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Selon une étude, les mineurs d’or tanzaniens ont dix fois plus de chances de mourir d’un accident de la route

  • Selon une étude portant sur les deux plus grandes mines d'or de Tanzanie, les mineurs ont dix fois plus de chances de mourir d’un accident de la route que les personnes qui ne travaillent pas dans les mines.
  • L'Afrique détient un tiers du stock mondial de métaux et de minéraux, et on y compte environ 700 sites miniers actifs à grande échelle, et d'autres sont en préparation, car l'appétit du monde pour ces ressources ne cesse de croître.
  • Sur les 186 personnes en âge de travailler qui sont décédées dans cinq sites autour des deux mines en un an, environ la moitié étaient des mineurs, ce qui prouve qu’ils sont exposés à des risques plus élevés, en particulier les hommes.
  • Selon les auteurs de l'étude, des interventions devraient être mises en place pour éviter les accidents de la route dans toute la communauté, et pas seulement sur les sites miniers, et la définition de la sécurité dans les zones minières devrait être élargie.

Les zones minières sont dangereuses pour plusieurs raisons. Il y a en effet une corrélation entre les mines et le risque accru de cancers, d’empoisonnements ainsi que de maladies cardiaques et respiratoires. Aujourd’hui, des chercheurs ont identifié un danger jusqu’ici négligé ; les routes.

Selon une nouvelle étude portant sur les mines d’or de Tanzanie publiée dans PLOS Global Public Health, les mineurs ont dix fois plus de chances de mourir d’un accident de la route que les personnes qui ne travaillent pas dans les mines.

“Nous ne prêtons pas attention aux accidents de la route, alors qu’il s’agit d’une des principales causes de décès dans ces communautés”, a déclaré Isaac Lyatuu, spécialiste de la santé publique à l’Institut de santé Ifakara de Dar es Salaam et auteur principal de l’article. Il est important de se concentrer sur l’ensemble de la région plutôt que sur la zone d’extraction uniquement afin de dresser une carte complète de l’empreinte de ces opérations, a-t-il ajouté.

L’Afrique détient un tiers du stock mondial de métaux et de minéraux et on y compte environ 700 sites miniers actifs à grande échelle. Les nouvelles technologies telles que les téléphones portables qui utilisent du cobalt ou encore les batteries lithium-ion alimentent l’expansion de l’activité extractive sur le continent.

L’extraction de l’or est importante en Tanzanie, car elle représente près de 90% des exportations de minerais de ce pays d’Afrique de l’Est. Les principaux importateurs de cet or sont l’Inde, les Émirats arabes unis et la Suisse.

Carte des zones minières et des sites d’étude (à gauche), dont l’endroit de l’entretien d’autopsie verbale (à droite). Le site de Mgusu a été créé à partir du site de Mtakuja. Image offerte par Lyatuu, I. et al.

Les chercheurs ont relevé le nombre de décès dans les communautés qui vivent dans l’ombre des deux plus grandes mines d’or de Tanzanie, situées dans le nord du pays. La société sud-africaine AngloGold Ashanti détient la mine d’or de Geita, dans la région au nom éponyme, et la société Barrick Gold Corporation, dont le siège est à Toronto, contrôle la mine d’or de Bulyanhulu, dans la région de Shinyanga.

Les opérations minières industrielles sont néfastes et modifient le paysage économique et social des régions environnantes. La façon dont elles affectent la santé des gens n’est pas toujours bien comprise et les études sur la mortalité qui n’utilisent que les dossiers médicaux ont leurs limites.

“Si vous regardez ces zones minières d’un point de vue médical, ce qui revient souvent, ce sont des choses comme le cancer, le VIH ou d’autres maladies infectieuses”, a déclaré Lyatuu.

Contrairement à des pays comme les États-Unis, de nombreux décès en Tanzanie surviennent en dehors du système de santé officiel. Les membres de la famille peuvent décider de ne pas demander de certificat de décès pour leurs proches, surtout dans les zones rurales où cela peut prendre du temps et coûter cher.

Les registres des décès sont forcément incomplets. Les enquêteurs ont donc entrepris de recueillir des informations à l’ancienne, à savoir en parlant aux gens. Les autopsies verbales, au cours desquelles les enquêteurs mènent des entretiens structurés avec les membres de la famille et les soignants, sont des outils standards pour recueillir des statistiques sur la mortalité. Elles transforment les récits en données que des médecins spécialisés étudient pour déterminer la cause du décès.

Pour l’étude tanzanienne, les enquêteurs ont relevé les décès dans cinq sites autour des mines, où vit un total de 134 000 personnes. En un an, ils ont enregistré près de 350 décès, dont 210 hommes.

Sur ces sites, environ un tiers de la population en âge de travailler était engagée dans des activités minières. Mais sur les 186 personnes en âge de travailler qui sont décédées, environ la moitié étaient des mineurs, ce qui prouve qu’ils sont exposés à des risques plus élevés par rapport aux autres membres de la communauté.

La plupart des risques supplémentaires sont dus aux accidents de la route, et les hommes sont plus susceptibles de mourir dans de tels accidents.

Une autre étude corédigée par Lyatuu a mis en lumière le point de vue de la communauté sur les opérations minières en Tanzanie, au Burkina Faso, au Ghana et au Mozambique. L’opinion générale était que les mines nuisaient aux populations, notamment en polluant l’environnement, en redéfinissant les moyens de subsistance et en provoquant des changements sociétaux. D’un autre côté, ces projets ont favorisé le bien-être de la population en améliorant les installations de soins de santé, les écoles, l’accès à l’eau et la construction de routes.

Cette recherche a mis en évidence la façon complexe dont les investissements miniers façonnent les vies sur et autour des sites.

Cependant, les données de la nouvelle étude indiquent que les menaces pour la vie s’intensifient dans les régions minières. Les interventions surviennent souvent uniquement sur les sites miniers et se limitent à des éléments tels que les équipements miniers, les équipements de sécurité, les mesures de prévention des incendies et la sécurité routière sur le site.

Une mine de platine en Afrique du Sud. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

Tout cela est justifié. “Le transport routier dans les mines est une activité sur site à haut risque potentiel, notamment en raison de facteurs tels que la différence de taille des véhicules, la nature changeante de l’environnement routier et le fait que le secteur fonctionne 24/7”, a déclaré David McTiernan, expert en sécurité des transports à l’Australian Road Research Board (ARRB), un organisme de recherche privé qui a des clients en Australie, au Canada et en Amérique du Sud.

Mais ces dangers sont également présents dans les zones chaotiques qui se trouvent autour des sites miniers. “L’augmentation de l’activité de transport routier hors site peut avoir un impact négatif sur les mineurs qui se déplacent régulièrement vers et depuis la mine”, a déclaré par email McTiernan à Mongabay. “Elle peut également avoir un impact sur les communautés locales vivant le long des routes reliant les mines à leurs industries de soutien telles que les camps, les usines de traitement et les ports.”

Certains problèmes sont propres aux pays en développement comme la Tanzanie, où les sites miniers créent souvent des îlots de prospérité et un développement des infrastructures qui ne suit pas le même rythme que le reste du pays. De nombreux accidents rapportés dans la nouvelle étude impliquaient des motos. La population croissante et la hausse des revenus entraine une plus grande variété des véhicules sur la route et augmentent la densité de la circulation. Les infrastructures de sécurité routière telles que les feux de circulation, les passages pour piétons et les barrières ne sont pas toujours mises en place, tout comme la sensibilisation.

Traversée fluviale reliant deux sections d’une route près d’une mine d’ilménite dans le sud de Madagascar. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Francis Mbilima, du PNUD en Afrique, a déclaré que les résultats qu’il a obtenus dans les mines de Zambie confirment l’idée que la sécurité routière est une préoccupation majeure. “L’éducation à la sécurité communautaire est essentielle”, a-t-il déclaré. “Elle comprend des tournées et des réunions régulières de sensibilisation de la communauté. Avec l’essor des médias sociaux et des radios communautaires, c’est encore plus facile.”

Mbilima a expliqué comment, à la mine de Lumwana en Zambie, une autre entreprise appartenant à Barrick Gold, les décès dus à des accidents de la route sont passés de 23 en 2012 à neuf en 2015, principalement grâce aux initiatives de sécurité communautaire et aux investissements des mines. “Il ne s’agit pas d’investissements ponctuels, mais d’investissements mieux réalisés dans le cadre plus large des normes, de la stratégie et des initiatives nationales en matière de sécurité routière”, a-t-il déclaré.

Barrick Gold n’a pas répondu à Mongabay qui essayait d’obtenir des commentaires sur les résultats concernant la Tanzanie.

Chris Nthite, un porte-parole d’AngloGold Ashanti, a déclaré que la mine d’or de Geita a “développé et mis en œuvre plusieurs contrôles visant à atténuer le risque d’accidents de la route au-delà du site minier”. Il a ajouté dans un email que ces contrôles s’appliquaient au parc de véhicules et aux déplacements des membres de la société.

“Bien que GGM [Geita Gold Mining] coopère avec les autorités chargées de la circulation, elle n’a aucun contrôle sur les véhicules privés et les employés qui se déplacent à titre personnel, ce qui relève de la responsabilité des autorités locales chargées de la circulation routière”, a déclaré Nthite.

Les chercheurs ont partagé leurs résultats avec les autorités sanitaires tanzaniennes et ont tenu des réunions préliminaires avec les sociétés minières. Ils prévoient de coopérer davantage avec les entreprises pour aider à prévoir des interventions sur les deux sites miniers.

“Ce travail doit être vu comme un point de départ. Il y a beaucoup à apprendre des recherches sur les accidents de la route”, a déclaré McTiernan, elles permettent notamment de déterminer où les accidents se produisent, quels types de véhicules sont impliqués et qui est tué.

Lyatuu a réaffirmé ce besoin d’analyser la sécurité routière autour des deux mines. Il a déclaré qu’il était tout aussi important que les évaluations d’impact sur la santé fassent partie intégrante de la manière dont les propositions d’exploitation minière sont évaluées et que la définition de la santé et de la sécurité doit être élargie. “Les entreprises devraient se préoccuper de ce qui se passe au-delà des portes de la mine”, a-t-il déclaré.

Références :

Lyatuu, I., Winkler, M. S., Loss, G., Farnham, A., Dietler, D., & Fink, G. (2021). Estimating the mortality burden of large scale mining projects—Evidence from a prospective mortality surveillance study in Tanzania. PLOS Global Public Health, 1(10). doi:10.1371/journal.pgph.0000008

Leuenberger, A., Winkler, M. S., Cambaco, O., Cossa, H., Kihwele, F., Lyatuu, I., … Munguambe, K. (2021). Health impacts of industrial mining on surrounding communities: Local perspectives from three sub-Saharan African countries. PLOS ONE, 16(6). doi:10.1371/journal. pone.0252433

Mbilima, Francis. (2019). Extractive industries and local sustainable development in Zambia: The case of corporate social responsibility of selected metal mines. Resources Policy. doi:101441. 10.1016/j.resourpol.2019.101441

 
Image de bannière : Une route près d’un site minier en Tanzanie. Image offerte par Isaac Lyatuu.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/10/tanzanian-gold-miners-ten-times-more-likely-to-die-from-road-injuries-study-finds/

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