Nouvelles de l'environnement

Pour Adams Cassinga, lutter contre le trafic d’animaux sauvages en RDC est la mission d’une vie

  • Adams Cassinga est le fondateur de Conserv Congo, une organisation qui s'efforce de lutter contre le trafic d'animaux sauvages en République Démocratique du Congo.
  • Avant de devenir un militant de l'environnement, Adams Cassinga a été réfugié de guerre, journaliste, puis consultant minier.
  • Mongabay s'est entretenu avec Cassinga juste après un coup de filet réalisé avec la police et qui a permis de sauver 60 perroquets gris africains, une espèce menacée.
  • Il a évoqué la révélation qui l'a mené de l'industrie minière à la protection de la faune, le rôle de la corruption qui permet au trafic de se développer, et l'héritage systémique profondément ancré qui rend si difficile le progrès des ONG africaines en matière de protection de l'environnement.

Sur un mois, Adams Cassinga et son équipe d’enquêteurs peuvent traiter jusqu’à 20 cas de crimes suspectés contre la faune sauvage, dont une fraction seulement fera l’objet d’un raid de la police.

« En RDC, pour prouver le crime, il nous faut prendre les coupables sur le fait, de préférence quand ils sont sur le point de vendre leur prise, » explique Cassinga à Mongabay depuis Kinshasa, la capitale de la RDC d’où il coordonne les opérations.

Il est déjà éveillé quand il reçoit l’appel à cinq heures du matin, l’information reçue concernant un trafic lui fait le même effet qu’une dose de caféine. Son attention se porte sur l’aéroport de Lodja, à peine plus qu’une bande terre dans la province de Sankuru, en plein centre de la RDC, où un individu soupçonné d’être un trafiquant prépare l’envoi d’un chargement de 60 perroquets gris du Gabon (Psittacus erithacus) par avion.

Un cours accéléré en protection de l’environnement



Perroquets Gris du Gabon saisis lors d’une opération à Lodja, RD du Congo. Crédit photo Adams Cassinga.

Conserv Congo en chiffres

  • 1 600 cas de crimes contre la faune sauvage en RDC
  • Plus de 1 200 arrestations en concertation avec les autorités congolaises
  • 700 trafiquants amenés devant les tribunaux
  • 100 cas de poursuites menés à terme avec succès
  • 10 arrestations avec des organismes partenaires et les autorités de pays étrangers en Ouganda, Zambie et Congo-Brazzaville au cours de l’année passée

Adams Cassinga, aujourd’hui âgé de 39 ans, a fondé l’organisation d’investigation de crimes contre la faune sauvage Conserv Congo en 2013, avec pour objectif la protection de la flore et de la faune menacée dans le Bassin du Congo en luttant contre les trafiquants et amenant les coupables devant la justice.

Doté d’une vague notion de ce que signifiait la protection de l’environnement, Cassinga a d’abord eu du mal à trouver sa place. « Je n’avais aucune idée de comment ou par où commencer, ni même de quel était le problème en dehors de la déforestation et de la pollution dont j’avais été le témoin pendant de nombreuses années. Tout ce que je savais, c’est que je voulais faire partie de la solution plutôt que du problème, » raconte-t-il, faisant référence à son ancien poste de consultant environnemental pour l’industrie minière.

Cassinga passe ensuite quelques années en tant que garde forestier dans plusieurs parcs nationaux en RDC : Lomami, Salonga, et Kahuzi-Biega, à seulement 50 km de Bukavu, sur la frontière avec le Rwanda, où il a grandi, et qui abrite les derniers gorilles des plaines (Gorilla beringei graueri).

« Enfant, je connaissais les capitales de la plupart des pays du monde, mais j’en savais très peu sur le parc qui se trouvait tout près de chez moi, » dit-il.

En deux ans, Cassinga suit ainsi l’équivalent d’un cours accéléré sur l’environnement, sur le terrain. Dans les parcs opéraient des gardes forestiers dont le rôle était clair, mais en dehors de leur juridiction, qui était responsable de protéger la faune locale ?

« Je supposais que c’était le travail de la police, jusqu’à ce que des conversations avec des policiers me fassent comprendre qu’ils ne pensaient pas qu’arrêter les braconniers faisait partie de leurs fonctions, en dépit des lois de protection des animaux. C’est à ce moment que j’ai compris qu’il y avait un manque de connaissances, » dit-il.

En tant que consultant minier, Cassinga avait parfait ses compétences en matière de suivi et d’évaluation grâce aux évaluations d’impact environnemental qu’il effectuait. En tant que débutant dans la protection de l’environnement, il mit en œuvre ces compétences pour écrire des rapports et proposer des conseils : « Je n’avais jamais vraiment travaillé dans l’application de la loi, mais j’ai commencé à rédiger des manuels sur les procédures d’application de la loi, sur la surveillance et sur la collecte de renseignements, » raconte-t-il.

Mais pour une police souffrant d’un manque chronique de financement (et fréquemment impayée), le trafic des espèces protégées n’est pas vraiment considéré comme une priorité. Cassinga s’est vite retrouvé à gérer les cas lui-même.

En 2017, quatre ans après la création officielle de Conserv Congo, Cassinga effectue sa première arrestation, en coopération avec les autorités. « Nous avons appris sur le terrain, et nous avons fait de nombreuses erreurs en cours de route, » dit-il. L’une de ces erreurs fut de croire que une fois un suspect mis en examen, la justice suivrait son cours. Au lieu de ça, le trafiquant a payé des pots de vin pour échapper à la prison.

« Nous avons réalisé que nous ne pouvions pas simplement abandonner un dossier, il fallait accompagner toute la procédure légale et trouver des moyens de lutter contre la corruption de l’intérieur, » explique Cassinga.

Aujourd’hui, Conserv Congo est dans un partenariat renouvelable de cinq ans avec l’agence nationale pour l’environnement, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), sous l’égide du ministère de l’Environnement. En dehors des zones protégées, le travail de l’ONG est essentiellement une extension de la mission de l’ICCN au sein des parcs nationaux de la RDC. Elle assure également des formations pour les personnels de police afin d’améliorer les chiffres en matière de condamnation et représente fréquemment l’ICCN au tribunal suite aux arrestations.

Cassinga tient énormément à convaincre et à rallier à sa cause les policiers avec lesquels il travaille. « Il faut qu’ils comprennent la raison de notre travail. Nous devons les convertir à notre cause. Ils ne peuvent vraiment protéger que qu’ils connaissent et apprécient, » dit-il.

Adams Cassinga with a putty-nosed monkey. Image courtesy Adams Cassinga.
Adams Cassinga en compagnie d’un singe hocheur. Crédit photo Adams Cassinga.

Approche environnementale du ventre vide contre le ventre plein

Dans un pays où près des trois quarts de la population vivent avec moins de 1,90 $ par jour, comment convaincre les gens de mettre la cause de l’environnement avant leur propre faim ?

Vous devez les aider à développer les moyens pour se nourrir, explique Adams Cassinga. « Le Congo est un pays unique. Ce qui est rare ailleurs, nous l’avons en abondance. Nous sommes l’un des rares pays qui peuvent compter sur leurs ressources naturelles de manière durable. »

Parvenir à cet équilibre écologique reste cependant hors d’atteinte pour la plupart des Congolais. Les projets locaux d’agroforesterie de Conserv Congo ont pour but de remédier à ce problème en proposant aux villageois une alternative au braconnage et à la déforestation, en leur apportant les connaissances de base pour minimiser leur empreinte sur le milieu tout en tirant le meilleur parti de leur environnement local. Des programmes éducatifs, dans le cadre desquels l’ONG passe dans les écoles pour y inspirer une nouvelle génération de défenseurs de la nature, complètent ces activités.

C’est cette approche holistique de la protection de l’environnement, et tout particulièrement le suivi des dossiers depuis le premier soupçon jusqu’à la condamnation finale, qui rend Conserv Congo unique. À ce jour, elle compte cinq employés rémunérés à son effectif, ainsi qu’une armée d’enquêteurs bénévoles répartis dans tout le pays et de qui dépend l’organisation.

« Ce n’est pas un travail de fonctionnaire, » explique Cassinga en décrivant le profil du bénévole typique, nombre d’entre eux ayant un travail en dehors de l’ONG.

« Sur les 89 personnes que nous avons ce mois-ci, aucune n’a plus de 40 ans. La moitié d’entre nous parle au moins deux langues. Les trois quarts sont allés à l’université. Plus de la moitié ont des femmes et des enfants. Nous avons parmi nous des mécaniciens, des généraux, des policiers, » dit-il.

Cassinga compare son installation à celle d’une salle de rédaction : « Chaque enquêteur, tout comme un journaliste, possède un répertoire de contacts. Nos enquêteurs ont aussi leurs propres informateurs. Je suis généralement réveillé à 4 h 30 et tout le monde est là entre 5 h et 5 h 30, pour faire le point sur le dossier sur lequel ils travaillent à ce moment. »

Son bureau, c’est son téléphone portable, à partir duquel il gère actuellement 17 groupes WhatsApp. Son personnage laisse entrevoir un homme qui n’a que peu de moyens, jonglant avec de multiples dossiers en même temps : un enquêteur reçoit la consigne de garder un œil sur un suspect, un responsable du personnel est chargé de transférer des fonds à un enquêteur pour couvrir les dépenses de carburant pour un trajet en moto, et les avocats sont occupés à obtenir un mandat de perquisition. Des ressources limitées obligent Cassinga à donner la priorité aux cas selon leur urgence et la probabilité d’arriver à intercepter des animaux sauvages ou de faire une arrestation.

Les cas varient dans leur durée ; ceux qui mènent à une arrestation peuvent durer plusieurs mois. Après avoir reçu un renseignement, l’enquêteur infiltre généralement un réseau de trafiquants, parfois sous couverture d’un client potentiel. Lorsque suffisamment de preuves ont été rassemblées, une opération est organisée en coopération avec les autorités. Quand un suspect est arrêté, les avocats de Cassinga font le nécessaire pour que la loi soit appliquée et pour que le suspect ne puisse pas échapper à la prison par la corruption.

Cassinga a été personnellement impliqué dans le cas d’un célèbre « baron du trafic d’ivoire », condamné à deux ans de prison après son arrestation cette année. « Pendant deux ans, il a cru que j’étais un citoyen sénégalais, » raconte-t-il. « Nous sommes devenus amis, on partageait nos histoires, nos problèmes… C’est devenu compliqué. »

Ce conflit pèse lourdement sur Cassinga au quotidien, et cela se ressent dans sa façon de parler, qui devient soudain saccadée. « Si vous ne ressentez pas cette culpabilité, vous n’êtes pas humain, » dit-il.

Un parcours peu conventionnel

Cassinga n’avait pas vingt ans lors de la première guerre du Congo (1996-1997) qui a marqué la fin des 31 ans de dictature de Mobutu Sese Seko. Ce fut une période de graves troubles sociaux et politiques. Le père d’Adams Cassinga, craignant que son fils que son fils ne soit blessé ou enrôlé de force en tant qu’enfant soldat comme tant d’autres, l’envoya en Afrique du Sud.

Cassinga raconte qu’il avait 16 ans à son arrivée, abandonné à lui-même dans un pays étranger. « J’ai fait ce qu’il fallait pour survivre, » dit-il, évoquant une vie de délinquance dans les rues de Johannesburg, contrebalancée par de nombreuses heures passées dans les bibliothèques de la ville, apprenant laborieusement à parler et à écrire en anglais.

Avant de quitter la RDC, il avait « grandi dans un environnement où on me disait constamment que la connaissance était dans les livres, » dit-il. Ces livres allaient constituer sa ligne de vie.

Quand il obtint finalement le statut de réfugié, sa connaissance de la langue lui permit d’obtenir un poste dans un journal local à Mbombela, dans le nord-est de l’Afrique du Sud. À la porte du parc national Kruger, Nelspruit (l’ancien nom de Mbombela) offrit à Cassinga l’opportunité de publier des reportages sur l’environnement et sur les activités minières qui menaçaient de déborder sur la plus grande réserve d’Afrique du Sud. La carrière de journaliste de Cassinga rencontra une fin prématurée lorsqu’il fut hospitalisé après avoir été battu et s’être fait tirer dessus pendant une enquête sur une mort suspecte dans une école de circoncision locale. Mais comme il le dit lui-même, « J’avais le journalisme dans la peau. »

Après un an passé à se former dans le domaine de la santé et de la sécurité, il échangea son travail de journaliste, mal rémunéré et dangereux, pour un autre plus lucratif dans l’industrie minière.

« Mon salaire en tant que reporter expérimenté représentait un cinquième de ce que je gagnais en tant consultant débutant en matière d’environnement dans le secteur minier, » dit-il.

Quand Cassinga commença à son nouveau poste, il croyait naïvement qu’il allait participer à la protection de l’environnement. Au lieu de ça, plus il montait dans la hiérarchie, moins son travail consistait à adhérer aux réglementations, à minimiser l’impact sur l’environnement ou à garantir le respect de la loi ; et plus il s’agissait de trouver moyen d’exploiter les lacunes de la loi et de faire passer la responsabilité sur l’État. « Quand nous étions supposés planter des arbres pour remplacer ceux que nous avions coupés, au lieu de les planter nous-mêmes nous donnions de l’argent à d’autres pour le faire, sachant que cet argent serait dépensé ailleurs. » Aujourd’hui, regardant en arrière, Cassinga considère que son travail revenait quasiment à « donner un coup de tampon pour officialiser la destruction de l’environnement local. »

Cependant, la nouveauté de sa richesse et de son statut fit qu’il n’en prit conscience que bien plus tard.

Les capacités de Cassinga à parler plusieurs langues lui permirent de progresser rapidement dans sa carrière. Après avoir été formé en Afrique du Sud, il fut envoyé au Ghana. Il allait ainsi voyager à travers tout le continent.

Au bout de quelques années dans l’industrie minière, une opportunité se présenta finalement pour retourner en RDC en tant que sous-traitant.

Adams Cassinga avait 29 ans quand il monta dans un avion à Entebbe, capitale de l’Ouganda, pour rejoindre les mines d’or de Kilo-Moto, dans l’extrême nord-est de la RDC. Ce fut, dit-il, le commencement de la fin de sa carrière dans l’industrie minière.

« Nous avons survolé la forêt. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Cette épaisse canopée tropicale avec des petites rivières et des ruisseaux qui la traversaient, cette image ne m’a jamais quitté. Peut-être que j’étais ému parce que je rentrais finalement chez moi, peut-être que c’était du patriotisme ou la volonté de réparer le mal qui avait été fait, mais quelque chose a commencé à s’éveiller en moi, » dit-il de ce moment de révélation.

Cassinga assista à la naissance de nouveaux villages le long des routes construites pour l’industrie minière ou forestière, les nouveaux arrivants coupant encore plus d’arbres pour défricher des terres à cultiver ou pour produire du charbon, et pénétrant dans la forêt nouvellement accessible pour y chasser la viande de brousse, en vue de se nourrir ou de la vendre.

Son expérience est confirmée par la recherche. Une étude a confirmé l’année dernière que les effets de l’industrie minière et forestière et de l’agriculture en RDC s’étendent bien au-delà des limites opérationnelles, avec une agriculture de subsistance et un déboisement illégal qui contribuent fréquemment à une plus grande perte et dégradation des forêts que les opérations de ces industries en elles-mêmes.

La carrière de Cassinga dans l’industrie minière arriva finalement à son terme. « L’argent peut quasiment tout acheter, mais il a ses limites, il ne peut pas acheter la passion, ni combler un manque, » dit-il. « Je ne tirais plus aucune satisfaction de ce que je faisais. »

Deux ans après être monté dans l’avion à Entebbe, Cassinga raccroche son casque et ses gants. Il n’a aucun regret sur ses choix de carrière : « Je ne me suis jamais senti coupable. Comprenez, toute ma vie j’avais été un outsider, j’avais vécu dans la rue. Soudain, j’avais de l’argent, je pouvais prendre soin de ma famille, construire une petite maison pour ma mère, être indépendant, j’aurais fait n’importe quoi pour de l’argent, » raconte-t-il.

Malgré son départ de l’industrie minière, Cassinga est pragmatique. « Je pense que tout peut être fait de manière responsable, même creuser des mines, » dit-il. « Sans les mines, nous n’aurions ni routes, ni hôpitaux, ni usines. Les humains sont dépendants des mines. Le seul problème, c’est que dans cette industrie, on se bat souvent contre le temps. » Et quand ça arrive, on prend des libertés, ajoute-t-il.

C’est cet esprit non conformiste qui définit peut-être le mieux Adams Cassinga, dont la métamorphose de consultant minier en détective privé pour la défense de l’environnement défie toutes les attentes. « Je ne correspond pas à l’image que se font les gens d’un défenseur de la nature, » dit-il.

Il ajoute : « Vous avez ce mythe qui persiste en Afrique qui veut que toute personne impliquée dans la défense de l’environnement est blanche et a probablement fait de hautes études comme un doctorat ou un master en sciences. »

Adams Cassinga : « Le Congo est un pays unique. Ce qui est rare ailleurs, nous l’avons en abondance. Nous sommes l’un des rares pays qui peuvent compter sur leurs ressources naturelles de manière durable. » Crédit photo Adams Cassinga.

L’escroquerie de la conservation

L’an dernier, Cassinga a été désigné comme pionnier émergent par le National Geographic, recevant un prix de 10 000 $, immédiatement réinvestis dans son travail. Pourtant, son organisation n’a jamais reçu une seule donation, malgré ses nombreux succès avérés dans la lutte contre le trafic d’animaux sauvages.

« Nous fonctionnons principalement en autofinancement, » explique Cassinga. Économies personnelles, dons d’amis, de la famille ou de particuliers, l’organisation se débrouille avec ce qui se présente.

Cassinga évoque les raisons pour lesquelles son ONG et d’autres comme elle ont du mal à trouver des financements : « Nous sommes des outsiders de la protection de l’environnement. Ce domaine est encore sous domination étrangère, ce n’est pas une activité africaine, » dit-il.

À ce jour, l’aide est venue principalement sous forme d’assistance matérielle, avec des bottes, des uniformes, du matériel de surveillance, comme des caméras cachées.

Le fait qu’une organisation qui se préoccupe de la résilience de l’environnement ait du mal à assurer sa propre résilience démontre une ironie qui n’échappe pas à Cassinga, qui croit passionnément que la conservation ne devrait pas être le seul souci des riches.

Par moment, le vacarme et le rugissement des rues bondées de Kinshasa se fait entendre par-dessus nos voix tandis que motos et voitures se disputent pour quelques centimètres d’asphalte et que les piétons se font un chemin et naviguent à travers le flot de véhicules. Dans ces rues, la présence de véhicules tout terrain ne passe pas inaperçue.

« Je connais certaines ONG internationales qui ont une trentaine de 4×4 par ici. À quoi vont vous servir 30 4×4 en pleine ville ? » demande Cassinga.

« Vous avez ces environnementalistes étrangers qui viennent en RDC et qui vous disent qu’ils sont là pour mener une enquête discrète sur un trafic, mais comment pouvez-vous mener une enquête discrètement si vous ne connaissez même pas la langue, là où on vous remarque comme le nez au milieu de la figure, parce que vous êtes blanc et qu’on se méfie de vos motivations ? Et si malgré toutes ces difficultés vous récoltez tout de même des informations, comment vous arrivent-elles ? Eh bien vous les obtenez par une petite ONG locale qui fait tout le travail, mais vous ne voulez surtout pas que cela se sache. »

Une corruption omniprésente

La corruption est endémique en RDC, comme l’ancien consultant minier devenu enquêteur criminel pour la faune sauvage ne cesse de le répéter. Dans quelle mesure Conserv Congo est victime de la réputation de son pays est difficile à dire, mais c’est certainement l’une des raisons pour lesquelles les ONG nationales ont du mal à obtenir le financement nécessaire à leur fonctionnement.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir s’épanouir le commerce illégal d’animaux sauvages. « La corruption est l’huile qui permet aux engrenages du trafic d’animaux sauvages de tourner. Sans corruption, il n’y aurait quasiment pas de crime contre la faune sauvage, » affirme Cassinga.

En août dernier, le directeur général de l’ICCN, Cosma Wilungula, a été renvoyé suite à des soupçons de détournement de fonds et autres accusations de corruption. Le 13 août, le ministre de l’environnement a désigné Olivier Mushiete comme son successeur.

Cassinga est ravi de la nomination de Mushiete à la tête du premier organisme de protection de l’environnement de RDC. Selon lui, le nouveau venu a une carrière impressionnante en matière d’agroforesterie : « C’est génial. Parfois le changement a du bon. Le changement est positif. »

Au cours des années, Cassinga a trouvé moyen de tracer une voie pour Conserv Congo à travers la jungle de la corruption qui sévit dans le pays. Avec Olivier Mushiete à la barre, il reprend espoir pour la protection de l’environnement congolais et pour les opportunités que devrait apporter sa nomination.

De retour à Lodja, il est midi quand l’équipe juridique obtient un mandat de perquisition d’un magistrat, menant à l’arrestation de deux hommes, dont l’un possède une société de transport. Deux caisses contenant chacune 30 perroquets gris du Gabon sont saisies et l’équipe de Cassinga s’occupe déjà de trouver un endroit pour les mettre en sécurité. À Kinshasa, cette saisie improvisée envoie une poussée d’adrénaline dans les veines de Cassinga, lui faisant perdre l’appétit, un des risques du métier.

« Tout ce que nous faisons, c’est pour en arriver là. Pour tout d’un coup avoir ce résultat, même si on ne s’y attendait pas et qu’on était pas vraiment préparés, » dit Cassinga, qui a du mal à croire à sa chance. Mais la chance n’est qu’une petite partie de l’équation : « Parfois, ces résultats sont comme un baromètre qui mesure et reflète les efforts que nous avons investis. »

Quand Mongabay reprend contact quelques jours plus tard, Conserv Congo est sous le choc après avoir involontairement mis à jour une vaste réseau de trafiquants impliquant des fonctionnaires du ministère de l’Environnement, mettant ainsi en lumière ce à quoi doivent faire face les défenseurs de l’environnement en RDC.

« Nous avons toujours soupçonné que des fonctionnaires étaient impliqués dans la délivrance de permis facilitant les déplacements de ces oiseaux, mais nous n’avions jamais pris personne la main dans le sac, jusqu’à aujourd’hui » explique Cassinga. Il s’avère que les deux suspects appréhendés ” ne sont que le le haut de l’iceberg » et que, après avoir été interrogés, ils ont donné les noms des personnes impliquées dans le trafic.

« Nous sommes en train d’apprendre qui délivre les documents, qui facilite le passage à l’aéroport, nous suivons toutes les pistes. Un par un, ils sont convoqués au tribunal. Sont impliqués de simples fonctionnaires du ministère qui donnent les autorisations, des policiers, des militaires, » ajoute-t-il. « C’est un réseau complet de trafiquants et nous comptons bien le démanteler. »

C’est un Cassinga très sombre qui nous apprend également que la moitié des perroquets n’ont pas survécu ou ont été volés. « Le tribunal nous rend les oiseaux après avoir examiné les preuves, mais nous ne pouvons pas les déplacer sans permission, » explique-t-il. « Dans les cages, les perroquets se contaminent les uns les autres et si un seul d’entre eux est malade, ils finissent par mourir. »

Le manque de financement et le cauchemar d’une bureaucratie kafkaïenne causent des retards supplémentaires. Dans un petit village, où les infrastructures laissent à désirer, il est facile d’organiser un cambriolage : les cages sont volées.

« C’est un vrai crève-cœur, j’ai du mal à respirer. Je suis vraiment trop ému pour en parler, c’est tellement de travail et souvent on est épuisé. Si on n’est pas assez solide, on a parfois envie d’abandonner, » se désole Cassinga.

« Mais si on abandonne, qu’est-ce qui va se passer ? »

Adams Cassinga. Image courtesy Adams Cassinga.
Adams Cassinga. Crédit photo Adams Cassinga.

Crédit photo image de bannière Adams Cassinga

Soraya Kishtwari est une journaliste indépendante basée à Ho Chi Minh Ville, au Vietnam. Avant de vivre au Vietnam, elle a vécu en République Démocratique du Congo pendant trois ans. Vous pouvez la trouver sur Twitter sur le compte @sorayakishtwari

 
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/09/for-adams-cassinga-fighting-wildlife-trafficking-in-drc-is-a-life-mission/

Quitter la version mobile