Nouvelles de l'environnement

Les conflits et le changement climatique sont des obstacles considérables à la Grande Muraille Verte en Afrique

  • Quatorze ans se sont écoulés depuis le lancement du projet de la Grande muraille verte d'Afrique et seulement 4% des 100 millions d'hectares destinés à la restauration dans la région du Sahel ont effectivement été restaurés.
  • Des milliards de dollars de financement annoncés cette année ont fait naître l'espoir de relancer cette initiative en vue de combattre la désertification, mais les experts et la réalité sur le terrain montrent que l'argent est loin d'être le seul obstacle.
  • Le financement des actions de restauration coûtera 44 milliards USD, et chaque dollar investi rapportera 1,20 USD, selon les calculs d'une nouvelle étude publiée dans Nature Sustainability.
  • Mais les experts ont relayé les inquiétudes relevées par l'étude : les conflits et le changement climatique rendent plus difficiles les efforts sur le terrain, avec près de la moitié de la région identifiée comme étant viable pour la restauration se trouvant dans l'orbite de zones de conflits.

Récemment, au sommet de la COP26, le président nigérien Muhammadu Buhari s’est montré optimiste quant au projet africain de construire une Grande muraille verte. « Avec la participation de tous et avec un effort concerté pour la restauration des terres de la part des dirigeants africains, j’ai espoir que l’ambition africaine de restaurer plus de 100 millions d’hectares de paysage dégradé pour une agriculture de production est réalisable, » a déclaré le président Buhari lors d’un événement en marge de la COP.

Mais les chiffres sont loin d’être encourageants. Dans les 14 années passées depuis le lancement du projet, seulement quatre millions d’hectares ont été restaurés, que ce soit en plantant des arbres, en stabilisant des dunes ou en terrassant des terres agricoles. Cela implique que dans moins de dix ans, d’ici 2030, les onze pays participant à l’initiative sont supposés restaurer plus de 95 millions d’hectares de terres.

L’idée initiale de la grande muraille était audacieuse mais simpliste : une bande arborée d’environ 8 000 kilomètres de long et 8 kilomètres de large traversant l’Afrique d’est en ouest.

Avec le temps, l’énorme projet s’est éloigné de l’objectif restreint de « construire un mur » supposé bloquer l’avancée du Sahara vers le sud et les régions semi-arides du Sahel. Il est de plus en plus présenté comme un moyen de redonner vie aux écosystèmes et de préserver les cultures à travers les 11 pays qui y ont adhéré : Djibouti, Burkina Faso, Tchad, Érythrée, Éthiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Soudan et Sénégal.

Le projet de grande muraille verte mené par les gouvernements à travers 20 pays du Sahel africain a permis de planter des centaines de millions d’arbres au cours des dernières dizaines d’années comme rempart contre la désertification. Crédit photo grande muraille verte.

L’enthousiasme du président Buhari est peut-être lié à l’afflux de financement annoncé pour le projet cette année. À la COP 26 de Glasgow, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon s’est engagé à verser un milliard de dollars pour la restauration des terres prioritairement en Afrique et aux États-Unis. Les donateurs internationaux, tels que la Banque mondiale et des pays comme la France, ont promis 14,3 milliards de dollars lors du sommet One Planet en janvier, dans l’espoir d’accélérer le processus.

Mais les conflits et le changement climatique compliquent les choses sur le terrain. Alisher Mirzabaev, économiste écologique à l’université de Bonn, et qui a mené une analyse coût-bénéfice publiée dans la revue Nature Sustainability cette année, fixe le coût total de la restauration à 44 milliards USD. « En théorie, nous avons cette énorme somme d’argent, » déclare Mirzabaev, suite aux engagements de financement de cette année.

Il a calculé que chaque dollar investi dans la grande muraille pourrait rapporter 1,20 USD, comptant sur une multitude de bénéfices, dont des services non quantifiables comme le ralentissement de l’érosion, la régulation du climat et même une valeur spirituelle. Mais traduire d’austères calculs économiques en actions concrètes sur le terrain peut s’avérer compliqué.

À des milliers de kilomètres de Glasgow, à Djibouti, l’activiste du climat Fihima Mohamed a suivi la COP 26 avec intérêt. « Nous n’avons pas de gros budget. Pour nous, la restauration se fait hectare par hectare », a déclaré Fihima, qui est à la tête de Women Initiative Djibouti, à Mongabay dans un entretien téléphonique. Depuis 2018, l’ONG a restauré 12 hectares.

Selon elle, les budgets limités ne sont qu’un obstacle parmi d’autres. Elle explique qu’ils manquent aussi de formation dans les techniques agricoles pour s’adapter aux conditions climatiques incertaines telles que les sécheresses à répétition qui ont chassé les agriculteurs de leurs terres.

« Beaucoup de gens ne peuvent plus se permettre de cultiver, » ajoute-t-elle. « Ils investissent leur argent et n’obtiennent rien en retour. » La restauration promet des retours sur investissement.

Une zone aux abords de Djibouti City, à Djibouti, où travaille Women Initiative Djibouti. Crédit photo Fihima Mohamed.

Le groupe de femmes, avec plus de 100 membres, cultive des légumes et des fruits sur les terres restaurées aux abords de la capitale de Djibouti. Elles vendent leurs produits au marché et partagent 40 % des bénéfices avec les propriétaires.

La “muraille” ne se fera pas avec des briques toutes identiques. Elle devra rassembler des parcelles de terre, chacune tributaire de ses conditions écologiques uniques, des ses milieux sociaux et de ses réalités économiques. Certaines caractéristiques sont partagées. À travers le Sahel, environ deux tiers de la population dépendent de l’agriculture et du bétail. La population de la région augmente rapidement et devrait doubler d’ici 2050 tandis que les terres arables diminuent d’année en année. La plupart des pays du Sahel luttent déjà avec l’insécurité alimentaire et le changement climatique devrait frapper durement la région.

La désertification et les troubles dans le nord du Niger ont alimenté les conflits entre cultivateurs et éleveurs là où les terres cultivables sont de plus en plus rares. Selon un article récent, il serait économiquement plus rentable de restaurer des terres cultivables que les pâturages. Mais ce qui est économiquement sensé n’est pas toujours socialement acceptable.

« Près de 50 millions de personnes à travers le Sahel dépendent de l’élevage, » précise Alisher Mirzabaev. « Vous ne pouvez pas juste leur dire que leur activité n’est pas viable économiquement, et qu’ils doivent donc abandonner leurs terres. »

Même si les décideurs et les financeurs sont d’accord sur l’objectif, le succès des projets repose sur la motivation des populations locales à participer.

Jacob Hochard, économiste à l’Université du Wyoming et qui a écrit un article associé à celui de Mirzabaev, explique que selon ce dernier, « tous les avantages de la restauration des terres ne sont pas égaux. » Par exemple, la récompense pour la séquestration du carbone qui s’accumule après de nombreuses années pour la population mondiale n’a rien à voir avec les investissements dans les terres cultivées qui apportent des bénéfices plus immédiats aux populations locales, ajoute Jacob Hochard.

Mais les efforts locaux comme ceux menés à Djibouti seront insuffisants sans une vision claire ou une stratégie plus ambitieuse, a affirmé à Mongabay Chris Reijd, de l’Institut des ressources mondiales. « La difficulté est de mobiliser des dizaines de millions de personnes qui vivent de la terre à travers les pays de la grande muraille pour qu’ils investissent leurs faibles ressources dans une gestion durable des terres et plus particulièrement dans la sylviculture, » ajoute-t-il.

Cette mobilisation doit se faire alors même que persistent les problèmes sous-jacents : insécurité des droits fonciers, marchés peu développés et mauvais accès au financement. Pour que les gains de la restauration se maintiennent après la fin des projets et des cycles de financement, ” les conditions qui ont mené initialement à la dégradation des terres doivent être traitées, » explique Jacob Hochard.

Le changement climatique, l’une des causes de la dégradation des terres, fait déjà des dégâts. Les sécheresses et vagues de chaleur frappent régulièrement et plus fort dans certaines régions que dans d’autres. « Les vagues de chaleur ne cessent de revenir, » nous dit Fihima. « Nous avons des vagues de chaleur de mai à août. Toutes les récoltes se dessèchent. »

Les effets de la sécheresse (à gauche) et ceux des inondations (à droite) aux abords de Djibouti, l’un des pays participant à l’initiative de la grande muraille verte. Crédit photo Fihima Mohamed.

C’est un phénomène susceptible de saboter toute l’entreprise, impactant tous les aspects, du potentiel de stockage de carbone jusqu’au rendement des récoltes. L’étude de Mirzabaev affirme que le changement climatique pourrait réduire les chances de survie des jeunes arbres de moitié et altérer drastiquement la rentabilité des récoltes.

Un autre obstacle à la grande muraille est le grand nombre de conflits dans la région du Sahel. Sur les 27,9 millions d’hectares où Mirzabaev et son équipe considèrent que la restauration est économiquement et écologiquement viable, 14 millions d’hectares se trouvent dans l’orbite de zones de conflits mortels.

Dans le nord-est du Niger, une rébellion islamique du groupe Boko Haram, partiellement alimentée par les conditions de vie difficiles, a rendu l’accès à ces régions difficile.

« Boko Haram est un très gros problème pour l’implémentation de cette grande muraille verte , » a déclaré Chikaodili Orakwue, spécialiste de l’environnement et des conflits à l’Institut pour la paix et la résolution des conflits à Abuja. Elle décrit les difficultés rencontrées par l’agence nationale pour la grande muraille verte du pays (National Agency for Great Green Wall : NAGGW) à mobiliser du personnel dans la région. « C’est une zone instable. Ils ont perdu des membres de leur personnel à cause de Boko Haram, ils ont peur. »

Dans leurs échanges avec Orakwue, les dirigeants locaux ont critiqué l’absence de soutien du gouvernement envers le travail de restauration. Elle dénonce cependant une approche verticale par le haut, et la restauration des terres devra aller main dans la main avec la restauration des moyens de subsistance, en améliorant par exemple l’accès aux ressources en eau et en fournissant aux éleveurs des terres pour les cultures fourragères.

« Ils connaissent leurs terres, » ajoute Orakwue. « Ce qu’ils disent, c’est ne venez pas sur nos terres planter des arbres. »

 
Citations:

Mirzabaev, A., Sacande, M., Motlagh, F., Shyrokaya, A., & Martucci, A. (2021). Economic efficiency and targeting of the African Great Green Wall. Nature Sustainability. doi:10.1038/s41893-021-00801-8

Hochard, J. (2021). Investing wisely in land restoration. Nature Sustainability. doi:10.1038/s41893-021-00806-3

Orakwue, C. A. (2020). At the frontline of land restoration and sustainable livelihood: An analysis of the implementation of Nigeria’s Great Green Wall. Master’s thesis, International Institute of Social Studies, Hague, Netherlands.

Image de bannière : plantation d’arbres et paysage dégradé, Éthiopie. Photo Aaron Minnick/World Resources Institute via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/11/conflict-and-climate-change-are-big-barriers-for-africas-great-green-wall/

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