Nouvelles de l'environnement

Les populations du delta du Niger en « grand danger » alors que du pétrole se déverse d’un puits en continu depuis un mois

  • Depuis un mois dans l’État nigérian de Bayelsa, du brut se déverse d’une tête de puits sans que la société locale qui l’opère parvienne à le contenir.
  • Selon les experts, l’ampleur et la durée de la marée noire sont telles qu’il est impératif que les populations riveraines soient relogées pour leur sécurité.
  • Les marées noires et autres formes de pollution causées par l’industrie sont courantes à Bayelsa, au cœur du delta du Niger, une région riche en pétrole.
  • Les entreprises, y compris les grandes compagnies pétrolières étrangères, doivent déclarer elles-mêmes les déversements, malheureusement fréquents, et sont passibles d’amendes si elles ne réagissent pas rapidement. Ces amendes sont toutefois « symboliques » et n’ont pas de véritable impact.

Depuis le 5 novembre, à la suite de l’éruption d’un puits, du brut se déverse dans les criques du delta du Niger. L’opérateur du gisement, la société énergétique nigériane Aiteo, a échoué à arrêter la fuite et a fait appel à une entreprise spécialisée.

Selon le gouverneur de l’État de Bayelsa, Douye Diri, l’éruption de ce puits non productif dans le champ de Santa Barbara a provoqué une pollution importante des rivières et des terres agricoles dans la zone de gouvernement local de Nembe. D’après la News Agency of Nigeria, il a déclaré qu’Aiteo ne devait pas penser que « cette négligence criminelle de ses installations et ce mépris de la vie humaine et de l’environnement, comme le démontre sa conduite, ne seront pas pris en compte ».

Dans un communiqué publié le 22 novembre, la société a attribué l’incident à une action de sabotage. On peut y lire que « Aiteo s’engage à déterminer les causes immédiates et lointaines de la fuite au travers d’une [enquête conjointe] à venir ».

L’industrie pétrolière nigériane impute de nombreux déversements de pétrole à des actes de sabotage commis par des personnes qui cherchent à voler du brut. La National Oil Spill Detection and Response Agency (NOSDRA), une agence nigériane qui dépend presque entièrement des entreprises du secteur pour l’accès aux installations pétrolières sur terre et en mer, signale qu’environ 75 % des déversements sont le produit de sabotage et de tentatives de vol.

Map of incident reports since June 2019, courtesy NOSDRA.
Carte des rapports d’incidents dans le delta du Niger depuis juin 2019, reproduite avec l’autorisation de la NOSDRA.

L’équipe conjointe initialement dépêchée sur le site de Nembe n’a cependant pas pu déterminer la cause de la fuite. En effet, l’accès à la tête de puits était impossible « en raison des émanations d’hydrocarbures qui saturaient l’atmosphère de la zone ». Une vidéo du lieu du déversement, prise le 29 novembre, montre un jet à haute pression de liquide brunâtre se répandant dans les ruisseaux depuis la tête de puits, alors que des techniciens travaillent à contenir l’épanchement.

L’ampleur de la marée noire a dépassé les capacités d’intervention locales. L’américain Boots & Coots, filiale d’Halliburton spécialisée dans les services aux compagnies pétrolières, a donc été appelé à la rescousse pour « tuer » le puits, un processus qui consiste à y injecter du ciment afin de le boucher.

« Les travaux sont toujours en cours sur le puits pour arrêter le déversement », a déclaré Idris Musa, directeur général de NOSDRA, à Mongabay il y a deux semaines. À noter que les activités autour du puits avaient été temporairement suspendues une semaine auparavant, le 29 novembre, pour permettre à l’opération d’obstruction du puits de se poursuivre.

Des décennies de destruction

Le delta du Niger est une région riche aussi bien en matière de biodiversité que de ressources naturelles. Ses criques, ses marécages et ses forêts de mangrove abritent des communautés de pêcheurs et d’agriculteurs ainsi que des espèces menacées, notamment le lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis), le chimpanzé du Nigeria (Pan troglodytes ellioti) et le colobe bai nigérien (Piliocolobus epieni).

Mais des décennies de production pétrolière ont fait de la zone l’un des endroits les plus pollués de la planète. Selon les données fournies par l’agence, la NOSDRA a enregistré 639 déversements d’hydrocarbures rien que ces deux dernières années, soit l’équivalent de 28 003 barils rejetés dans l’environnement.

C’est à Bayelsa, en 1956, que le tout premier gisement de pétrole du Nigeria a été découvert. Au cours des décennies qui ont suivi, les déversements provenant de puits et d’oléoducs ont contaminé les terres agricoles et les plans d’eau, exposant les habitants à des produits chimiques toxiques. Le torchage du gaz a par exemple entraîné des pluies acides dans la région, tout en contribuant à faire du Nigeria le 17e producteur mondial d’émissions de gaz à effet de serre.

Cette destruction de l’environnement est l’œuvre de grandes compagnies pétrolières telles que Shell, Chevron et ENI. Le puits de Nembe en est un bon exemple : la société Aiteo, basée à Lagos, a acheté le puits à Shell en 2015.

Pour Nnimmo Bassey, militant écologiste et fondateur de l’ONG nigeriane Health of Mother Earth Foundation (HOMEF) : « La tendance actuelle est extrêmement inquiétante. Les compagnies pétrolières internationales savent que leurs installations sur terre sont délabrées, elles vont donc les vendre avant de déplacer leur activité au large des côtes. Et des entreprises locales crédules vont les acheter en pensant pouvoir faire du profit. Le problème c’est qu’elles ne sont ni prêtes ni équipées pour [faire face] à ce genre d’urgence. »

Des arbres morts et mourants à la suite d’une marée noire dans le delta du Niger en 2020. Photographie par Sosialistisk Ungdom (SU) via Flickr (CC BY-ND 2.0).

De lourdes conséquences, mais pas pour les compagnies pétrolières

L’impact de la marée noire de Nembe sur les communautés locales et l’environnement reste à déterminer. Samuel Oburo, militant écologiste affilié aux Amis de la Terre qui vit à environ 50 km de Nembe, affirme toutefois que les villageois de la région ont effectivement été durement touchés.

« Je peux vous dire que les gens là-bas sont confrontés à un grand danger. Ils ont commencé à protester. Beaucoup ont commencé à tomber malades à cause de l’atmosphère hostile engendrée par cette marée noire à laquelle est exposée la communauté », a-t-il déclaré à Mongabay lors d’un entretien téléphonique.

Mais il est difficile d’amener les compagnies pétrolières à nettoyer ou à payer pour les crimes environnementaux au Nigeria. Les demandes d’indemnisation en justice peuvent prendre des années, voire des décennies, et les entreprises sont censées payer relativement peu d’amendes lorsqu’elles se trompent.

La réglementation de la NOSDRA stipule que les compagnies pétrolières ont un délai de 24 heures après la découverte d’un déversement pour intervenir. Une visite conjointe des agences gouvernementales, des responsables de l’entreprise et des représentants de la communauté doit avoir lieu dès que possible. Une étude conduite par Amnesty International en 2018 a cependant constaté des retards fréquents, certains déversements se poursuivant pendant plusieurs mois après leur signalement.

Selon Amnesty, Shell, l’un des plus grands opérateurs du pays, ne s’est rendu sur les sites de déversement dans les 24 heures que dans 25 % des cas. Le délai d’intervention le plus lent a été enregistré lorsque ENI a mis 430 jours pour aller sur le site d’un déversement dans l’État de Bayelsa. « Ces retards sont le signe d’une grave négligence. Shell et ENI sont des multinationales prospères et puissantes. Pourquoi n’agissent-elles pas plus rapidement ? Pourquoi n’en font-elles pas davantage ? » peut-on lire dans le rapport.

En outre, les sanctions appliquées en cas de non-conformité sont insignifiantes : 1 million de nairas (soit 2 400 $USA) pour un premier manquement, puis 500 000 ₦ par jour supplémentaire.

« Que représentent 500 000 ₦ pour une compagnie pétrolière ? » a fait remarqué Idris Musa, directeur général de NOSDRA. Un amendement proposant l’augmentation des contraventions encourues a par ailleurs été déposé.

S’exprimant sur le déversement en cours à Nembe, N. Bassey de l’HOMEF a déclaré que, compte tenu de l’ampleur et de la durée apparentes de ce dernier, l’option la plus sûre pour les résidents de la zone est d’être relogés. « Cette région n’a pas d’eau courante, et lorsque la rivière est recouverte de brut, cela signifie qu’ils doivent dépendre de l’eau importée », a-t-il expliqué. « Certains boivent dans cette rivière, même si elle est polluée, parce qu’ils n’ont pas le choix. Les enfants nageront dans cette rivière et ils en boiront l’eau. »

« Le brut contient des métaux lourds très toxiques comme le plomb. Et vous savez, le plomb affecte beaucoup de choses dans notre corps, comme le système nerveux, il peut provoquer des cancers. Dans le pétrole, il y a du mercure, du cadmium, il y a de l’arsenic, du benzène et bien d’autres choses », a-t-il expliqué à Mongabay.

« Toute personne qui mange le poisson de cette rivière est déjà en danger. Donc peu importe l’aide qu’ils apportent, je pense qu’ils devraient surtout être en train d’évacuer les gens. »

Une opinion appuyée par S. Oburo : « Tant que le déversement se poursuit, il n’y a rien à faire pour rétablir la qualité de l’air. La seule solution est d’évacuer ces gens, car leur vie est précieuse. »

Le porte-parole du gouvernement de Bayelsa, Dan Alabrah, a déclaré que l’État fournissait du matériel de secours aux communautés, mais ne prévoyait pas de les reloger.

 
Photographie de bannière : Une barge transportant des barils de pétrole sur le delta du Niger. Photographie par Stakeholder Democracy via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Article original: https://news.mongabay.com/2021/12/niger-delta-communities-in-great-danger-as-month-old-oil-spill-continues/

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