Nouvelles de l'environnement

Carbone et communautés locales : l’avenir des tourbières du bassin du Congo

  • En 2017, les premières cartes des tourbières du bassin du Congo ont révélé qu’elles étaient les plus vastes et les plus intactes des tropiques au niveau mondial.
  • Les scientifiques ont indiqué que les premiers travaux, tout d’abord publiés dans la revue Nature, ne constituaient qu’une première étape. Les recherches continuent en effet de nous éclairer sur la formation des tourbières, sur les menaces qui pèsent sur elles, telles que les exploitations agricoles et forestières, et sur la manière dont les communautés de la région semblent cohabiter de manière durable.
  • Les chercheurs estiment que les investissements dans la recherche et la protection des tourbières seront aussi profitables à la communauté internationale qu’aux populations locales, compte tenu des immenses réserves de carbone contenues dans la Cuvette centrale.
  • Les chercheurs et les dirigeants congolais affirment qu’ils sont avides de protéger les tourbières pour le bénéfice de chacun, mais ils soulignent aussi qu’un soutien international sera nécessaire pour y parvenir.

Cet article est le quatrième d’une série en quatre parties sur « Les tourbières du bassin du Congo ». Lire la première partie, la deuxième partie et la troisième partie.

Les carottes de tourbe prélevées par Iain Lawson et ses collègues dans les zones marécageuses du bassin du Congo ne semblent pas avoir grand-chose à offrir à première vue – hormis de la matière végétale dans divers états de décomposition venant s’enchevêtrer entre des couches d’argile et de limon. Mais, ces échantillons, très ordinaires au premier regard, sont en réalité beaucoup plus prometteurs que ce qu’ils laissent entrevoir à l’œil nu. Selon Iain Lawson, ils sont très révélateurs de la « magnifique succession écologique » qui s’est développée dans cette zone reculée de la forêt tropicale du bassin du Congo.

« Vous pouvez voir assez distinctement l’herbe et le carex au fond du bassin et les plantes pionnières qui poussent en pleine terre, puis, un marécage de feuillus, et une variété d’espèces de palmiers », a poursuivi Iain Lawson, paléoécologiste de l’Université de St Andrews en Écosse. « Le paysage devient plus diversifié. »

Iain Lawson travaille au sein d’une équipe qui a attiré l’attention du monde entier sur ces tourbières géantes, d’une taille supérieure au quart de la France, en publiant en 2017 dans la revue Nature les conclusions de leurs études menées à la fois sur le terrain et par télédétection. Avant cela, les scientifiques n’avaient que de vagues connaissances sur la présence d’un marécage dans la zone forestière de la République du Congo et de la République démocratique du Congo (RDC). Ils soupçonnaient qu’il pouvait contenir certaines de ces matières végétales en décomposition riches en carbone, connues sous le nom de « tourbes ». (Les communautés humaines établies depuis longtemps dans la région ont, quant à elles, développé de solides connaissances sur les tourbières depuis des millénaires, tout comme l’incroyable arche de Noé, composé de mammifères, d’oiseaux et de végétaux, qui a trouvé refuge au sein de cet environnement complexe.)

Mais jusqu’ici, personne n’avait réussi à déterminer ni la profondeur ni l’étendue de la tourbe. L’équipe, dirigée par le phytoécologiste Simon Lewis et par Greta Dargie (doctorante à l’époque) de l’Université de Leeds, a identifié la tourbe dans à peu près chacun des échantillons analysés, et la quantité de carbone contenue dans la tourbe s’est révélée au-delà de toute attente. Ils avaient non seulement identifié le plus grand complexe de tourbe sous les tropiques, mais ils avaient également découvert qu’il contenait plus de 30 milliards de tonnes de carbone. Une réserve si colossale qu’elle augmentait les stocks de carbone de la tourbière tropicale de plus d’un tiers. Ce carbone s’est accumulé au cours des 10 600 dernières années (et peut-être plus), car la forêt marécageuse a bloqué le processus de libération du carbone lors de la décomposition des bactéries et des champignons.

Des experts du Royaume-Uni et de la République démocratique du Congo (RDC) prélèvent les premiers échantillons dans la tourbière. Photographie de © Kevin McElvaney/Greenpeace.

Les tourbières de la Cuvette centrale forment aussi un environnement dynamique dépendant d’une alimentation en eau continue et en temps opportun. Deux cas de figure se présentent pour les tourbières et leur action sur l’environnement. Elles peuvent être soit une aubaine pour le climat, car en piégeant le carbone qu’elles contiennent, elles pourraient ralentir le réchauffement climatique, soit une « bombe à retardement » qui pourrait libérer l’équivalent de trois années d’émissions de gaz au niveau mondial dans l’atmosphère si elles venaient à être perturbées. Elles subissent des menaces à la fois immédiates et à plus long-terme. Les mesures mises en œuvre pour assurer leur protection – ou les activités menant à leur destruction – auront des répercussions sur les communautés humaines dans la région et à travers le monde.

Ces menaces potentielles dépendront des projets gouvernementaux des deux Congo, à savoir l’autorisation de drainage de certaines zones des tourbières par les entreprises agricoles, la plantation de palmiers à huile et d’autres cultures à forte valeur ajoutée. En complément, un certain nombre de sociétés pétrolières se sont montrées particulièrement intéressées par l’exploitation d’un gisement, prétendument massif, reposant sous la tourbière. La déforestation, qui sévit au-dessus des marécages, demeure aussi une menace récurrente. Autre signe alarmant pour le monde de la conservation : la RDC a déclaré qu’elle prévoyait de mettre fin à un moratoire de 19 ans sur l’octroi des licences aux entreprises étrangères.

Ève Bazaiba Masudi, ministre de l’Environnement et du Développement durable en RDC, a expliqué à Mongabay dans un courriel que le temps était venu de tourner la page de ce moratoire, mais que le pays prévoyait également de protéger les tourbières et les forêts nationales qui ont une valeur cruciale en matière de conservation.

Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, du Développement durable et du bassin du Congo de la République du Congo, a déclaré que les tourbières étaient un écosystème important non seulement pour les deux pays, « mais également pour la planète entière ».

Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, du Développement durable et du bassin du Congo de la République du Congo, a déclaré que les tourbières étaient un écosystème important non seulement pour les deux pays, « mais également pour la planète entière ».

Elle a ajouté que son pays s’était engagé à protéger les tourbières.

« Cela dit, nous ne sommes pas naïfs et nous n’avons pas l’intention de stopper notre développement juste pour que la planète respire mieux », a-t-elle précisé dans un courriel adressé à Mongabay. « L’inestimable service écosystémique que nos tourbières et nos forêts rendent à la planète ne pourra pas demeurer éternellement gratuit et cela, au détriment de l’aspiration de nos populations au mieux-être. »

Les chercheurs et les spécialistes de la conservation savent que les zones de tourbières qui ont été défrichées par les exploitations agricoles, forestières ou minières pourraient faire fondamentalement pencher la balance, et modifier les caractéristiques hydrologiques qui libèreraient des panaches invisibles de carbone, et participeraient ainsi au réchauffement climatique mondial. En même temps, ils savent aussi que la RDC et la République du Congo ont besoin d’aide pour à la fois protéger les tourbières et développer leur économie respective – c’est ce qui a été souligné par les dirigeants des deux pays.

« [L]a communauté internationale bénéficie de la contribution de cet écosystème en matière d’atténuation du réchauffement climatique et les congolais devraient bénéficier des efforts de cette conservation », a-t-elle ajouté.

Les menaces imminentes ont entrainé le déploiement d’efforts, visant à assurer la protection des tourbières, ainsi que des recherches pour mieux comprendre leurs secrets, et ce, dans l’espoir ultime de tirer des leçons du passé pour assurer l’avenir des tourbières.

La question, selon Julie Loisel, spécialiste des écosystèmes et chercheuse, est de déterminer s’« ils vont continuer de veiller à séquestrer le carbone dans le sol pour lutter contre le réchauffement climatique, ou au contraire s’ils vont commencer à brusquement le rejeter dans l’atmosphère si nous dégradons ces zones ? ».

Julie Loisel, qui n’a pas participé aux recherches menées en 2017 pour le rapport paru dans la revue Nature, est professeure adjointe à l’Université A&M Texas à College Station.

« Tout cela dépend vraiment des activités humaines », a-t-elle souligné. « En somme, cela dépend vraiment de nous. »

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De puissantes alliées pour le climat

Depuis la publication de l’article paru dans Nature il y a quatre ans, la prise de conscience de l’importance de la conservation des tourbières va croissant. Mais pour de nombreux chercheurs, les tourbières ne sont toujours pas appréciées à leur juste valeur, à savoir comme des alliées majeures dans notre lutte contre les changements climatiques.

« Les tourbières ont été totalement laissées de côté dans le passé », a fait observer Julie Loisel.

Dianna Kopansky, coordinatrice mondiale pour la protection des tourbières auprès du Programme des Nations Unies pour l’environnement, a déclaré que continuer de les ignorer serait une erreur, ne serait-ce que pour l’impact « disproportionné » qu’elles sont susceptibles d’avoir sur le budget carbone mondial.

Même si la tourbe couvre moins de 3 % de la surface terrestre, les scientifiques estiment que les tourbières contiennent à elles seules le double de tout le carbone stocké par la biomasse forestière dans le monde. Elles constituent une réserve incroyablement dense. Mais comme l’a expliqué Dianna Kopansky à Mongabay, ce qui se produit lorsque les tourbières se transforment de puits en source de carbone est aussi particulièrement révélateur.

Près de 15 % des tourbières du monde ont été dégradées au profit, notamment, de l’agriculture ou de la construction de routes pour acheminer le pétrole et le gaz extraits en sous-sol. Cela constitue moins de 0,5 % du sol terrestre, mais ces tourbières endommagées contribuent jusqu’à 6 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Ce pourcentage passe à 10 % avec la combustion de la tourbe, comme lors des fortes sécheresses de 2015, lorsque les feux de forêts d’Indonésie avaient recouvert l’Asie du Sud-Est d’une fumée toxique.

Ces statistiques, associées à ce que Dianna Kopansky considère comme une sous-utilisation des atouts des tourbières dans le contexte climatique, font de ces dernières de « puissantes alliées » dans notre lutte contre le changement climatique. Leur restauration, à travers la réintroduction de l’eau dans les marais, pourrait avoir un impact immédiat sur les émissions de gaz à effet de serre des pays tels que l’Indonésie, où de gigantesques surfaces de tourbe ont été drainées pour la plantation de palmiers à huile. Les efforts pour réhabiliter les tourbières et éviter des feux comme ceux de 2015 pourraient contribuer à freiner la perte des terres, à améliorer la qualité de l’air, à minimiser les perturbations liées aux transports, et ainsi entrainer des milliards de dollars d’économies pour l’Indonésie, selon une récente étude parue dans la revue Nature Communications.

Ces efforts ne peuvent toutefois pas permettre de restaurer entièrement l’écosystème puisqu’il faut compter entre des centaines et des milliers d’années pour que la tourbe s’accumule et stocke des quantités notables de carbone.

Une fumée épaisse s’échappant des tourbières en feu à l’extérieur de Palangka Raya, dans le Kalimantan central (Indonésie) en 2015. Photographie Aulia Erlangga/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Au sein des tourbières déboisées ou dégradées, « la végétation originelle a complètement disparu », a souligné Mark Harrison, écologiste de l’Université britannique d’Exeter et spécialiste des tourbières de l’Asie du Sud-Est. « Une grande quantité de tourbe a aussi été entièrement brûlée ou s’est totalement décomposée. Dans ce genre de régions, il sera très difficile de réhabiliter entièrement les forêts tropicales. »

Mais d’après Dianna Kopansky, la réalimentation en eau, essentielle aux écosystèmes des tourbières, joue un rôle significatif dans la réduction des émissions de CO2 lors du processus de décomposition de la matière organique dans les contextes de dégradation des tourbières. (Selon elle, le rejet de méthane, puissant gaz à effet de serre, issu de la décomposition dans l’eau de la matière organique, vient cependant compliquer l’équation.)

Elle a ajouté qu’une section de tourbe intacte, aussi infime soit-elle, arrivait à séquestrer une grande quantité de carbone, et qu’il s’agissait d’une réalité souvent sous-estimée. Les tourbières du bassin du Congo contiennent notamment près des deux-tiers du stock de carbone présent dans toute la forêt tropicale du Congo.

Sécuriser les tourbières pour les générations futures n’est pas aussi tangible que de regarder les arbres pousser en forêts. Les tourbières n’absorbent pas non plus le carbone de l’atmosphère aussi rapidement que les arbres. C’est une des raisons pour lesquelles les tourbières ne s’inscrivent pas bien dans le modèle actuel de compensation des émissions de carbone qui repose essentiellement sur la plantation d’arbres et la croissance des forêts.

« Si vous voulez évaluer la valeur d’une terre pour sa séquestration du carbone, vous devez examiner la quantité totale de CO2 qu’elle piège chaque année, et à ce niveau, les résultats ne sont pas très prometteurs pour les tourbières », a expliqué Julie Loisel, professeure adjointe et spécialiste des écosystèmes à l’Université A&M Texas. « On voit bien quelques petites mousses absorber un peu de carbone ici et là, mais sans plus », a-t-elle ajouté.

À l’heure actuelle, les tourbières ne permettent pas de compenser les émissions de carbone, comme celles des sociétés pétrolières par exemple. Même si elles protégeaient une section des tourbières pour compenser leur empreinte carbone, le rejet de carbone dans l’atmosphère serait probablement plus important que la quantité qui serait absorbée par les tourbières.

Mais si nous nous engageons réellement à réduire les émissions à l’échelle planétaire – comme les spécialistes du climat nous exhortent à le faire pour éviter une hausse des températures de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle (objectifs de l’Accord de Paris sur le climat) – les réserves de carbone, comme les tourbières, commenceront alors à susciter l’intérêt général.

« [Mais réellement], quelle valeur accordons-nous au carbone âgé de plusieurs milliers d’années ? C’est cela, la question. » a souligné Susan Page, professeure et écologiste à l’Université de Leicester au Royaume-Uni et également coautrice du rapport paru dans Nature, le premier à avoir cartographié les tourbières du bassin du Congo. « Cette grande quantité de carbone devrait être monétisée, je pense que c’est cela le fond du problème. »

Vue aérienne d’une concession forestière dans les tourbières de la RDC. Les tourbières du bassin du Congo contiennent près des deux tiers du stock de carbone total présent dans toute la forêt tropicale du pays. Photographie de © Daniel Beltrá/Greenpeace.
Une plantation de palmiers à huile dans une tourbière du Kalimantan central, à Bornéo, en Indonésie. Photographie de glennhurowitz via Flickr (CC BY-ND 2.0).

Investir dans la protection

L’un des principaux mécanismes mis en place pour assurer la protection des forêts a été celui du programme REDD+ (réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) des Nations Unies, qui vise à mettre en place des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts. Le but est d’apporter une aide financière aux pays en vue d’éviter des évolutions potentiellement destructrices pour les forêts. Ces contributions ont pour objectif de financer des programmes de développement économique, idéalement destinés aux communautés qui travaillent en première ligne pour la protection de ces forêts. Les tourbières de la Cuvette centrale faisant partie intégrante du bassin du Congo, le programme REDD+ apparait comme une progression logique dans la protection des tourbières.

« Le programme REDD+ peut être un outil efficace pour la gestion des tourbières », a déclaré Denis Sonwa, scientifique chevronné du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) du Cameroun. Denis Sonwa travaille à la protection des forêts pour la recherche scientifique et pour les communautés du bassin du Congo.

D’une manière générale, bon nombre de scientifiques et de spécialistes de la conservation s’entendent sur la nécessité de financer la protection des tourbières.

« J’estime que les gouvernements de la RDC et de la [République du Congo] devraient être payés pour le service qu’ils rendent au reste du monde en veillant à la protection de ces tourbières », a déclaré Edward Mitchard, autre collaborateur de l’article paru en 2017 et professeur de géographie mondiale à l’Université d’Édimbourg, au Royaume-Uni. « Elles renferment une quantité massive de carbone. C’est une vraie bombe à retardement qui pourrait brusquement exploser. »

Mais, Edward Mitchard a expliqué à Mongabay que la manière dont le programme REDD est organisé était assez complexe.

Par exemple, les terres doivent souvent être affectées aux projets de développement avant même que les pays donateurs ne considèrent verser des aides financières aux pays tels que la RDC et la République du Congo pour assurer la protection des terres. Pour Edward Mitchard, ce sont des « mesures d’encouragement étranges » pour des instruments d’aide au développement, même si le but ultime n’est que de sécuriser le programme REDD+ et d’autres aides financières du même genre.

Cela peut expliquer pourquoi 80 % des tourbières, d’après les cartes établies par l’ONG de défense de l’environnement Greenpeace, sont recouvertes de concessions agricoles, forestières, pétrolières et gazières.

Pour Joe Eisen, directeur général de l’ONG de défense de l’environnement Rainforest Foundation UK (RFUK), d’autres questions subsistent au sujet de REDD+. Selon lui, il sera notamment fondamental de déterminer si les communautés vivant à l’intérieur et aux alentours des tourbières pourront véritablement profiter de ces fonds.

« [M]ême si l’argent commence à être réellement distribué et à circuler pour la protection des tourbières, l’expérience des 14 années du programme REDD+ nous dit qu’il est peu probable que nous obtenions l’effet désiré, à moins que les questions cruciales autour de la gouvernance et des droits des communautés forestières soient examinées », a expliqué Joe Eisen dans un courriel adressé à Mongabay.

Vue aérienne d’une plantation de palmiers à huile en RDC. Près de 80 % des tourbières, d’après les cartes établies par l’ONG de défense de l’environnement Greenpeace, sont recouvertes de concessions agricoles, forestières, pétrolières et gazières. Photographie de © Daniel Beltrá/Greenpeace.

Conservation communautaire

Dans le monde entier, les chercheurs spécialistes de la conservation ont découvert au cours des dernières décennies que les zones naturelles protégées par les communautés locales et indigènes obtenaient généralement des résultats bien plus encourageants en matière de préservation que celles qui étaient bien financées mais qui excluaient ou minimisaient l’intervention des communautés.

« Nous sommes si chanceux de pouvoir compter sur les peuples autochtones, protecteurs des lieux sacrés comme les forêts tropicales et les tourbières », s’est réjouie Dianna Kopansky. « Je voudrais que leur futur soit également protégé. Ils ont le droit de pratiquer leur culture et aussi de tirer avantage de la zone qu’ils occupent. »

Les tourbières sont un bon exemple ici. Les résultats de l’équipe de chercheurs dirigée par Simon Lewis et Greta Dargie indiquent que les tourbières sont essentiellement intactes, même si les communautés avoisinantes profitent des ressources halieutiques et forestières, telles que le bois et d’autres produits de la forêt. Pour Simon Lewis, la manière dont ils accomplissent cette cohabitation durable avec la nature constitue un nouvel élément de recherche.

« Ces lieux renferment de précieuses traditions locales », a souligné Mark Harrison, qui ne fait pas partie de l’étude menée dans le bassin du Congo, « ce qui est [bien entendu] une autre raison pour laquelle il serait insensé de ne pas inclure les peuples qui ont une longue expérience du terrain dans les projets de conservation », a-t-il poursuivi

Des femmes d’une communauté locale prêtes à accueillir les défenseurs de l’environnement Greenpeace dans leur village. Photographie de © Kevin McElvaney/Greenpeace.

À l’instar de nombreuses régions reculées et forestières de la planète, le système de gestion traditionnel a été plus coutumier que codifié en République du Congo et en RDC, selon les conclusions du projet Mapping For Rights (Cartographie pour les droits) dirigé par la RFUK. MappingForRights vise à fournir aux communautés les outils nécessaires pour faire valoir leurs droits sur les terres qu’elles occupent et surveiller leur utilisation.

« À moins que ces zones soient complètement cartographiées et reconnues (notamment via des projets communautaires), et qu’une planification territoriale participative ait été mise en place, les communautés locales ont peu de chance de bénéficier de ces programmes, et, pire encore, elles peuvent être aussi soumises à des mesures de conservation coercitives, caractéristiques des zones protégées de la région », a expliqué Joe Eisen de la RFUK.

Il reste à déterminer comment les initiatives actuelles visant à protéger la Cuvette centrale encourageront la participation des communautés vivant aux alentours des tourbières, même si les dirigeants des pays affirment être tout à fait conscients de ces problèmes.

« La RDC veut maintenir la fonctionnalité écologique des tourbières tout en s’assurant que les efforts de conservation améliorent les vies des communautés locales et des peuples autochtones », a déclaré Ève Bazaiba.

Et il existe d’autres signes qui illustrent la volonté des gouvernements à prendre soin de la santé des tourbières.

De nombreux observateurs voient la signature de la Déclaration de Brazzaville de 2018 comme une lueur d’espoir. L’objectif de l’accord, signé entre la République du Congo, la RDC et l’Indonésie, est de promouvoir la coopération des pays riches en tourbe en vue de protéger ces écosystèmes.

« Détruire les tourbières consisterait en une grave insulte envers l’accord de Paris et le climat. Il nous faut trouver des alternatives durables, les pratiques de gestion traditionnelles sont importantes », a déclaré Arlette Soudan-Nonault dans un communiqué lors de la signature de la déclaration de mars 2018. « Nous prenons des mesures dès maintenant grâce à la déclaration de Brazzaville signée aujourd’hui. »

Avant cette signature, les trois nations avaient été rejointes par le Pérou et avaient ainsi été les quatre premiers partenaires de l’Initiative mondiale pour les tourbières, un projet international, créé lors de la conférence sur le climat des Nations Unies de 2016 visant à renforcer la protection des tourbières. Dianna Kopansky, qui coordonne l’initiative, a déclaré que cette dernière était entièrement dirigée par ces pays.

« Aucun pays du Nord et aucune organisation internationale ne sont membres de l’initiative », a précisé Dianna Kopansky. « L’initiative mondiale pour les tourbières existe parce que les [pays de l’hémisphère] Sud l’ont demandée. Il s’agit d’une véritable coopération Sud-Sud. »

Jusqu’à présent, les communautés ont joué un rôle essentiel dans la conservation de la nature sauvage des tourbières. Mais combien de temps cette nature intacte durera-t-elle avec les menaces de développement, d’extraction des ressources et la croissance de la population humaine ? La question reste en suspens.

« Bien entendu, vous pourriez dire que c’était aussi valable pour l’Indonésie des années 1950 », a souligné Susan Page. « La plupart de ces tourbières avaient une densité de population très faible. »

« J’ai débuté mes recherches à Kalimatan, [Bornéo indonésien], au début des années 1990 et les changements qui sont apparus au cours des 30 dernières années [sont] colossaux en matière de croissance de population [et] du nombre de personnes exploitant, vivant sur ou près des tourbières », a-t-elle poursuivi.

Un groupe de femmes préparant le repas en RDC. Photographie de © Kevin McElvaney/Greenpeace.

En tant qu’écologiste spécialisé dans la protection des forêts, Suspense Ifo considère qu’un appui extérieur pour mener de plus amples recherches et études scientifiques sur les tourbières, comme il s’y attache avec Greta Dargie, Iain Lawson, Edward Mitchard et Simon Lewis, est amplement justifié.

Tout comme les tourbières ont besoin d’une source d’eau en continu, « nous avons besoin d’une pluie de financements, d’une pluie de donateurs pour nous permettre de continuer de recueillir des données », a expliqué Suspense Ifo, professeur adjoint à l’Université Marien Ngouabi en République du Congo et coauteur de l’étude parue dans Nature en 2017. Il a fait une présentation à la COP26, la conférence internationale sur le climat, au cours de laquelle il a souligné qu’une partie des objectifs était de comprendre comment les communautés utilisaient les tourbières de manière durable.

Certaines zones de la Cuvette centrale sont protégées, avec certaines mesures de protection mises en place il y a des décennies dans le cadre d’accords internationaux, tels que la Convention de Ramsar relative aux zones humides. Mais les menaces perdurent, et l’Indonésie illustre bien la rapidité à laquelle ces changements peuvent intervenir. Susan Page estime que, grâce aux précieuses informations recueillies en Indonésie, et bien entendu aussi à celles émanant du peuple de la Cuvette centrale, la communauté internationale a maintenant la possibilité de veiller à ce que les tourbières du bassin du Congo ne suivent pas le même chemin que l’Indonésie. Et il appartient à chacun d’entre nous de soutenir cet objectif pour la survie des tourbières, et pour la nôtre également.

« Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les deux Congo à protéger leurs communautés, parce qu’au niveau mondial, ils comptent », a-t-elle ajouté.

Écouter le podcast de Mongabay sur la restauration des tourbières ici (en anglais) :

Photographie de bannière : Des militants de Greenpeace et d’autres organisations brandissant une bannière avec la communauté locale de Lokolama dans les tourbières du bassin du Congo. Photographie de © Kevin McElvaney/Greenpeace.

John Cannon est rédacteur pour Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter @johnccannon

Citations:

Dados, N., & Connell, R. (2012). The Global South. Contexts, 11(1), 12-13. doi:10.1177/1536504212436479

Dargie, G. C., Lewis, S. L., Lawson, I. T., Mitchard, E. T., Page, S. E., Bocko, Y. E., & Ifo, S. A. (2017). Age, extent and carbon storage of the central Congo basin peatland complex. Nature, 542(7639), 86-90. doi:10.1038/nature21048

Kiely, L., Spracklen, D. V., Arnold, S. R., Papargyropoulou, E., Conibear, L., Wiedinmyer, C., … Adrianto, H. A. (2021). Assessing costs of Indonesian fires and the benefits of restoring peatland. Nature Communications12(1). doi:10.1038/s41467-021-27353-x

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