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Ghana : Le gouvernement confronté à des mouvements de protestation contre un projet d’exploitation de bauxite au beau milieu d’un joyau de biodiversité

At the foothills of the Atewa forest range.rrPhoto by Ahtziri Gonzalez/CIFORrrcifor.orgrrforestsnews.cifor.orgrrIf you use one of our photos, please credit it accordingly and let us know. You can reach us through our Flickr account or at: cifor-mediainfo@cgiar.org and m.edliadi@cgiar.org

  • La réserve forestière d’Atewa au Ghana abrite des douzaines d’espèces en danger – ainsi qu’un important gisement de bauxite.
  • L’évaluation de l’impact environnemental n’est pas terminée, mais les défenseurs de l’environnement et les communautés locales s’opposent d’ores et déjà farouchement à ce projet, craignant qu’il ne menace la réserve, haut lieu de biodiversité.
  • Le gouvernement prétend pouvoir exploiter la forêt en minimisant les dommages environnementaux et utiliser les 150 millions de tonnes de bauxite produits pour financer un projet national d’infrastructures.

ACCRA – « Aujourd’hui commence l’exploitation à grande échelle de la bauxite ! », a déclaré le président ghanéen Nana Addo Dankwa Akufo-Addo en juin dernier. « Je suis satisfait par les faits qui m’ont été rapportés et par ce qui m’a été démontré. Nous pouvons en effet exploiter cette matière rouge sans nuire à la faune vivant dans les montagnes d’Atewa », a-t-il ajouté. Le président est peut-être satisfait, mais les défenseurs de l’environnement et les résidents inquiets des environs d’Atewa ne le sont aucunement.

Le 13 janvier dernier, l’ONG ghanéenne environnementale A Rocha Ghana a saisi la justice pour tenter de mettre fin au projet d’exploitation. Soutenue par 20 autres organisations de la société civile, A Rocha Ghana a revendiqué que l’exploitation de la bauxite dans la réserve d’Atewa violait le droit des Ghanéens à l’accès à un environnement propre et à la protection de l’environnement pour les générations futures.

Chocolate-backed Kingfisher: one of 155 bird species found in the Atewa Forest Reserver. Image by Nik Borrow via Flickr (CC BY-NC-2.0)
Un martin-chasseur marron (Halcyon badia) : l’une des 155 espèces d’oiseaux vivant dans la réserve forestière d’Atewa. Photo de Nik Borrow via Flickr (CC BY-NC-2.0)

Un trésor de biodiversité

La forêt d’Atewa, à 95 km au nord-est de la capitale Accra, s’étend sur 725 km2. Située entre 230 et 845 mètres d’altitude, la réserve est l’habitat d’une variété d’espèces, dont plus de 650 espèces végétales et un rare écosystème forestier de montagne. Trois grandes rivières, Birim, Densu et Ayensu, y prennent également leur source. Cette eau alimente 5 millions de personnes, dont les résidents de la capitale.

Bien qu’Atewa soit une forêt de production qui a été lourdement exploitée dans le passé, elle reste l’habitat de nombreuses espèces vulnérables et en danger. On y trouve notamment le cercocèbe à collier blanc (Cercocebus lunulatus), et probablement la dernière population survivante de grenouilles glissantes du Togo (Conraua derooi), en danger critique. Le calao à joues brunes (Bycanistes cylindricus) et le gobemouche du Libéria (Melaenornis annamarulae) comptent parmi les 155 espèces d’oiseaux enregistrées dans la réserve. La réserve abrite également 17 espèces de papillons rares, dont la moitié n’a jamais été identifiée dans d’autres régions du Ghana, comme l’antimachus (Papilio antimachus) qui a une envergure pouvant atteindre jusqu’à 23 centimètres. De nouvelles espèces continuent d’être découvertes ici, telles que le lépidoptère du Ghana (Mylothris atewa), une espèce de papillon qui n’a été observée que dans la forêt d’Atewa, et une nouvelle espèce d’araignée à carapace, l’araignée-dinosaure (Ricinoides atewa). La région recense environ 30 communautés, soit 50 000 habitants. La majorité de ces habitants cultive du cacao et pratique des cultures vivrières. Ils se rendent dans la forêt pour chasser les animaux sauvages, ramasser des escargots, récolter du miel, cueillir des champignons et des fruits sauvages.

C’est aussi ici que la compagnie nationale Ghana Integrated Aluminium Development Corporation (GIADEC) est déterminée à développer son exploitation de bauxite dans le cadre d’un contrat massif de 2 milliards de dollars.

Vaines promesses de protection

En juillet 2018, le parlement du Ghana a validé un accord avec la société chinoise Sinohydro Corporation Limited pour la construction d’infrastructures, dont des routes, des hôpitaux, des sites de décharge et des parcs industriels. L’accord-cadre de soutien au projet (MPSA, Master Project Support Agreement) prévoit également d’étendre le réseau électrique à davantage de communautés rurales. Pour financer ce projet, Le Ghana paiera 2 milliards de dollars en bauxite raffinée.

Thirty-five kilometers of roads have already been constructed in Atewa, linking 53 test drill sites. Map courtesy Concerned Citizens of Atewa Landscape.
35 km de routes ont été construits à Atewa, reliant 53 sites de forage d’exploration. Carte reproduite avec l’aimable autorisation des Concerned Citizens of Atewa Landscape, un groupe de défenseurs de l’environnement.

En juin 2019, GIADEC a commencé à défricher les voies d’accès au sommet de la forêt d’Atewa en vue de la préparation du forage d’exploration et de l’identification des gisements de bauxite, dont le potentiel est estimé à 150-180 millions de tonnes.

Les défenseurs de l’environnement et les communautés locales s’opposent férocement au projet d’exploitation de la bauxite à Atewa. En 2018, des ONG et des groupes religieux ont marché 95 km, de la forêt à la capitale, pour protester contre ces projets. Plus récemment, le 21 janvier dernier, l’organisation Concerned Citizens of Atewa Landscape, un groupe de défenseurs de l’environnement, a organisé une plus petite marche (9,5 km) de la forêt jusqu’à Kyebi. « Sauvez la forêt d’Atewa maintenant !» et « Atewa est notre patrimoine » pouvait-on lire sur les panneaux de ces opposants au projet.

« GIADEC a foré à 53 endroits différents dans la forêt en vue des opérations prochaines et prétend que l’exploitation sera réalisée au nord de la forêt et n’aura donc aucun impact sur la partie sud », rapporte aux journalistes Oteng Adjei, le dirigeant des Concerned Citizens of Atewa Landscape. « Curieusement, la nappe phréatique à cet endroit spécifique est si peu profonde que si vous creusez ne serait-ce que 3 mètres dans le sol, vous y trouverez de l’eau. Or, la bauxite se trouve à 6 mètres de profondeur et en deçà, par conséquent il est évident qu’ils trouveront de l’eau avant de pouvoir extraire la bauxite », ajoute-t-il.

L’entreprise soutient que la manière dont elle exploitera la bauxite ne dégradera pas la forêt.

À une conférence de presse à Accra le 4 décembre dernier, Michael Ansah, le président directeur général de GIADEC a déclaré qu’une exploitation minière à ciel ouvert pouvait réduire le bruit, la poussière et l’empreinte de l’industrie minière sur l’environnement.

« Il existe des pratiques exemplaires d’entreprises où des réserves de forêts ont été exploitées et réhabilitées avec succès ; GIADEC s’appuiera sur ces exemples et s’assurera d’un impact minimum sur l’environnement et les communautés locales », souligne-t-il. « La forêt de Jarrah dans l’Ouest de l’Australie est un exemple d’exploitation durable et responsable de la bauxite », renchérit-il.

Selon lui, GIADEC veillera à limiter l’exploitation à proximité des nappes d’eau dans la forêt d’Atewa, ainsi qu’à enlever et à préserver la couche arable pour la conservation de la faune et la flore en vue de la réhabilitation future du site minier.

Lorsqu’il a été interrogé sur l’évaluation de l’impact social et environnemental du projet, Ansah a répondu à Mongabay que les entreprises qui se verraient attribuer l’accord d’exploiter la bauxite participeraient à l’évaluation de l’impact avec l’Agence pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Agency) et le Comité de gestion des ressources en eau du Ghana (Ghana Water Resource Commission) – une exigence clé pour pouvoir commencer toute activité d’exploitation. Il a confirmé que le forage d’exploration avait été effectué et qu’il s’attendait à ce que les entreprises contractées pour exploiter la forêt soient sélectionnées d’ici la fin mars 2020.

« Alors, qui a donné l’autorisation à GIADEC de pénétrer dans la forêt et de procéder au forage d’exploration ? », fait observer Francis Emmanuel Awotwi, maitre de conférences au collège universitaire d’études de l’agriculture et de l’environnement de Bunso, situé lui aussi dans l’enclave d’Atewa. La loi ghanéenne stipule qu’un programme de travail, un plan de site et de concession doivent être soumis avant qu’un permis de prospection puisse être délivré.

Awtowi précise qu’il reste également très sceptique sur la volonté de GIADEC à préserver les écosystèmes de la forêt d’Atewa tout en exploitant la bauxite à ciel ouvert.

Il ajoute que la même approche est présentement menée à Awaso, dans l’ouest du Ghana, et que le résultat est catastrophique. Awotwi explique qu’à cet endroit, la rivière Awa a été détruite par les activités d’exploitation de la bauxite dans la région, et que les habitants ne peuvent plus récupérer l’eau des pluies à cause de la poussière, et ajoute que bon nombre d’entre eux souffrent également de maladies respiratoires.

Quant à la référence faite par GIADEC à l’exploitation de la forêt Jarrah en Australie, Adjei, le dirigeant des Concerned Citizens of Atewa Landscape, souligne que le modèle de réhabilitation en Australie occidentale est complètement inapproprié ici. « Il existe des centaines de différentes espèces d’arbres et d’animaux dans la forêt d’Atewa qui peuvent uniquement survivre au sein d’un habitat naturel, et GIADEC n’a manifesté aucun effort ou n’a révélé aucun plan de route pour les préserver lorsqu’ils ont préparé leurs activités d’exploitation », ajoute-t-il.

The state-owned aluminium company says it can mine Atewa with damaging it, but conservationists are unconvinced. Image courtesy A Rocha Ghana.
La compagnie nationale d’aluminium affirme pouvoir effectuer ses activités d’exploitation minière à Atewa sans détruire la forêt, mais les défenseurs de l’environnement n’en sont pas convaincus. Crédit photo : A Rocha Ghana.

Sacrifice inutile

Selon Awotwi, les 700 millions de tonnes de gisement de bauxite de la forêt de Nhyinahin pourraient générer les 2 milliards de dollars nécessaires à l’accord de Sinohydro, sans détruire la forêt d’Atewa. « Nous avons toujours su qu’il y avait de la bauxite à Atewa, mais les gouvernements sont venus et repartis et personne n’a jamais touché à Atewa, car il s’agit d’une région très délicate du point de vue écologique. »

Nhyinahin fait partie de la réserve de la forêt Tano-Offin, dans la région d’Ashanti. Mais là aussi, il y a des opposants à l’exploitation de la bauxite. Les chefs traditionnels de la région ont envoyé une pétition au président Akufo-Addo pour mettre un terme aux opérations d’exploitation, citant un manque de concertation de la part de GIADEC.

Les communautés autour d’Atewa ont également rejeté les promesses de GIADEC.

« Nous ne vivons plus au pays des rêves and nous ne sommes plus des Ghanéens du 17e siècle », s’insurge Emmanuel Tabi, un représentant de l’assemblée locale. « Où est l’évaluation de l’impact environnemental ? Et la feuille de route ? Qu’ils nous montrent qu’ils sont sérieux et nous les prendrons alors au sérieux ! Ils ne peuvent pas continuer à nous dire n’importe quoi. »

Tabi nous confie être très inquiet pour les habitants qui dépendent de la forêt pour leur subsistance : « C’est la réserve de la forêt d’Atewa qui détermine notre existence. Alors S’il arrive quelque chose à la forêt, les précipitations s’en trouveront elles aussi affectées, avec des répercussions sur nos moyens de subsistance. Toutes les personnes vivant dans cette région seront touchées, c’est pour cette raison qu’il est très important de préserver la forêt. »

Tabi exhorte le président, également originaire de la région d’Atewa, d’annuler le projet d’exploitation de la bauxite et de transformer la forêt en parc national à la place.

« Personne ne dit que l’exploitation de la bauxite n’est pas une bonne chose ou qu’elle ne créera pas d’emplois ou ne génèrera pas de revenus, précise-t-il, mais nous estimons que quel que soit le montant que rapportera l’exploitation de la bauxite avec les plans actuels, nous parions qu’en choisissant l’autre option, celle de transformer la forêt en parc national, nous générerons plus de profits et cela aidera le Ghana d’aujourd’hui et le Ghana de demain. »

Local assembly representative Emmanuel Tabi wants Atewa designated as a national park. Image Awudu Salami for Mongabay.
Emmanuel Tabi, le représentant de l’assemblée locale « S’il arrivait quelque chose à la forêt, les précipitations s’en trouveraient elles aussi affectées, avec des répercussions sur nos moyens de subsistance. » Image de Awudu Salami pour Mongabay.

Image de bannière : Contreforts de la forêt d’Atewa. Photo de Ahtziri Gonzalez/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

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Article original: https://news.mongabay.com/2020/02/ghanas-government-faces-pushback-in-bid-to-mine-biodiversity-haven-for-bauxite/

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