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Une nouvelle étude montre où concentrer les efforts pour sauver les petits mammifères longtemps négligés

  • Deux groupes de petits mammifères — les rongeurs (souris, castors, écureuils, etc.) et les eulipotyphles (musaraignes, taupes, hérissons, etc.) — comprennent à eux deux près de la moitié de toutes les espèces de mammifères connues.
  • Une nouvelle étude brosse un tableau des lieux où se trouvent les espèces menacées de ces deux groupes à l’échelle mondiale.
  • L’étude a également permis d’identifier des régions qui abritent les rongeurs et eulipotyphles actuellement classés dans la catégorie Données insuffisantes, des espèces pour lesquelles le statut de conservation n’est tout simplement pas connu.
  • Les auteurs de l’étude espèrent qu’elle donnera envie aux gens de travailler avec de petits mammifères et encouragera également les bailleurs de fonds à investir dans la conservation ou des projets de recherche qui se concentrent sur ces groupes d’animaux riches en espèces, mais longtemps négligés.

Pensez à un mammifère en danger critique d’extinction. Lequel vous vient à l’esprit ? Un tigre charismatique, peut-être ? Ou un troupeau d’éléphants majestueux ? Pourquoi pas le Lophuromys eisentrauti, un rongeur que l’on trouve uniquement sur le Mont Lefo, au Cameroun ? Ou la musaraigne de Sclater (Sorex sclateri), qui vit au Mexique ?

La souris et la musaraigne sont toutes deux des espèces en danger critique d’extinction. Mais si vous n’en avez jamais entendu parler, vous n’êtes pas les seuls. Beaucoup de mammifères de petite taille, ceux pesant généralement moins d’un kilo, sont encore peu étudiés et compris, même par les chercheurs et les écologistes, et ce malgré le fait que deux groupes de petits mammifères — les rongeurs (rats, souris, castors, porcs-épics, tamias, marmottes, campagnols, rats musqués, etc.) et les eulipotyphles (musaraignes, taupes, hérissons, solenodons, etc.) — comprennent près de la moitié de toutes les espèces de mammifères connues.

Une nouvelle étude brosse un tableau de la situation actuelle de ces deux groupes de mammifères très diversifiés. En cartographiant la répartition des rongeurs et eulipotyphles grâce aux dernières informations figurant dans la liste rouge de l’UICN, les chercheurs ont pu identifier les zones à risque où se trouvent les espèces menacées à l’échelle mondiale dans ces deux groupes.

Eulipotyphles. Dans le sens des aiguilles d’une montre en partant d’en haut à gauche : solenodon, hérisson, taupe, musaraigne. Les rongeurs et eulipotyphles représentent près de la moitié de toutes les espèces de mammifères connues. Image via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Ils ont également identifié les régions qui abritent les rongeurs et eulipotyphles dont l’état de conservation est actuellement classé dans la catégorie Données insuffisantes (DD). Il s’agit d’espèces pour lesquelles les informations relatives à la distribution de leur population ou les menaces pour leur survie sont insuffisantes. Sans ces informations, il n’est pas possible de connaître leur état de conservation.

« Nous espérons que cette étude poussera les gens à aller dans les zones à risque, où leurs actions peuvent avoir un maximum d’impact », a déclaré Rosalind J. Kennerley, auteure principale de l’étude et coprésidente du groupe de spécialistes des petits mammifères de l’UICN. « Nous aimerions que davantage de monde fasse des recherches sur les petits mammifères et participe activement aux efforts de conservation afin de les préserver. »

En raison de leur petite taille, beaucoup de rongeurs et eulipotyphles menacés sont en passe de disparaître sans que nous nous en apercevions. Environ 76 des 454 espèces d’eulipotyphles connues sont menacées à l’échelle mondiale. Ces dernières comprennent des animaux uniques tels que les deux seules espèces vivantes de solenodon, l’un des rares mammifères venimeux sur notre planète. Le solenodon de Cuba (Atopogale cubana) est inscrit sur la liste des espèces en voie de disparition.

L’étude a montré que 40 % des espèces d’eulipotyphles à risque se trouvent dans six régions : le Cameroun, le rift Albertin (qui comprend une partie de la République Démocratique du Congo, du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda), la Tanzanie, l’Éthiopie, le Sri Lanka et les Ghats occidentaux en Inde.

Concernant les rongeurs, 324 des 2 231 espèces connues sont menacées d’extinction. Près de 34 % de ces dernières se trouvent dans dix régions, dont le Mexique, les Hauts-Plateaux camerounais, les Ghats occidentaux, le Sri Lanka, la Malaisie péninsulaire, Sumatra et Java.

Les forêts et les déserts du Mexique, par exemple, abritent 27 espèces menacées, parmi lesquelles 8 sont en danger critique d’extinction, dont le gaufre à poche (Orthogeomys lanius).

En raison de leur petite taille, beaucoup de rongeurs et eulipotyphles menacés sont en passe de disparaître sans que nous nous en apercevions. Le solenodon de Cuba est inscrit sur la liste des espèces en voie de disparition. Image par flickker photos via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

« Nous nous attendions à ces constats généraux, mais le nombre de zones à risque a tout de même été un électrochoc », a écrit R.-J.Kennerley dans un courriel à Mongabay. « Un travail énorme nous attend afin de nous assurer que les petits mammifères figurent dans les programmes de conservation de toutes ces régions. »

Toutefois, selon les auteurs, les programmes de conservation se concentrent peu sur les petits mammifères. Les zones protégées sont également rarement conçues en pensant aux souris, aux taupes, aux musaraignes et autres petits mammifères.

« En général, les petits mammifères sont peu considérés en comparaison avec certains des grands mammifères les plus charismatiques », a déclaré R.-J.Kennerley. « La mégafaune a tendance à être celle qui fait l’objet d’une plus grande couverture médiatique, d’un plus grand nombre de recherches, et qui obtient le plus de financements. Cela signifie que lorsque les zones protégées sont créées et gérées, les gens tiennent inévitablement compte des grandes espèces plutôt que des petites. »

Cela ne veut toutefois pas dire que les petits mammifères n’ont pas de protection formelle. Les zones protégées créées pour des espèces plus grandes et charismatiques comprennent parfois les aires de répartition de petits mammifères présents de la région.

« Il ne fait aucun doute que les rongeurs et les musaraignes ne reçoivent pas l’amour qu’ils méritent », a écrit Stuart Pimm, professeur en écologie de la conservation à l’Université de Duke dans un courriel à Mongabay. Ce dernier n’a pas participé à l’étude. « Mais il se pourrait que nous parvenions à bien les protéger quand même. »

S.Pimm et ses collègues ont précédemment recensé la distribution de petits mammifères et ont découvert que les zones protégées dans le monde, aussi bien petites que grandes, protègent au moins en partie plusieurs de ces derniers.

Cependant, le fait de vivre dans une zone protégée ne garantit pas leur protection, en particulier si les efforts de conservation et de recherche dans les parcs se concentrent uniquement sur les plus grands mammifères et que leurs plus petits homologues continuent d’être ignorés. En outre, selon R.-J.Kennerley, le fait qu’une zone protégée existe sur le papier ne signifie pas nécessairement que cette dernière est protégée correctement : « Sur le terrain, beaucoup d’activités pourraient endommager les espèces et les habitats. »

Globalement, l’étude a révélé que les habitats de 5 eulipotyphles, dont les musaraignes de Sclater, Congosorex phillipsorum et d’Andaman (Crocidura hispida), ainsi que 44 rongeurs, dont les rats Cremnomys elvira et Uromys imperator, se situent en dehors de toute zone protégée..

Un rat Cremnomys cutchicus. L’étude a révélé que les habitats de 5 eulipotyphles et 44 rongeurs se situent en dehors de toute zone protégée. Image par Krishnapriya Tamma via Wikimedia Commons (CC BY 3.0).

Il est évident que les petits mammifères sont largement sous-étudiés. Mais selon les auteurs, savoir quelles espèces sont menacées d’extinction et où elles vivent peut se révéler utile pour planifier et lancer des actions de conservation afin de mieux les protéger.

Toutefois, nous n’avons presque aucune information pour plusieurs rongeurs et eulipotyphles. À l’heure actuelle, près de 17 % des espèces des deux groupes sont inscrits dans la catégorie des Données insuffisantes par l’UICN, ce qui représente un pourcentage plus élevé que pour l’ensemble des mammifères, dont 14 % figurent dans cette catégorie. Leur population pourrait être en train d’augmenter, de diminuer, et certaines espèces pourraient même être presque éteintes ; nous ne le savons tout simplement pas.

S.Pimm a expliqué que l’une des raisons pour lesquelles les petits mammifères sont moins étudiés est précisément parce qu’ils sont petits. « Et ils sont souvent nocturnes, ce qui complique encore les choses. »

Beaucoup de petits mammifères vivent également dans des lieux difficiles d’accès. À cela s’ajoute la complexité de la taxonomie, la science qui décrit et classifie les différentes espèces. R.-J.Kennerley explique que grâce à de meilleures techniques d’étude de la taxonomie, nous savons désormais que les espèces qui étaient autrefois considérées comme des espèces uniques sont composées de plusieurs espèces. Toutefois, « bien que nous en découvrions davantage sur la véritable diversité dans ces dernières, peu d’informations sont connues à propos des nouvelles espèces décrites, ce qui implique qu’elles se trouvent souvent dans la catégorie DD ».

Selon l’étude, la plupart des eulipotyphles figurant dans la catégorie Données insuffisantes se trouvent dans trois régions : le bassin du Congo, le sud et le centre de la Chine, ainsi que le Laos et le Vietnam. La plupart des rongeurs figurant dans cette catégorie se trouvent dans dix-huit régions, notamment le nord des Andes tropicales, l’Argentine, le Brésil, Bornéo, les Célèbes et la Nouvelle-Guinée.

« Dans les régions à forte agrégation d’espèces DD, nous voulons encourager davantage de chercheurs à se concentrer sur les petits mammifères et entreprendre des études écologiques », a déclaré R.-J.Kennerley. Cette dernière a ajouté que le fait de connaître l’emplacement de ces espèces, leurs tendances démographiques, le type d’habitat qu’elles préfèrent et les menaces auxquelles elles font face est crucial pour les retirer de la catégorie Données insuffisantes.

La forêt tropicale du bassin du Congo. Selon l’étude, la plupart des eulipotyphles figurant dans la catégorie Données insuffisantes se trouvent dans le bassin du Congo, le sud et le centre de la Chine, ainsi qu’au Laos et au Vietnam. Image par Corinne Staley via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Les auteurs de l’étude espèrent qu’elle donnera envie aux gens de travailler avec de petits mammifères et encouragera également les bailleurs de fonds à investir dans la conservation ou des projets de recherche qui se concentrent sur ces groupes d’animaux riches en espèces, mais longtemps négligés.

« C’est formidable de pouvoir désormais s’appuyer sur cette recherche objective. Ainsi, quand nous nous adressons à de potentiels bailleurs de fonds, nous pouvons expliquer en toute confiance pourquoi les petits mammifères sont importants et démontrer pourquoi il faut mettre l’accent sur certaines régions ou espèces », explique R.-J.Kennerley.

« La diversité des petits mammifères est remarquable, alors plus nous enthousiasmons les gens, mieux c’est ! »

 
Citations:

Kennerley, R. J., Lacher Jr., T. E., Hudson, M. A., Long, B., McCay, S. D., Roach, N. S., … Young, R. P. (2021). Global patterns of extinction risk and conservation needs for Rodentia and Eulipotyphla. Diversity and Distributions, 27(9), 1792-1806. doi:10.1111/ddi.13368

Pimm, S. L., Jenkins, C. N., & Li, B. V. (2018). How to protect half of earth to ensure it protects sufficient biodiversity. Science Advances4(8). doi:10.1126/sciadv.aat2616

 
Image de bannière représentant un solenodon de Cuba via Wikimedia Commons.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/small-mammals-desperately-need-attention-now-we-know-where-to-focus/

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