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L’interdiction d’un mois de la pêche en Sierra Leone a-t-elle permis de reconstituer les stocks de poissons ?

  • Le gouvernement de Sierra Leone a fermé les eaux du pays à la pêche industrielle pendant tout le mois d’avril pour permettre aux stocks de poissons en déclin de se reconstituer. Pendant cette période, les pêcheurs artisanaux étaient autorisés à exercer leur activité.
  • Les pêcheurs artisanaux et industriels ont semblé soutenir cette fermeture, la première en son genre, face à la baisse des captures et à l’afflux de navires de pêche étrangers pratiquement non réglementés.
  • Les responsables ont qualifié cette fermeture de succès, dans le cadre des efforts réalisés par la Sierra Leone pour formaliser et obtenir le contrôle réglementaire de ses pêcheries.
  • Cependant, des experts externes ont émis des doutes sur le fait que cette mesure contribuerait grandement à améliorer l’état des pêcheries du pays.

FREETOWN, Sierra Leone — Le gouvernement sierra-léonais a fermé les eaux du pays à la pêche pendant tout le mois d’avril pour permettre aux stocks de poissons en déclin de se reconstituer. Durant cette période, les entreprises de pêche industrielle n’étaient pas autorisées à pêcher, contrairement aux pêcheurs artisanaux.

Il semble que les pêcheurs artisanaux et industriels aient soutenu cette fermeture, la première en son genre, avec en toile de fond une baisse des captures et l’afflux de navires de pêche étrangers quasiment non réglementés, qui, selon les habitants, anéantissent les réserves de poisson et les obligent à fermer boutique. Les responsables ont qualifié cette fermeture de succès, dans le cadre des efforts réalisés par la Sierra Leone pour formaliser et obtenir le contrôle réglementaire de ses pêcheries. Cependant, des experts externes ont émis des doutes sur le fait que cette mesure contribue grandement à améliorer l’état des pêcheries du pays.

Fishermen tend their nets in Tombo. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Des pêcheurs étendant leurs filets à Tombo. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

Le 28 mars, lors d’une conférence de presse, la ministre de la Pêche Emma Kowa Jalloha a déclaré que la principale raison de la fermeture était de permettre aux poissons de se reproduire. Elle a exprimé ses inquiétudes concernant les nombreux défis que le pays doit relever dû à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (dite INN).

Emma Kowa Jalloh a annoncé que le gouvernement prenait un ensemble de mesures après la fermeture d’un mois, pour faire en sorte que l’énorme potentiel que représentent les pêcheries du pays soit pleinement exploité. Elle a souligné que les mesures suivantes seront prises : faire pression pour que les pêcheries du pays soient cogérées par les parties prenantes de l’industrie, le gouvernement et la société civile ; accroître la fiabilité des données pour améliorer la gestion des ressources marines ; et la désignation d’un maître pêcheur national qui traitera des affaires liées aux pêcheurs. Elle a cité comme exemple de progrès réalisé l’ouverture d’une nouvelle structure de débarquement de poisson dans la ville de Tombo.

Sierra Leone’s fisheries minister, Emma Kowa Jalloh spot checks a cold-storage facility in the capital Freetown to see that fish is available for the local market. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Emma Kowa Jalloh, ministre de la Pêche de la Sierra Leone, inspecte une chambre froide dans la capitale Freetown pour s’assurer que du poisson est disponible pour le marché local. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

« La Guinée et le Sénégal ont mis en œuvre des périodes d’interdiction, tandis que d’autres pays ont fermé certaines zones », a fait remarquer à Mongabay Madame Khadijatu Jalloh, directrice de la pêche au ministère. « La Sierra Leone essaye de mettre en place ces deux démarches. »

Outre la période d’interdiction de la pêche, Madame Khadijatu Jalloh a cité les restrictions imposées par le ministère sur les chalutiers industriels empêchant ces derniers d’opérer à moins de 6 milles nautiques (11 kilomètres) de la côte, et la désignation en 2012 de quatre zones marines protégées fermées à certains types de pêche. Pour autant, sept ans après, ces zones protégées doivent encore être mises en pratique. Elle a par ailleurs fait référence aux efforts visant à rendre la pêche artisanale plus durable en formant les pêcheurs locaux à signaler les infractions aux autorités.

Sierra Leone’s director of fisheries, Khadijatu Jalloh, at her office. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Khadijatu Jalloh, directrice de la pêche de la Sierra Leone, dans son bureau. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

Malgré les difficultés, le secteur de la pêche est en pleine progression. Selon Khadijatu Jalloh, un vaste exercice réalisé en 2012 avait permis d’immatriculer 10 700 pirogues. En 2018, ce chiffre était passé à 12 000. Comme l’explique Khadijatu Jalloh : « Tout le monde considère la pêche comme une activité lucrative ; on part le matin et quand on rentre le soir, on a quelque chose à vendre et on a gagné sa journée ».

Malgré la réduction des profits, le secteur de la pêche industrielle du pays a salué la récente fermeture. « La période de fermeture a affecté nos activités ; certains frais généraux ont été financés par notre propre réserve » a fait observer à Mongabay Bassem Mohamed, président de l’association de la pêche industrielle de Sierra Leone et directeur général de l’entreprise basée à Freetown Sierra Fishing Company, l’un des plus grands fournisseurs de produits de la mer du pays. « Mais en définitive, nous appuyons cette idée, car il s’agit d’une étape importante prise par le gouvernement pour relever le défi de l’épuisement des stocks de poissons. »

Mohamed Suma, pêcheur artisanal de Tombo, a confié que ses collègues et lui étaient ravis de cette fermeture. Pour la première fois, a-t-il indiqué, les habitants ont eu le sentiment que le gouvernement se préoccupait d’eux et avait pris des mesures pour protéger leurs intérêts. « Certes, la période de fermeture est déterminante pour la restauration des stocks de poisson, mais elle est trop courte », a-t-il fait observer à Mongabay.

Fishing boats set to go to sea in Tombo. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Des bateaux de pêche sur le point de prendre la mer à Tombo. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

Selon Mohamed Suma, la situation s’est tellement aggravée que les pêcheurs passent désormais plusieurs jours en mer pour ramener des prises beaucoup plus petites qu’auparavant. Il a énuméré un certain nombre de griefs à l’encontre des navires de pêche industrielle : empiètement sur les zones du littoral réservées à l’usage exclusif des pêcheurs artisanaux ; destruction accidentelle et pourtant coûteuse du matériel des pêcheurs artisanaux ; et, tragiquement, collisions en mer qui ont blessé des pêcheurs artisanaux et coûté la vie à certains d’entre eux. Il a enjoint au gouvernement de prendre immédiatement des mesures pour protéger les intérêts et la sécurité des pêcheurs artisanaux.

Les responsables se sont eux aussi réjouis de l’effet de la fermeture. Un avis public du ministère déclarant la fin de la période de fermeture indique que la marine, le comité maritime mixte, la police maritime et le consortium des pêcheurs artisanaux ont surveillé les eaux pendant la fermeture, et qu’un groupe de travail spécialement créé a fait le suivi de la chaîne d’approvisionnement pour garantir qu’aucun poisson pêché illégalement n’y pénètre.

« Pour moi, la période de fermeture a été une réussite ; pour la première fois dans l’histoire de la Sierra Leone, les poissons ont un peu de répit », a expliqué Salieu Sankoh, directeur du Projet Régional des Pêches en Afrique de l’Ouest (PRAO) en Sierra Leone, qui a financé le déploiement pendant 7 jours de deux patrouilleurs de surveillance lors de la fermeture. « Pour résumer la situation, chaque jour, 10 000 bateaux courent après ces stocks de poisson et une centaine de navires de pêche industrielle parcourent ces eaux 24 heures sur 24, poursuivant les mêmes stocks de poisson. »

Depuis 2010, la Banque mondiale tente d’aider la Sierra Leone et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest à améliorer la gouvernance et la gestion durable de leurs pêcheries et à réduire la pêche illicite. Aux dires de Salieu Sankoh, cette organisation a notamment aidé les pêcheurs artisanaux à développer des règlements locaux restreignant la pêche qui utilise certains types de matériel et à certaines dates.

Un principe clé de l’effort global a été de contrôler l’accès aux stocks de poisson, a-t-il expliqué. « En Sierra Leone, les gens n’ont pas besoin d’obtenir de permission pour exercer des activités de pêche. N’importe qui peut se construire une pirogue le matin et partir en mer le soir même. », a précisé Salieu Sankoh.

Salieu Sankoh, director of the World Bank’s West African Regional Fisheries Program in Sierra Leone, speaks in Freetown. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.Cependant, tout le monde ne s’est pas montré aussi optimiste concernant l’effet de la fermeture. « La fermeture de la pêche est toujours bienvenue, mais il faut qu’elle dure suffisamment longtemps et que la pêche illicite soit contrôlée », a fait remarquer dans un e-mail à Mongabay Dyhia Belhabib, chercheuse dans le domaine de la pêche pour l’ONG Ecotrust Canada, spécialisée dans la pêche en Afrique de l’Ouest, notamment en Sierra Leone. « Si nous nous penchons sur le cas de la Sierra Leone, où la pêche illicite est un problème endémique, une interdiction d’un mois de la pêche industrielle ne peut en aucun cas résoudre quoi que ce soit. »

Et Dyhia Belhabib d’ajouter : « même si c’était possible, s’il y avait un contrôle effectif de toute la pêche (licite et illicite), dès l’instant où la pêche reprend, la frénésie des navires industriels redémarrera également ».

Elle affirme qu’environ 20 pour cent des navires industriels titulaires d’un permis de pêche en Sierra Leone ont été impliqués dans une activité criminelle, et que près de 80 pour cent des entreprises de pêche opérant dans le pays ont des navires mêlés à la pêche INN. Sans compter les bateaux sans permis. « Il s’agit d’interdire à la pêche les navires à haut risque, dans un pays où le réseau de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS) est relativement faible », a-t-elle poursuivi. Elle ajoute que le suivi satellite des signaux des Systèmes d’identification automatiques des navires de pêche a révélé une forte activité de pêche dans les eaux de Sierra Leone lors de la fermeture du mois d’avril.

An artisanal catch in the town of Tombo. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Une prise artisanale dans la ville de Tombo. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

« Je suis d’avis qu’il est urgent d’interdire la pêche aux navires industriels, mais que ceci doit s’assortir d’une stratégie robuste de contrôle et de surveillance, sans quoi cela pourrait accroître la pêche illicite et en masquer les effets. », a expliqué Dyhia Belhabib.

L’application déficiente des lois en matière de pêche est un problème reconnu en Sierra Leone. Selon un agent du ministère de la Pêche, qui désirait demeurer anonyme pour éviter de mettre en péril sa situation professionnelle, même lorsque des navires de pêche illicites sont immobilisés, on les relâche sitôt qu’ils sont ramenés à terre. « Nos efforts semblent futiles et notre marge de manœuvre est faible, car les ordres venant d’en haut nuisent à notre travail », nous a confié cette source. « La plupart du temps, la situation est inversée : ils nous voient comme les méchants », a poursuivi notre source, en faisant référence aux responsables haut placés du ministère.

Le travail d’Uzman Unis Bah a figuré dans le magazine Pan African Visions, en version papier et en ligne. Il a obtenu une licence en communication à l’université de Sierra Leone et un certificat en campagnes média pour le développement et le changement social auprès de l’organisme Radio Netherlands Training Center. En 2018, il a représenté la Sierra Leone au Forum for Internet Freedom (Forum pour la liberté Internet) à Accra, au Ghana.

Fishermen arrange their gear in Tombo. Many local artisanal fishermen supported the recent one-month closure of Sierra Leone’s waters to fishing by industrial vessels. Image by Uzman Unis Bah for Mongabay.
Des pêcheurs en train de ranger leur matériel à Tombo. Bon nombre de pêcheurs artisanaux ont salué la récente fermeture d’un mois des eaux de pêche de la Sierra Leone aux navires de pêche industrielle. Image d’Uzman Unis Bah pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2019/07/was-sierra-leones-one-month-fishing-ban-enough-to-replenish-fish-stocks/

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