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Madagascar : Échec des efforts soutenus par la Banque mondiale pour commercialiser la viande bovine

  • En 2018, la Société financière internationale (International Finance Corporation, IFC), une institution de la Banque mondiale opérant avec le secteur privé, a accordé un financement à hauteur de 7 millions de dollars à une entreprise qui envisageait d’acheter des zébus auprès d’éleveurs malgaches pour exporter leur viande principalement vers les pays riches du Moyen-Orient.
  • Le projet BoViMa a été rapidement freiné dans son élan après l’adoption d’un décret sur l’interdiction des exportations de zébus l’an dernier par le président Andry Rajoelina et peine à redémarrer depuis.
  • Bien qu'il vise à réduire la pauvreté, le projet attire les regards en raison de ses impacts potentiels sur la sécurité alimentaire, en particulier sur les approvisionnements en cultures comestibles pour l’alimentation des bovins dans l’une des régions les plus pauvres et les plus déficitaires en eau au monde.
  • Une fois opérationnels à 100 %, les abattoirs et les parcs d’engraissement consommeront 120 000 tonnes de nourriture et 150 millions de litres d’eau par an.

Lorsque Hans Peter Lankes, haut responsable de la Société financière internationale (International Finance Corporation, IFC), s’est rendu à Madagascar en février dernier, il a tenu à visiter le site de la société BoViMa (financée par l’IFC), près de la cité portuaire de Fort Dauphin, au sud de l’île.

« Je suis heureux de retrouver le président Andry Rajoelina à Fort Dauphin pour discuter de l’amélioration des conditions de vie des habitants de l’une des régions les plus pauvres de Madagascar, grâce à la traçabilité des cheptels, aux aides destinées aux éleveurs et aux agriculteurs et au développement des réseaux de distribution. Nous discuterons aussi du soutien de @IFC_org en faveur du projet BoViMa », a commenté Lankes sur Tweeter lors de sa rencontre avec le président malgache Andry Rajoelina.

Cependant, Rajoelina et l’IFC ne sont pas sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit d’améliorer les conditions de vie des habitants dans un pays où les niveaux de pauvreté rivalisent avec ceux du Yémen, pays déchiré par la guerre, et où 75 % de la population doit vivre avec moins d’1,90 dollar par jour.

Au cœur de la discorde : le zébu, la race bovine la plus vénérée de Madagascar.

En 2018, l’IFC, l’institution de la Banque mondiale opérant avec le secteur privé, a accordé un financement à hauteur de 7 millions de dollars à la société Bonne Viande de Madagascar (BoViMa). La société envisageait d’acheter des zébus auprès d’éleveurs locaux, de procéder à leur engraissement et à leur abattage, pour finalement exporter leur viande principalement vers les pays riches du Moyen-Orient, tels que les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite. L’IFC a présenté le projet BoViMa comme une initiative qui allait « sauver une population de zébus en déclin dans le pays ».

Une horde de zébus sur une route nationale de Madagascar. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

C’est en décembre 2018 que BoViMa acheta ses premiers zébus – un mois avant l’arrivée au pouvoir de Rajoelina. L’une des premières initiatives de Rajoelina en tant que président a été de bannir les exportations de viande de zébus, remettant alors en question la viabilité du projet dans son ensemble. « Le décret interdisant les exportations de zébus est toujours valide, et aucune exception ne sera faite, pour aucune entreprise. », a déclaré Michel Anondraka, directeur général de l’Élevage au ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, lors d’un entretien accordé à Mongabay.

Le zébu (Bos taurus indicus), animal fort imposant, occupe une place très importante dans la vie des Malgaches : il symbolise la prospérité. Autrefois symbole de royauté, le bovidé à bosse continue de façonner la destinée des gens ordinaires. Les Malgaches mangent sa viande, l’utilisent pour labourer les champs, le sacrifient lors des naissances et des décès, et le vendent dans des moments de détresse. Les représentations de zébus sont omniprésentes dans la vie des Malgaches. Le zébu orne leur quotidien, des voitures au sceau officiel du pays. Mais l’animal en chair et en os, quant à lui, s’estompe rapidement du paysage. Sa population a chuté de 23 millions dans les années 1980 à 6 millions aujourd’hui.

La conservation de cet animal emblématique a été au cœur de la promesse de campagne présidentielle de Rajoelina. Le président doit donc veiller à ce que les zébus ne quittent pas le pays. D’un autre côté, l’IFC s’est engagée à la commercialisation de la filière traditionnelle, la connectant ainsi directement au marché mondial de la viande bovine.

À Madagascar, les zébus représentent beaucoup plus que de la viande ou de l’argent. Ils sont presque tous la propriété de familles individuelles. La plupart en possèdent quelques-uns, alors que de puissantes élites en comptent des hordes, symbole de prospérité et de prestige. De nombreux petits zébus meurent jeunes en raison de vieilles pratiques d’élevage et du manque de services vétérinaires adaptés en zones rurales. Les exportations illégales, les maladies et le manque d’aliments ont tous contribué à un déclin de sa population. Afin de lutter contre la mortalité de l’espèce et de la préserver, la Banque mondiale assure le financement de services vétérinaires et d’infrastructures de meilleure qualité.

L’abattoir BoViMa vise à devenir le premier abattoir moderne malgache produisant de la viande de bœuf à l’échelle industrielle. Le projet comprend la construction d’un abattoir avec une capacité d’abattage de 8 500 zébus et de 10 000 chèvres par an. Ce projet doit transformer le secteur des exportations bovines de Madagascar en un marché de 500 millions de dollars, et BoViMa en un géant de l’agroalimentaire, avec un PIB d’environ 14 milliards de dollars.

Au cours de la dernière décennie, l’IFC a investi plus de 1,8 milliard de dollars dans des projets d’élevage et d’exploitation agricole à travers le monde. Ses détracteurs affirment qu’elle a proposé ses plans de financement en apportant une attention minime aux impacts du changement climatique et aux autres impacts environnementaux. Ils craignent que, malgré l’objectif avancé par l’IFC de réduire la pauvreté, certaines initiatives n’augmentent la concentration de la richesse et ne laissent que très peu de pouvoir de négociation aux petits agriculteurs.

Le site de BoViMa, à environ 25 km à l’ouest de la ville de Fort Dauphin, également connue sous le nom de Taolagnaro. Photo fournie à Mongabay.

BoViMa appartient au groupe Société malgache de transformation des plastiques (SMTP), un conglomérat malgache regroupant 20 entreprises et opérant dans des activités très variées, du plastique industriel à l’immobilier, en passant par les aliments pour le bétail. BoViMa a été fondée en 2014 par la SMTP, avec la modeste ambition de conquérir le marché régional en approvisionnant de viande bovine les îles situées à l’ouest de l’océan Indien. Ce projet est resté en suspens pendant des années.

Mais en 2017, l’IFC est intervenue et a donné un nouveau souffle à BoViMa, sur une plus grande échelle. L’IFC a, en effet, lancé un programme quadriennal de conseil, et en 2018, elle a annoncé un financement direct en faveur de BoViMa de 3,5 millions de dollars, plus un autre de la même valeur (3,5 millions de dollars), accordé par le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (administré par l’IFC).

L’IFC a également financé un autre projet de la SMTP, pour la filière avicole cette fois : un financement de 3 millions de dollars envers une offre de 6,8 millions de dollars pour développer la production d’aliments pour bétail et volatiles, et fabriquer un abattoir pour volailles. « Les investissements de l’IFC dans le secteur des protéines animalières se concentrent sur l’aide à la création de sociétés productives et responsables, créatrices d’emplois et apportant leur soutien au secteur de la sécurité alimentaire », a expliqué l’institution à Mongabay. La mission de l’IFC, en tant qu’organe de la Banque mondiale, est de réduire la pauvreté à l’échelle planétaire.

À Madagascar, le projet BoViMa de 15 millions de dollars n’aurait pas été envisageable sans l’intervention de l’IFC. « Ces institutions internationales apportent le dynamisme et les moyens nécessaires pour la réalisation de tels projets », a déclaré Danil Ismael, président directeur général de BoViMa et directeur de la SMTP, à un meeting qui s’est tenu l’an dernier au siège de l’IFC à Washington. « N’oublions pas que BoViMa entre parfaitement dans la logique de l’IFC sur l’aide au développement des pays, car notre activité a, elle aussi, un impact social solide, dont une réduction réelle de la pauvreté », a-t-il ajouté.

Le Sud de Madagascar, comprenant la région d’Anosy (où se trouve BoViMa) et deux régions voisines, est l’une des plus pauvres régions de la planète. Seul un fragment de la population, environ 10 %, vit au-dessus du seuil de pauvreté. Les famines causées par la sécheresse sont fréquentes, et le régime des pluies est de plus en plus imprévisible, en raison du changement climatique.

« Le projet a le potentiel de métamorphoser le Sud », a rapporté Marcelle Ayo, la directrice pays de l’IFC, à un journal local en mars dernier. Selon la SMTP, le projet BoViMa vise à employer 200 personnes, mais les bénéfices réels pourraient contribuer à booster les revenus de 20 000 petits exploitants agricoles et éleveurs de bovins.

La société n’élève pas de bovins, mais les achète auprès d’éleveurs qui, sans ce projet, les vendraient sur des marchés traditionnels. La plupart des éleveurs n’ont toutefois pas encore vu les bénéfices du projet et certains restent sceptiques. « Je pense qu’ils n’offrent des emplois qu’aux jeunes, et pas à la majorité de la population », souligne le propriétaire de huit zébus, Tsimioma Roberson, habitant de Manambaro, la commune la plus proche de l’abattoir. Tsimioma n’a vendu aucun de ses bovins à BoViMa.

L’exportation de zébus est un sujet brûlant à Madagascar. Les zébus ne symbolisent pas uniquement la prospérité sur l’île ; ils représentent également une source alimentaire importante dans un pays où presque la moitié des jeunes enfants souffre d’un retard de croissance dû à la malnutrition. Certains craignent que la vente de zébus à BoViMa pour l’export ne vienne perturber l’économie alimentaire locale et intensifier l’insécurité alimentaire. « Bien sûr, il existe des bénéfices pour les éleveurs locaux. L’inconvénient, c’est qu’il y a plus de viande pour la ville que pour les villages », déplore Razafimahaly Edwin Dindo, propriétaire de 20 zébus à Manambaro.

Carte de gauche : carte du réseau des systèmes d’alertes précoces contre la famine. Elle indique les perspectives de sécurité alimentaire (octobre 2020–janvier 2021) pour Madagascar. Carte de droite : la carte indique la localisation du site de BoViMa dans le Sud de Madagascar, près de la ville de Fort Dauphin, également connue sous le nom de Taolagnaro. Informations extraites le 24 juillet 2020. Cliquer sur l’image ou sur ce lien pour agrandir les cartes.

Dans le parc d’engraissement de BoViMa, les zébus prendront presque 100 kg sur trois mois avant d’être abattus. L’engraissement des zébus augmente les préoccupations autour de la sécurité alimentaire pour les hommes. BoViMa a estimé un besoin de 120 000 tonnes d’aliments pour le bétail chaque année. Ceci inclut les cultures telles que le manioc, le maïs et la pomme de terre douce, consommées par les habitants locaux, ainsi que l’herbe à éléphant et les graines de lin (Leucaena leucocephala).

Ce n’est pas uniquement la nourriture qui est rare dans la région ; l’eau l’est également. La culture du maïs, qui absorbe des volumes d’eau phénoménaux dans le Sud de l’île, a été une stratégie déjà critiquée dans un rapport de la Banque mondiale de 2018. Les activités de l’abattoir et du parc d’engraissement nécessiteront plus de 150 millions de litres d’eau par an. BoViMa a proposé de construire un barrage sur la rivière Ifaho qui coule près du site du projet, mais les travaux n’ont pas encore commencé.

Les observateurs estiment que ce projet pourrait mener à une insécurité alimentaire dans la région. L’une des raisons soutenues par Rajoelina pour bannir les exportations de zébus a été l’augmentation des vols de bovins. Si ces derniers ont de tout temps été considérés comme une pratique traditionnelle dans le Sud de Madagascar, ils se sont aujourd’hui transformés en une véritable menace. L’un des tournants de cette transformation a été la dégradation de biens publics à travers le pays en 2009, lors du coup militaire qui a amené Rajoelina au pouvoir pour la première fois. Les voleurs de bétail s’en prennent aujourd’hui aux exploitations agricoles, aux véhicules et tuent les habitants.

Entre 2011 et 2016, on a noté, en moyenne, plus d’une attaque de bétail par jour, et le nombre de morts liés aux vols de bétail a atteint des milliers. En 2017, l’Associated Press a rapporté le vol de 30 000 zébus au total à Madagascar.

Le problème persiste à travers les différentes administrations et rend l’achat de bétail pour les abattoirs notoirement risqué. « Les abattoirs chinois, légalement établis avec des permis délivrés par le ministère de l’Élevage, reçoivent effectivement un grand nombre de zébus volés », confirme un rapport de 2017 rédigé par l’Institut français des relations internationales (IFRI), un centre de recherche et de débat indépendant. La Banque mondiale a elle-même reconnu la gravité du problème. « L’isolation de la région joue un rôle déterminant au niveau de sa sécurité, avec des vols de bovins évoluant ces derniers temps en délits organisés », cite le rapport du groupe en 2018. « Ces vols de bétail ont été très probablement amplifiés par des gangs livrant le bétail à des abattoirs dédiés à l’exportation, dont certains sont en partie détenus par des étrangers. »

Impression d’écran de la page Facebook de BoViMa montrant à quoi ressemblera le site de BoViMa, une fois terminé.

Pour assurer le succès à son projet, BoViMa devra garantir que les bovins qu’elle achète n’ont pas été volés. Des entretiens avec des villageois résidant près du site du projet ont révélé que les voleurs de bétail continuent de piller la zone du projet. L’éleveur local Roberson a rapporté que sept des zébus de son voisin ont été volés le mois dernier. Les voleurs sont toujours recherchés.

Dans un effort de répression des vols de bovins, le gouvernement malgache a commencé à étiqueter le bétail. Des vidéos révélant la manière dont les puces électroniques de traçabilité ont été introduites dans la gorge de zébus terrifiés ont fait le tour du monde sur Internet. Une grosse capsule en forme de saucisse était censée rester dans l’estomac des zébus jusqu’à leur mort, et le programme devait étiqueter 10 000 zébus l’an dernier pour arriver à terme à 2,5 millions. Le projet s’est éteint par manque de financement.

Toutefois, le problème autour des gangs de voleurs de bovins n’a été que très peu documenté dans les plans d’action environnementaux et sociaux de BoViMa. La SMTP n’a pas souhaité répondre aux questions de Mongabay. L’une d’elles portait sur la manière dont la société allait garantir que les bovins achetés n’ont pas été volés.

Six ans après la naissance du projet BoViMa et trois ans après le financement accordé par l’IFC, le projet en est toujours à sa phase pilote. Actuellement, BoViMa compte environ 70 zébus, qui, en raison des interdictions d’exportation en place, ne vont nulle part. La pandémie de Covid-19 et les arrêts de production ont davantage paralysé les opérations. L’interdiction des exportations, les retards liés au projet, les préoccupations autour de l’impact sur l’économie locale et les problèmes de sécurité alimentaire pourraient conjointement nuire à l’aboutissement du projet. Le bureau de l’IFC de Madagascar a refusé d’apporter ses commentaires sur le financement du projet.

Image de bannière : Des zébus dans le Sud-Est de Madagascar. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

Malavika Vyawahare est rédactrice pour Mongabay. Retrouvez-la sur Twitter : @MalavikaVy

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Article original: https://news.mongabay.com/2020/07/world-bank-backed-attempt-to-commercialize-madagascars-beef-industry-falters/

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