Nouvelles de l'environnement

Des solutions innovantes en matière d’assainissement : faire face au problème mondial des déchets humains

  • L’ampleur du problème des déchets humains à l’échelle de la planète est immense et a des conséquences sur la santé, ainsi que sur les écosystèmes côtiers et terrestres et même sur le changement climatique. Résoudre le problème exige de travailler avec les communautés qui développent des solutions, pour l’accès à des systèmes d'assainissement adéquats et pour adapter les anciens systèmes à un monde qui change rapidement.
  • Les solutions décentralisées et qui se basent sur la nature sont considérées comme clé pour l’assainissement et la réduction de la pression sur les systèmes centralisés d’égouts, ou pour leur fournir des alternatives abordables et efficaces.
  • Considérer les eaux usées et les eaux d’égout - qui contiennent de l’eau douce et de précieux nutriments - comme une ressource plutôt que comme des polluants, est essentiel pour réaliser une économie circulaire durable. Selon les experts, la technologie seule ne peut tout résoudre et, afin que la société adopte l'ensemble des mesures requises, un changement radical doit se produire au niveau des mentalités.

La somme des déchets produits par 7,8 milliards de personnes a des impacts extrêmes sur la santé humaine et sur l’environnement, les eaux usées ajoutant environ 6,2 millions de tonnes d’azote aux eaux côtières, ainsi que des quantités encore mal connues d’autres polluants ; des produits pharmaceutiques aux microplastiques.

La pollution due aux eaux usées et aux eaux d’égout est nocive au point qu’elle contribue à la déstabilisation des systèmes de fonctionnement de la Terre en impactant négativement au moins cinq limites planétaires : elle pollue l’eau douce, les océans et les terres en les surchargeant de nutriments et autres produits contaminants, elle nuit à la biodiversité et contribue même au changement climatique.

Mais, tandis que la pollution causée par les eaux usées s’apparente à une dangereuse hydre à plusieurs têtes, il y a pléthore de solutions technologiques et d’innovations testées et déjà mises en place pour contrer la crise. La bonne nouvelle est que chaque solution locale qui fonctionne et qui peut être appliquée ailleurs, offre l’occasion de commencer à réparer les différentes atteintes aux limites planétaires.

Actuellement, des efforts sont entrepris à travers le monde non seulement pour traiter les eaux usées et mettre en place un système d’assainissement adéquat, mais aussi pour récupérer et réutiliser les précieux nutriments et l’eau douce que nous évacuons quotidiennement comme déchets.

Des eaux usées non traitées pénètrent dans l’océan à Roatan, au Honduras. Image d’Antonio Busiello/Coral Reef Alliance.

Soutenir les communautés, protéger les écosystèmes

Selon l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), environ six personnes sur dix n’ont pas accès à un système d’assainissement adéquat à travers le monde. Dans les nations en développement, où les systèmes d’assainissement basiques et les aménagements pour le traitement des déchets manquent, l’accès à des installations sanitaires sûres est un premier pas vital. Sans ces services, les communautés risquent d’être exposées à des bactéries et à des maladies graves, tandis que les écosystèmes, comme les récifs de corail et les prairies sous-marines, peuvent se retrouver chargés de nutriments azotés et phosphorés, ou menacés par les produits chimiques toxiques charriés par les eaux usées.

Plusieurs organismes gouvernementaux, dont les Nations Unies et l’USAID, ainsi que des pays partenaires travaillent activement pour résoudre les problèmes élémentaires d’assainissement. La Coral Reef Alliance (CORAL), par exemple, soutient les communautés et les aide à trouver des solutions sanitaires qui protègent les récifs. Helen Fox, directrice de la conservation chez CORAL, cite deux projets de ce type.

À Roatan, une île du Honduras, l’ONG a fait appel aux parties prenantes et aux communautés pour rétablir une installation de traitement des eaux usées, désuète. Depuis la renaissance du site, la pollution a été réduite et les plages déclarées « zones à drapeau bleu » – sans danger pour les touristes, ce qui présente des avantages certains pour la santé publique, les entreprises et l’économie. Les maladies ont également diminué dans les récifs de corail. Bien que cette amélioration ne puisse être entièrement imputée à la diminution de la pollution qui provient des déchets, ce facteur a certainement joué, selon la CORAL.

De même, à Puakō, sur l’île de Hawai‘i, les eaux brutes filtrent depuis les égouts communautaires, les systèmes de traitement aérobie et les fosses septiques vers les eaux souterraines pour se déverser directement dans l’océan cinq heures à peine après leur rejet, ce qui nuit aux récifs de corail et met en danger la santé humaine. Après des années de surveillance et de discussions entre la CORAL, les habitants et le gouvernement, 1,8 millions de dollars de fonds ont été approuvés en 2021 pour la conception d’une installation de traitement des eaux usées, qui pourrait résoudre le problème.

« Je pense qu’il est important d’avoir des solutions adaptées au problème », déclare Fox. Procéder ainsi « peut engendrer un long processus. Mais dans le même temps, il y a plusieurs exemples d’écosystèmes qui se rétablissent relativement rapidement une fois que la menace de la pollution est éliminée ».

Un récif de corail à Komodo, en Indonésie. Pour protéger la santé et les écosystèmes, y compris les récifs de corail et les prairies sous-marines, de la pollution par les eaux usées, il est nécessaire d’avoir des conversations plus ouvertes sur le sujet et d’accepter des solutions qui peuvent parfois sembler dérangeantes, selon les experts. Image de Beth Watson/Ocean Image Bank.
Un membre du personnel de la station de traitement des eaux de Polos, à Half Moon Bay, Roatan, Honduras. La pollution y a été considérablement réduite, avec des effets bénéfiques pour la population et les récifs de corail. Image d’Antonio Busiello/Coral Reef Alliance.

Des infrastructures vieillissantes, des risques climatiques

Une fausse idée très répandue voudrait que les systèmes inadéquats de traitement des déchets soient un problème qui touche majoritairement les pays en développement. Mais les systèmes que l’on trouve dans plusieurs pays développés comme les Etats Unis, la Grande-Bretagne et les nations européennes, sont aussi de sérieux casses tête.

Le problème majeur est dû à un défaut de conception datant de la fin du XIXème/début du XXème siècle, connu sous le nom de débordement des eaux usées combinées (CSO). Ce système couvrant toute la ville envoie les déchets et les eaux pluviales à travers les mêmes tuyaux. Cela fonctionne bien jusqu’à ce qu’il se mette à pleuvoir fortement (ce qui se produit de plus en plus souvent à cause du changement climatique). Ensuite, le flot d’eau sale contourne des stations d’épuration débordées, et envoie des milliers de litres d’eaux brutes usées ou partiellement traitées dans les rivières, les lacs et les océans.

Selon Riverkeeper une ONG qui protège le bassin hydrographique de l’Hudson, plus de 102 millions de mètres cubes d’eaux usées brutes et d’eaux pluviales polluées se déversent chaque année dans le port de New York à partir de 460 CSO. À cela s’ajoutent 860 municipalités américaines, dont des centres urbains comme Chicago et Saint-Louis, où les CSO constituent un problème prioritaire de pollution de l’eau. Le problème est également très présent dans l’Union européenne et en Grande-Bretagne, où les CSO se comptent par dizaines de milliers.

Les réseaux de débordement des eaux usées combinées constituent un véritable problème, et leur réparation peut coûter plusieurs milliards de dollars par municipalité – un fardeau que la plupart des métropoles à court d’argent ne peuvent se permettre. Il existe une solution : la construction de tunnels profonds, pour augmenter la capacité de stockage des égouts et, en théorie, donner du temps pour traiter et évacuer correctement l’eau pendant les orages. Ce système a été mis en place avec succès à Milwaukee, avec une capacité de stockage de 2 millions de mètres cubes. Mais cela a eu un coût : plus de 5 milliards de dollars.

On ne peut compter sur de tels investissements pour éliminer les rejets d’eaux usées, et ils peuvent eux-mêmes être dépassés par les conditions météorologiques extrêmes de plus en plus fréquentes. Dans l’Indiana, le système de tunnel DigIndy, d’une valeur de 2 milliards de dollars, actuellement en construction et qui devrait être achevé en 2025, vise à réduire de jusqu’à 97 % les rejets de CSO. Toutefois, le projet a été conçu sur la base de chiffres relatifs aux précipitations datant des années 1990. L’on craint donc que la capacité du nouveau tunnel ne soit dépassée par l’augmentation des précipitations dans l’État au cours des prochaines décennies. Les projections climatiques dans le monde entier prévoient des précipitations démesurées, avec des chutes de pluie de plusieurs centimètres en quelques heures seulement.

Manifestement, d’autres solutions sont nécessaires. Parmi les options les plus coûteuses, citons l’amélioration de la surveillance du débit des eaux usées, la séparation des réseaux de canalisations d’eaux pluviales et d’eaux usées et l’extension des installations de traitement. Des technologies de traitement rapide de l’eau sont également en cours de développement.

Les experts sont d’accord : il n’y a pas de solution unique en matière de CSO, mais plutôt un ensemble de mesures à prendre. “Il s’agit d’une combinaison d’infrastructures vertes et grises”, déclare Barry Liner, directeur technique de la Water Environment Federation.

L’augmentation des précipitations, surtout lorsqu’elles sont soudaines et brèves, est un problème lié au changement climatique et qui exacerbe les rejets d’eaux usées des bassins versants. Les précipitations annuelles normales aux États-Unis sont représentées ici en pourcentage de la moyenne du XXe siècle pour chaque période de normales climatiques, de 1901-1930 (en haut à gauche) à 1991-2020 (en bas à droite). Les endroits où les précipitations annuelles normales ont été inférieures de 12,5 % ou plus à la moyenne du XXe siècle sont en marron foncé ; les endroits où les précipitations annuelles normales ont été supérieures de 12,5 % ou plus à la moyenne du XXe siècle sont en vert foncé. Carte établie par NOAA Climate.gov, d’après une analyse de Jared Rennie, North Carolina Institute for Climate Studies/NCEI.
Parc aquatique de Gorla Maggiore, Italie. Cette zone humide de traitement de six hectares a été construite en 2014 sur le site d’une plantation de peupliers abandonnée. Elle soutient le traitement des eaux usées du CSO, atténue les risques d’inondation et fournit un habitat. Image © IRIDRA.

Repenser les espaces urbains : Penser petit

La population humaine devrait atteindre 9,7 milliards d’habitants d’ici à 2050, et le nombre de personnes qui vivent dans les villes devrait également augmenter, ce qui exerce une pression toujours plus forte sur les systèmes d’assainissement. Ce phénomène, combiné aux effets du changement climatique, fait du traitement des eaux usées un problème croissant avec la menace que les systèmes existants ne se retrouvent submergés.

C’est pourquoi il est urgent de repenser la conception des villes, explique Aaron Tartakovsky, cofondateur et directeur d’Epic Cleantec. Tartakovsky estime que la gestion durable de l’eau et des eaux usées constitue le « défi mondial majeur du XXIe siècle ».

Dans le cadre de cette nouvelle vision urbaine, la société de Tartakovsky a créé un système qui capte et traite l’eau non pas dans une station d’épuration centralisée, mais dans les bâtiments d’où proviennent les déchets. Une fois purifiée sur place, cette eau n’a pas besoin d’être éliminée ; elle est suffisamment propre pour être recyclée pour des besoins non potables. En outre, le processus produit de précieux engrais naturels et de l’énergie thermique, qui peuvent tous deux être utilisés localement.

« Tout comme l’énergie solaire en toiture et la production d’électricité distribuée ont contribué à décentraliser le réseau électrique, nous pensons que la réutilisation de l’eau sur place peut rendre l’infrastructure de l’eau plus résiliente », déclare Tartakovsky. « Nous avons simplement 10 à 15 ans de retard sur les penseurs de l’énergie ».

Les toits verts sont une autre solution basée sur la nature, avec des avantages possibles pour le traitement des eaux usées domestiques et la réduction de la pression sur les systèmes d’égouts conventionnels. Image reproduite avec l’autorisation de International Sustainable Solutions via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Des systèmes décentralisés sont nécessaires pour résoudre le problème de la pollution des eaux usées à l’échelle mondiale, considère Riccardo Zennaro, expert en eaux usées auprès du United Nations Environment Programme (UNEP).

« Le problème des systèmes conventionnels des eaux usées, est qu’ils sont généralement très coûteux », tout en étant trop centralisés et incapables de faire face à l’évolution des modèles de croissance urbaine. « Dans certaines régions, ces [systèmes centralisés] ne sont pas efficaces et ne peuvent pas être construits en raison des circonstances et du manque de financement », explique-t-il. « C’est pourquoi procéder à petite échelle est le moyen le plus efficace ».

Exploiter les solutions basées sur la nature (NbS: Nature based solutions en anglais) pour réimaginer les zones urbaines est vu comme une option bien plus accessible et abordable – en particulier pour traiter le problème des CSO. Ces techniques sont définies par l’Union internationale pour la conservation de la nature comme « des actions visant à protéger, gérer durablement et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, et qui répondent aux défis sociétaux de manière efficace et adaptative, en offrant simultanément des avantages en termes de bien-être humain et de biodiversité ».

L’une des NbS, l’infrastructure verte, constituerait une révolution pour la planification et la conception urbaines via la construction de zones humides, d’espaces verts de quartier, de jardins de pluie, de jardins sur les toits, de bioswales, avec l’ajout de citernes de pluie, ainsi que de revêtements perméables pour absorber, stocker et réutiliser l’eau pluviale.

Les zones humides construites, par exemple, sont souvent « abordables, exploitables et fiables », explique Zennaro du PNUE, et peuvent être exploitées à petite ou grande échelle, selon les besoins, et adaptées aux environnements urbains ou ruraux.

Ces solutions décentralisées basées sur la nature peuvent réduire considérablement la pollution des eaux usées, en éliminant efficacement les polluants tels que l’azote et le phosphore, les agents pathogènes et les pesticides, et peuvent compléter les infrastructures de traitement existantes. Selon Katharine Cross, conseillère principale de Water Cities, les autres avantages sont l’atténuation des inondations, la création d’habitats et de loisirs de plein air, la régulation de la température et, dans certains cas, la séquestration du carbone.

Une zone humide construite à Conover, en Caroline du Nord (États-Unis), conçue pour favoriser le traitement des eaux de ruissellement. Les zones humides construites sont généralement constituées d’une base de sol ou de gravier surmontée de plantes pour aider à absorber et filtrer les eaux usées provenant des déversoirs d’orage ou d’autres sources. Image reproduite avec l’autorisation de NC Wetlands via Flickr (domaine public).
Le rejet d’azote et de phosphore par les eaux usées et les égouts contribue à davantage de pression sur les écosystèmes côtiers tels que les récifs de corail et les prairies sous-marines. Ici, des algues cultivées sur un tapis roulant vertical sont utilisées pour extraire l’azote et le phosphore des eaux usées, produisant ainsi un engrais réutilisable. Image reproduite avec l’autorisation de Gross-Wen Technologies.

Le parc du Chulalongkorn, à Bangkok, en est un exemple. Selon la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, cet espace ouvert aquatique, construit en 2017, peut collecter, traiter et retenir jusqu’à 3 780 mètres cubes d’eau, soulageant ainsi les installations d’égouts publiques sur-sollicitées lors des fortes pluies. Composé de zones humides pour filtrer et purifier l’eau, d’un bassin de rétention et de réservoirs de stockage souterrains, le parc favorise le traitement, réduit les risques d’inondation et offre un espace vert aux citadins.

Cross faisait partie d’une équipe qui a publié l’année dernière une étude examinant les sites NbS dans le monde. « Ce que nous voulions faire, c’était élaborer quelque chose d’assez pratique, et qui permette aux différents utilisateurs, en particulier les services d’assainissement et les municipalités qui gèrent souvent des stations d’épuration ou des systèmes d’assainissement, de comprendre quelles sont les possibilités d’utiliser des solutions basées sur la nature », a-t-elle déclaré.

Pour aider les planificateurs, un outil en ligne est en cours de développement par l’Institut catalan de recherche sur l’eau et le projet MULTISOURCE financé par l’Union européenne ; il permettra aux praticiens d’identifier les NbS qui pourraient fonctionner le mieux dans leurs localités, ce qui permettra d’étendre les NbS locales à de nombreux pays.

Toutefois, même les solutions NbS ne sont pas sans limites. En fonction du site et de la solution utilisée, les NbS n’ont qu’un succès limité dans l’élimination de contaminants tels que les métaux lourds ou les gènes résistants aux antibiotiques. Autre fait souvent oublié : ces installations, bien qu’elles se basent sur la nature, nécessitent un financement régulier pour leur maintenance et leur entretien, ajoute Cross. Une planification minutieuse doit être intégrée dans chaque conception, incluant la prise en compte des limites des NbS, des déchets qui peuvent et ne peuvent pas être traités, et de la manière dont les différentes solutions s’intègrent dans les réglementations spécifiques à chaque pays, explique-t-elle.

Un rapport du PNUE sur la mise en œuvre de solutions basées sur la nature dans la région des Caraïbes – où l’on estime que 85 % des eaux usées se déversent dans l’océan sans avoir été traitées – démontre l’étendue des protections environnementales et communautaires potentielles offertes par ce type de solutions. Mais ce document souligne également l’ampleur du défi : « Pour que les projets NbS réussissent, il faudra accroître l’éducation et la sensibilisation, améliorer la planification et la conception, investir davantage de ressources dans l’analyse et le suivi scientifiques, renforcer les fonctions juridiques et réglementaires et développer un financement dédié à la santé de l’eau ».

Un bassin de rétention dans le parc du Chulalongkorn. Ce parc de 4,6 hectares a été construit pour offrir un espace vert à Bangkok, en Thaïlande, réduire la pression sur le système de traitement des eaux usées de la ville et diminuer les risques d’inondation. Image par Supanut Arunoprayote via Wikimedia Commons (CC BY 4.0).
Bateau contrôlé à distance, développé par le projet INTCATCH. Équipé de capteurs, il peut surveiller la qualité de l’eau en temps réel. Cette technologie simple représente un nouvel outil et un « changement progressif » utile pour surveiller la pollution des eaux usées, en aidant à localiser les points d’origine. Image reproduite avec l’autorisation d’INTCATCH.

Transformer notre vision : Des déchets aux ressources

Selon les experts, il n’y a qu’un seul moyen de s’attaquer de manière vraiment durable à un problème de pollution : capter, transformer et réutiliser tous les déchets, en les transformant en une ressource précieuse. Cette vision essentielle du XXIe siècle se résume dans l’expression « économie circulaire ».

L’azote et le phosphore, par exemple, sont des ressources essentielles contenues dans les déchets humains. La quantité d’excréments humains produite chaque année, qui pollue souvent les écosystèmes aquatiques, « pourrait remplacer 25 % de l’azote actuellement utilisé pour fertiliser les terres agricoles sous forme d’engrais synthétiques, et 15 % du phosphore, ainsi que suffisamment d’eau pour irriguer 15 % de toutes les terres agricoles dans le monde », indique un rapport du PNUE.

Il existe actuellement des solutions permettant d’éliminer l’azote et le phosphore des eaux usées, mais elles peuvent être avides en ressources et en énergie et, dans certains cas, ne pas convenir aux petites stations d’épuration. La modernisation des stations d’épuration pourrait permettre d’obtenir des réductions importantes, mais il faut faire davantage.

Eaux usées utilisées pour l’irrigation à Kanpur, en Inde. Image par IWMI Flickr Photos via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Une startup de l’État de l’Iowa, aux États-Unis, a mis au point un système de biofilms d’algues rotatifs qui non seulement élimine l’azote et le phosphore, mais permet aussi de réutiliser les eaux usées. Des bandes transporteuses latérales, ajoutées aux stations d’épuration existantes, plongent dans les eaux usées. Les algues qui vivent sur ces bandes se nourrissent des nutriments présents dans l’eau. Une fois exposées au C02 et à la lumière du soleil, les algues se développent. « Nous sommes alors en mesure de les récolter, de les traiter et de les vendre comme engrais », explique Max Gangestad, directeur de l’exploitation chez Gross-Wen Technologies (GWT), la société promotrice de cette innovation.

« Nous pouvons donc maintenant garder cet azote [et] ce phosphore dans notre écosystème », poursuit Gangestad. Si le système ne peut pas éliminer tout l’azote et le phosphore, ajoute-t-il, il peut les réduire à de faibles niveaux. GWT espère utiliser cette technologie à faible impact pour transformer les algues cultivées par le système en d’autres produits tels que des bioplastiques ou du biocarburant.

Une eau correctement traitée et nettoyée peut être réutilisée à de nombreuses fins, notamment comme eau potable, ce qui est déjà une réalité pour des millions de personnes dans le monde. À Singapour, on estime que 40 % des besoins en eau potable et non potable des 5,7 millions d’habitants du pays proviennent de sources recyclées. Baptisée « NEWater », cette proportion devrait passer à 55 % d’ici 2060. Des installations similaires de traitement avancé fonctionnent à travers les États-Unis, fournissant de l’eau potable récupérée à des milliers de foyers, tandis que d’autres sont en cours de réalisation. L’Orange County Water District de Californie, par exemple, est en train de mettre en place un système de reconstitution des eaux souterraines afin de fournir de l’eau potable à faible coût à un million de personnes d’ici 2023.

La récupération des ressources au niveau des ménages pour ceux qui ont un accès limité ou inexistant à l’assainissement est également à l’horizon. La Fondation Bill et Melinda Gates a dépensé des millions de dollars dans le défi « réinventer les toilettes », pour réimaginer un système capable à la fois de nettoyer les déchets humains et les dangers pour l’environnement, tout en transformant les excréments humains en électricité, en eau potable et en engrais.

Projet de parc d’habitat en cours à San Jose, en Californie. « Notre approche consistera à produire de l’eau recyclée pour irriguer 20 étages de murs vivants, et à recycler les matières organiques des eaux usées en produits de sol de haute qualité, ce qui permettra d’éviter de décharger des dizaines de milliers de livres de matières organiques émettant du méthane », explique Aaron Tartakovsky, cofondateur et PDG d’Epic Cleantec. Image reproduite avec l’autorisation de Kengo Kuma and Associates/Westbank.

Parler des déchets

Si les solutions aux problèmes de pollution des eaux usées et des égouts sont nombreuses, plusieurs experts interrogés par Mongabay s’accordent sur deux points : La technologie ne peut pas tout faire et il est essentiel de changer les perceptions du public.

L’humour scatologique mis à part, les gens évitent généralement de parler des déchets corporels, et surtout de ce qu’ils deviennent une fois qu’ils sont évacués. Pour Stephanie Wear, scientifique principale et conseillère en stratégie de The Nature Conservancy et cofondatrice de Ocean Sewage Alliance, il est essentiel de surmonter ce tabou et d’aborder librement ce sujet afin de susciter le changement sociétal nécessaire pour résoudre le problème des déchets humains.

« Ce que j’ai appris de notre travail, c’est que nous oublions souvent de penser au comportement humain dans tout cela”, explique Wear. « Le comportement fait autant partie de la solution que la technologie. Il faut que les gens l’utilisent. Vous devez amener les gens à la vouloir ».

Selon Tartakovsky, le public a souvent l’esprit beaucoup plus ouvert que ce que l’on croit. « Nous avons constaté que le public est en fait beaucoup plus ouvert à la réutilisation de l’eau que ce que l’industrie a historiquement cru ». Pour lui, il est crucial de bien présenter la science.

Malgré l’ampleur de la tâche, Wear et d’autres sont optimistes et pensent que les choses évoluent dans la bonne direction. Les connaissances augmentent et des innovations sont développées. La clé du progrès futur réside dans l’intensification des conversations et des collaborations entre les secteurs public et privé et les autres parties prenantes, qui doivent reconnaître les impacts sur la santé humaine et l’environnement, et coopérer pour trouver des solutions abordables et applicables à grande échelle, conclut-elle.

« Le problème ne sera jamais résolu si nous ne commençons pas à parler de ces choses qui nous déplaisent. C’est peut-être un peu embarrassant », achève Stephanie Wear. « Mais si nous n’en parlons pas, nous ne pourrons pas résoudre le problème ».

Station de traitement des eaux usées d’Ashbridges Bay à Toronto, Canada. Image de Timothy Neesam via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Illustration de l’image de bannière par Maria Angeles Salazar/Mongabay.

Citations:

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Sengupta, S., Nawaz, T., & Beaudry, J. (2015). Nitrogen and phosphorus recovery from wastewater. Current Pollution Reports1(3), 155-166. doi:10.1007/s40726-015-0013-1

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Zhao, X., Kumar, K., Gross, M. A., Kunetz, T. E., & Wen, Z. (2018). Evaluation of revolving algae biofilm reactors for nutrients and metals removal from sludge thickening supernatant in a municipal wastewater treatment facility. Water Research143, 467-478. doi:10.1016/j.watres.2018.07.001

Article original: https://news.mongabay.com/2022/01/innovative-sewage-solutions-tackling-the-global-human-waste-problem/

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