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Du carbone à brûler : l’engagement du Royaume-Uni de réduire à zéro ses émissions nettes compromis par l’énergie de la biomasse

  • Le Royaume-Uni et l’Union européenne se fixent des objectifs pour atteindre zéro émission nette de carbone d’ici 2050. Mais, d’après les analystes, cette déclaration n’est pas du tout correcte, en raison d’une lacune de longue date dans la comptabilisation du carbone aux Nations Unies, qui ferme les yeux sur la conversion des centrales électriques alimentées au charbon en centrales alimentées aux granulés de bois.
  • Bien que la coupe des arbres pour les convertir en granulés de bois pour produire de l’énergie soit finalement neutre en carbone — si on plante des arbres en nombre équivalent — le processus de repousse prend de 50 à 100 ans. Cela signifie que les granulés de bois brûlés aujourd’hui, et dans les décennies à venir, ajouteront une émission massive de carbone dans l’atmosphère.
  • Ce carbone aggravera considérablement le réchauffement de la planète — entraînant une augmentation du niveau de la mer, des phénomènes météorologiques extrêmes et peut-être une catastrophe climatique — alors même que le comptage officiel du carbone par l’ONU donne un faux sentiment de sécurité en faisant croire que nous réduisons efficacement les émissions pour freiner le changement climatique.
  • Si l’on ne s’attaque pas au problème de la biomasse, il y a un vrai risque que le monde dépasse facilement les objectifs de l’Accord de Paris et que les températures dépassent largement la limite de sécurité de 1,5 degré Celsius. À l’heure actuelle, aucune mesure officielle n’a été prise pour remédier à la lacune de la biomasse.
Centrales électriques de Drax au Royaume-Uni, l’une des plus grandes utilisatrices de biomasse ligneuse pour la production d’énergie. Le dôme de biomasse de Drax, que l’on peut voir ici, brûlait du charbon, mais maintenant ce sont des granulés et des copeaux de bois, générant ainsi des émissions de gaz à effet de serre. Crédit photo : DECCgovuk sur VisualHunt/ CC BY-ND.

La semaine dernière, le Royaume-Uni a annoncé son intention d’adopter une loi nationale fixant un objectif national d’émissions nettes exemptes de gaz à effet de serre, à atteindre d’ici 2050. Cette déclaration fait suite à une directive de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, selon laquelle les 28 pays de l’Union européenne se fixent des objectifs contraignants de zéro émission en 2050.

Ces pays se réuniront au cours des deux prochains jours pour discuter de la question.

Étant donné que les réductions nationales de carbone fixées par l’Accord de Paris sont volontaires, le fait que les stratégies de réduction des changements climatiques du Royaume-Uni et de l’UE puissent bientôt entrer en vigueur est très bien accueilli par certains défenseurs de l’action climatique.

« En tant que premier grand pays industrialisé à légiférer pour atteindre un objectif de zéro émission nette d’ici 2050, le Royaume-Uni fait preuve d’exemple dont le monde a si désespérément besoin, a déclaré dans un communiqué la baronne Bryony Worthington, directrice exécutive de l’Environmental Defense Fund Europe. D’autres pays peuvent et doivent aussi prendre des mesures pour faire preuve de plus d’ambitions. »

Lorsque l’industrie de la biomasse fait l’apologie des granulés de bois, les gens imaginent souvent que le produit est consumé dans de petits poêles à granulés de bois domestiques. La réalité est tout à fait différente, car elle se fait à grande échelle, avec la combustion industrielle de copeaux et de pellets pour produire de l’électricité, comme on le voit ici à la centrale de biomasse de Drax en Grande-Bretagne. Crédit photo : nican45 sur Foter.com/CC BY-NC-SA.

L’échappatoire de la biomasse

Cependant, certains scientifiques et écologistes ne sont ni impressionnés ni optimistes ; ils expriment leur profonde inquiétude quant au fait que les lois contraignantes sur les émissions seront probablement entachées d’une énorme lacune en matière de pollution par le carbone.

Alors que le Royaume-Uni s’est engagé à arrêter de brûler du charbon d’ici à 2025, le pays accélère ses plans pour remplacer cette source en brûlant des granulés de bois, ou biomasse, dans quatre de ses six plus grandes centrales électriques, situées dans le North Yorkshire et exploitées par Drax Power, la plus grande entreprise de services publics du pays.

Selon les experts, ce changement aiderait à respecter les termes de l’Accord de Paris, mais il continuerait à rejeter de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère, ce qui accélérerait et intensifierait le réchauffement climatique.

Selon des écologistes, ce qui est encore plus préoccupant, ce sont les anciennes centrales à charbon de l’UE, en particulier au Danemark et en Belgique, qui se convertissent rapidement aux granulés de bois, encouragés par une lacune de longue date dans la comptabilisation mondiale du carbone qui n’a pas été comblée lors de la rédaction du règlement de Paris, qui a eu lieu le 24 décembre dernier au Sommet des Nations Unies sur le climat en Pologne.

En fait, des études montrent que la combustion de granulés de bois produit en fait plus de dioxyde de carbone en piégeant la chaleur que le charbon, car il faut plus de granulés que de charbon pour produire la même quantité d’énergie. Pourtant, comme les granulés de bois sont classés par les Nations Unies dans les ressources renouvelables — mettant la source d’énergie à forte intensité de carbone sur un pied d’égalité avec l’énergie éolienne et solaire sans carbone — les émissions de gaz à effet de serre de la biomasse provenant de Drax et d’autres centrales électriques converties sont, et continueront à être, officiellement considérées comme neutres en carbone et ne sont pas du tout comptabilisées dans les émissions.

La nature ne se laissera pas berner par des chiffres truqués.

Les gouvernements diront que « ces pellets sont neutres en carbone, mais comme de nombreux groupes ont essayé de le faire comprendre, notre problème concerne le temps, explique Kelsey Perlman, spécialiste du climat, avec Fern, un groupe de défense des forêts et du climat à Bruxelles. Mettre trop de carbone dans l’atmosphère de façon trop rapide va faire exploser les objectifs [nationaux de réduction du carbone]. »

L’Accord de Paris vise à maintenir les températures mondiales en dessous de 1,5 degré Celsius d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels, une tâche herculéenne étant donné que les émissions mondiales n’ont pas encore atteint un pic. Et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU a averti en octobre 2018 que c’est un objectif d’une importance vitale à atteindre et que nous avions seulement 12 ans pour réduire de façon radicale et permanente les émissions de carbone — de façon réelle et pas uniquement sur le papier — sans quoi, nous risquons des impacts catastrophiques sur le climat.

Des milliers d’arbres empilés comme du bois de corde attendent d’être transformés en granulés de bois pour être expédiés à l’étranger, principalement au Royaume-Uni et dans l’UE, dans l’une des trois usines de fabrication de granulés en Caroline du Nord. Photo avec l’aimable autorisation de Dogwood Alliance.

Des réductions d’émissions réelles ou imaginaires ?

Voici l’essentiel de la logique de la biomasse, ou de l’escroquerie, selon le point de vue : les défenseurs de la biomasse (y compris les lobbyistes de l’industrie très influente des produits forestiers) disent que vous pouvez couper des arbres remplis de carbone pour les brûler en granulés de bois, puis planter de nouveaux arbres pour absorber le carbone émis par ces arbres que l’on a coupés et brûlés.

Il existe un consensus scientifique sur la plausibilité qu’une telle approche soit neutre en carbone, mais pas le jour où les pellets sont brûlés et où les nouveaux arbres sont plantés, selon les critiques.

Les chercheurs estiment plutôt qu’il faudra de 50 à 100 ans aux jeunes arbres plantés aujourd’hui pour absorber les émissions actuelles et atteindre un objectif de neutralité nette. Et cela dépend également si de nouveaux arbres sont plantés, ce qui n’est pas encore exigé par les instances dirigeantes.

Plus important encore : parvenir à la neutralité en carbone cinq ou dix décennies plus tard n’aidera pas à faire face à l’escalade rapide de l’urgence climatique actuelle ; cela n’empêchera certainement pas l’augmentation rapide des émissions au cours des 12 prochaines années, car les granulés de bois brûlés, tout comme les combustibles fossiles, contribuent à faire fondre la glace polaire, à faire monter le niveau des océans et à générer des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus destructeurs.

L’échappatoire de la biomasse « entrave de façon fondamentale notre capacité à réduire véritablement les émissions et augmente le puits de carbone [créé par l’entretien et la restauration des forêts] ; c’est un double coup dur, a déclaré la scientifique Mary Booth, directrice du Partnership for Policy Integrity aux États-Unis, et experte en comptabilité de la biomasse. S’il fallait trouver une idée pour freiner les progrès dans l’atténuation du changement climatique, on ne peut pas trouver mieux que de couper les forêts et de les brûler. »

Prenons l’exemple du Danemark, suggère le groupe de défense de l’environnement de Copenhague Forests of the World : le pays de l’UE émet chaque année 45 millions de tonnes de carbone qui sont comptées et déclarées à l’ONU. Cependant, 17 millions de tonnes supplémentaires d’émissions de carbone provenant de la combustion de la biomasse sont produites et comptabilisées, mais non déclarées. Ainsi, le Danemark émet près de 30 % de carbone en plus qu’il n’est pas tenu de déclarer. Mais la nature le sait.

« Pour chaque tonne de carbone que les pays prétendent réduire, a déclaré Tim Searchinger, expert en biomasse et chercheur à l’Université de Princeton, ils augmentent en fait leurs émissions d’une ou peut-être deux tonnes en prétendant que la combustion de biomasse est neutre en carbone. Très peu de gens le comprennent. Et c’est un problème énorme. »

Des images comme celle-ci, de jeunes mains tenant des granulés de bois, sont vigoureusement promues par une industrie des produits du bois qui veut faire croire au public qu’ils sont écologiques. Mais des études récentes ont montré que les allégations de neutralité en carbone de la biomasse sont fausses. Les scientifiques et les militants sont de plus en plus effrayés par les gouvernements, les producteurs d’énergie et les entreprises de produits forestiers qui continuent de vanter les revendications désuètes du Protocole de Kyoto sur la neutralité carbone. Entre-temps, l’ONU n’a rien fait pour modifier sa position, laissant aux militants d’interminables procès comme seule action possible. Crédit photo : #ODF on Visual hunt / CC BY.

Des raisons de croire

Pour l’instant, il ne semble pas y avoir de solution en perspective. Les écologistes ont intenté une action en justice contre l’UE à Bruxelles en mars dernier afin de combler le vide juridique de la neutralité carbone. Les experts juridiques disent qu’il y a fort à parier que les plaignants pourront même aller jusqu’à la Cour internationale de justice afin de poursuivre l’affaire.

« Voici ce qu’il en est, a déclaré Gry Bossen, de Forests of the World lors du sommet de l’ONU sur le climat qui s’est tenu en Pologne en décembre dernier. Les décideurs politiques croient vraiment que brûler des arbres est neutre en carbone. Ça ne leur vient même pas à l’esprit que ce n’est pas le cas. »

La réponse à la question de savoir pourquoi, alors que l’échappatoire semble si évidente pour de nombreuses personnes et la menace pour la planète si tangible, est une question d’habitude à la fois politique, opportuniste et commerciale :

Selon Kelsey Perlman de l’ONG Fern, la balance penche encore plus en faveur du vide juridique. Afin d’atteindre zéro émission nette de carbone d’ici 2050, la Commission européenne a proposé deux voies contradictoires en matière d’utilisation des terres : améliorer la gestion forestière et la plantation d’arbres et utiliser davantage de biomasse ligneuse, ou arbres, pour la production d’énergie. La seule façon possible d’atteindre apparemment les deux objectifs est de planter des forêts pour l’utilisation de la biomasse, ce qui ne résout pas le problème de la neutralité carbone des 50-100 ans.

« Il y a une réduction des options basées sur le fait que nous avons déjà une directive sur les énergies renouvelables qui permet de brûler des granulés de bois qui seront considérés comme neutres en carbone dans le cadre de la politique de l’UE, a déclaré Perlman. C’est une déformation massive de ce qui devrait être fait. »

Camion rempli d’arbres à destination d’une usine de granulés de bois en Caroline du Nord rurale. Près de plus d’un million de tonnes de pellets produits dans le sud-est des États-Unis sont expédiés au Royaume-Uni et dans des pays de l’Union européenne comme le Danemark et la Belgique. Photo par Justin Catanoso.

Une catastrophe très peu connue

De toute évidence, les stratégies de réduction des émissions du Royaume-Uni et de l’UE ne se limitent pas à la production d’énergie. Les pays investissent dans l’énergie éolienne et solaire. Ils exigent l’efficacité énergétique dans les bâtiments et les transports. Ils font la promotion d’une agriculture intelligente et durable. Les émissions globales diminueront si ces stratégies sont couronnées de succès, mais pas assez rapidement.

De plus, les réductions d’émissions ne seront pas aussi robustes qu’elles le devraient, car de grandes quantités de carbone s’échapperont des cheminées d’usines, ne seront pas comptabilisées et se retrouveront dans l’atmosphère. Mais comme l’a fait remarquer M. Searchinger de l’Université de Princeton, la plupart des gens ne sont absolument pas au courant de cette catastrophe environnementale qui est de plus en plus grave. Et parce que ces émissions de biomasse seront invisibles pour le système de comptabilité de l’ONU, les gens se sentiront faussement réconfortés par le fait que les chiffres nationaux de la neutralité carbone tendront de façon erronée vers zéro dans les décennies à venir.

Lors d’une conférence téléphonique en juin pour discuter des menaces climatiques dans les Caraïbes, Simon Stiell, ministre de la résilience au climat de La Grenade, déclarait aux journalistes : « Je suis impressionné par l’objectif du Royaume-Uni de devenir neutre en carbone d’ici 2050. Nous espérons que d’autres pays développés suivront leur exemple.

Lorsque Mongabay a brièvement expliqué l’échappatoire du comptage du carbone, Stiell a répondu : Je ne suis pas au courant de la question de la biomasse.

Puis il a rapidement mis l’accent sur les enjeux d’une comptabilisation précise des émissions : en tant que petit État insulaire en voie de développement, je peux dire que les objectifs fixés doivent avoir un sens. Il ne s’agit pas de trouver des failles à exploiter. La science qui sous-tend le changement climatique est irréfutable en termes de causes et d’atténuation. Ce n’est pas quelque chose avec lequel nous pouvons ou devrions tricher, a déclaré Stiell.

Si nous trouvons ces résultats sur le papier, mais qu’à Grenade, le niveau de la mer continue d’augmenter, les vents continuent de souffler plus fort et notre peuple continue de souffrir, c’est inacceptable, a-t-il conclu. Il doit y avoir une transparence totale sur les actions qui sont crédibles et qui font la différence, et celles qui ne le sont pas. »

Justin Catanoso est un collaborateur régulier de Mongabay et professeur de journalisme à l’Université Wake Forest en Caroline du Nord, États-Unis. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso

Image de la bannière : les fabricants de granulés disent qu’ils n’utilisent que des déchets de scierie, de la cime des arbres et des branches, et des arbres tordus pour produire des granulés de bois. Les critiques de l’industrie soutiennent que les entreprises coupent de plus en plus de forêts pour répondre à une demande croissante. La perte de forêts intactes entraîne la perte de sources de carbone naturelles, de biodiversité et de protection contre les tempêtes et les inondations. Crédit photo : USDAgov sur Visual Hunt / CC BY.

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Article original: https://news.mongabay.com/2019/06/carbon-to-burn-uk-net-zero-emissions-pledge-undermined-by-biomass-energy/

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