Nouvelles de l'environnement

Des raids meurtriers ont eu lieu contre les Batwa, derniers exemples des abus envers ce peuple autochtone de RDC

  • Le nombre d'attaques par les forces de sécurité sur les villages des Batwa, dans le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo, a triplé au cours des quatre dernières semaines, selon le Forest Peoples Programme (FPP).
  • Des soldats et des gardes forestiers de la RDC sont accusés d'avoir brûlé plusieurs villages, tuant un homme et peut-être une femme enceinte, et blessant au moins deux autres femmes lors de raids qui se sont prolongés jusqu'à mi-décembre.
  • Des groupes de défense des droits des peuples autochtones ont réclamé une enquête officielle sur les rapports, et ils ont fait appel aux donateurs du parc pour attirer leur attention sur les crimes supposés commis avec leur argent.
  • Les responsables du parc ont nié la présence de populations Batwa à l'intérieur du parc, arguant que la cible des raids était un homme armé responsable d'une agression mortelle dans la ville de Bukavu.

Une série de raids menés par des soldats et des gardes forestiers dans le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo ont causé la mort d’un homme et la disparition d’une femme enceinte, qui aurait été brûlée vive chez elle, selon le groupe d’activistes.

Deux autres femmes auraient également été blessées au cours de l’opération, menée entre le 12 et le 14 novembre dans deux villages autochtones des Batwa implantés dans le parc. Plusieurs Batwa auraient été arrêtés, mais la raison des raids est encore inconnue. Suite aux rapports, le directeur du parc, De-Dieu Bya’Ombe Balongelwa, a déclaré que les raids avaient pour but de capturer des hommes armés responsables d’une agression dans la ville de Bukavu, à environ 40 kilomètres du parc, qui aurait tué six des agresseurs, deux policiers et un soldat. Balongelwa a nié la présence de villages Batwa dans le parc de Kahuzi-Biega et a affirmé que toutes les opérations menées dans le parc étaient liées à la sécurité.

Néanmoins, les raids auraient continué jusqu’à mi-décembre, et plusieurs autres villages à l’intérieur du parc ont été brûlés pendant cette période.

Citant les témoignages de personnes présentes, Catherine Long, responsable nationale du FPP pour la RDC, a déclaré à Mongabay que les autorités ont attaqué le village Batwa de Katasomwa entre le 4 et le 5 décembre. Elles ont ensuite attaqué et brûlé les villages de Lumba, Kakerekenje et Kayeye. Les villageois ont été contraints de se cacher par peur d’autres attaques. De vagues informations sur les raids sont parvenues au FPP quand les Batwa ont contacté l’organisation dans l’espoir de se faire entendre.

Vue du parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo Andrew Kirby/WCS.

Les Batwa vivant actuellement dans le parc sont ceux qui sont retournés sur leurs terres en 2018, après la promesse des autorités du parc d’établir un projet pilote leur garantissant un accès à plusieurs zones du parc. Le dialogue entre les Batwa et les responsables du parc a continué mais certains Batwas ont estimé que le processus était trop long et sont retournés s’installer dans le parc avant que les décisions soient finalisées.

Les relations entre les gardes forestiers du parc de Kahuzi-Biega et les habitants des villages Batwa voulant accéder à leurs terres ancestrales ont été difficiles depuis la création du parc en 1970. La situation est similaire à celle observée dans d’autres parcs nationaux en RDC, où des abus commis par les gardes ont entraîné de nombreuses enquêtes.

Kahuzi-Biega est l’un des plus grands parcs nationaux du pays et il abrite une grande biodiversité, dont 136 espèces de mammifères protégées, comme la plus importante population de gorilles des plaines (Gorilla beringei graueri), une espèce menacée. Cependant, sa création a été critiquée comme exemple typique de conservation « forteresse », où les populations locales et autochtones ont été déplacées de leurs terres ancestrales, sans aucune considération de leur rôle dans la protection de l’environnement.

Depuis que le parc existe, plus de 6 000 Batwa ont été déplacés et ont dû quitter leurs terres ancestrales. Pendant des dizaines d’années, et jusqu’à ce jour, ils ont été victimes de violations des droits humains.

Selon certains gardes forestiers et organisations basées en RDC, certains Batwa dans le parc de Kahuzi-Biega et dans les environs, qui se sont intégrés dans la société congolaise moderne et qui ont abandonné leurs moyens de subsistance traditionnels, ont désormais des pratiques non durables, comme l’exploitation de la forêt et le braconnage. D’autres organisations environnementales, comme le FPP, basé au Royaume-Uni, nient ces allégations.

« Certains acteurs de la conservation ont lancé des accusations infondées selon lesquelles les Batwa sont responsables de la dégradation de l’écosystème extrêmement précieux de la région, suggérant sans aucun fondement que le harcèlement des Batwa serait lié au maintien de la sécurité, » a déclaré le FPP.

A group of Grauer's Gorillas in Kahuzi-Biega National Park in the Democratic Republic of the Congo in late 2016. There are fewer than 4,000 of the gorilla subspecies left. Photo by Thomas Nicolon
Groupe de gorilles de Grauer dans le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo, fin 2016. Il reste moins de 4 000 gorilles de cette sous-espèce. Crédit photo Thomas Nicolon.

De nombreuses attaques rapportées depuis 2017

Les attaques signalées sur les Batwa ne sont pas les premières rapportées par le FPP cette année. Une autre opération menée le 23 juillet a causé la mort de deux hommes et l’incendie de plusieurs maisons. Selon le FPP, les violences ont aussi tué deux femmes et entraîné la fausse couche d’une troisième.

« Il semble qu’une campagne systématique soit actuellement en cours pour terroriser tous les Batwa et pour les faire fuir du parc, leur terre ancestrale, sans aucune consultation, consentement, ni compensation, » a déclaré Catherine Long à Mongabay.

Il existe peu de documents concernant les incidents rapportés en matière de droits humains contre les Batwa vivant à Kahuzi-Biega. Cependant, un rapport publié en octobre par Initiative for Equality, un réseau de soutien des organisations défendant les droits des Batwa en RDC, a dénoncé un certain nombre de violations des droits humains qui ont été rapportées comme ayant eu lieu dans le parc et aux alentours au cours des cinq dernières années.

Pendant cette période, selon le rapport, au moins 20 membres de la communauté Batwa ont été tués au cours de raids, et 14 ont été blessés et menacés. Neuf villages Batwa, soit un total de 180 foyers, auraient été brûlés, et 13 autres déplacés. Les organisations de défense des droits des Batwa ont également fait l’objet de harcèlement et de menaces par les responsables du parc.

Cinq cas de violences sexuelles sur des femmes Batwa ont été rapportés, quatre incidents où des foyers Batwa ont été pillés, et 17 cas d’arrestation et de détention arbitraire. À ce jour, 14 personnes ont été libérées et deux autres sont mortes en prison en raison des conditions de détention déplorables.

ICCN chief park warden
Le gardien chef du parc de l’ICCN, Radar Nishuli, parle avec un chef traditionnel. Crédit photo Andrew Kirby/WCS.

Cinq incidents concernant des agressions de la part de villageois Batwa sur des gardes du parc ou des soldats ont également été rapportés. Ces incidents ont causé la mort de trois gardes et 13 ont été blessés.

« Chaque attaque a causé de sérieuses atteintes aux droits humains, et chacune semble être plus grave que la précédente, » déclare le FPP.

Aucune enquête officielle n’a eu lieu suite aux attaques qui ont été rapportées l’année dernière. Selon le FPP, aucune des suites données par les autorités du parc n’ont abordé les mauvais traitements déjà subis par les populations Batwa depuis la création du parc en 1970.

L’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), l’agence gouvernementale de la RDC qui supervise la protection de l’environnement au niveau national et qui gère le parc national de Kahuzi-Biega, n’a pas souhaité répondre aux questions de Mongabay.

Les ONG demandent une enquête

Fiore Longo, responsable de la politique de conservation du groupe de défense des droits autochtones Survival International, a lancé un appel aux organisations qui financent Kahuzi-Biega afin qu’elles cessent d’ignorer les atteintes aux droits humains qui existent dans le parc.

« Malheureusement, ces terribles événements ne sont pas des cas isolés, mais ils se produisent régulièrement dans les zones protégées, » affirme-t-elle à Mongabay. « Les viols, tortures, meurtres des populations autochtones et l’incendie de leurs foyers font partie intégrante de la “protection de la nature” depuis l’époque coloniale et se poursuivent encore aujourd’hui, avec le financement de nos contribuables. »

L’Initiative for Equality a lancé une pétition réclamant une enquête par le gouvernement de la RDC, le rapporteur spécial pour les droits des peuples autochtones de l’ONU, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) et l’UNESCO sur les récentes attaques.

En 2020, 10 gardes forestiers ont été jugés coupables de meurtre, viol, torture et coups et blessures sur les populations Batwa vivant près des limites des parcs nationaux de Kahuzi-Biega et de la Salonga.

Park rangers
Gardes forestiers menant une patrouille anti-braconnage dans le parc national de Kahuzi-Biega en RDC. Crédit photo : A.J. Plumptre pour WCS.

Catherine Long, du FPP, affirme que les rapports d’attaques répétés sont la preuve que le parc n’est pas géré correctement. Bien que les peuples autochtones soient de plus en plus considérés comme les meilleurs gardiens de la biodiversité, ajoute-t-elle, les autorités du parc refusent de laisser ce rôle aux Batwa.

« Les spécialistes de l’environnement ont classé certains peuples vivant dans ces régions comme importants pour la protection de la biodiversité, » a déclaré David Boyd, rapporteur de l’ONU sur les droits de l’homme et de l’environnement, dans un entretien avec Mongabay en octobre dernier. Ces dernières années, la pression s’est accrue pour le développement des zones protégées afin de sauvegarder les espèces menacées et les forêts, transformant celles-ci en théâtres de conflits des droits humains, et les organisations de défense des peuples autochtones ont prévenu que cela pourrait mener à de nouvelles évictions de leurs terres ancestrales.

« Le solution n’est pas de chasser ces peuples pour mettre une clôture tout autour, » a ajouté David Boyd. « La solution est de reconnaître la légitimité de ces peuples en reconnaissant leurs droits, et de créer un cadre par lequel ils ont effectivement avantage à garder leur rôle de gardien de ces territoires, rôle qui est au cœur de leur culture. »

Image de bannière : Les gardes forestiers du parc national de Kahuzi-Biega se tiennent en formation dans le parc, en octobre 2016. Image de Thomas Nicolon pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/12/deadly-raids-are-latest-case-of-abuse-against-indigenous-batwa-in-drc-park-groups-say/

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