Nouvelles de l'environnement

Faune urbaine : gérer les babouins du Cap

Chacma Baboons Cape Town, South Africa

  • Les babouins de la péninsule du Cap, en Afrique du Sud, se rapprochent des zones résidentielles, attirés par les déchets alimentaires et les arbres fruitiers.
  • La disparition des prédateurs naturels de ces primates et l’implantation croissante des hommes ont généré des conflits de plus en plus intenses.
  • L’abattage en tant que méthode de régulation a été abandonné, car il entraînait l’extinction de la population locale de babouins.
  • Des approches alternatives n’ont pas pu être mises en place en raison des débats sur des méthodes humaines de dissuasion et d’une application insuffisante des règlements visant à rendre les zones urbaines moins attrayantes pour les babouins.

Le Cap — Dans Le Cap même et dans ses alentours, des communautés urbaines croissantes s’étendent jusqu’au parc national de la montagne de la Table. Cette proximité offre aux résidents et aux touristes un accès facilité à la montagne, mais cela signifie aussi que les Babouins chacma (Papio ursinus) de la péninsule du Cap ont également un accès facilité aux quartiers résidentiels. Des décennies de conflits entre les hommes et la faune – et de conflits entre les hommes au sujet de la faune – ont trouvé un équilibre précaire face aux directives sur la gestion des babouins imposées par la ville.

Chacma baboon on the Cape Peninsula. Image by Travis Baker via Flickr (CC BY-NC-ND-2.0)
Les babouins pillent les maisons, les jardins et les voitures malgré les risques, car ils sont attirés par la nourriture humaine, riche en calories. Photo de Travis Baker via Flickr (CC BY-NC-ND-2.0)

Écosystème détraqué

Le problème a commencé lorsque les colons « ont tout décimé », nous raconte Justin O’Riain, professeur et chercheur principal à l’Institut pour les communautés et la faune en Afrique (iCWild) de l’Université du Cap.

Les lions ont été chassés il y a plus d’un siècle. Le léopard a été observé dans la péninsule du Cap pour la dernière fois dans les années 1930.

« Nous avons détraqué l’écosystème. Les prédateurs étant plus rares, la population de babouins a augmenté de façon dramatique », explique J.O’Riain.

Le parc national de la montagne de la Table s’étend tout le long de la péninsule. Le centre-ville se trouve à sa pointe nord, des banlieues se répartissent le long des deux côtés d’une chaîne montagneuse jusqu’à Cape Point, à 50 kilomètres au sud. À mi-chemin, à Constantia, se trouvent encore des zones importantes de terrains agricoles et de vignobles sur les versants est.

Les plantations de pins dans le parc de la montagne de la Table servaient à l’origine de nourriture et d’espace de repos aux babouins. Mais surtout, elles les tenaient éloignés de la ville, en pleine expansion, un peu plus bas. Toutefois, les pins ont été exploités et abattus dans les années 1960, et les babouins ont commencé à se déplacer dans les zones urbaines à la recherche de nourriture.

Les conflits croissants entre les babouins et les habitants ont poussé les autorités à abattre certaines troupes à la fin des années 1980. Une enquête menée en 1998 sur les babouins de la péninsule « dressait un sombre tableau », explique Justin O’Riain. On y recensait 365 individus et les mâles étaient rares, car ils étaient les plus susceptibles d’être tués.

Certaines personnes, comme Jenni Trethowan, étaient indignées par la situation. En 1990, suite à l’abattage d’une troupe dans son quartier de résidence, dans la banlieue sud de Kommetjie, J.Trethowan a co-fondé le Groupe d’action environnementale de Kommetjie (KEAG) pour essayer de changer le plan de gestion des babouins de la Ville.

KEAG a demandé à mettre un terme à l’abattage et à mettre sur pied une équipe pour surveiller et éloigner les babouins. Les autorités ont accepté, et la chasse est devenue une infraction.

Chacma baboon with baby.
Les babouins pillent les maisons, les jardins et les voitures malgré les risques, car ils sont attirés par la nourriture humaine, riche en calories. Photo de Malcolm Manners via Flickr (CC BY-2.0)

En 2001, Jenni Trethowan a quitté KEAG pour fonder le Baboon Matters Trust, qui s’est vu confier un contrat pour gérer les troupes dans la péninsule du Cap, principalement par une surveillance effectuée par l’homme.

« Des lois efficaces, une gestion adaptée des déchets, le choix des plantes faisaient partie des outils mis en place », explique J.Trethowan à Mongabay. En raison du manque de financements ou d’autres ressources disponibles pour appliquer ces mesures, ces dernières se sont au final résumées à « faire fuir les babouins des zones urbaines ».

Collecte de données et méthodes de gestion

Les débats animés sur l’efficacité de la gestion des babouins ont continué. Si des avis marqués pour ou contre la présence des babouins dans le sud de la péninsule se faisaient entendre, il y avait peu d’opinions concernant la collecte de données sur les endroits où les babouins se rendaient, à quels moments et pour quelles raisons. En 2006, à la demande d’un de ses élèves en Ph.D., Justin O’Riain a mis sur pied l’Unité de recherche sur les babouins pour fournir des données à la Ville. En surveillant les babouins à l’aide de colliers GPS, l’unité a pu confirmer qu’ils se déplaçaient toujours vers les zones résidentielles lorsque les personnes en charge de la surveillance n’étaient pas présentes.

Les babouins s’étaient rapidement habitués aux bruits et aux cris des surveillants. Des fusils à balles de peinture et des pétards nord-américains visant à effrayer les ours ont été proposés par les résidents et l’Unité de recherche sur les babouins, mais un rapport fait à l’organisation locale pour la protection des animaux, le SPCA, a mis un terme à leur utilisation.

Les mâles solitaires, qui avaient quitté leur troupe pour en trouver une nouvelle, finissant souvent dans les zones résidentielles, devenaient dangereux : un homme âgé est décédé après qu’un babouin lui a sauté dessus alors qu’il fuyait d’un dortoir avec un sac de sucre, et l’estomac d’un enfant a été déchiré dans un second incident.

En 2011, l’Unité de recherche sur les babouins a organisé un atelier auquel ont participé des dirigeants municipaux, des représentants des Parcs nationaux sud-africains (SANParks, qui gère le parc de la montagne de la Table), et des experts internationaux. Dans son discours d’introduction, Shirley Strum, une anthropologue et biologiste qui a étudié des babouins pillant les cultures dans les zones rurales du Kenya depuis les années 1970, a expliqué que les babouins pillent malgré les risques, car la nourriture humaine, riche en calories, représente une énorme récompense. Des radiographies d’un babouin mâle de la péninsule du Cap révèlent 70 pièces de métal dans son corps : chevrotine, balles de fusil, plombs. Il continuait malgré cela de piller.

Shirley Strum était choquée de voir des babouins agresser les gens dans la péninsule. « Les babouins auraient dû être dissuadés de manière radicale d’approcher et de manger de la nourriture humaine dès le début », a écrit S.Strum dans une lettre ouverte et publiée dans le Cape Times quelques mois plus tard.

Elle y a écrit être choquée par le fait que les activistes pour la protection des animaux mènent une campagne contre la plupart des mesures proposées. « J’aime les babouins autant qu’eux, ou même plus qu’eux. Mais parce que je les aime, je serais prête à en sacrifier quelques-uns pour sauver les autres, s’il faut en arriver là. En revanche, il semblerait que les activistes ne pensent qu’à ‘ce que les humains pensent des babouins’. »

Juvenile chacma baboon. Image by Tjeerd Wiersma via Flickr (CC BY-2.0)
Jeune babouin chacma. Photo de Tjeerd Wiersma via Flickr (CC BY-2.0)

Nouvelles directives

Suite à l’atelier, la ville a accordé un contrat de gestion des babouins de 9 millions de rands par an (628’000 USD) à une nouvelle société, Human Wildlife Solutions (HWS).

Les nouvelles directives demandaient aux surveillants d’éloigner les babouins des zones urbaines (le SPCA avait approuvé l’utilisation des fusils à balles de peinture et les pétards à ours) et un nouvel effort aux résidents pour rendre leurs maisons moins attractives aux pilleurs.

Conformément à un protocole sur les babouins pilleurs rédigé par la Ville, SANParks, et l’organisme provincial de conservation CapeNature en 2009, lorsqu’un babouin « problématique » est identifié – il s’agit presque toujours de mâles – il est marqué et équipé d’un collier émetteur pour suivre ses mouvements. Un rapport détaille son environnement, les dates et les types d’interactions.

Le rapport d’un mâle pilleur recense 140 incidents sur 13 mois, y compris des pillages de poubelles, des entrées dans des voitures et dans une maison occupée. Le mâle a formé un groupe dissident avec d’autres babouins, qui l’ont suivi dans les zones urbaines (HWS empêche activement ces groupes dissidents de se former). En réponse à cela, HWS a tenu des réunions communautaires, a distribué des brochures sur diverses mesures de protection, dont des cadenas pour poubelles, et a installé une signalisation spécifique sur les routes. Les responsables de zones sont entrés en contact avec la population en faisant du porte-à-porte pour parler de la gestion des déchets et identifier les points d’accès : des grilles cassées ou une porte arrière ouverte. Un arbre fruitier a été arraché.

Si un babouin continue d’entrer dans les maisons et les voitures après que toutes les méthodes dissuasives ont été testées, une case est cochée, signifiant qu’il devrait être euthanasié. Un comité examine le rapport et une décision est alors prise.

Entre 2009 et 2018, 75 babouins ont été euthanasiés selon le protocole. Quarante-quatre d’entre eux étaient des pilleurs récidivistes et agressifs. Les morts dues au protocole sont passées de 5 % de la population en 2012, lorsque la plupart des pilleurs récidivistes ont été identifiés et euthanasiés, à 1 % en 2018.

HWS emploie actuellement 60 gardes pour surveiller 11 troupes (449 babouins depuis juin 2019). Les gardes les surveillent du lever au coucher du soleil. Une étude de Gaelle Fehlmann, étudiante en Ph. D. à l’Université de Swansea, montre que les troupes surveillées restent en dehors des zones habitées plus de 95 % du temps.

« Ce qui est bien, dit Esme Beamish, une candidate en Ph. D. de l’Université du Cap qui étudie les babouins depuis 2005, c’est que le programme est renforcé par de la recherche et des données. Les autorités sont informées. »

La recherche de E.Beamish montre que la population de babouins croît à nouveau, en grande partie grâce à une chute des morts infligées par les hommes en dehors du cadre du protocole. Entre 2006 et 2019, le nombre de babouins dans les troupes du nord de la péninsule (vivant près des vignobles et d’autres terrains agricoles dans la section médiane de la péninsule) a augmenté de 97 %, tandis que les troupes vivant près des zones urbaines plus au sud ont augmenté de 22 %.

La controverse du contrat de HWS – dont la valeur est passée à 12 millions de rands par année (837’000 USD) – est que celui-ci ne couvre pas certaines zones agricoles comme les exploitations viticoles de Constantia, bien que ces agriculteurs paient des taxes qui servent à financer le contrat HWS. En 2018, estimant qu’ils n’avaient d’autre option, des agriculteurs ont obtenu un permis de CapeNature pour abattre sept babouins. L’absorption de ces exploitations dans le mandat de HWS est actuellement en discussion.

Chacma baboon in Simonstown. Image by Tim Ellis via Flickr (CC BY-NC-2.0)
Une nouvelle effraction réussie : un babouin à Simon’s Town. Photo de Tim Ellis via Flickr (CC BY-NC-2.0)

Prévoir l’avenir

Grâce à ses succès et à ses erreurs de jugement, Le Cap peut offrir de nombreuses leçons aux autres villes. L’importance de protéger les prédateurs, des protocoles pour identifier des animaux spécifiques plutôt que l’abattage général, respecter les données scientifiques, et la collaboration globale font partie des leçons clés et des suggestions pour un monde en pleine urbanisation.

Pour J.O’Riain, l’objectif a toujours été « une population saine, viable et durable avec un meilleur bien-être et une meilleure conservation ». Les données actuelles semblent positives, mais du travail reste à faire. En particulier prévoir l’avenir, puisque la population – tant celle des hommes que celle des babouins – augmente.

Pour limiter la croissance de la population de babouins, l’Équipe technique de babouins de la Ville commencera à mettre en pratique un contrôle des naissances grâce à une contraception pour les femelles et les mâles, et continuera à éloigner les babouins des sources de nourriture anthropique – un facteur qui contribue à la croissance de la population. L’abattage n’est actuellement plus à l’ordre du jour.

E. Beamish pense que les jeunes babouins mâles ne sont pas assez contrôlés, car la main-d’œuvre n’est pas suffisante pour surveiller chaque mâle solitaire. Elle estime qu’il est nécessaire de développer des stratégies pour empêcher les mâles d’entrer dans les villes alors qu’ils se déplacent entre les troupes, ce qui est de plus en plus difficile au vu de l’expansion urbaine.

Une barrière électrique contre les babouins dans la zone de Zwaanswyk s’est montrée efficace. Justin O’Riain dit vouloir en ériger une dans la banlieue de Scarborough, où les pillages de babouins sont également nombreux.

Scarborough, sur la côte sud-ouest de la péninsule, illustre les attitudes très différentes des résidents. Certains accueilleraient volontiers les babouins dans leurs maisons, tandis que d’autres cherchent désespérément à s’en débarrasser par tous les moyens. Capturer et envoyer les quatre derniers babouins femelles de Scarborough dans un sanctuaire serait la solution d’ultime recours, suggère J.O’Riain, pour empêcher la croissance de la troupe et davantage de conflits, tout en évitant les retombées négatives de les euthanasier, en termes de relations publiques.

La mauvaise gestion des déchets reste un problème dans tout le sud de la péninsule. La base navale de Simon’s Town, par exemple, est un endroit prisé des babouins, car les déchets alimentaires sont facilement accessibles. La Ville du Cap exige des résidents des zones de pillages fréquents d’installer des poubelles verrouillables à l’aide de deux cadenas. Ces dernières sont censées être fournies gratuitement dans les zones de pillages fréquents, mais ne sont pas disponibles immédiatement et sont considérées comme mal conçues et inefficaces, nous explique E. Beamish.

Des amendements proposés aux lois existantes préciseront comment les déchets devraient être gérés dans les zones affectées par les babouins et aideront à faire respecter des bonnes pratiques. Il reste à voir si les amendements en question seront adoptés.

Dans le village de Rooi-Els, sur le versant est de False Bay, les lois de la municipalité de Overstrand imposent effectivement aux résidents de sécuriser leurs déchets dans des poubelles verrouillables. L’élimination responsable des déchets ainsi que des fenêtres et portes sécurisées contre les babouins ont aidé à maintenir la paix. Les babouins continuent de venir dans la ville, mais ils passent généralement leur temps dans la végétation autour des propriétés plutôt qu’à piller.


Image de bannière : Babouins à Tokai, Le Cap. Photo de Ted Matherly via Flickr (CC BY-NC-2.0)

Article original: https://news.mongabay.com/2020/01/urban-wildlife-managing-cape-towns-baboons/

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