Nouvelles de l'environnement

La ministre de l’Environnement de la RDC sévèrement critiquée pour avoir soi-disant facilité l’octroi de concessions illégales

  • La ministre de l'Environnement de la République démocratique du Congo, Ève Bazaiba, a été mise en examen en raison de son implication présumée dans une série de concessions forestières illégales.
  • En septembre, Bazaiba aurait déployé une équipe de son ministère pour obtenir le consentement de la communauté locale pour une concession qui avait été accordée illégalement par son prédécesseur.
  • Le président du pays a ordonné un audit des concessions forestières et la suspension de tous les "contrats douteux", mais les observateurs affirment que le gouvernement n'a pas encore pris de mesure.
  • La RDC étudie un plan controversé visant à lever un moratoire de 19 ans sur l'exploitation forestière industrielle, qui, selon les critiques, mettrait en péril 70 millions d'hectares de forêts, soit une superficie plus grande que celle de la France.

Greenpeace Afrique est en train de lancer des appels pour enquêter sur la vice-présidente et ministre de l’Environnement de la République démocratique du Congo, Ève Bazaiba, au sujet de son implication présumée dans une série de concessions forestières illégales.

Les plans controversés visant à lever un moratoire de 19 ans sur l’exploitation forestière industrielle sont en suspens depuis octobre, date à laquelle le président Felix Tshisekedi a ordonné un audit des concessions forestières de la RDC ainsi que la suspension de tous les “contrats douteux”, à la suite de plaintes pour irrégularités.

Parmi les contrats litigieux figurent six concessions dites de conservation attribuées illégalement à Tradelink, une société congolaise, par le prédécesseur de Bazaiba, Claude Nyamugabo, en septembre 2020. Au total, elles couvrent environ 1,4 million d’hectares, une superficie supérieure à la moitié de celle du Rwanda voisin.

Le compte-rendu de la session du Conseil des ministres du 15 octobre confirme “l’illégalité de nombreux contrats, dont ceux signés en septembre 2020.” La loi congolaise limite les concessions à un maximum de 500 000 hectares pour une seule entreprise. Le président Tshisekedi a déclaré à son cabinet qu’il était “impératif que ces questions puissent être vidées de leur substance.”

La réunion ministérielle a eu lieu deux semaines avant le sommet sur les changements climatiques COP26 à Glasgow, alors que la RDC s’apprêtait à se positionner en tant que “pays solution” dans la lutte mondiale contre le changement climatique.

Lors du sommet, un groupe de donateurs, dont le Royaume-Uni et l’Union européenne, a annoncé la mise en place d’un fonds de 1,5 milliard de dollars pour protéger le bassin du Congo, la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Aussi, l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI) a également annoncé un accord décennal considéré comme historique (2021-2031), qui permettra de débloquer 500 millions de dollars réservés à la RDC au cours des cinq premières années.

“Il est inconcevable qu’un pays qui reçoit des millions/milliards de dollars pour sauvegarder ces forêts, fasse simultanément passer des plans qui détruiront ces mêmes forêts, car une fois le moratoire levé, 70 millions d’hectares de forêts seront en péril”, a déclaré à Mongabay Irène Wabiwa, cheffe de projet international pour la forêt du bassin du Congo à Greenpeace Afrique.

Si les militants ont apprécié l’intervention du président, ils se sont montrés suspicieux quant au timing de la suspension, survenue par “pure coïncidence” juste avant le sommet sur les changements climatiques. Ils ont fait remarquer que plus d’un an s’est écoulé depuis que les concessions de Tradelink ont été attribuées et que de nombreux mois se sont écoulés depuis que les premières alertes ont été lancées.

“À ce jour, aucune mesure n’a été prise par le gouvernement à notre connaissance, à moins bien sûr que les choses aient été faites à l’abri des regards”, a déclaré Wabiwa. “Officiellement, aucun signe n’indique que le gouvernement s’est mobilisé pour réaliser l’audit, conformément aux instructions du président.”

Aerial view near Yangambi, Tshopo Province, DRC. Image by Axel Fassio/CIFOR via Flickr. (CC BY-NC-ND 2.0)
Vue aérienne près de Yangambi, province de Tshopo, RDC. Image d’Axel Fassio/CIFOR via Flickr. (CC BY-NC-ND 2.0)

“Le moratoire va être levé”

En juin, le Conseil pour la défense environnementale par la légalité et la traçabilité (CODELT) et l’Organisation congolaise des écologistes et amis de la nature (OCEAN) ont déposé un recours administratif demandant à Bazaiba d’annuler les contrats.

Cependant, il y a trois semaines, il a été mis au jour que Bazaiba avait signé un ordre de mission, le 13 septembre, pour que sept membres de son ministère de l’Environnement accompagnent une équipe de Tradelink dans la province de Tshopo, trois jours après l’expiration du délai légal de réponse au recours administratif. Selon l’ordre de mission, l’objectif de la délégation était la “facilitation de la négociation et signature des accords de clauses sociales, réalisations des enquêtes socio-économiques et la signature du consentement libre, préalable et informé [CLIP] de la Société TRADELINK.”

Greenpeace Afrique a publié une réponse cinglante : “Du consentement libre, préalable et informé (CLIP) Mme Bazaiba fait preuve d’une méconnaissance totale : “préalable” veut dire avant la signature des contrats juteux, non pas après que les “sommes convenues” ont été empochées”, indique l’organisation dans un communiqué de presse publié le 29 octobre.

L’ordre de mission soulève également des questions concernant le rôle d’un employé provincial du ministère qui a voyagé en tant que “représentant de la société” et le fait que les frais du voyage étaient “à charge du concessionnaire”.

Selon Greenpeace, l’équipe est restée à l’œuvre sur le terrain jusqu’au 28 octobre, “presque deux semaines après que le président avait ordonné la suspension des concessions Tradelink, le 15 octobre. Un document de la clause sociale du cahier des charges a été finalisé lors de la mission et était prêt à être signé. Une panne d’imprimante a empêché sa signature.”

Les révélations de Greenpeace Afrique ont déclenché une série d’échanges extraordinaires avec le ministère de l’Environnement. Avant même l’apparition des dernières preuves reliant Bazaiba à Tradelink, elle a publié une déclaration acerbe affirmant que le gouvernement n’avait “aucune leçon à tirer d’une ONG sur nos ressources“. Une lettre rédigée par une coalition comprenant des organisations de la société civile, des groupes autochtones et des ONG, dont Greenpeace Afrique, exhortant les pays donateurs à suspendre leur financement pour la protection de la forêt tropicale en RDC jusqu’à ce que la RDC étende son interdiction d’exploitation forestière, a été qualifiée de “au-delà de l’audace pour le 21e siècle” par Bazaiba.

“Nous utiliserons nos ressources comme bon nous semble”, a-t-elle déclaré. “Nous espérons laisser de côté l’aide au développement et viser plutôt des partenariats gagnant-gagnant, afin que notre peuple puisse bénéficier des richesses de sa nation”.

Elle ajoute : “Le moratoire va être levé”.

Le bureau de Bazaiba a rejeté toutes ces allégations, et la guerre des mots s’est intensifiée. Yves Kitumba, directeur de cabinet de Bazaiba, est allé jusqu’à menacer d’une action en justice. Le porte-parole a déclaré que l’ordre de mission en question est précisément ce qui a alerté le gouvernement sur l’illégalité des concessions de Tradelink : “La dénonciation faite au Conseil des ministres, c’est grâce à cette équipe”, a déclaré Kitumba à Actualite.CD.

 

Image de bannière : Emanuel Balisa Akangi, en train de chasser dans la province de Tshopo, RDC. Image d’Alex Fassio/CIFOR via Flickr. (CC BY-NC-ND 2.0.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/11/drc-environment-minister-panned-for-allegedly-facilitating-illegal-concessions/

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