Nouvelles de l'environnement

Les défenseurs de la nature sonnent l’alarme sur la proposition de rouvrir les forêts de RDC à l’exploitation

  • En 2002, la RDC a imposé un moratoire sur les nouvelles concessions forestières sous la pression des campagnes pour l'environnement et contre la déforestation et la corruption.
  • Eve Bazaiba, l'actuelle ministre de l'environnement, a proposé en juillet un plan qui mettrait fin au moratoire.
  • Les défenseurs de l'environnement affirment que l'octroi de nouvelles concessions pourrait entraîner une énorme quantité d'émissions de carbone et la violation des droits fonciers locaux.

Depuis 2002, la République Démocratique du Congo (RDC) a mis en place un moratoire sur l’octroi de nouvelles concessions forestières dans sa vaste portion de forêt tropicale du bassin du Congo. Si la ministre de l’Environnement arrive à ses fins, cela pourrait bien changer.

En juillet dernier, Eve Bazaiba a soumis un plan d’action en 10 points pour réformer la gouvernance des forêts en RDC. Vers la fin de la liste apparaît une proposition pour lever l’ancien moratoire, ce qui ouvrirait des millions d’hectares de forêt à l’exploitation industrielle.

« Une superficie de 70 millions d’hectares de forêt serait potentiellement disponible pour l’industrie forestière, peut-être pas dans l’immédiat, mais cela enverrait indéniablement un signe que ces forêts sont ouvertes à qui veut les exploiter, » a déclaré Joe Eisen, directeur exécutif de la Rainforest Foundation au Royaume-Uni, dans un entretien avec Mongabay.

Le moratoire avait été instauré par l’ancien président Joseph Kabila, sous la pression des défenseurs de l’environnement et des puissances étrangères, souhaitant alors ralentir la déforestation et empêcher les profits tirés de l’exploitation forestière d’alimenter la crise qui sévit de longue date dans le pays. Après 18 ans au pouvoir, Joseph Kabila a été remplacé par Félix Tshisekedi, l’actuel président, début 2019.

Au cours des années suivantes, les défenseurs de la nature ont accusé le gouvernement d’avoir enfreint le moratoire à plusieurs reprises, comme en 2018, quand trois concessions qui avaient été annulées furent réattribuées à des sociétés d’exploitation forestière chinoises.

Bien que plusieurs anciens ministres critiquent moratoire et suggèrent sa levée, il est resté en place jusqu’à ce jour. Mais la nouvelle proposition représente la plus grande menace pour le moratoire depuis des années, ont affirmé les militants écologistes à Mongabay.

« Cette fois c’est très sérieux, car la ministre actuelle a pris cette décision lors d’un conseil des ministres, elle a donc été approuvée par le gouvernement et le conseil a eu lieu sous la tutelle du président, » déclare Irène Wabiwa Betoko, responsable de campagne de Greenpeace Afrique pour la forêt du bassin du Congo.

La proposition est arrivée dans la foulée du sommet sur le climat organisé par les États-Unis en avril dernier, au cours duquel le président Tshisekedi, qui occupait également la présidence de l’Union africaine cette année, a demandé une augmentation du financement des mesures d’atténuation du changement climatique en Afrique et s’est engagé à restaurer la couverture forestière de la RDC à hauteur de 63,5 %.

En 2012, les plus vastes tourbières tropicales du monde ont été découvertes dans les forêts marécageuses du bassin du Congo, dont une grande partie se trouve en RDC. Supposées séquestrer 30 milliards de tonnes de carbone, les tourbières pourraient voir leur intégrité menacée par de nouvelles concessions forestières, entraînant ainsi d’énormes émissions de carbone. Selon un rapport de 2018 par Global Witness, l’Agence Française de Développement (AFD) estime que si le moratoire est levé et que la superficie des concessions forestières est multipliée par trois, 35 millions de tonnes de carbone supplémentaires seraient émises chaque année.

Les militants de l’environnement pensent que la proposition de reforestation du président Tshisekedi n’a aucun sens si elle s’accompagne de l’octroi de nouvelles concessions forestières.

« Si le moratoire est levé, cela signifie que plus de forêts seront vendues et détruites, et que plus de populations locales seront affectées et n’auront plus accès aux forêts qui sont essentielles à leur survie, » explique Wabiwa Betoko. « Une grande partie de la biodiversité sera affectée et plus de gaz à effet de serre seront émis dans l’atmosphère. »

Selon Global Forest Watch, en 2020, la RDC a perdu plus de 1,3 million d’hectares de couvert forestier, en grande partie à cause des petites exploitations agricoles et du ramassage de bois comme combustible pour la cuisson des aliments. Un nouveau lot de concessions forestières ne pourrait qu’aggraver cette situation.

En 2005, un décret présidentiel a établi trois conditions à remplir avant de pouvoir lever le moratoire. Bien que les deux premières aient depuis été remplies, la troisième (la nécessité d’une « planification géographique » participative pour l’attribution des futures concessions) reste encore à atteindre. Pour les populations vivant dans les régions boisées, des expulsions et des conflits risquent d’avoir lieu si de nouvelles concessions sont attribuées avant la mise en œuvre de ce processus.

« Jusqu’à 87,2 % des forêts de la RDC sont supposées appartenir aux peuples autochtones et aux communautés locales, » dit Patrick Kipalu, Directeur du programme Afrique de l’Initiative Droits et Ressources. « En conséquence, si le moratoire est levé maintenant et que l’on commence à attribuer des concessions forestières à l’exploitation industrielle, il sera alors impossible d’éviter l’attribution de terres appartenant à des communautés locales et autochtones. »

Suite à un décret du premier ministre de la RDC en 2014, un décret ministériel est passé sous forme de loi en 2016, établissant une procédure d’obtention de concessions spéciales pour les populations locales, leur permettant ainsi de gérer des étendues de forêt. La fin du moratoire pourrait signifier que certaines populations éligibles pour l’obtention de ces concessions se trouveraient face à des tronçonneuses et à des bulldozers appartenant à des sociétés étrangères.

« Il existe un risque de voir une grande partie des terres appartenant aux populations locales, ou des terres pour lesquelles ces populations se préparent à demander des concessions, attribuées à des exploitations forestières, » ajoute Patrick Kipalu.

Selon un rapport publié par la Food and Agriculture Organization (FAO) en Mars, les zones de forêt gérées par les peuples autochtones ont un taux de déboisement considérablement inférieur à celles soumises à d’autres formes de gestion.

Bien qu’il ne soit pas certain que le gouvernement Tshisekedi décide finalement d’accepter la proposition de la ministre pour lever le moratoire, les défenseurs de la nature soutiennent que l’historique récent de la RDC en matière de corruption et d’incohérence dans la gestion de ses forêts est un motif suffisant pour son rejet immédiat.

« Lever le moratoire aujourd’hui, cela revient à exposer les populations à d’importantes violations des droits humains et à exacerber le changement climatique car la biodiversité va en souffrir et la déforestation va empirer, » ajoute Patrick Kipalu.

 
Image de bannière : Forêt de montagne du parc national Kahuzi Biega, RDC. Crédit photo A.J. Plumptre/WCS.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/advocates-raise-alarm-over-proposal-to-reopen-drc-forests-to-loggers/

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