Nouvelles de l'environnement

La moitié de la plus grande réserve africaine pourrait être sacrifiée au profit du pétrole

  • Au moment de sa création en 2012, la réserve naturelle nationale de Termit et Tin-Toumma au Niger était la plus grande d'Afrique.
  • Pourtant, après tout juste sept ans, le gouvernement envisage de retracer ses frontières et de réduire sa surface de près de moitié.
  • La décision fait suite aux pressions de la China National Petroleum Corporation (CNPC), qui détient des droits d'exploration dans une petite partie de la réserve, dans le but de développer ses opérations de manière significative.
  • Les organisations écologistes, parmi lesquelles l'ONG en charge de la réserve, affirment que cette décision bouleverserait des zones de grande biodiversité, menaçant ainsi des espèces en danger critique d'extinction comme l'addax et la gazelle dama.

Créée en 2012 au Niger, la réserve naturelle nationale de Termit et Tin-Toumma est la dernière région du Sahara relativement épargnée par les activités humaines. Mais une extension de l’exploration pétrolière menace ce sanctuaire qui abrite 130 espèces d’oiseaux et 17 autres de mammifères, parfois en danger critique d’extinction comme l’addax (Addax nasomaculatus).

La Réserve Naturelle Nationale de Termit et Tin-Toumma s’étend sur près de 100 000 kilomètres carrés de désert et de montagnes de basse altitude dans le sud du Sahara, une région trois fois plus vaste que la Belgique et aussi grande que l’État américain du Maine. Un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et reconnu dans le monde entier pour sa biodiversité dans un paysage qui offre montagnes, vallées et plaines herbeuses, désert et mers de sable.

Mais le 26 juin de cette année, sept ans après la création de la réserve, le conseil des ministres du Niger a annoncé la modification de ses limites, amputant la zone protégée de près de 45 000 kilomètres carrés.

« Nous avons été vraiment choqués en apprenant la nouvelle, » déclare Sébastien Pinchon, responsable de parcs pour l’ONG française Noé qui est chargée de la gestion de la réserve pour le compte du gouvernement. L’accord final attribuant la gestion de la réserve à Noé avait été signé quelques mois auparavant, le 5 novembre 2018.

« Nous venons de nous mettre au travail, nous construisons des bâtiments, achetons des véhicules et engageons du personnel pour gérer correctement la zone protégée, » explique Sébastien Pinchon à Mongabay. En raison de l’étendue de la réserve et de son emplacement reculé, un à deux ans seront nécessaires avant qu’elle soit pleinement opérationnelle, ajoute-t-il.

La China National Petroleum Corporation (CNPC), l’une des plus importante compagnies pétrolières au monde, détient des droits d’exploration sur une petite zone à l’intérieur de la réserve, mais elle a dernièrement fait pression pour une extension majeure de ces droits, raconte Sébastien. Il y a dix ans, le Niger a annoncé qu’en échange d’un investissement de cinq milliards de dollars, la CNPC, propriété du gouvernement chinois établirait un certain nombre de puits, une raffinerie d’une capacité de 20 000 barils par jour et un oléoduc pour exporter le pétrole produit.

Il se trouve que les 45 000 kilomètres carrés que le gouvernement veut soustraire à la réserve sont ceux qui abritent la plus grande partie de la faune, avec des espèces en danger critique comme l’addax, qui compte désormais moins de cent individus à l’état sauvage, et la gazelle dama (Nanger dama). « Le gouvernement propose d’ajouter à la réserve une étendue de terre équivalente sur sa limite ouest, mais elle est de peu d’intérêt écologique, » ajoute Sébastien Pinchon.

Il a fallu des dizaines d’années d’étude et de suivi de la faune, d’éducation et de rencontres pour mobiliser le soutien nécessaire à tous les niveaux, depuis les populations locales jusqu’au président du Niger pour créer la réserve, raconte John Newby, conseiller principal au Sahara Conservation Fund, une ONG de protection de la nature.

« La réserve est unique en son genre dans toute la zone sahélo-saharienne en raison de la richesse de sa faune encore intacte, » ajoute John Newby, qui travaille dans la région depuis plus de 30 ans.

Mais depuis que les opérations pétrolières de la CNPC ont commencé en 2010, la population d’addax s’est effondrée, raconte-t-il à Mongabay. « Ce n’est pas tant les forages, mais plutôt le braconnage par les patrouilles militaires nigériennes en charge de la protection des camps de la CNPC qui a mené l’addax au bord de l’extinction. »

Les conflits armés dans la région sahélo-saharienne font des ravages au sein de la faune locale. Photo : Université de Grenade.

Les braconneurs semblent chasser pour la viande. Des uniformes militaires tachés de sang on été retrouvés enterrés avec des restes d’addax. « J’ai déjà rencontré ces patrouilles de militaires. Personne ne peut les arrêter dans le désert, » affirme John Newby.

Le gouvernement et les responsables militaires n’ont guère réagi malgré les plaintes des défenseurs de la nature. Les Chinois pourraient agir mais ils ne semblent même pas vouloir aborder le sujet, déclare John Newby. « Ils n’ont pas l’air d’être intéressés par ce qui se passe. »

Noé a tenté à de nombreuses reprises de rencontrer les responsables de la CNPC, sans aucun succès, raconte Sébastien Pinchon. Ce manque d’intérêt est en flagrante contradiction avec la volonté affichée par la Chine de devenir un leader mondial de la biodiversité, ajoute-t-il. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), sous présidence de la Chine, organise le Congrès Mondial pour la Nature en France l’année prochaine. La Chine accueillera également ce qui est considéré comme une rencontre phare de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique en novembre 2020.

Selon Sébastien Pinchon, « le pétrole et la faune sauvage peuvent coexister si les normes internationales sont respectées ou en suivant les normes appliquées en Chine. » Au lieu de cela, les observateurs et les populations locales font état de bétail empoisonné près d’oléoducs qui fuient, d’oiseaux morts dans des bassins d’eaux résiduelles des forages, de décharges sauvages dans le désert, d’abattage d’arbres et de la disparition de certains tubercules qui sont la principale ressource en eau de l’addax.

L’exploitation du pétrole n’a pas forcément de graves conséquences si elle est bien faite, affirme Fabien Quétier de Biotope, un organisme de conseil en écologie scientifique basé en France.

L’exploitation du pétrole au Gabon par Shell, en collaboration avec des partenaires dans le domaine de la conservation comme le Smithsonian Conservation Biology Institute, a permis de protéger la faune sauvage en réduisant le braconnage à l’intérieur et autour du parc national de Loango, sur la côte atlantique du pays, explique-t-il.

Si la Chine veut opérer dans d’autres pays à fort enjeu écologique, elle devrait montrer qu’elle est capable de le faire sans répercussions négatives au Niger, dit Fabien Quétier à Mongabay.

Map of Termit and Tin Touma National Nature Reserve
Carte courtoisie de Noé.

« Le Niger est fier, et à juste titre, du nombre de zones protégées qu’il possède. Il est un des leaders mondiaux dans ce domaine, » explique John Newby. Mais le Niger est aussi l’un des pays les plus pauvres. C’est la raison pour laquelle Noé se charge de gérer la réserve, en y apportant connaissances techniques, formation et des millions d’euros de financement de l’Union Européenne, dit-il.

Il remarque également que la gestion de réserves par des organisations à but non lucratif pour le compte des états devient de plus en plus courant en Afrique et ailleurs dans le monde. Le financement de la réserve devra continuer puisque la sécurité dans la région est trop précaire pour générer des revenus liés au tourisme Le Niger est impliqué dans la lutte contre Boko Haram dans la région et le pays est aussi un point de passage du trafic humain de migrants qui tentent de se rendre en Libye et de là, en Europe.

Le Niger a besoin des revenus du pétrole, et l’exploitation pétrolière peut se faire sans détruire l’environnement ni soustraire de terres à la réserve, affirme John Newby.

« L’échange de terres proposé n’est pas une solution. »

Image de bannière : Il reste moins de 100 addax à l’état sauvage. Photo : Thomas Rabeil/Sahara Conservation Fund.

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