Nouvelles de l'environnement

En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les investisseurs de l’huile de palme cèdent sous la pression des communautés

  • À la fin des années 2000, le boom des matières premières a entraîné une ruée vers l’acquisition de terres en Afrique de l'Ouest et Afrique centrale pour le développement de l'huile de palme, ce qui a engendré des craintes concernant la déforestation et l'accaparement de terres.
  • Un nouveau rapport de Chain Reaction Research, spécialiste en analyse de risque financier, indique que la plupart des acquisitions ont échoué depuis. On compte 27 acquisitions, représentant 1,37 million d'hectares de terres (3,39 millions d'acres) qui ont été purement et simplement abandonnées.
  • Selon les chercheurs, les campagnes transfrontalières et la résistance des organisations communautaires de défense des droits fonciers expliquent en grande partie l'échec de cette industrie en Afrique.

Lorsque les prix des matières premières se sont envolés à la fin des années 2000, les multinationales de l’agroalimentaire ont flairé le profit. Pressées de quitter les forêts tropicales encombrées d’Asie du Sud-Est, certaines entreprises d’huile de palme ont jeté leur dévolu sur l’Afrique, où les gouvernements de pays tels que la Sierra Leone, le Liberia, le Cameroun et la Côte d’Ivoire leur ont promis des terres à vendre. En quelques années seulement, les acquisitions se sont succédé, et des entreprises du monde entier ont soudainement obtenu les droits sur d’immenses étendues de terres en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale. Pour l’industrie de l’huile de palme, une nouvelle frontière fascinante s’ouvrait à un rythme effréné.

Mais loin du champagne sabré lors des signatures de contrats, il existait une fâcheuse réalité. En effet, les terres qu’ils avaient louées n’étaient pas, comme certains gouvernements l’avaient prétendu, “disponibles”. En réalité, des dizaines de milliers d’agriculteurs et autres villageois y vivaient.

Aujourd’hui, une analyse de Chain Reaction Research, spécialiste en analyse de risque financier basé à Washington, indique qu’un peu plus de dix ans plus tard, un grand nombre d’acquisitions ont échoué face à l’organisation et aux campagnes de ces agriculteurs. Entre 2008 et 2019, 27 projets d’exploitation d’huile de palme qui devaient couvrir 1,37 million d’hectares de terres ont “échoué ou ont été abandonnés” dans la région, et sur les 2,7 millions d’hectares de forêts restants actuellement sous concession, moins de 10 % ont été convertis en plantations.

« Je pense qu’ils avaient en tête l’idée de terres abondantes, bon marché et de réglementations moins strictes, mais ils n’ont apparemment pas pensé à la résistance qu’ils rencontreraient de la part des communautés locales », a déclaré Sarah Drost, l’une des auteurs du rapport.

Dans certains pays, l’écart entre la quantité de terres initialement allouée aux investisseurs étrangers et la part qu’ils ont pu développer était frappant. Par exemple, le Liberia a signé des accords avec des entreprises d’Indonésie, de Malaisie et du Royaume-Uni portant sur environ 750 000 hectares (1,85 million d’acres). Mais en 2019, seuls 54 000 hectares (133 400 acres) ont été défrichés et plantés de semis, soit environ 7 % du total.

Selon les chercheurs, il existe une série de raisons pour lesquelles les projets de plantation ont échoué. Certaines sociétés n’avaient aucune expérience dans le développement de concessions d’une telle ampleur. D’autres se sont retrouvé limitées par les engagements en matière de déforestation qu’elles avaient pris sous la pression des investisseurs. Mais le plus grand obstacle auquel elles ont été confrontées fut la campagne forte et incessante des communautés agraires et des défenseurs de la terre, que peu d’entre elles semblaient avoir anticipée.

« Ils se rendaient dans des endroits où vivaient des communautés qui ne comptaient pas abandonner leurs terres », a déclaré Devlin Kuyek, chercheur chez GRAIN, qui a fourni une grande partie des données pour le rapport. « Ils ne semblaient pas comprendre le type de résistance qu’ils allaient rencontrer ».

Au Cameroun, par exemple, l’entreprise agroalimentaire américaine Herakles Farms a pratiquement abandonné sa concession de 73 086 hectares (180 600 acres) après des années de conflit avec les communautés. Et au Liberia, un petit ensemble de villages a réussi à forcer l’entreprise britannique EPO à faire marche arrière malgré la violence de la police locale et des forces de sécurité de l’entreprise. En 2019, le conglomérat malaisien Sime Darby a vendu à perte sa concession de 220 000 hectares (543 600 acres), dix ans seulement après avoir signé un contrat de 63 ans.

Community members look out at land cleared by Malaysian palm oil investor Sime Darby in 2012. Photo: Ashoka Mukpo/Mongabay CC by 2.0
Lors d’une conférence de presse dans la campagne libérienne, des militants communautaires regardent les terres défrichées par l’investisseur malaisien de l’huile de palme Sime Darby en 2012. Image de Ashoka Mukpo.

Aminata Fabba, présidente de l’Association des propriétaires et utilisateurs de terres affectées par le Malen en Sierra Leone, est l’une de ces défenseurs des terres d’Afrique de l’Ouest qui a passé des années à faire face à un investisseur de l’huile de palme. En 2011, le géant agro-industriel franco-belge Socfin a signé un bail de 50 ans pour développer une plantation dans le district boisé de Pujehun, dans le sud du pays. Selon Fabba, les communautés de la région n’ont pas tardé à se mettre en colère contre ce qu’elle décrit comme des promesses non tenues par Socfin.

« Ils leur ont promis de construire des écoles, des hôpitaux, de leur donner de l’eau potable et des centres communautaires, mais la société n’a jamais respecté son engagement », a-t-elle déclaré à Mongabay.

Dans un schéma familier aux investisseurs de l’huile de palme qui espèrent s’étendre dans la région, des groupes de la société civile locale ont organisé des ateliers de formation et aidé Fabba ainsi que les communautés de Pujehun à organiser des campagnes. Des groupes de défense en Europe et aux États-Unis ont utilisé leurs prouesses en matière de communication et leur capacité de collecte de fonds pour stimuler la campagne et faire pression sur Socfin depuis l’étranger.

« [Les groupes de la société civile] et les défenseurs des droits de l’homme ont commencé à rendre visite à ces communautés et à leur expliquer nos propres lois sur les droits fonciers, et cela a renforcé leur résistance », a déclaré Fabba.

Kuyek a déclaré qu’en plus de l’aide provenant d’autres continents, les défenseurs des communautés ont développé des réseaux transfrontaliers qui se sont échangés des informations et des conseils stratégiques.

“Il existe une solidarité entre les communautés africaines, même au sein d’un même pays. Et je pense que c’est vraiment important pour elles de communiquer et de partager leurs expériences, afin qu’elles sachent qu’elles ne sont pas seules et qu’elles se sentent comme faisant partie d’une lutte plus importante”, a-t-il déclaré.

Pourtant, malgré la lenteur de l’aménagement foncier et le retrait de certaines des entreprises qui s’étaient précipitées en premier vers l’Afrique, la plupart des concessions existent toujours sur le papier. Selon Chain Reaction Research, plus de 450 000 hectares (1,11 million d’acres) de plantations industrielles de palmiers à grande échelle sont opérationnels sur le continent. Plus de 300 000 hectares sont détenus par cinq sociétés seulement : Socfin, Wilmar, Olam, Siat et Straight KKM.

Socfin est le plus grand producteur industriel d’huile de palme en Afrique, avec près de 100 000 hectares (247 000 acres) plantés dans sept pays. La quasi-totalité de ses activités a suscité de vives critiques et des campagnes ont été menées par des organisations communautaires ainsi que des groupes de défense de l’environnement. L’année dernière, Socfin a été accusée d’évasion fiscale en Afrique en transférant ses ventes et ses bénéfices vers ses filiales européennes.

Le rapport indique également que l’État d’Edo (Nigeria), riche en forêts, a récemment suscité l’intérêt des investisseurs étrangers car cette puissante nation d’Afrique de l’Ouest cherche à accroître sa production, notamment en permettant le développement de l’huile de palme dans les réserves forestières d’Edo.

« Avec un gouvernement très favorable qui veille aux intérêts des grands propriétaires de plantations de palmiers, je pense que cela représente un risque pour les forêts domaniales restantes », a déclaré Drost.

Drost et ses collègues ont également utilisé les données publiques des usines pour retracer les achats d’huile de palme provenant d’Afrique et destinés à des acheteurs internationaux. Nestlé, General Mills, Avon et Bunge figurent parmi les entreprises qui auraient acheté de l’huile de palme provenant des plantations de Socfin sur le continent.

« Je ne pense pas que l’on sache très bien qui achète réellement en Afrique, et ce parce que les données commerciales sont très limitées et peu fiables », a déclaré Drost.

Selon Fabba, le succès remporté par d’autres communautés d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale pour empêcher les entreprises d’huile de palme de s’étendre sont encourageants, mais également frustrants. Malgré des années de campagne, les terres de sa communauté sont toujours sous le contrôle de Socfin.

« Cela laisse un goût amer car nous n’avons pas atteint notre objectif de récupérer les terres », a-t-elle déclaré. « Les gens de la communauté réclament leurs terres, mais ils n’ont rien obtenu ».

 
Image de bannière : Une femme récolte des fruits de palmier dans un village proche de l’ancienne concession d’Equatorial Palm Oil à Grand Bassa, au Liberia. Image offerte par l’Open Government Partnership via Flickr, Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).

 
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/03/in-west-and-central-africa-palm-oil-investors-buckle-under-community-pressure/

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