stations d’épuration, lorsqu’il y en a, elle sera plus ou moins filtrée en fonction des capacités de l’installation. D’après une estimation, entre 64 et 100 % de la caféine est filtrée par les systèmes de traitement et d’épuration des eaux usées (STEP) secondaires et tertiaires. Les infrastructures primaires, en revanche, s’avèrent souvent bien moins performantes. Une étude menée à la Barbade a montré que l’efficacité du traitement de l’eau n’y est que de 38 % environ.
« Bien que la capacité de filtration des STEP soit élevée, l’émission constante de ces substances dans l’environnement peut donner lieu à des concentrations élevées dans les systèmes aquatiques tels que les étendues d’eau douce », explique R. Freitas. Cependant, le problème principal est la libération de caféine au travers des eaux usées non traitées.
D’après certaines estimations, près de 80 % des eaux usées dans le monde sont déversées dans l’environnement sans traitement préalable. La raison est simple : les infrastructures de traitement ne sont pas accessibles à tous, et là où elles ne le sont pas, les déchets se déversent souvent librement dans les plans et cours d’eau. En outre, des centaines de villes modernes ayant un réseau d’égout vieillissant, comme c’est le cas pour New York, Londres ou Paris, sont équipées de réseaux unitaires d’assainissement, aussi appelés déversoirs d’orage. Comme son nom l’indique, ce type de système ne sépare pas eaux usées et eau de pluie, qui voyagent donc dans les mêmes canalisations et sont traitées dans les mêmes stations d’épuration. En lui-même, ce mode de fonctionnement ne pose pas de problème. En revanche, en cas de fortes précipitations, les installations se trouvent surchargées et les eaux usées non traitées sont alors déversées directement dans les cours d’eau et les estuaires, y relâchant un cocktail toxique.
Dans les pays développés en particulier, notre consommation de café est telle que c’est notre tasse quotidienne qui est tenue pour principale responsable de la pollution par la caféine. D’après l’Association nationale du café des États-Unis d’Amérique, les Américains consomment 656 millions de tasses de café par jour, soit 2 tasses journalières par personne. La consommation européenne est toutefois bien plus importante puisque les pays de l’Union européenne engloutissent près d’un tiers de la production mondiale, ce qui représentait, représentait 3 244 millions de tonnes pour 2020-2021. Sans compter qu’une croissance continue du marché mondial du café est attendue, notamment dans la région Asie-Pacifique.
La culture et la transformation du café sont également en cause dans la pollution caféinée. Produire notre tasse quotidienne requiert une grande quantité d’eau qui, une fois rejetée, a des conséquences environnementales telles que le phénomène d’eutrophisation. Par exemple, la transformation du café au Costa Rica a été directement reliée à la concentration de caféine la plus élevée jamais enregistrée dans les eaux de surface.
Étonnamment, partir en vacances peut également influer sur les niveaux de contamination par la caféine : « L’augmentation saisonnière de la population due au tourisme dans les zones côtières… Joue un rôle important », note la publication de R. Freitas. Elle remarque notamment de légères hausses de consommation de boissons caféinées, liées à des niveaux de contamination plus élevés dans les eaux des lieux touristiques. Le lac Balaton, en Hongrie, fournit un très bon exemple : c’est à la fois l’un des plus grands lacs d’Europe centrale, et une destination prisée. Il a été démontré que les concentrations d’effluents dans les eaux du lac, caféine incluse sont bien plus élevées en été, lorsque des milliers de visiteurs viennent séjourner dans la région. Un pic qui représente « un grand risque écologique pour les écosystèmes aquatiques ».
La caféine, source d’inquiétudes
Nous le savons, trop de caféine présente un risque pour la santé humaine et se traduit entre autres par de la nervosité, des nausées et une augmentation du rythme cardiaque. Ainsi que l’indique l’article publié dans Chemosphere, les espèces aquatiques sont aussi sujettes à ce risque.
L’équipe de R. Freitas a étudié l’impact à long terme de l’exposition à la caféine sur les polychètes, des vers marins. Les résultats indiquent que la substance peut notamment ralentir la régénération des segments chez le ver Diopatra neapolitana. « De tels effets néfastes altèrent les performances physiologiques et biochimiques de l’animal, dont sa capacité à creuser des terriers pour se cacher des prédateurs », explique la chercheuse. Sans compter que l’énergie supplémentaire nécessaire à la repousse d’un segment peut avoir des répercussions sur les capacités reproductives de l’animal.
L’étude indique également que de la caféine a été retrouvée dans l’organisme de microalgues, de coraux, de bivalves et de poissons. Cette présence s’explique par le phénomène de bioaccumulation, ce qui engendre nombre de problèmes : « Il avait été démontré que les résidus de caféine, à des concentrations réalistes pour l’environnement, avaient des effets néfastes sur les organismes aquatiques. Ils peuvent induire un stress oxydatif une peroxydation lipidique ou une neurotoxicité, ce qui modifie les réserves énergétiques et métaboliques, affectant la reproduction et le développement. En outre, ils peuvent dans certains cas augmenter le taux de mortalité. »
Ainsi l’exposition à la caféine peut par exemple entraver la croissance chez le tête de boule (Pimephales promelas) et la reproduction chez l’oursin violet (Paracentrotus lividu). La caféine peut également exacerber les effets du stress provoqués par l’acidification et le réchauffement des océans sur les algues coralliennes, contribuant ainsi potentiellement au phénomène de la mort blanche.
« Bien que la caféine se dégrade relativement vite dans l’environnement, elle est considérée comme un composé “pseudopersistant”, c’est-à-dire que les concentrations dans l’environnement sont reconstituées par des rejets continus », explique Gabrielle Quadra, chercheuse au Laboratório de Ecologia Aquática de l’Universidade Federal de Juiz de Fora, au Brésil.
Dans une étude publiée l’année dernière, G. Quadra et son équipe ont découvert que de fortes concentrations de caféine causaient des anomalies squelettiques et freinaient la croissance chez le Rhamdia quelen, une espèce de poisson-chat endémique d’Amérique du Sud. Selon elle, « ces changements morphologiques peuvent affecter la mobilité larvaire et la capacité à nager ce qui peut, en conséquence, affecter la recherche de nourriture ou les rendre plus vulnérables aux prédateurs. »
« Même si les risques sont présentement faibles dans la plupart des pays évalués, une augmentation de la consommation de caféine, couplée à un manque d’assainissement dans un grand nombre de pays, fait planer la menace d’effets morphologiques sublétaux pour les espèces de poissons locales », conclut G. Quadra.
Une équipe de chercheurs menée par Davide Seveso, biologiste marin à l’université de Milan-Bicocca, a identifié la présence de caféine entre autres polluants, dans les récifs d’éponges de l’île de Magoodhoo, aux Maldives. Pour se nourrir, ces animaux filtrent l’eau et, ce faisant, accumulent les polluants. Selon D. Seveso, cette particularité en fait d’excellents bio-indicateurs. Avec une population de 800 habitants, Magoodhoo n’a pas de système de traitement des eaux usées. Les déchets se déversent donc dans l’océan depuis une décharge côtière. Les résultats préliminaires d’une autre étude de terrain conduite sur une île-hôtel, elle aussi située aux Maldives, ont montré une concentration de caféine moindre dans les éponges grâce au traitement des eaux usées. Selon D. Seveso, les analyses révèlent toutefois que même ces concentrations réduites pourraient avoir un « effet néfaste potentiel ».
Ces impacts sur des espèces distinctes pourraient avoir des implications plus larges à l’échelle de l’écosystème, mais ils n’ont pas encore été étudiés. « Il est essentiel que nous réalisions que les effets sur un organisme précis ne sont pas limités [à cette espèce] », déclare G. Quadra. « Chaque organisme occupe un niveau trophique dans l’écosystème, ce qui signifie qu’en affectant des organismes [particuliers], on affecte aussi indirectement leurs proies ou leurs prédateurs. »
Coup de projecteur sur un problème plus vaste
Plus tôt cette année, le Stockholm Resilience Center a publié un article affirmant que les activités humaines ont provoqué le dépassement de la limite planétaire dite d’introduction de nouvelles entités chimiques dans l’environnement, menaçant « les conditions favorables à un écosystème sûr » sur Terre. Considérée dans ce contexte, la caféine n’est qu’un polluant d’origine humaine parmi des dizaines de milliers d’autres relâchés chaque jour dans la nature. Des contaminants qui se mélangent et dont nous ne comprenons pas encore comment ils interagissent.
En réalité, la caféine est à tel point omniprésente qu’elle est utilisée par les chercheurs comme un indicateur de la présence de pollution par les déchets humains. Là où elle est détectée se trouve généralement un cocktail toxique d’autres polluants tels que des substances pharmaceutiques, des microplastiques ou de la matière fécale. L’étude de D. Seveso sur les éponges marines aux Maldives a également révélé la présence d’autres polluants provenant d’antidépresseurs ou de produits cosmétiques. Ces études qui suivent les traces de caféine ont identifié des problèmes de pollution à travers le monde entier, y compris dans les lagons mexicains ou les récifs coralliens aux Samoa américaines.
L’échantillonnage récent des rivières de notre planète a montré que les fréquences de détection de caféine les plus élevées se trouvent en Asie (71 % des 234 sites d’échantillonnage d’eau douce), en Amérique du Sud (69,2 % des 92 sites) et en Amérique du Nord (64,7 % des 118 sites). Les concentrations moyennes étaient respectivement de 4 850, 3 290 et 1 500 nanogrammes par litre. Les rivières africaines, quant à elles, affichaient une fréquence de détection de 43,8 % des sites, avec une concentration moyenne de 4 090 nanogrammes par litre. Les rivières polluées par la caféine étaient nombreuses et répandues : près d’Accra au Ghana, de Lahore au Pakistan, de Lisbonne au Portugal ou encore de Dallas aux États-Unis.
« Certaines études ont déjà démontré les effets de ces concentrations sur le comportement des poissons, la composition des espèces et le stress oxydatif chez les organismes aquatiques, notamment en lien avec l’exposition chronique et mixte. De plus amples recherches sont toutefois nécessaires », déclare G. Quadra.
Malgré une connaissance grandissante des impacts environnementaux de la caféine, beaucoup de questions demeurent sans réponse. Par exemple, on ignore comment la caféine interagit avec les autres polluants, ou l’influence de deux limites planétaires, le réchauffement climatique et l’acidification des océans, sur l’intensification de son impact environnemental. Certains éléments indiquent toutefois qu’une combinaison d’influences, augmentation de la température et acidification, par exemple, pourrait accentuer les effets nocifs de la caféine. Pour les scientifiques, nous manquons encore trop de connaissances sur le sujet pour pouvoir évaluer la situation correctement.
« L’étendue de notre savoir sur les impacts environnementaux de la caféine est mince, mais des études démontrent qu’elle a des effets nocifs », explique G. Quadra. « Pourquoi, donc, devrions-nous attendre de franchir un point de non-retour avant de tenter de contrôler la situation ? »
Image de bannière : Une jeune fille buvant une tasse de café. Image d’Eric Horst depuis Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Sources :
Wilkinson, J. L., Boxall, A. B. A., Kolpin, D. W., Leung, K. M. Y., Lai, R. W. S,… Teta, C. (2022) Pharmaceutical pollution of the world’s rivers. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. https://doi.org/10.1073/pnas.2113947119
Vieira, L. R., Soares, A. M. V. M., Freitas, R. (2022) Caffeine as a contaminant of concern: A review on concentrations and impacts in marine coastal systems. Chemosphere. https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2021.131675
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/02/caffeine-emerging-contaminant-of-global-rivers-and-coastal-waters/