Nouvelles de l'environnement

Une « catastrophe » environnementale s’éternise en Afrique australe en laissant de nombreuses questions en suspens

  • Début août, des rapports ont commencé à dresser le constat d’un déversement important de substances toxiques en provenance de mines de diamants angolaises dans les affluents des fleuves de la RDC.
  • Les rejets, qui ont donné une couleur rougeâtre aux affluents du fleuve Congo sur des centaines de kilomètres, auraient tué au moins 12 personnes en RDC.
  • Les analyses d’images satellitaires indiquent que les rejets proviennent de la mine de diamants de Catoca dans la province angolaise de Lunda Sul, dont les principaux actionnaires sont des sociétés publiques angolaises et russes.
  • Si les opérateurs de Catoca ont reconnu un incident du système de drainage de leurs bassins de rejets, ils en ont minimisé sa gravité et ont nié le rejet de substances toxiques.

Que se passe-t-il quand une catastrophe environnementale a lieu dans un endroit isolé, loin des yeux du monde ? Ce qui s’est passé en République démocratique du Congo (RDC) et en Angola ces dernières semaines semble nous donner la réponse : pas grand-chose en fait.

Début août, les premiers rapports ont été publiés faisant état d’une décoloration rouge des rivières Tshikapa et Kasaï. Des poissons morts ont été retrouvés à la surface et sur les rives. Des milliers de personnes sont tombées malades et ont manifesté des symptômes de diarrhées après avoir consommé l’eau des rivières. Les autorités locales ont également rapporté la mort d’hippopotames et d’autres animaux de grande taille.

Il s’agit, d’après les mots des chercheurs de l’université de Kinshasa, d’une « catastrophe environnementale et humaine sans précédent ». L’université du Centre de recherche en ressources en eau du bassin du Congo (CRREBaC) a indiqué que la pollution avait probablement été provoquée par les rejets toxiques d’une mine de diamants dans les provinces de Lunda Norte et de Lunda Sul au nord de l’Angola, où les autorités locales ont rapporté des signes similaires de rejets, avec notamment des morts massives de poissons et une décoloration de l’eau de la rivière. Le 2 septembre, lors d’une conférence de presse Eve Bazaiba, ministre de l’Environnement de la République démocratique du Congo, a fait état de 12 décès et de milliers de malades.

Deux mois plus tard, les réponses claires sur la cause de cette pollution, ses responsables, et les impacts à long terme sur les communautés et les écosystèmes se font toujours attendre. Raphaël Tshimanga, scientifique au CRREBaC, s’est avoué déconcerté par le manque d’intérêt de la communauté internationale et la lenteur d’intervention sur le plan régional.

« Il s’agit d’une catastrophe extrêmement grave », a-t-il déclaré à Mongabay. « La rivière est devenue rouge pendant un mois, et c’est une grande rivière, par endroits, elle mesure plus d’un kilomètre de large. »

Selon les données satellitaires analysées par VisioTerra en France, le rejet provient de la mine de diamants angolaise de Catoca, qui a commencé à déverser des substances rougeâtres dans la rivière Tshikapa depuis son bassin de déchets entre le 20 et le 25 juillet. Les images ont suivi un front de pollution d’une couleur rouge qui a progressé en aval au cours des semaines suivantes, pour aller finalement rejoindre la rivière Kasaï en RDC.

Images satellitaires des rivières près de Catoca, le 25 juillet 2021. Ces images indiquent la progression de la pollution vers la rivière Tshikapa. Image et analyse reproduites avec l’aimable autorisation de VisioTerra et de Sentinel.eu.

Catoca, la quatrième plus grande exploitation minière de diamants du monde, produit près de 7 millions de carats de diamants par an, et selon les rapports d’activité de l’entreprise, elle a enregistré plus de 800 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2019. Les actionnaires principaux de Catoca sont Endiama, la société publique angolaise de diamants, et Alrosa, une société publique russe. Alrosa est le plus grand producteur du secteur, approvisionnant un quart des diamants du marché mondial.

« Ce ne sont pas que des petits acteurs qui sont impliqués, mais certains des principaux acteurs de l’industrie du diamant », a souligné Hans Merket, chercheur à l’International Peace Information Service. « Alrosa est numéro un, ce n’est pas un acteur inconnu. »

Le 3 septembre, lors d’une conférence de presse, les opérateurs de Catoca ont reconnu un incident du système de drainage de leurs bassins de rejets, mais ont nié la présence de composants chimiques, évoquant à la place un mélange « sable et argile » et associant ce rejet à des « coulées de boue pendant la saison des pluies ».

Mais l’allégation de Catoca selon laquelle les rejets ne seraient pas dangereux ne concorde pas avec les rapports des autorités de la province de Lunda Norte rapportant la présence de poissons et de crocodiles morts dans les rivières Lova et Tshikapa (ou Chicapa pour les Angolais), près des extractions minières.

« De nombreux dommages ont été rapportés, dont la mort de poissons sur les rives de Chicapa. Les éleveurs ont maintenant du mal à trouver de l’eau potable pour leurs animaux, et certains de ces animaux sont morts, comme des chèvres », a déploré auprès de Mongabay Cláudio Muteba, directeur du bureau de l’environnement, de la gestion des déchets et des services communautaires pour la province de Lunda Norte.

Le ministère angolais de l’Environnement affirme avoir envoyé des experts auprès des communautés pour évaluer l’ampleur des dégâts, mais au moment de la rédaction de l’article, aucun résultat n’avait été dévoilé au public. Le 9 septembre, la secrétaire d’État angolaise à l’Environnement, Paula Francisco, a déclaré à un média local qu’une enquête était en cours.

Les autorités de la RDC n’ont pas été autorisées à visiter Catoca ni aucune autre mine à proximité pour tester la présence de substances toxiques dans l’eau, les empêchant d’enquêter sur les allégations de la société.

« C’est à eux maintenant de prouver que les rejets ne contenaient réellement pas de substances toxiques », a déclaré Tshimanga. « Ils doivent accepter une enquête de la part des deux parties et nous laisser recueillir des échantillons de la source à l’aval pour que nous puissions les examiner. « C’est la façon la plus simple pour eux de prouver qu’ils disent vrai. »

Des images satellitaires prises le 25 juillet et le 9 août 2021 indiquent un changement de couleur notable de l’eau de la rivière Kasaï en RDC provoqué par la pollution. Image et analyse reproduites avec l’aimable autorisation de VisioTerra et de Sentinel.eu.

Si les autorités de la RDC ont appelé à des réparations, une source au sein du ministère des Affaires étrangères angolais a rapporté à Mongabay qu’une réunion initialement prévue entre les deux gouvernements courant septembre avait été reportée.

D’après Tshimanga, le manque de coopération entre l’Angola et la RDC pour identifier la cause de la pollution rend la situation très complexe ; il devient de plus en plus difficile de déterminer l’étendue de la catastrophe et les risques à venir.

« Il y a bien une sorte d’irresponsabilité quelque part », a-t-il affirmé. « Il y a des gens quelque part qui ne font pas leur travail. Sur le plan politique, je ne sais pas ce qui se passe. »

Dans sa conférence de presse du 2 septembre, Eve Bazaiba a déclaré que le test préliminaire des échantillons d’eau collectés dans la rivière Kasaï (Cassai pour les Angolais) avait indiqué la présence de métaux lourds, comme du fer et du nickel, à des taux élevés. Tshimanga a expliqué à Mongabay que l’université de Kinshasa était dans l’attente de résultats plus détaillés. Mais sans pouvoir les comparer aux échantillons qui ont été recueillis près de la mine de Catoca, il n’y a aucun moyen de prouver que les substances toxiques proviennent réellement de l’exploitation.

Le 9 septembre, Alrosa a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec la Société Minière de Bakwanga (MIBA), la société publique d’extraction diamantaire de la RDC, pour la « mise en œuvre dynamique et efficace de projets futurs dans l’industrie minière du diamant ».

Pour la société MIBA massivement endettée, l’accord représente une bouée de sauvetage que les autorités congolaises peuvent se montrer réticentes à compromettre avec une dynamique trop offensive qui tiendrait Catoca responsable de la pollution, a souligné Merket.

« La société publique d’exploitation diamantaire de RDC connait des difficultés financières depuis 10 ans, ils sont criblés de dettes et ne produisent pas de diamants. Ils ont besoin de beaucoup de soutien, alors, bien sûr, quand une grande société minière telle que Alrosa, avec laquelle ils ont entamé des négociations il y a déjà un moment, se montre prête à leur venir en aide, ça peut les pousser à jouer profil bas dans une affaire comme celle-ci », a-t-il déclaré.

Les diamants sont des produits notoirement difficiles à suivre, mais Merket a confié à Mongabay qu’au vu du chiffre d’affaires de Catoca, il était pratiquement certain que les joyaux produits dans cette mine finissaient généralement aux poignets ou aux oreilles des consommateurs des pays riches.

« Certains de ces diamants seront destinés à l’usage industriel, mais ils seront aussi utilisés pour la bijouterie de luxe des grands marchés de consommation, comme les États-Unis, la Chine et le Japon », a-t-il ajouté.

La responsable des opérations d’Alrosa pour l’Amérique du Nord, Rebecca Foerster, occupe aussi la position de présidente de Diamonds do Good, une organisation à but non lucratif qui « promeut l’impact positif des diamants sur les communautés à travers le monde ».

Pirogues on the Kasai River with forests on the far bank. Image by Terese Hart via Flickr.
Des pirogues sur la rivière Kasaï en RDC avant la pollution. Photo de Terese Hart via Flickr (CC-BY-NC-SA-2.0).

Dans le sud de la RDC, la rivière Kasaï a retrouvé sa couleur normale après un mois de teinte rougeâtre, mais Tshimanga a indiqué à Mongabay que des cas de riverains malades après avoir consommé l’eau de la rivière continuaient d’être enregistrés. Il s’est avoué inquiet, estimant que les habitants de la région ne saisissaient pas encore réellement l’ampleur de la catastrophe.

« Les substances polluantes n’ont pas disparu, elles sont toujours présentes dans la rivière. Et ces substances polluantes peuvent aussi maintenant être transmises via la chaine alimentaire, par le poisson et ainsi de suite. Les gens utilisent les rivières et ses ressources, et c’est une situation dans laquelle nous avons vu l’impact imminent, mais nous nous attendons aussi à voir plus d’impacts à moyen et à long terme », a-t-il mis en garde.

Tandis que les communautés du bassin de la rivière Kasaï des deux côtés de la rive attendent qu’on leur explique ce qui a décoloré leur rivière en rouge, ce qui les a rendus malades, et qui – si jamais il y a quelqu’un – assumera la responsabilité de la pollution, Tshimanga a déclaré qu’il était temps que le monde entier commence à y prêter plus d’attention.

« Les deux pays ont signé des conventions internationales sur la biodiversité et la durabilité, la pollution, la gestion des ressources en eau des rivières transfrontalières, et autres », a-t-il ajouté. « Il est de la responsabilité du monde entier de veiller à agir ensemble et à réprimer de tels pratiques et comportements. »

Sylvain-Gauthier Kabemba et Borralho Ndomba ont participé à l’élaboration de ce rapport.

Image de bannière : La mine de Catoca en Angola en 2020. Photo publiée dans le rapport d’activité 2019 de Catoca.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/09/an-environmental-catastrophe-in-southern-africa-lingers-with-few-answers/

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