Nouvelles de l'environnement

Plus de 500 experts appellent les nations du monde à cesser de brûler des forêts pour produire de l’énergie

  • Le 11 février , plus de 500 scientifiques et économistes renommés ont publié une lettre adressée aux dirigeants des États-Unis, de l’UE, du Japon, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni, dans laquelle ils les exhortent à cesser d’exploiter et de brûler des forêts pour produire de l’énergie dans les centrales électriques converties au charbon.
  • La combustion de la biomasse forestière pour produire de l’électricité a connu un essor considérable, car les Nations unies considèrent que l’empreinte carbone de cette source d’énergie est neutre. Ceci permet ainsi aux États de brûler la biomasse forestière au lieu du charbon sans prendre en compte les émissions produites dans leur cible de réduction du carbone fixée par l’Accord de Paris sur le climat.
  • Cependant, les recherches actuelles montrent que la combustion de la biomasse forestière est plus polluante que celle du charbon, et que l’une des meilleures manières de freiner le changement climatique et de limiter le carbone est de laisser croître les forêts. Selon les 500 experts qui demandent un changement dans les politiques mondiales, les désignations de neutralité des émissions de carbone pour la biomasse forestière seraient erronées :
  • « Les gouvernements doivent couper les subventions... pour la combustion du bois... L’Union européenne doit cesser de considérer la combustion de la biomasse comme neutre en carbone... Le Japon doit cesser de subventionner les centrales électriques qui brûlent du bois. Et les États-Unis doivent arrêter de considérer la biomasse comme neutre en carbone ou à faible teneur en carbone », précise la lettre.
Une centrale de biomasse forestière dans le sud-est des États-Unis. Image reproduite avec l’autorisation de Dogwood Alliance.

Plus de 500 scientifiques et économistes ont imploré les dirigeants du monde entier de cesser de considérer comme non polluant la combustion du bois des forêts pour produire de l’énergie et du chauffage, et de couper les subventions qui génèrent actuellement une demande exponentielle en granulés de bois. Ces deux actions, écrivent-ils, provoquent une déforestation croissante dans le sud-est des États-Unis, dans l’ouest du Canada et en Europe de l’Est.

La lettre a été reçue le 11 février par le président américain Joseph Biden et la présidente de l’Union européenne Ursula Von der Leyen, ainsi que par Charles Michel, président du Conseil européen, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga et le président sud-coréen Moon Jae-in. Le document devrait bientôt être envoyé au Premier ministre britannique Boris Johnson.

« Nous, les scientifiques et économistes soussignés, félicitons chacun d’entre vous pour les objectifs ambitieux que vous avez annoncés… pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 », commence la lettre de deux pages. « La préservation et la restauration des forêts devraient être des outils essentiels pour atteindre cet objectif et contribuer simultanément à résoudre notre crise mondiale de la biodiversité.

Toutefois, « nous vous demandons instamment de ne pas compromettre à la fois les objectifs climatiques et la biodiversité de la planète en passant de la combustion d’énergies fossiles à la combustion d’arbres pour produire de l’énergie. »

Rien que dans l’UE, près de 60 % de l’énergie renouvelable provient déjà de la biomasse forestière, ce qui représente des millions de tonnes de granulés de bois brûlés chaque année. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark sont parmi les principaux consommateurs de biomasse pour l’énergie et le chauffage, tandis que le Japon et la Corée du Sud convertissent actuellement des centrales électriques au charbon pour brûler des granulés de bois.

Conformément à la deuxième directive de l’UE sur les énergies renouvelables (RED II) – tolérée par les Nations unies dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat – les émissions provenant de la combustion de la biomasse forestière ne sont pas du tout comptabilisées. Cette importante faille dans la comptabilisation du carbone entraîne une sous-déclaration des données relatives aux émissions, à un moment où les températures mondiales augmentent rapidement, provoquant une accélération des sécheresses, des tempêtes dévastatrices, des incendies de forêt destructeurs et une élévation du niveau de la mer presque partout sur la planète.

Selon les scientifiques, au lieu d’être une solution climatique neutre en carbone, la coupe des forêts et la combustion de granulés de bois sont plus polluantes que le charbon et « émettent plus de carbone dans les cheminées que l’utilisation de combustibles fossiles », tout en sacrifiant la capacité de séquestration du carbone des arbres, qui sont perdus pour produire des granulés de bois.

« Dans l’ensemble, pour chaque kilowattheure de chaleur ou d’électricité produit, la combustion initiale du bois est susceptible d’ajouter deux à trois fois plus de carbone dans l’air que l’utilisation de combustibles fossiles », indique la lettre, réfutant les affirmations des politiques et de l’industrie selon lesquelles la biomasse ne produit aucune émission.

Pour sa part, l’industrie de la biomasse affirme qu’elle se base sur une politique de gestion forestière qui vise à exploiter sélectivement les arbres des forêts et des plantations d’arbres, évitant ainsi les coupes à blanc et préservant les réserves de carbone. Elle affirme également que les arbres replantés réabsorbent rapidement le carbone libéré par les granulés de bois brûlés. Ces deux affirmations sont remises en question par les coupes à blanc observées par les ONG et par l’accumulation de données scientifiques montrant que les forêts matures absorbent et retiennent beaucoup plus de carbone que les semis et les jeunes arbres.

En 2017, la demande de granulés de bois industriels a dépassé 14 millions de tonnes. D’ici 2027, la demande devrait plus que doubler pour atteindre plus de 36 millions de tonnes. Les plus fortes augmentations de la combustion de biomasse d’ici 2027 sont attendues en Europe, au Japon et en Corée du Sud, avec des forêts sources nouvellement ciblées au Brésil, au Mozambique et en Australie. Image reproduite avec l’autorisation de Environmental Paper Network.

Les scientifiques ont proposé quatre mandats : mettre fin aux subventions et autres incitations qui favorisent l’utilisation de la biomasse pour l’énergie et le chauffage ; dans l’UE, cesser de considérer la biomasse comme neutre en carbone dans le cadre du programme RED II, qui surestime à tort les réductions d’émissions ; au Japon, cesser de subventionner les centrales électriques pour qu’elles brûlent du bois ; et aux États-Unis, cesser de considérer la biomasse comme neutre en carbone tandis que l’administration Biden établit de nouvelles règles et incitations en matière de climat pour freiner le réchauffement de la planète.

« Les subventions gouvernementales pour la combustion du bois créent un double problème climatique, car cette fausse solution remplace les vraies possibilités réductions de carbone », indique la lettre. « Les entreprises passent de l’utilisation de l’énergie fossile à celle du bois, qui augmente le réchauffement, au lieu de passer à l’énergie solaire et éolienne, qui diminuerait réellement le réchauffement. »

Cet effort de lobbying est le dernier en date au nom de scientifiques et d’économistes américains, européens et canadiens à mettre en avant des données scientifiques solides démontrant les impacts environnementaux négatifs de la biomasse en guise d’énergie auprès des dirigeants mondiaux, dont les politiques nationales en matière de bioénergie ont contribué à créer une industrie de production de granulés de bois de plusieurs milliards de dollars.

Une lettre similaire signée par près de 800 scientifiques en 2018 a fait pression sur l’UE pour qu’elle modifie ses politiques en matière de biomasse, en vain.

La centrale électrique de Drax au Royaume-Uni, l’un des plus grands utilisateurs mondiaux de biomasse ligneuse pour produire de l’énergie. Le carbone non comptabilisé provenant des granulés de bois brûlés à Drax se répand dans l’atmosphère, contribuant ainsi au changement climatique. Image : DECCgovuk on VisualHunt / CC BY-ND.

« Un meilleur public cette fois-ci »

Tim Searchinger, chercheur à l’université de Princeton et expert en biomasse forestière, a participé à la rédaction de la nouvelle lettre. Il a déclaré à Mongabay qu’il avait plus d’espoir que ce document produise des résultats positifs.

« Nous sentons qu’il y a une prise de conscience croissante en Europe du problème [des émissions de la biomasse], [même s’]il y a de plus en plus de preuves de grandes récoltes de bois supplémentaires depuis 2015 en raison de la bioénergie, a déclaré Searchinger. Nous pensons donc que la lettre pourrait avoir un meilleur public cette fois-ci. Aux États-Unis, nous espérons et attendons que des dirigeants tels que [le futur administrateur de l’Agence de protection de l’environnement] Michael Regan et [la conseillère nationale pour le climat] Gina McCarthy veillent à ce que nous fassions le bon choix.

Mais nous savons que tous les nouveaux venus dans l’administration [Biden] ne sont pas de cet avis, il est donc utile qu’ils soient conscients du poids des preuves scientifiques. »

L’élu du président Biden pour diriger l’Agence américaine de protection de l’environnement, Michael S. Regan. Dans le passé, il a émis de fortes critiques contre la combustion de granulés de bois pour produire de l’énergie. Image reproduite avec l’autorisation du bureau du gouverneur de la Caroline du Nord.

La lettre met en garde contre les effets néfastes de la combustion de la biomasse sur le climat et la biodiversité : « Vos décisions à venir auront de lourdes conséquences pour les forêts du monde, car si le monde fournissait seulement 2 % supplémentaires de son énergie à partir du bois, il lui faudrait doubler ses récoltes de bois commercial. »

En Caroline du Nord, par exemple, Enviva, l’un des principaux producteurs américains de biomasse, exploite déjà quelque 60 000 acres de bois par an pour produire 2,5 millions de tonnes de granulés de bois destinés à l’exportation, selon les calculs de la Dogwood Alliance, une ONG de préservation des forêts basée dans cet État.

« La combustion du bois va accroître le réchauffement pendant des décennies, voire des siècles. Cela est vrai même lorsque le bois remplace le charbon, le pétrole ou le gaz naturel », ont noté deux des signataires de la lettre, Jean-Pascal van Ypersele, ancien président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies, et Peter Raven, lauréat de la médaille nationale des sciences des États-Unis.

L’UE va-t-elle réévaluer la neutralité carbone de la biomasse ?

Alors même que le consensus scientifique contre la biomasse forestière se durcit, l’opinion publique européenne commence à se retourner contre cette forme de bioénergie, plus de 40 000 Européens ayant signé une pétition contre la combustion des forêts pour produire de l’électricité. Fait important, Franz Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a récemment déclaré à la presse néerlandaise que l’Union européenne réévaluerait ses politiques en matière de biomasse dans le cadre de la politique RED II dès le mois de juin.

En réponse aux questions de Mongabay, un porte-parole de la Commission européenne a donné des précisions, sans aborder spécifiquement les changements de politique demandés dans la lettre de la semaine dernière :

« Une bioénergie plus durable est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de 2030 et la neutralité climatique à long terme, a-t-il déclaré. Il est toutefois important de s’assurer que l’offre et la demande ne seront pas plus importantes que nécessaire pour cet objectif et que la bioénergie est produite et utilisée de manière durable, tandis que les impacts négatifs sur l’environnement sont effectivement évités et réduits au minimum. De plus […] dans la stratégie 2030 sur la biodiversité de l’UE, l’utilisation d’arbres entiers et de cultures pour l’alimentation humaine et animale pour la production d’énergie – qu’ils soient produits dans l’UE ou importés – devrait être réduite au minimum. »

S’adressant à Mongabay, Phil Duffy, signataire de la lettre et président du Woodwell Climate Research Center, a critiqué la position actuelle de l’UE : « Il n’y a absolument aucune raison pour que le bois, sous quelque forme que ce soit, doive être brûlé pour produire de l’électricité. Le vent, le soleil et le nucléaire sont des sources d’énergie à très faible émission de carbone et sont extrêmement abondants. Produire de l’énergie à partir de ces sources, tout en développant simultanément les forêts et d’autres réservoirs naturels pour éliminer le CO2 de l’atmosphère, n’est pas seulement neutre en carbone, mais négatif en carbone. C’est la seule approche qui a une chance infime d’éviter des résultats climatiques inacceptables. »

Bill Moomaw, grand spécialiste de la politique climatique internationale et ancien auteur des rapports des Nations unies sur le changement climatique, lors de la COP25 à Madrid en 2019. Image de Justin Catanoso / Mongabay.

Bill Moomaw, professeur émérite à l’université Tufts et grand spécialiste de la biomasse, a participé à la rédaction de la lettre des scientifiques sur la biomasse. Il est lui aussi critique à l’égard de la réponse de l’UE, qu’il trouve pour le moment trop vague pour être encourageante. « Qu’entendent-ils par durable ? demande-t-il. Dans quelle mesure vont-ils minimiser la coupe d’arbres entiers ? »

Moomwad conclut : « Nous devons réduire toutes les émissions de gaz à effet de serre aussi rapidement que possible dans l’ensemble du secteur énergétique, y compris la bioénergie. Et nous devons augmenter l’absorption du dioxyde de carbone par nos forêts existantes. La seule façon d’y parvenir est de les laisser pousser. La plantation de nouveaux arbres ne contribuera que très peu à la séquestration du carbone dans le court laps de temps dont nous disposons pour ralentir le rythme du réchauffement planétaire ».

Justin Catanoso est un contributeur régulier de Mongabay et professeur de journalisme à l’université Wake Forest en Caroline du Nord. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso

Audio connexe : Écoutez Justin Catanoso discuter davantage de la biomasse dans le podcast de Mongabay de février 2021, ici :

Bannière : Un camion grumier chargé entre dans l’usine de granulés de bois Enviva à Northampton, en Caroline du Nord. Image reproduite avec l’autorisation de l’Alliance Dogwood / NRDC.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/02/500-experts-call-on-worlds-nations-to-not-burn-forests-to-make-energy/

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