Nouvelles de l'environnement

Sierra Leone – Le chimpanzé s’adapte à son habitat détruit par l’homme, mais les menaces perdurent

  • Pour survivre dans des habitats sévèrement dégradés par l’homme, les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest s’adaptent à leur nouvel environnement, rapporte une récente étude.
  • Cependant, l’étude révèle aussi qu’en Sierra Léone l’abondance des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest se voit menacée par la construction de routes, même secondaires.
  • La survie des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest nécessite des changements en matière d’agriculture, d’infrastructures routières et de tout autre projet de développement, soulignent les chercheurs.

Une récente étude menée sur les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest dans le sud-ouest de la Sierra Léone rapporte que ces derniers s’adaptent aux habitats sévèrement dégradés par les activités humaines pour survivre. Les chercheurs précisent toutefois que cette adaptation ne doit pas écarter la nécessité de minimiser les impacts des projets de développement (tels que les constructions de routes) sur la vie des animaux, ni d’encourager la population locale à mettre en place des approches moins destructrices.

Malgré la perte progressive de la majeure partie de leur habitat d’origine, les chimpanzés du district de Moyamba survivent grâce à tout un ensemble de conditions, nous confie Tatyana Humle, maitre de conférences et primatologue à l’université de Kent, en Angleterre, et également l’une des auteurs de cette étude.

« Le principal facteur responsable de la déforestation dans le district de Moyamba est l’agriculture itinérante sur brûlis qui perdure depuis des générations, mais certaines ressources naturelles essentielles restent présentes dans l’environnement, nous explique Humle. La zone étudiée abonde en effet en palmiers à huile semi-domestiqués : le palmier à huile est originaire d’Afrique de l’Ouest, et les hommes évitent de les couper, car ils consomment leurs fruits et utilisent leurs feuilles pour la construction de matériaux et pour la production locale de vin ».

Les palmiers à huile (Elaeis guineensis) constituent un élément naturel clé pour le chimpanzé, qui généralement se construit un nouveau nid chaque nuit. Dans la zone étudiée, tous les nids étaient construits à l’aide de palmiers à huile, dans l’absence d’autres espèces d’arbres matures utilisés pour la nidification. Autre espèce d’arbres généralement épargnée par les agriculteurs (car ils consomment ses fruits) : le prunier de Guinée (Parinari excelsa) ; les prunes sont également un des aliments préférés des chimpanzés.

Les habitations relativement petites dans la région et la tolérance des habitants envers la présence des chimpanzés jouent également un rôle moteur ici pour leur survie. « La [population] ne les persécute pas et ne les tue pas ; elle ne semble pas les craindre, et elle ne les maltraite pas parce qu’ils se nourrissent de leurs cultures – ce que font les chimpanzés dans la zone de l’étude, probablement car les ressources alimentaires naturelles y sont limitées », poursuit Humle.

Moyamba residents standing in front of mud-brick and thatched roof homes.
La population dans le district de Moyamba vit dans des habitations relativement petites ; la forêt ici a été largement remplacée par des terres agricoles et des cultures de palmiers à huile semi-sauvages. Photo : Red Cross CC by ND 2.0

Les chimpanzés dans l’Anthropocène

Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodyte verus) vivent aujourd’hui dans huit pays de la région – le plus grand nombre d’entre eux se trouvant en Guinée, au Liberia et en Sierra Léone. Historiquement très présente au Benin, au Burkina Faso et au Togo, la sous-espèce y a pratiquement disparu au cours du 20e siècle. Aujourd’hui elle s’est également pratiquement éteinte en Guinée, et sa population a considérablement diminué en Côte d’Ivoire au cours des dernières décennies.

La Sierra Léone abriterait 10 % des 53 000 chimpanzés d’Afrique de l’Ouest toujours à l’état sauvage – plus de 2/3 d’entre eux se trouvant hors des zones protégées du pays.

Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent dans une grande variété d’habitats, comme la savane et les forêts tropicales. Mais la perte progressive de leur habitat, due à une expansion de la population humaine, des zones agricoles, des exploitations minières et du développement des infrastructures, constitue la principale menace à la survie de la sous-espèce. La destruction ou la dégradation de leur habitat, associées l’une et l’autre aux maladies telles que l’Ebola, au braconnage pour la viande de brousse et la médecine traditionnelle, ou en représailles contre les dégâts causés dans les plantations, a entrainé une chute considérable du nombre de chimpanzés, plaçant alors l’animal sur la liste rouge des espèces en danger d’extinction critique de l’IUCN (Union internationale pour la protection de la nature).

Les chercheurs de l’université autonome de Barcelone, de l’Institut espagnol de recherches en ressources cynégétiques, de l’université de Kent, et du sanctuaire des chimpanzés Tacugama en Sierra Léone ont entrepris des recherches pour déterminer comment les facteurs anthropiques (routes, infrastructures, abandon d’infrastructures et présence humaine) et les habitats disponibles (marécages, terres agricoles et mangroves) ont pu entrainer un tel déclin du nombre de chimpanzés dans le district de Moyamba.

Dans cette partie du pays, la forêt a été largement remplacée par des terres agricoles cultivées, puis abandonnées, et des plantations de palmiers à huile semi-sauvages. En effet, le district ne compte plus que quelques routes non revêtues et quelques zones relativement intactes de marécages et mangroves. Il s’agit d’une situation courante dans les zones forestières d’Afrique de l’Ouest, où les mosaïques de terres agricoles, de terres en jachère et d’un reste de forêt sont devenues le paysage prédominant à l’heure où l’expansion humaine, urbaine et le développement de l’agriculture industrielle empiètent sur l’habitat naturel.

L’équipe de chercheurs a installé 24 pièges photographiques infrarouges sur les terres agricoles, dans les marécages et les mangroves à travers le district sur une période de huit mois, entre 2015 et 2016, pour un résultat de 75 000 photos.

Comme prévu, les informations récoltées, grâce aux pièges photographiques, révèlent que les chimpanzés ont préféré rester proche des marécages et ont eu tendance à éviter les zones routières. Cependant, contrairement à toute attente, la présence humaine et les habitations, qu’elles soient utilisées ou à l’abandon, ne semblent pas avoir d’effets négatifs sur l’abondance des chimpanzés. Ces derniers ont en effet été photographiés à proximité d’habitations, portant parfois des fruits provenant de cultures fruitières, comme des ananas et des mangues. Toutefois, les chimpanzés allaient récolter ces fruits tôt le matin et tard dans la journée, semblant ainsi planifier leurs allers et venues de façon à éviter tout contact avec les hommes, actifs dans cette zone en pleine journée.

La réticence des chimpanzés à emprunter les routes du district s’explique de plusieurs façons.

Des études précédentes menées en Afrique Centrale (qui abrite une autre espèce de chimpanzés), ont révélé que seule la présence de routes principales goudronnées, d’une largeur supérieure à 15 mètres (50 pieds) et relativement fréquentées, aurait une incidence négative sur l’abondance des chimpanzés. Mais l’étude menée dans le district de Moyamba a, quant à elle, démontré que les chimpanzés ont évité les routes secondaires non revêtues.

« Ces résultats sont d’une importance majeure, car le nombre des projets d’infrastructures est prévu d’augmenter de manière significative ces prochaines années à travers toute l’Afrique, et notamment en Afrique de l’Ouest ! », s’alarme Humle.

D’autres chercheurs ont exprimé les mêmes inquiétudes.

« Ce rapport souligne la nécessité de mieux comprendre l’impact qu’auront les projets d’infrastructures, comme les routes, sur la distribution et le comportement des chimpanzés, en particulier au vu des prochains projets de construction de routes à travers l’Afrique de l’Ouest. Il est peu probable qu’ils nous apportent de bonnes nouvelles », nous confie Kimberly Hockings, chercheuse spécialisée dans la protection des primates à l’université de Exeter, qui n’était pas impliquée dans la récente étude.

Hockings, qui, dans ses recherches, se penche sur les interactions entre les primates humains et non-humains, déclare que cette étude ainsi que d’autres montrant que les populations de chimpanzés peuvent vivre à proximité des humains sous certaines conditions ne légitiment en aucun cas la destruction des habitats des primates. « Ce message doit être transmis de la manière la plus claire possible », a-t-elle ajouté.

La réticence du chimpanzé du district de Moyamba à emprunter les routes – même – secondaires va devoir influencer les décisions des gouvernements en Sierra Léone et dans d’autres pays africains, une région qui cherche à se développer le plus rapidement possible. De tels projets peuvent entrainer des taux de destruction de l’habitat à la hausse, et également augmenter le taux de mortalité du chimpanzé, soit directement avec une augmentation du nombre d’entre eux tués sur les routes, soit indirectement avec l’autorisation du braconnage, rapporte l’étude.

À côté des aménagements nécessaires au développement des infrastructures, l’équipe de chercheurs souhaite également voir les communautés locales mettre des terres en jachère pour permettre la régénération naturelle d’arbres fruitiers, tels que des figuiers sauvages. « Ceci pourrait potentiellement aider à réduire la dépendance des chimpanzés envers les aliments de cultures. Ces zones pourraient aussi être utilisées par les hommes pour leurs plantations médicinales ou autres ressources utiles, qui, comme ils l’affirment, ne sont plus disponibles aujourd’hui en raison de la déforestation », explique Humle.

« Si nous voulons sécuriser leur survie sur le long-terme, il est crucial de mettre en place des mesures de protection qui peuvent aussi bien profiter aux hommes qu’aux chimpanzés, affirme Humle. Les actions de protection doivent être centrées sur l’éducation des hommes et sur l’aide apportée aux fermiers pour mettre en place des formes d’agriculture alternatives à l’agriculture itinérante sur brûlis ainsi que des activités génératrices de revenus plus écologiques afin de préserver la coexistence des deux espèces. »

Solutions sur le long-terme

Le gouvernement de Sierra Léone affirme renforcer ses efforts pour la protection des chimpanzés. En mars, il a déclaré que le chimpanzé était devenu l’emblème national du pays et a promis d’ouvrir deux nouveaux sanctuaires.

Toutefois, comme la majorité des chimpanzés vit hors des zones protégées, la création de nouveaux refuges risque de manquer son objectif.

Lincoln Larson, expert en interactions et conflits entre les humains et la faune sauvage à l’université de Caroline du Nord aux États-Unis, explique qu’en raison de l’augmentation massive de l’empreinte écologique, les animaux n’ont pas d’autre choix que de s’adapter ou de périr.

« Ceci peut signifier occuper des zones dominées par des infrastructures humaines, voire dans certains cas s’y développer et en tirer profit, nous a-t-il confié. Les chimpanzés en Sierra Léone, les léopards à Mumbai, et les pumas à Los Angeles en sont tous de bons exemples. »

Les chimpanzés sont contraints de changer leur comportement, leurs activités, voire leur régime alimentaire pour survivre dans des environnements dominés par les hommes. Larson met toutefois en garde que les conséquences de ces changements restent inconnues. « Confiner les animaux sauvages dans des zones protégées et/ou attendre – espérer – que l’animal s’adapte lorsqu’il s’aventure à l’extérieur des parcs ne représentent pas des options viables d’un point de vue écologique ou socio-économique », ajoute-t-il.

« Pour parvenir à une coexistence entre la faune sauvage et les hommes, nous devons être proactifs. Nous devons trouver des solutions qui puissent financièrement aider la population au quotidien et encourager le développement de la communauté, tout en réalisant nos objectifs de protection des animaux sauvages. Nous devons également mettre en place des actions qui puissent être compatibles en situation de conflit. Les deux espèces (humaine et animale) se trouvent probablement aujourd’hui à la croisée des chemins, il revient toutefois aux hommes de déterminer où ces chemins mèneront. »


Photo en bannière : Image tirée d’un piège photographique montrant un chimpanzé venant tout juste de cueillir des mangues. Photo : Chimpanzé du sanctuaire de Tacugama/DICE, université de Kent.

 

Citations

Garriga, R. M., Marco, I., Casas-Díaz, E., Acevedo, P., Amarasekaran, B., Cuadrado, L., & Humle, T. (2019). Factors influencing wild chimpanzee (Pan troglodytes verus) relative abundance in an agriculture-swamp matrix outside protected areas. PLOS ONE, 14(5). doi:10.1371/journal.pone.0215545

Heinicke, S., Mundry, R., Boesch, C., Amarasekaran, B., Barrie, A., Brncic, T., … Kühl, H. S. (2019). Advancing conservation planning for western chimpanzees using IUCN SSC A.P.E.S.—the case of a taxon-specific database. Environmental Research Letters14(6), 064001. doi:10.1088/1748-9326/ab1379

Van Vliet, N., & Nasi, R. (2007). Mammal distribution in a Central African logging concession area. Biodiversity and Conservation, 17(5), 1241-1249. doi:10.1007/s10531-007-9300-5

Vanthomme, H., Kolowski, J., Korte, L., & Alonso, A. (2013). Distribution of a Community of Mammals in Relation to Roads and Other Human Disturbances in Gabon, Central Africa. Conservation Biology, 27(2), 281-291. doi:10.1111/cobi.12017

 

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Article original: https://news.mongabay.com/2019/07/chimps-in-sierra-leone-adapt-to-human-impacted-habitats-but-threats-remain

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