Nouvelles de l'environnement

Le commerce des animaux de compagnie repose sur les caméléons sauvages « jetables » de Madagascar

  • Malgré les difficultés à les maintenir en vie et en bonne santé, les caméléons font partie des reptiles les plus populaires du commerce d’animaux exotiques.
  • Chaque année des centaines de milliers de ces reptiles lents sont légalement et illégalement arrachés à la nature, nombre d’entre eux parmi les espèces menacées vivant dans les forêts de Madagascar.
  • Les observateurs affirment que le commerce international des caméléons doit être modifié pour éviter de nuire aux populations sauvages, et pour améliorer le bien-être de ces animaux durant le transit et la captivité.
  • Ils signalent également le besoin de rendre le commerce plus juste et plus transparent pour que les populations locales puissent en bénéficier.

Région Diana, Madagascar – Alors que le soleil était encore bas dans le ciel, mon bateau-taxi s’arrêta à un ponton flottant dans le port débordant d’activité d’Ankify dans le nord-ouest de Madagascar. Étant l’un des seuls étrangers, ou vazaha, dans le port ce matin-là, je fus instantanément entouré par des chauffeurs de taxi impatients de nous emmener ma caméra et moi dans la ville voisine d’Ambanja.

Située sur les rives de la rivière Sambirano, la ville est historiquement connue pour ses plantations de cacao, qui fournissent les marchés internationaux de chocolat. Mais un nouveau commerce a émergé durant les décennies récentes: la collecte, dans les forêts locales, d’éblouissants lézards aux teintes irisées bleues et vertes. Il s’agit là d’une variante de couleur très recherchée de l’un des caméléons les plus populaires dans le commerce des animaux de compagnie exotiques, le caméléon panthère (Furcifer pardalis).

Alors que mon collègue photographe et traducteur Michel Strogoff et moi nous nous faufilions à travers les foules jusqu’au taxi, un homme malgache d’âge mûr et trapu me barra le chemin. « Caméléon! Caméléon! » cria-t-il en français en pointant avec colère mon imposant et rigide étui de caméra. Un houleux débat en malgache avec Strogoff me permit de comprendre qu’il m’avait pris pour un vendeur illégal de reptiles. Voulait-il régler de vieux comptes avec mon sosie ou cherchait-il à protéger la faune herpétologique locale d’un sombre destin? Nous n’avons pu le savoir. Une fois que nous l’avons convaincu que je n’étais pas le vendeur qu’il avait en tête, il se calma et nous laissa poursuivre notre chemin. C’était en 2016. En tant que cinéaste et photographe environnemental, cette accusation piqua ma curiosité et je décidai d’en savoir plus sur les répercussions du commerce des caméléons à Madagascar.

Un caméléon panthère (Furcifer pardalis) dans une plantation de cacao à Ambanja, au nord-ouest de Madagascar, où le commerce de cette espèce est actif. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Michel Strogoff.

Les caméléons font partie du commerce d’animaux exotiques depuis les années 1800 au moins. Mais au cours de ces récentes décennies, la demande pour ces animaux peu conventionnels et exotiques a explosé. Les caméléons, qui avec leur capacité à bouger leurs yeux indépendamment l’un de l’autre, à capturer leurs proies avec leurs longues langues et à changer la couleur de leur peau, se classent certainement comme inhabituels. En conséquence, ils font partie des reptiles les plus populaires auprès des amateurs.

Chaque année, il est estimé que des centaines de milliers de ces lents reptiles sont légalement et illégalement capturés dans la nature, majoritairement à destination de foyers en Amérique du nord, en Europe et en Asie de l’Est. Le nombre réel de caméléons sauvages capturés pour le commerce des animaux de compagnie est difficile à évaluer et fait l’objet d’un débat.

Ce qui est sûr, c’est que de nombreuses populations de caméléons sont en danger critique et aucune ne l’est plus que dans le hotspot de biodiversité de Madagascar. Le pays abrite plus d’espèces de caméléons que n’importe quel autre: 96 des 217 connues dans le monde. Parmi celles-ci, toutes sont endémiques à l’île et plus de la moitié sont classées comme menacées ou presque menacées d’extinction. Les experts affirment que le commerce d’animaux de compagnie et en particulier le florissant commerce illégal, les met encore davantage en danger.

« Les deux principales menaces pour les caméléons de Madagascar sont la perte d’habitat et le commerce international d’animaux de compagnie », avertit Christopher Anderson, herpétologue à la University of South Dakota (Université du Dakota du Sud), et qui dirige le groupe de spécialistes des caméléon à l’UICN. Dans un pays régulièrement classé parmi les plus pauvres et les plus corrompus au monde, certains sont prêts à risquer d’être arrêtés pour violation des lois nationales et internationales, en capturant illégalement des caméléons afin de fournir le commerce.

Guide le jour, commerçant d’animaux sauvages la nuit

« Jean » est né et a grandi sur l’île de Nosy Be au nord-ouest de Madagascar, dans un village près du parc national de Lokobe. La dense forêt de la réserve abrite une foule d’animaux fascinants dont les lémuriens, les geckos et les caméléons. Jean travaille dans la réserve comme guide animalier depuis plus de 10 ans. La première fois que j’ai visité Lokobe en 2016, il m’a servi de guide. Depuis, j’ai toujours essayé de l’engager lors de mes visites, car il a la meilleure paire d’yeux pour repérer les animaux incroyablement camouflés que je cherche à photographier.

J’avais entendu des rumeurs selon lesquelles des animaux du parc étaient enlevés pour approvisionner le commerce de viandes et le commerce d’animaux de compagnie. Dans le fond de la forêt, loin des regards et des oreilles indiscrets, et m’appuyant sur la confiance que Strogoff et moi avions établie avec Jean, je lui posai des questions sur le sujet en toute confidentialité. Dans une communauté aussi petite que soudée, où peu de choses passent inaperçues, je pensai que Jean connaîtrait certainement certains de ceux impliqués. À ma surprise, il me répondit que non seulement il était au courant pour le commerce, mais qu’il y participait occasionnellement. Naturellement, il fut réticent à donner plus de détails, par peur des représailles ou de se faire arrêter, et n’accepta de témoigner que sous couvert d’anonymat.

Perché sur un tronc d’arbre à l’ombre de l’épaisse canopée de la forêt, il nous raconta comment tout avait commencé.

Vue aérienne du parc national de Lokobe, au nord-ouest de Madagascar. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

En 2014, deux étrangers, l’un chinois et l’autre anglophone, visitèrent le village accompagnés d’un homme malgache de la capitale, Antananarivo.

« Nous avons commencé à discuter, ils nous ont invités pour quelques verres et nous avons commencé à parler affaires », a rapporté Jean, décrivant une rencontre à laquelle ont participé trois de ses amis de confiance du village. « Pendant la réunion ils nous ont dit qu’ils voulaient acheter 200 caméléons panthère. Nous nous sommes mis d’accord sur un tarif de 10 000 ariary [$2.50] par caméléon. Alors moi et trois autres amis sommes allés dans la forêt pour les trouver, surtout la nuit mais parfois aussi pendant la journée ».

Les caméléons panthères, comme celui d’Ambanja, sont prisés par les amateurs pour leurs étonnantes formes colorées. Ils se vendent entre $150 et $600 chacun aux États-Unis, soit près de 240 fois ce que Jean touche habituellement.

Il affirme cependant qu’il ne collecte les caméléons que quand l’opportunité se présente et qu’il a besoin d’argent. « Je sais que ce que je fais est illégal et mal mais la pauvreté peut vous pousser à faire des choses que vous ne voulez pas faire », dit-t-il. « Quand j’ai assez de mon travail habituel, je n’ai pas besoin de collecter des animaux parce que je peux vivre et nourrir ma famille ».

Enlever des animaux sauvages dans un parc national est incontestablement illégal. Mais Jean confie que même s’il craint parfois d’être arrêté, la probabilité est faible étant donné l’éloignement du parc et les rares apparitions de la police.

D’autres résidents du village de Jean, s’exprimant aussi anonymement, ont corroboré ce qu’il nous avait dit, notamment le fait que les gens ne capturent des caméléons que lorsque la demande est sporadique. Certains ont admis qu’ils collectaient plus fréquemment d’autres animaux pour le commerce des animaux de compagnie, dont des grenouilles et des serpents.

Jean a dédaigné l’impact de ce commerce illicite à Lokobe. « Je ne pense pas que collecter des caméléons fasse une grande différence. Nous voyons encore beaucoup de caméléons et ils font tellement de bébés ». Mais avant de se quitter, il se retourna vers nous pour marquer une pause avant de reprendre son dernier commentaire. « Bien sûr, si beaucoup d’autres personnes se mettaient à collecter des caméléons régulièrement, alors leur nombre baisserait. Je ne pense pas qu’ils disparaissent complètement mais leur quantité diminuerait ».

Un guide montre le deuxième plus petit caméléon du monde, le caméléon à feuilles minuscules (Brookesia minima), une espèce en voie de disparition, dans le parc national de Lokobe, au nord-ouest de Madagascar. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Michel Strogoff.

Lokobe n’est pas le seul parc à Madagascar où les guides subissent une pression pour fournir des caméléons aux marchés internationaux. « J’ai reçu des demandes de partout dans le monde pour approvisionner le marché des animaux de compagnie », m’a raconté Patrick Andriamihaja avec un sourire en coin. « Certains ont des boutiques d’animaux de compagnie dans leurs pays ».

Andriamihaja, un citoyen malgache, a rencontré plusieurs de ces acheteurs potentiels à travers son entreprise de tourisme qui, selon ses mots, s’adresse aux « geeks et obsessifs d’herpétologie » comme lui. Malgré cette passion commune, il dit ne pas souhaiter être impliqué: « certains m’ont offert plus d’argent que je n’aurais jamais pensé pouvoir en gagner de toute ma vie, mais cela ne m’intéresse pas ». L’une des raisons est assurément son amour de la nature et son désir d’y voir les caméléons; l’autre raison est son pragmatisme. « Je leur dis que je ne le ferai pas car cela détruirait mon métier comme guide. Ils voudront en commander toujours plus et cela peut impacter les populations sauvages », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, les étrangers se servent parmi les caméléons de Madagascar. Plusieurs guides m’ont parlé de « chercheurs » du Japon, de la Chine et de l’Europe qu’ils soupçonnent d’avoir illégalement collecté des espèces rares dans les parcs nationaux, pour les faire entrer clandestinement dans leurs pays.

Le caméléon de Parson (Calumma parsonii) est le caméléon le plus grand et l’un des plus recherchés dans le commerce des animaux de compagnie. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Le commerce légal vs le commerce illégal

La collecte des caméléons dans la nature de Madagascar pour l’approvisionnement du marché international des animaux de compagnie, a commencé bien avant le premier raid de Jean en 2014. Les données d’exportation de CITES montrent que Madagascar est devenue lourdement impliquée dans ce commerce à la fin des années 1980. Dans les années 1990 c’était l’un des exportateurs de caméléons les plus importants au monde. Le commerce était à la fois légal, comme le montrent les données de CITES, et illégal, selon Petr Necas, un chercheur indépendant sur les caméléons; éleveur, et ancien vendeur actuellement basé en Tanzanie, qui a étudié le commerce pendant plus de 30 ans. Necas est répertorié comme le superviseur scientifique du Bion Terrarium Center, un éleveur et distributeur international de reptiles basé à Kiev, en Ukraine.

« A Madagascar dans les années 1990, c’était comme un Klondike (un gisement d’or de l’Alaska) en termes de nombre de collecteurs illégaux qui se précipitaient pour approvisionner le commerce florissant des caméléons », affirme Necas.

La nature clandestine du commerce illégal rend difficile l’évaluation exacte du nombre de caméléons en question. Des études sur d’autres reptiles exportés d’autres pays indiquent un commerce illégal entre 10 et 100 fois le volume du commerce légal. En demandant à Necas ce qu’il en pensait, il exprima une approximation similaire pour les caméléons de Madagascar. « Multipliez les nombres officiels d’exportations par 10 pour les espèces rares de caméléons et par 100 pour les espèces les plus communes », précisa-t-il, et « vous aurez une idée de la réalité ».

Un caméléon à nez bleu (Calumma boettgeri) dans la forêt secondaire de l’île de Nosy Komba, au nord-ouest de Madagascar. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Les chiffres d’exportation de CITES montrent qu’à son apogée en 1998, Madagascar exportait légalement près de 66 000 caméléons par an. Si l’évaluation de Necas concernant l’ampleur du commerce illégal est correcte, cela voudrait dire qu’à l’apogée de ce commerce, des centaines de milliers, voire des millions de caméléons quittaient clandestinement Madagascar chaque année. Les derniers chiffres d’exportation de CITES disponibles pour Madagascar datent de 2018 et montrent une baisse marquée des exportations légales par rapport à la période de la fin des années 1990, avec un peu plus de 14 500 individus. Sachant les menaces qui pèsent sur les caméléons, ces chiffres même inférieurs, légaux ou illégaux, pourraient avoir un effet préjudiciable selon certains experts.

Le chercheur en caméléons Anderson, qui élève et garde aussi ces animaux par passion, m’a confié sa réticence à appliquer ces projections à toutes les espèces de caméléons de Madagascar, étant données ses propres observations sur le nombre d’animaux qui apparaissent dans le commerce. Cependant, il affirme que les chiffres étaient plus précis pour les espèces ayant des quotas d’exportation légaux plus faibles. « Si la collecte était de 10 à 100 fois supérieure au quota légal, cela serait catastrophique pour certaines espèces », a-t-il ajouté, et pour les espèces qui sont limitées à de petites zones, « même une fraction de ces taux pourrait être dévastatrice ». Et cela avant même parler des espèces qui n’ont pas de quota légal, souvent parce qu’elles sont menacées ou en voie de disparition, et qui sont pourtant encore exportées illégalement.

L’organe directeur de CITES, la convention qui régit le commerce international des espèces sauvages, fut assez préoccupé par le sort des caméléons de Madagascar pour suspendre le commerce de toutes espèces sauf quatre entre 1995 et 2014. Aujourd’hui, 28 espèces peuvent être légalement exportées de l’île en vertu des règlements de CITES et grâce à un système de quotas nationaux qui plafonne le nombre d’individus parmi chaque espèce, pouvant être légalement exportés chaque année.

Mais les critiques affirment que ce système de régulation est insuffisant, et non pas uniquement parce qu’il ne permet pas de lutter contre le commerce illégal de caméléons qui se produit en dehors de lui. « Il y a de nombreuses faiblesses », m’a confié Neil D’Cruze, titulaire d’un doctorat en herpétologie et directeur mondial de la recherche sur la faune sauvage au sein du groupe de défense World Animal Protection, basé à Toronto. « Par exemple, pour les espèces de caméléons vendues au niveau international comme animaux de compagnie exotiques dans le cadre de CITES, du point de vue de la conservation, la responsabilité est celle du défenseur de l’environnement de prouver que ce commerce n’est pas durable, plutôt qu’au commerçant de prouver qu’il l’est ».

Par ailleurs, selon Richard Griffiths, professeur de conservation biologique à l’université du Kent au Royaume-Uni, qui a évalué des effectifs de populations de caméléons à Madagascar, on n’en sait pas assez sur le cycle de vie ou la quantité de nombreuses espèces pour pouvoir fixer des quotas de collecte sûrs. Les quotas actuels, dit-il, sont « basés sur un peu de science, un peu de politique, pour arriver à un point où l’on pense que tout le monde sera vaguement content et que cela fonctionne politiquement mais, de façon réaliste, c’est faux en ce qui concerne l’exploitation durable ».

Un caméléon à feuilles plaquées (Brookesia stumpfii) parmi la litière de feuilles du parc national de Lokobe. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Vie et mort d’un animal de compagnie

Même lorsque les caméléons sont collectés dans le cadre de quotas, leur traitement est une préoccupation pour les experts. L’une des principales raisons est que les règles d’exportation de CITES pour le bien-être des animaux sont fixées au point d’exportation, et non à la capture. Pourtant, la collecte peut être traumatisante pour les caméléons, leur causant du stress, des blessures, et même la mort.

Les décès ne sont généralement pas signalés, ce qui rend difficile l’estimation précise des taux de mortalité des caméléons à tous les stades du commerce. Un rapport publié en 2011 par l’ONG britannique TRAFFIC, qui enquête sur l’exportation des caméléons de Madagascar vers la Thaïlande, donne quelques indications à ce sujet. Des entretiens avec des commerçants d’animaux sauvages en Thaïlande ont révélé que les caméléons connaissent un taux de mortalité plus élevé en transit que les autres reptiles. Les commerçants ont fréquemment fait état de taux de mortalité allant de 10 à 50%, et dans certains cas, tous les caméléons d’une cargaison meurent au cours du processus d’importation. Un autre 10% meurt en général, dans la première semaine qui suit l’arrivée dans le pays.

« Plutôt que d’entraîner une baisse de la demande, les taux de mortalité élevés font de ces reptiles des animaux jetables et facilement remplaçables », ce qui met encore plus de pression sur les populations sauvages de Madagascar, conclut le rapport.

Les conditions des caméléons qui survivent au transit ne sont pas bien meilleures puisqu’ils se retrouvent enfermés dans des terrariums de banlieue. « De tous les reptiles de compagnie, je pense que les caméléons sont parmi ceux qui conviennent le moins à la plupart des propriétaires d’animaux », déclare Sean McCormack, vétérinaire londonien spécialisé dans le traitement des animaux exotiques. « Ils ne conviennent certainement pas aux débutants à cause de leurs exigences assez strictes en matière d’élevage et de nutrition mais aussi parce que beaucoup d’espèces peuvent vraiment être stressées en captivité ».

De nombreux nouveaux propriétaires ne savent pas reconnaître les signes de stress ou de maladie. En outre, ils achètent souvent des espèces moins chères, pour 50 à 150 dollars, et ont tendance à refuser ou à reporter les soins vétérinaires relativement coûteux, témoigne McCormack. « Un caméléon malade est souvent un caméléon mort », dit-il: certains propriétaires choisissent d’acheter un nouveau caméléon plutôt que de s’occuper correctement de l’animal de compagnie qu’ils ont déjà.

Pour D’Cruze, tout cela fait partie d’un problème plus vaste, où les gens traitent les caméléons « comme une marchandise » à chaque étape du commerce de ces animaux sauvages et « ne prennent pas pleinement en considération la sensibilité de ces reptiles ».

Un guide trouve un caméléon de Petter (Furcifer petteri) dans le parc national de la montagne d’ambre. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Problèmes d’application de la loi

L’aéroport international d’Ivato, situé en périphérie d’Antananarivo, est la principale porte d’entrée à Madagascar. La grande majorité des caméléons légalement exportés passent par-là, tandis que les autorités vérifient leurs documents CITES et leurs quotas. Selon Griffiths, l’aéroport est aussi une plaque tournante pour le commerce illégal d’animaux sauvages, dont les caméléons. « Il y a donc ici un point d’étranglement, et à mon avis, si on pouvait le fermer, on pourrait mettre un terme à beaucoup de problèmes » a-t-il déclaré.

Empêcher l’exportation illégale des caméléons via l’aéroport ne sera pas chose aisée sans améliorations technologiques, selon les employés qui y travaillent. « Le problème que nous avons est que notre scanner n’est pas un scanner biologique. Celui dont nous disposons ne détecte pas bien les animaux », confesse Parany Rabemanontany, chef du service de contrôle à l’aéroport d’Ivato. « Par exemple, si vous avez juste un ou deux petits caméléons, il est très difficile de les repérer au scanner. C’est pourquoi il est très important de bien vérifier à la main les bagages et vêtements des passagers ».

Malgré ces contrôles, Rabemanontany indique qu’au cours de ses quatre années de travail à l’aéroport, il n’a eu connaissance que de deux cas où des personnes ont été arrêtées pour avoir tenté de faire sortir des caméléons clandestinement. Dans les deux cas, les personnes ont été condamnées à payer une amende et à une peine de prison, précise-t-il. Mais de nombreux autres trafiquants de caméléons passent certainement à travers les mailles du filet.

Rabemanontany rapporte que les autorités malgaches travaillent pour améliorer les capacités du personnel d’aéroport à distinguer les différentes espèces de caméléons pour mieux repérer les espèces protégées qui voyagent avec des licences d’exportation fausses ou simplement inexactes. « Nous avons reçu une formation approfondie et nous avons des guides d’identification qui nous aident dans notre travail », dit-il.

Selon Raphali Andriantsimanarilafy, biologiste expert en caméléons à l’organisation malgache de biodiversité Madagasikara Voakajy, ces mesures ne vont pas assez loin, et le problème de l’insuffisance de formations persiste. Andriantsimanarilafy note aussi que le haut taux de renouvellement du personnel de l’aéroport ainsi que la corruption pourraient possiblement compromettre les progrès.

Caméléon d’Arthur (Calumma ambreense) dans le parc national de la Montagne d’Ambre au nord de Madagascar. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Améliorer le commerce des animaux de compagnie

Certains groupes comme le World Animal Protection estiment le commerce des caméléons sauvages si destructeur qu’il devrait totalement cesser, sauf s’il a lieu à des fins légitimes de recherches ou de conservation. D’autres, comme l’éleveur de caméléons Necas, soutiennent qu’une interdiction irait trop loin. S’il reconnaît que le commerce des caméléons doit changer, il estime que les morts et souffrances inutiles pourraient être largement réduites à travers une meilleure régulation, une éducation des propriétaires pour de meilleurs soins, et peut-être même un système de licence pour que seuls les amateurs expérimentés puissent avoir des caméléons.

Une interdiction généralisée du commerce des caméléons sauvages affecterait aussi les moyens de subsistance des collecteurs locaux légaux et les efforts de conservation, selon Andriantsimanarilafy. « Le commerce peut contribuer à la conservation des espèces [de caméléons] et de leur habitat s’il y a vraiment une transparence et un partage équitable des bénéfices », a-t-il déclaré.

Ce n’est pas le cas actuellement. Une étude de 2018 dont Andriantsimanarilafy et Griffiths sont les coauteurs révèle que les exportateurs de reptiles et d’amphibiens gagnent le plus: 92% du prix final à l’exportation, soit 57% après déduction des coûts. Les collecteurs locaux ne reçoivent que 1,4% du prix de vente final.

« D’une certaine manière, ce modèle économique doit être réévalué. Les communautés locales doivent recevoir plus d’argent », selon Griffiths. « Je pense en résumé que cela représenterait une motivation plus forte que celle de couper quelques arbres pour mettre des rizières ».

La reproduction en captivité est un moyen d’approvisionner le marché des animaux de compagnie et de réduire la pression sur les populations sauvages, mais cette technique n’a eu qu’un succès limité avec les caméléons. Seules quelques espèces qui sont régulièrement disponibles comme animaux de compagnie peuvent être élevées en captivité.

Le caméléon de Parson (Calumma parsonii) en est un exemple. Il s’agit de l’un des caméléons les plus grands et les plus recherchés par les amateurs sérieux. Selon Necas, c’est aussi le plus cher, une paire ayant été vendue pour 14 000 dollars. Malgré cette incitation financière, trouver le moyen d’élever cette espèce a été « un énorme problème », signale Necas. « Dans les années 1990, ils ont été exportés aux États-Unis par dizaines de milliers et sont tous morts car ils ne pouvaient pas se reproduire ». Trente ans plus tard, seule une poignée de spécialistes réussit à élever les caméléons de Parson, seulement en nombre limité.

En sortant mon appareil dans la forêt de Lokobe pour une dernière prise, un caméléon panthère a fixé mon objectif. En l’observant à travers le grossissement de l’objectif, j’ai pu admirer chaque détail de cette merveille de l’évolution tandis qu’il se balançait doucement, imitant le mouvement d’une feuille dans la brise de fin d’après-midi.

Me regardant de haut en bas, le caméléon semblait tenter de déterminer si cet humain est un ami ou un ennemi. Compte tenu de ce que j’avais appris, c’était une importante distinction à faire.

Un guide et vendeur de caméléons, nommé « Jean » dans l’article, et un caméléon panthère dans le parc national de Lokobe. Image: Chris Scarffe Film & Photography/Chris Scarffe.

Chris Scarffe est un cinéaste, photographe et écrivain indépendant spécialisé dans les contenus liés à l’environnement et à la faune sauvage. Vous pouvez consulter son travail sur www.chrisscarffe.com.

Reportage supplémentaire de Michel Strogoff.

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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/01/pet-trade-relies-on-disposable-wild-chameleons-from-madagascar/

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