Nouvelles de l'environnement

Madagascar ferme une exploitation aurifère « illicite », mais les activistes restent dans une situation de vide juridique

  • Au début du mois, le gouvernement de Madagascar a suspendu les opérations controversées d’une exploitation aurifère dans la commune de Vohilava, au sud-est du pays.
  • Le projet, des travaux de dragage de la rivière Isaka pour lesquels du mercure aurait été utilisé afin de séparer l’or d’autres minéraux, a causé des dommages considérables à la rivière, à l’économie locale et à la santé publique, suscitant des mouvements d’opposition quasi-unanimes au sein de la population locale.
  • En septembre, à la suite d’une importante mobilisation contre l’exploitation, une délégation gouvernementale s’est rendue sur le site et a ordonné la suspension des opérations minières.
  • Six personnes participant à la manifestation ont été mises en examen, dont une qui avait déjà été incarcérée pour son opposition au projet.

Au début du mois, le gouvernement de Madagascar a suspendu les opérations controversées d’une exploitation aurifère dans la commune de Vohilava, au sud-est du pays. La nouvelle, très bien accueillie par une large partie de la population locale, fait suite à des années de tensions et à une récente manifestation pour dénoncer les impacts du projet sur l’environnement et l’économie.

Début septembre, les opposants au projet s’en sont pris aux équipements de la société d’exploitation minière en jetant une machine de dragage dans l’Isaka et en mettant au rebut un baril de 250 litres de diesel. Après l’incident, six personnes ont été mises en examen, dont Raleva Rajoany, un agriculteur activiste de 63 ans précédemment incarcéré pour son opposition au projet. Cette fois, personne n’a été emprisonné ni officiellement inculpé, pas plus Rajoany que les cinq autres activistes, mais l’enquête est restée ouverte.

Il apparait toutefois de plus en plus clair, ces dernières semaines, alors que l’affaire progresse, que le projet minier n’est peut-être pas si légal. Lors d’une visite du site minier fin septembre, une délégation gouvernementale a fait le constat du non-respect des législations environnementales, et le 9 octobre, le permis environnemental de l’exploitation a été suspendu par l’Office national pour l’environnement (ONE). Deux jours plus tard, le président Andry Rajoelina a fait une déclaration semblant confirmer la fermeture du site; il a indiqué que les opérations de l’exploitation étaient « illicites ».

« J’étais vraiment très heureux quand j’ai entendu la nouvelle annoncée par le président », rapporte Rajoany à Mongabay.

Même s’il ajoute qu’avec l’affaire judiciaire toujours en cours, ses proches restent inquiets. « Ma famille est préoccupée par ce qui se passe », déclare-t-il. « Mes enfants m’ont dit de garder le silence. [Mais] c’est une bataille au nom de mon pays et de mes enfants. Quelle que soit la situation, je suis prêt à affronter toutes les difficultés. »

Raleva just before he was taken away by the authorities on September 27 after publicly questioning a gold mining project near his village, Vohilava. His full name is Rajoany, but everyone calls him Raleva. Photo by Anonymous.
Raleva Rajoany juste avant son arrestation en 2017. Photo fournie par une personne anonyme.

Impact disproportionné

Au regard des standards internationaux, l’exploitation aurifère appartenant à une femme malgache d’origine chinoise, du nom de Gianna Mac Lai Sime, est de taille relativement modeste. La société a commencé à draguer la rivière Isaka à Vohilava en 2016. Sur site, les opérations n’ont rassemblé que quelques travailleurs, pour la plupart chinois, utilisant une seule drague, en piteux état. Pourtant, malgré sa petite taille, l’exploitation a causé des dommages environnementaux collatéraux, d’après la population locale et les autorités gouvernementales.

« Le site est détruit, l’environnement est pollué et la communauté riveraine est malade », a rapporté Marie Claire Razafindravelo, maire de Vohilava et l’une des six personnes maintenant en examen, lors d’un entretien avec Kolo TV, une chaine malgache qui a accompagné la délégation gouvernementale à Vohilava le mois dernier et qui a produit une édition spéciale sur les impacts du projet de l’exploitation aurifère. Vohilava est une commune rurale comptant plus d’une dizaine de villages et une population de plus de 20 000 habitants.

Selon Jean Roger Rakotoarijaona, directeur de l’intégration environnementale chez ONE qui a fait partie de la délégation, l’exploitation aurifère n’aurait pas réussi à respecter un certain nombre de normes environnementales. Pour appuyer ses dires, il a envoyé un rapport à Mongabay détaillant les diverses infractions commises.

Le rapport de ONE indique que l’opération ne s’est pas limitée à l’exploitation des neuf parties de la rivière qu’elle était autorisée à draguer. À la place, elle a mené ses opérations d’extraction jusqu’aux rives et même au-delà de celles-ci, dans certains cas jusqu’à 70 mètres de la rive, détruisant au passage des plantations de bananes et de pommes de terre douces.

Les opérations minières ont endommagé les rives et le lit de l’Isaka, en ont dévié son cours et ont altéré la qualité de son eau. Rakotoarijaona a expliqué à Mongabay que des résidus miniers, de larges quantités de gravats, de graviers et de sable, avaient été déversés directement dans la rivière. La société a également manqué à la réparation des dommages causés, pourtant exigée par la loi.

« Nous pouvons tous faire le constat de la pollution de l’eau », déclare Rakotoarijaona à Kolo TV, montrant d’un geste la rivière Isaka derrière lui.

Localement, l’opposition au projet minier est quasi-unanime. Rajoany a indiqué que dans les cinq villages concernés situés le long de la rivière, tout le monde s’y est opposé. La délégation a confirmé un manque de soutien au projet de la part de la population locale. « Toutes les personnes qui se sont exprimées ont réclamé un arrêt définitif du projet », commente Rakotoarijaona dans le rapport de ONE.

En plus des dommages environnementaux, les villageois protestent contre ce qu’ils perçoivent comme une injustice économique. Le dragage mécanisé de MLSG a permis à l’exploitation chinoise de récolter de précieuses ressources, qui, sans ces opérations, auraient été les leurs. Ces villageois, orpailleurs traditionnels, opèrent depuis longtemps dans la rivière Isaka, car il s’agit là d’une activité cruciale pour compléter les revenus de ceux qui, d’ordinaire, mènent une vie paysanne misérable.

« En dehors de l’agriculture, l’or est une source de revenus importante pour moi. J’ai récolté l’or entre 1985 et 2018. L’argent que j’ai gagné grâce à l’or m’a permis de financer les études de mes enfants, d’acheter des équipements agricoles, des vêtements pour ma famille et de la nourrir », rapporte Rajoany.

Mongabay n’a pas réussi à joindre les responsables des opérations de Sime pour recueillir leurs commentaires. Timothée Andriamihitsakisa, un puissant représentant local (connu sous le nom de chef de district) qui soutient le projet, a lui aussi refusé de livrer ses commentaires à Mongabay lorsqu’il a été joint par téléphone.

Le bureau du président n’a pas non plus répondu à la question portant sur la signification du discours du président du 11 octobre dernier. Même si ce discours n’avait pas été formulé de manière précise, les journalistes malgaches l’avaient rapporté rapporté.

On ignore toutefois toujours pourquoi le gouvernement a attendu jusqu’au mois dernier pour agir. Cela fait des années que la population locale et les groupes de société civile font entendre leurs préoccupations sur les opérations de Sime, notamment par l’envoi d’au minimum une plainte officielle au ministère des Mines. Louis de Gonzague Razafimanandraibe, le président de Tafo Mihaavo, un groupe de société civile, a rapporté à Mongabay qu’en février 2019, il avait rencontré Fidiniavo Ravokatra, le ministre des Mines, pour discuter des problèmes engendrés par les opérations minières à Vohilava. Le ministre des Mines n’a pas souhaité répondre à notre sollicitation pour commenter cet article.

Map shows the location of Vohilava, Madagascar, Raleva's village. Map courtesy of Google Maps.
Le village de Vohilava, à Madagascar, indiqué par un point rouge sur la carte. Crédit photo : Google Maps.

Mercure à la hausse ?

L’impact sur la santé publique des opérations de dragage pour l’extraction d’or à Vohilava suscite une grande inquiétude. La population locale s’alimente de l’eau de la rivière et l’utilise pour l’agriculture, explique Rajoany. Lalao Noromboahangy, une infirmière qui travaille à la clinique locale depuis 2007, a rapporté à Kolo TV que la pollution de l’eau provenant de la mine entrainait une augmentation des maladies, dont des lésions cutanées et des vomissements de sang chez les orpailleurs artisanaux.

Rajoany et d’autres riverains expliquent que l’exploitation aurifère utilise du mercure pour séparer l’or d’autres minéraux – une technique dangereuse communément utilisée dans l’hémisphère sud, mais jamais employée à Madagascar dans le passé. Le mercure utilisé dans les opérations d’extraction d’or engendre un risque de pollution de l’air et de l’eau ; il se développe dans la chaine alimentaire pouvant alors rendre la consommation de poisson dangereuse. L’Organisation mondiale de la santé indique que l’ingestion de mercure conduit à des troubles neurologiques, à des déficiences intellectuelles, à des dysfonctionnements des reins et à d’autres problèmes de santé sévères. Les communautés vivant en aval des opérations d’extraction d’or se trouvent donc exposées à des risques sanitaires particulièrement élevés.

Après les plaintes des communautés locales, ONE et le Centre national de recherche environnementale ont envoyé leurs équipes à Vohilava en début de mois pour tester la présence de mercure dans l’eau ; leurs résultats seront disponibles dans quelques semaines, rapporte Rakotoarijaona. L’extraction d’or peut aussi libérer des métaux lourds toxiques, comme le cadmium et l’arsenic, c’est également ce que les équipes ont voulu tester.

Des habitants d’autres villages malgaches ont également accusé la société chinoise d’utiliser du mercure dans ses activités. En août 2019, le ministre des Mines avait fait fermer deux exploitations dans le Nord de Madagascar, citant l’utilisation du mercure pour la fermeture de l’une d’entre elles.

Certains observateurs craignent que les techniques d’extraction à base de mercure ne se répandent chez les petits exploitants miniers malgaches utilisant des outils rudimentaires. Toutefois, selon Brian Ikaika Klein, un chercheur en écologie politique de l’université de Michigan étudiant les petites exploitations minières malgaches, il n’y a aucune preuve que ce soit le cas. Il affirme que certaines autorités et acteurs de la conservation de la nature basés à Madagascar utilisent le « spectre » du mercure pour dénigrer les petits exploitants miniers et délégitimer leur gagne-pain.

Pour le gouvernement malgache, les modestes mesures répressives envers l’exploitation aurifère mécanisée semblent avoir pour objectif d’améliorer non seulement la santé environnementale mais aussi la transparence et la stabilité économiques. Officiellement, ce ne sont que 2,6 tonnes d’or environ qui ont été exportées de Madagascar l’an dernier, mais le chiffre exact serait plus de l’ordre de 20 tonnes. La banque centrale a formé un partenariat avec le ministère des Mines pour augmenter et consolider ses réserves d’or, appelant les exploitations de Madagascar à lui vendre leur or.

A gold dredge, owned by the Mac Lai Sima Gianna company, dumping tailings into the Itsaka River near the village of Vohilava in southeast Madagascar earlier this month. Much of the region depends on the river for fresh water. Photo courtesy of Anonymous.
Une drague de Gianna Mac Lai Sime et ses rejets de résidus dans la rivière Isaka, près du village de Vohilava, au sud-est de Madagascar en 2017. Crédit photo : CRAAD-OI.

Le sort des suspects

D’après Rajoany, l’attaque de l’exploitation minière du début du mois de septembre aurait été menée par une foule de riverains s’opposant au projet. Il a affirmé ne pas avoir participé à cette manifestation. Il a précisé que la foule avait détruit les équipements de la société minière devant six gendarmes, ou officiers de police, qui se trouvaient sur le site.

En 2017, Rajoany avait été condamné pour son modeste acte d’opposition aux opérations de Sime : il avait demandé à voir le permis de la société lors d’un rassemblement public. Sa demande était justifiée : le permis environnemental n’a été délivré que plusieurs années plus tard, selon ONE. Cependant, Andriamihitsakisa, le chef de district, avait soutenu le projet et les autorités locales avaient incarcéré Rajoany pendant plus de trois semaines. Une décision de la Cour l’avait accusé d’« usurpation de titre » et l’avait condamné à une peine avec sursis. En 2018, une Cour d’appel avait confirmé la condamnation. Des groupes de société civile avaient alors dénoncé la décision de la Cour, soutenant que l’accusation était fallacieuse, et avaient récompensé Rajoany du Prix du courage citoyen 2017.

Dans l’affaire actuelle, les enquêteurs de la capitale du district de Mananjary ont identifié six suspects. Lors de la lecture de l’acte d’accusation du 5 octobre, différentes charges ont été énumérées : destruction de la propriété d’autrui, actes de violence et attaques. Rajoany et Razafindravelo, la maire de Vohilava, ont également été cités pour « incitation à la révolte ».

On ignore toujours si l’arrêt des opérations de l’exploitation aurifère chinoise décidé par le gouvernement influera sur ces affaires pénales. Les groupes de société civile appellent à la clôture de ces affaires.

Les groupes de société civile surveillent également de près l’évolution des activités à Vohilava. Dans un communiqué de presse, deux groupes ont applaudi la décision du président de suspendre le projet, mais ont également réclamé des réparations pour les dommages causés sur les communautés et des sanctions envers la société chinoise.

Pour le moment, il est prévu que les équipements de Sime ne quittent pas Vohilava, selon le parlementaire Charlot Mamihaja qui représente le district de Mananjary et s’oppose au projet minier. Il ne veut pas voir les activités minières redémarrer. « Notre prochaine bataille est le démantèlement total de ces installations », a-t-il déclaré à Mongabay.

Image de bannière : Des riverains chercheurs d’or en 2017, près de la drague appartenant à Gianna Mac Lai Sime dans la rivière Isaka, au sud-est de Madagascar. Le gouvernement malgache a récemment fermé l’exploitation minière après de sérieuses infractions environnementales et l’opposition massive de la population locale. Crédit photo : CRAAD-OI. 

Reportage complémentaire de Rivonala Razafison.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2020/10/madagascar-shuts-down-illegal-gold-mine-but-activists-remain-in-legal-limbo/

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