Nouvelles de l'environnement

Le principe de la « Terre partagée » s’engage à donner la priorité à la nature et à l’humain

  • Un nouvel article paru dans la revue Science exprime le vœu de voir la conservation en Afrique adopter une approche de « Terre partagée » qui mette au premier plan la nature et l'humain.
  • Selon les auteurs, cette démarche permettrait de donner une voix aux populations locales, communautés autochtones et autorités locales pour prendre des décisions à la fois justes et respectueuses de la biodiversité.
  • Les auteurs suggèrent de conserver ou de restaurer 20 % des zones de vie et de travail pour atteindre les objectifs de conservation au niveau mondial tout en faisant profiter les populations locales des bénéfices de la nature et en renforçant la résilience contre le changement climatique.

« Je vais activer la vidéo, » me dit David Obura au milieu de notre appel sur Zoom. Il lève son téléphone pour que je puisse voir le paysage derrière lui : des rangs de plants de thé vert d’une petite plantation du comté de Muranga, dans le centre du Kenya, une région cultivée depuis des centaines d’années. Les plantations de thé sont nichées entre des bouquets d’arbres. « Il y a encore beaucoup d’espaces naturels, » explique-t-il. « Nous avons de nombreuses zones arborées le long des rivières. »

On estime que près de la moitié des terres du Kenya est utilisée à des fins agricoles, et qu’environ 12 % des terres sont désignées comme zones protégées. La plupart des autres pays africains tendent également à favoriser les terres agricoles et les populations plutôt que les réserves et les parcs nationaux, ce qui semble mettre le continent africain dans une position difficile pour assurer la protection de 30 % de ses terres et de ses eaux d’ici 2030, conformément aux nouveaux objectifs établis dans la première version du cadre de travail pour la biodiversité mondiale (GBF) post-2020 de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CBD). En outre, le Sud subit une pression disproportionnée pour la mise en place de zones protégées en raison de sa forte concentration en biodiversité.

Pour résoudre ces problèmes, un groupe d’experts suggère une nouvelle approche de la conservation en Afrique qui cible la maintenance et la restauration d’« espaces partagés », où la nature et la vie humaine peuvent être préservées, comme dans les plantations de thé de Muranga.

Dans un article publié le 13 août dans la revue Science, une équipe de scientifiques africains, spécialistes de la conservation et représentants des populations locales, présentent une méthode qui favorise une approche « sur le terrain » qui donnerait aux populations locales et autochtones ainsi qu’aux autorités locales l’indépendance de prendre les décisions bénéficiant aux habitants comme à la nature, dans un souci d’équité et de préservation de la biodiversité. Les auteurs suggèrent de conserver ou de restaurer 20 % de toutes les zones habitées et agricoles pour atteindre les objectifs du GBF et pour faire profiter les populations des bénéfices de la nature. En effet, les espaces naturels donnent accès à une eau propre et facilitent la pollinisation, permettant ainsi d’alléger la pression sur les zones protégées.

David Obura, directeur fondateur de l’organisation de protection de la nature CORDIO, en Afrique de l’Est, et auteur principal de l’article, affirme que cette approche peut aider l’Afrique à atteindre ses objectifs de conservation tout en se démarquant de l’idéologie coloniale qui tend à gouverner les efforts de protection de la nature en Afrique aujourd’hui.

Végétation de la zone alpine supérieure du Mont Kenya. Photo Rhett A. Butler.

« Le problème avec le modèle de conservation actuel est qu’il entraîne l’aliénation des populations locales et qu’il ne privilégie pas vraiment la nature là où vivent ces populations, » explique David Obura à Mongabay. « C’est pourquoi nous devons véritablement travailler pour protéger la nature de façon à en faire bénéficier directement les populations et pour les intéresser davantage à la conservation en tant que gardiens de la nature. Je pense que c’est la raison pour laquelle nous avons besoin de cette approche plus que jamais en Afrique. »

Nnimmo Bassey, militant de la justice environnementale au Nigeria, qui n’a pas participé à l’étude, pense que ce nouvel article ouvre un débat qui aurait dû l’être il y a longtemps déjà.

« La situation évolue rapidement vers une marchandisation de la nature, excluant la majorité des populations, et les ignorant même comme si elles étaient elles-mêmes des marchandises interchangeables, à cause de l’accent exclusif porté sur l’économie, » explique-t-il à Mongabay. « La démarche que je trouve vraiment intéressante dans le rapport est que les personnes qui dépendent de l’environnement et de la biodiversité doivent être consultées. »

David Obura a déclaré que tous les efforts de restauration entrepris dans le cadre de cette méthode de « terre partagée » devront prendre en compte le changement climatique afin d’améliorer la résilience des paysages africains. « Nous devons penser aux plantes et aux habitats naturels qui vont se développer d’ici 20, 30 ou 40 ans, et à la manière dont ils vont évoluer avec le changement climatique. »

Le 9 août, le GIEC a publié un rapport d’évaluation affirmant que le réchauffement climatique va s’intensifier inexorablement sur les 30 prochaines années suite aux émissions de CO2 passées et actuelles liées à l’activité humaine. Le rapport suggère que bien qu’il soit peut-être encore possible d’empêcher la situation de s’aggraver, le temps qui reste pour y parvenir nous est compté.

« Nous devons appliquer cette approche maintenant, » affirme David Obura, « d’autant plus avec le niveau de dérèglement climatique qui nous attend. »

 
Citations :  

Obura, D. O., Katerere, Y., Mayet, M., Kaelo, D., Msweli, S., Mather, K., … Nantongo, P. (2021). Integrate biodiversity targets from local to global levels. Science, 373(6556), 746-748. doi:10.1126/science.abh2234

 
Image en bannière : Femme travaillant dans une pépinière pour le reboisement des forêts de Maji Mazuri et Makutano fau Kenya. Photo : The Green Belt Movement, courtoisie d’Ecosia.

Elizabeth Claire Alberts est journaliste pour Mongabay. Suivez-la sur Twitter @ECAlberts.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/shared-earth-conservation-promises-to-prioritize-nature-and-people/

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