- Ces dernières années, une immense plantation de caoutchouc, exploitée par le groupe d’approvisionnement de caoutchouc Halcyon Agri à travers sa filiale Sudcam, a essuyé de nombreuses critiques au regard de ses pratiques environnementales non viables, de son manque de transparence et de ses impacts négatifs sur les communautés locales. Des rapports ont été présentés sur le déplacement des communautés indigènes pour faire place au développement.
- Demeurée initialement silencieuse après les reproches envers Sudcam, Halcyon a dévoilé l’an dernier un nombre de mesures durables tardives et a activement cherché à ouvrir un dialogue avec les ONG. En réponse aux critiques, la société a émis une ordonnance « de cessation et d'abstention » sur l’exploitation forestière de Sudcam, a mis en place une Politique de chaîne d’approvisionnement du caoutchouc naturel durable et a créé un Conseil de développement durable indépendant.
- L’imagerie satellitaire montre qu’aucun nouveau défrichage n’a eu lieu depuis l’interdiction de déforestation émise en décembre 2018.
- Les représentants des ONG de conservation, qui ont par le passé critiqué la plantation, affirment être satisfaits de la réponse d’Halcyon Agri et espèrent que la société continuera d’améliorer les conditions dans sa plantation Sudcam.
Devant le tollé général de l’an dernier provoqué par des ONG environnementales, la société Halcyon Agri Corporation – leader mondial dans la transformation du caoutchouc – prend aujourd’hui des mesures pour une chaîne d’approvisionnement du caoutchouc naturel plus durable et plus transparente. Les ONG telles que Greenpeace, Mighty Earth et Rainforest Foundation UK (RFUK) ont mis un coup de projecteur sur les pratiques non viables des 2 plantations camerounaises d’Halcyon, Sudcam et Hevecam, actuellement gérées par la filiale Corrie MacColl.
C’est notamment Sudcam qui a essuyé de nombreuses critiques au regard de ses pratiques environnementales non viables, de son manque de transparence et de ses impacts négatifs sur les communautés locales. Des rapports ont été présentés sur le déplacement des communautés indigènes pour faire place au développement et des critiques se sont abattues précisément sur la forêt tropicale intacte de la Réserve de faune du Dja au Cameroun. Hevecam a également fait l’objet d’investigations par l’ONG Mighty Earth, notamment au regard de ses impacts sur les communautés. À la suite de son examen, le fonds de pension global du gouvernement norvégien retire ses financements à Halcyon Agri en 2018 après une évaluation des « risques durables ».
Selon GMG Global, en 2016, Halcyon était propriétaire à 80 % de Sudcam. Les 20 % restants étaient détenus par la Société de Productions de Palmeraies et d’Hevéa, une entité entourée de mystères avec des prétendus liens au sein du gouvernement camerounais. Demeurée initialement silencieuse après les reproches envers Sudcam, Halcyon a dévoilé l’an dernier un nombre de mesures durables tardives et a activement cherché à ouvrir un dialogue avec les ONG. En réponse aux critiques, la société a émis une ordonnance « de cessation et d’abstention » sur l’exploitation forestière de Sudcam, a mis en place une Politique de chaîne d’approvisionnement du caoutchouc naturel durable et a créé un Conseil de développement durable indépendant.
Tirer la sonnette d’alarme
Tout a commencé en janvier 2018, lorsque Greenpeace Afrique a soulevé des inquiétudes envers Sudcam à travers des rapports et des communiqués de presse. Leurs reproches sur les opérations de Sudcam se divisent en 2 catégories majeures d’impacts : environnementaux et sociaux. L’inquiétude environnementale la plus urgente est la déforestation au sein de la concession Sudcam et la proximité de cette terre défrichée avec la Réserve de faune du Dja au Cameroun.
Dans la réserve de faune du Dja, 90 % de la forêt est intacte. Cette réserve fait partie intégrante du bassin du Congo, l’un des plus importants massifs de forêt tropicale de l’Afrique. C’est un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO qui abrite des gorilles des plaines de l’ouest (Gorilla gorilla gorilla) en danger critique ainsi que des chimpanzés (Pan troglodytes) et des éléphants de forêt d’Afrique (Loxodonta cyclotis) en danger. Selon un rapport publié par RFUK début mai 2019, le développement de plantations serait susceptible d’entrainer plus de chasse et de pêche intensives au bord de la Réserve et de perturber les corridors fauniques utilisés par les primates et les éléphants. L’ONG Greenpeace Afrique a qualifié le développement de Sudcam près de la Réserve de « nouveau défrichage de la forêt le plus dévastateur pour l’agriculture industrielle dans le bassin du Congo ».
Les données satellitaires recueillies par le laboratoire GLAD (Global Land Analysis and Discovery) de l’Université du Maryland et visualisées par le Global Forest Watch mettent en lumière la perte de couverture arborée depuis des années. Entre 2012 et 2018, Sudcam a défriché environ 12 700 hectares (127 kilomètres carrés) de forêt tropicale. Le second semestre de 2018 a notamment dévoilé la forte activité de défrichement avec environ 25 000 alertes de déforestation qui ont eu lieux entre septembre et décembre 2018. Selon Global Forest Watch, presque toutes les forêts défrichées au sein de la concession Sudcam étaient des vieilles forêts tropicales en pleine croissance.
Outre la menace que Sudcam a pesé sur la biodiversité de la forêt tropicale, les communautés locales touchées par Sudcam et Hevecam rapportent un manque de transparence et de compensation.
« La plupart des griefs (des communautés locales) portent sur la façon dont la terre a été allouée, en privé, sans qu’ils aient eu leur mot à dire sur le processus » déclare Maud Salber, conseillère politique de l’ONG environnementale RFUK, qui a discuté l’an dernier avec les communautés touchées. « Ils se sont beaucoup plaints du manque d’informations et de communication de la part de la société. Sudcam n’a pas partagé avec eux des informations de base comme le plan de la concession ».
Les opposants affirment que le manque de transparence de Sudcam été particulièrement néfaste pour les communautés indigènes Baka de cette zone qui ont des terres coutumières dans la concession. RFUK rapporte qu’environ 120 indigènes Baka ont été forcés à se reloger dans les villages Bantu voisins.
« Trois communautés Baka ont été forcées à se reloger en dehors des terres boisées où elles vivaient depuis des générations, où elles dépendaient de la chasse et des produits forestiers pour leur survie » affirme Mme Salber. « Les leaders Baka que j’ai rencontrés m’ont raconté que, depuis lors, les membres de leur communauté ont dû faire face à de graves discriminations et ont été abusés, violés. D’un autre côté, les peuples Bantu se sont plaints du fait que leurs villages ne pouvaient pas accueillir toutes ces personnes » ajoute-elle.
D’après les organismes de surveillance, comme RFUK et Greenpeace, le manque de compensation pour les pertes financières attribuées au développement de la plantation a également été une source majeure d’inquiétudes pour les communautés locales. « Même si certains ont reçu tardivement des compensations pour l’invasion de leurs terres agricoles et la destruction de leurs récoltes, selon eux ce processus de compensation a été complétement opaque, arbitraire et en aucun cas proportionnel aux pertes sur le long terme qui ont eu lieux » déclare Mme Salber.
Selon RFUK, l’un des exemples de cette sous-compensation est l’estimation de la valeur du bois récolté puis vendu lorsque l’activité humaine modifie les usages des terres. Alors que les prix nationaux moyens du bois retiré de la concession s‘élèvent à au moins 143 dollars le mètre cube, l’autorisation de défrichage concédée par le Ministre de la Forêt accorde aux communautés moins d’un euro (1,12 dollars) le mètre cube pour le bois extrait des terres traditionnelles. RFUK recommande des études complémentaires « pour vérifier s’il y a ou non une surveillance efficace de la quantité du bois extrait et de la somme que perçoivent les autorités et les communautés locales ».
Normalement, les communautés seraient en droit de percevoir au moins 20 % de la redevance foncière que la société est tenue de verser d’après la loi. Cependant, Greenpeace Afrique rapporte que la Convention d’établissement de la plantation, signée en 2011, « exonère Sudcam d’impôts pour une période de 10 ans ». En tenant compte de ce que les communautés voient comme étant un traitement favorable de Sudcam par le gouvernement camerounais, Mme Salber déclare qu’ils « perçoivent largement la plantation comme « le projet du Président », avec très peu de tolérance pour les voix contestataires ».
L’autre plantation camerounaise d’Halcyon, Hevecam, fait également l’objet d’investigations par l’organisation internationale de campagnes environnementales, Mighty Earth. « Nous avons été alertés de la situation de Sudcam principalement grâce à Greenpeace » indique Julian Oram, conseiller de Mighty Earth spécialisé dans le caoutchouc. « En parallèle, nous avons cherché la plantation sœur, Hevecam, et avons discuté avec l’ONG qui a travaillé avec les communautés locales affectées par la plantation ».
L’an dernier, Mighty Earth a publiquement critiqué le fabricant de pneus Goodyear pour se fournir en caoutchouc chez Hevecam dans le but de concevoir ses pneus spéciaux. D’après le rapport de Mighty Earth, Hevecam a « été responsable de la déforestation massive dans les zones riches en biodiversité, de l’accaparement des terres et des violations des droits de l’Homme » et, en se fournissant dans la plantation, Goodyear a « fermé les yeux sur la possibilité de présence de caoutchouc contaminé dans leur chaîne d’approvisionnement de pneus ». Après la publication de son rapport, Mighty Earth a cherché à joindre Halcyon pour lui communiquer ses découvertes.
« Je doute que les hauts dirigeants d’Halcyon aient réellement été au courant à un niveau plus précis de l’ampleur et de la nature des problèmes concernant Sudcam et Hevecam » affirme Mr. Oram. « Mais ils ont semblé prendre réellement conscience des problèmes qui étaient soulevés. Ce que l’on peut dire par rapport à d’autres sociétés spécialisées dans le caoutchouc, c’est qu’ils ont accéléré leur engagement vers des enjeux durables probablement plus rapidement que n’importe quelles autres sociétés ».
Aborder les problèmes
Les ONG ont fait un grand nombre de recommandations à Sudcam pour améliorer l’impact environnemental de la plantation et ses relations avec les communautés locales. En août 2018, Halcyon a invité 3 représentants de WWF à visiter Sudcam et à discuter avec les chefs et les membres des communautés des 6 villages alentours.
Pour aborder les problèmes environnementaux, WWF a recommandé de mener une analyse des écarts de l’évaluation d’impacts sociaux et environnementaux à Sudcam (ESIA), ainsi qu’une ré-évaluation de la Haute Valeur de Conservation (HCV) et des zones avec du Stock de Carbone Élevé au sein de la concession. Ils ont également préconisé de prendre des mesures pour la concession Sudcam afin de la convertir en une zone de conservation.
« Pour améliorer ses relations avec les communautés locales, WWF a invité à Halcyon « à mettre en place un mécanisme de plaintes pour les villages locaux et, de manière générale, pour la société civile afin de communiquer et résoudre les griefs en temps opportun ». Cette recommandation a été répétée par Mighty Earth, Greenpeace et RFUK. Ces organisations ont également recommandé à Halcyon de « préparer un petit programme de développement des terres » et une « stratégie de sécurité alimentaire ».
RFUK a également directement discuté avec les communautés locales. Les résidents des villages touchés par Sudcam veulent « être formés et recevoir du soutien pour le développement local » indique Mme Salber. « Le peu d’opportunités de travail de courte durée et à faible niveaux de compétences qui ont été offertes aux locaux et les initiatives de développement ad hoc local, telles que la distribution de bons de santé, sont tout à fait insuffisants pour réellement compenser la perte des terres coutumières et les moyens de subsistance traditionnels ».
Mme Salber affirme que les communautés Baka qui se sont déplacées, veulent notamment avoir des droits octroyés sur les terres forestières qui les autoriseraient à mener leur mode de vie traditionnel ainsi qu’une compensation pour ce qu’ils ont perdu.
Un changement à l’horizon ?
Halcyon Agri et sa filiale de caoutchouc naturel Corrie MacColl ont pris des mesures pour répondre aux recommandations proposées par WWF et les autres ONG. « De notre point de vue, Greenpeace a mis en lumière ces problèmes » indique Ryan Wiener, représentant de Corrie MacColl. « Nous regardons cela non pas comme un élément négatif mais positif car les organisations ont créé cette plateforme pour nous et nous avons déjà mis en place des mesures pour lutter contre les problèmes que nous avons rencontrés lors de la reprise de la plantation » ajoute-il.
En août 2018, WWF a constaté qu’Halcyon avait pris plus de mesures que les précédents propriétaires de Sudcam pour contribuer directement au développement local. Jusqu’à présent, ils ont mis en œuvre « des progrès sur l’approvisionnement de l’eau potable, des centres de formation sur le caoutchouc, la construction d’écoles primaires et un hôpital disposant de ressources ».
Au cours de ces derniers mois, Halcyon a pris plusieurs mesures majeures pour un modèle d’entreprise de caoutchouc naturel plus durable. En novembre 2018, Halcyon a dévoilé sa Politique de chaîne d’approvisionnement durable du caoutchouc naturel. Cette politique répond à de nombreuses recommandations données à Halcyon par WWF et d’autres ONG, bien qu’il soit encore trop tôt pour indiquer comment cette politique se traduira en pratique.
« Selon nous, sur le papier, cette politique couvre tous les droits de base » déclare Mr. Oram de Mighty Earth. « Suite aux échanges que nous avons eus avec les communautés, nous dirions qu’il y a clairement beaucoup d’endroits où il y a un énorme écart entre cette politique et ce qui se passe en réalité ».
Pour aider à renforcer sa politique de développement durable, Halcyon a également monté un Conseil de développement durable indépendant composé des représentants du gouvernement camerounais, des ONG et des communautés locales. Le Conseil de développement durable camerounais (CSC) a tenu sa première réunion le 16 avril 2019. L’un des premiers ordres de travail était de procéder à une analyse des écarts ESIA par Proforest, une ONG spécialisée dans la gestion des ressources naturelles et membre fondateur du CSC.
Robert Meyer, PDG d’Halcyon, indique que le CSC sera tenu de communiquer publiquement toutes ses découvertes. « Nous répondrons au Conseil dès que et lorsque le Conseil le demandera, et nous allons répondre exclusivement de façon publique ».
Par ailleurs, la société a annoncé une ordonnance « de cessation et d’abstention » totale sur le défrichage et l’abattage des arbres au sein de la concession Sudcam le 9 décembre 2018, avec effet immédiat. Mr. Meyer déclare à Mongabay « plus une seule forêt tropicale ne sera coupée ou rasée par Halcyon Agri nulle part ailleurs dans le monde entier, un point c’est tout. Nous avons mis un terme à tous les prestataires effectuant le défrichage et l’abattage des arbres, nous leur avons payé ce qu’il fallait pour résilier le contrat ».
L’analyse de l’imagerie satellitaire recueillie par Planet Labs montre que plus aucune forêt dans la concession Sudcam n’a disparu depuis le 9 décembre 2018, ce qui montre qu’Halcyon tient, de loin, sa promesse de stopper la déforestation.
L’engagement de zéro déforestation, tel que défini dans la politique de développement durable, sera possible par une transition vers un programme d’adhésion où le caoutchouc sera produit dans des petites fermes agricoles. Mr. Meyer espère également utiliser le schéma d’adhésion pour aborder les problèmes de sécurité alimentaire pour les villages locaux.
« Lorsque je discute avec des électeurs de notre État et de ses environs, la première plainte est la hausse du prix des denrées alimentaires » indique Mr. Meyer, avant d’ajouter « je m’y rends et j’emplois des personnes qui n’y vivaient pas auparavant, de sorte que l’ensemble de la nourriture dans cette région ne tient pas compte des personnes qui y sont employés. Je me suis donc dit, allons-parler à des personnes qui se trouvent où nous sommes et dans les environs et qui ont déjà pris possession des terres. Il y a assez de terres pouvant être réhabilitées de façon à créer des revenus pour les fermiers et la reforestation de la communauté ».
Les représentants d’Halcyon ont affirmé avoir parlé aux conseillers agronomique et micro-financier pour étudier quel type de système pour les petites exploitations pourrait être mis en place pour aborder correctement la sécurité alimentaire et les besoins de revenus, en tenant compte qu’il faut 7 ans avant que les arbres de caoutchouc ne commencent à produire. Halycon a déclaré qu’il proposera des formations aux fermiers pour les aider à produire un mélange de récolte en plus du caoutchouc pour augmenter la sécurité alimentaire.
Mme Salber avertit que « les programmes d’adhésion peuvent potentiellement être un succès mais, généralement, seules les personnes disposant d’un coup de pouce pour clarifier et garantir les droits des communautés locales le font de façon durable et par le biais d’une consultation ingénieuse des communautés locales impliquées ».
Mr. Meyer déclare qu’il oblige également à sécuriser les titres de propriété pour les petits exploitants, et il a été en pourparlers avec les Ministères de l’agriculture et de la forêt (tous les deux ont des représentants au CSC). « Nous leur avons demandé “si l’on fournit une assistance aux communautés locales, seriez-vous prêt à émettre des titres de propriété pour eux ?”. Réponse brève “oui” ».
Enfin, Halcyon entend déclarer 25 000 hectares de Sudcam comme étant une réserve de biodiversité. La réserve sera adjacente à la Réserve de faune de Dja et protégera la faune et la flore natives, les peuples indigènes, et sera gérée par le CSC.
« Nous sommes très heureux qu’Halcyon ne se cache pas ni ne s’échappe. Halcyon semble réellement avoir le leadership et sait comment résoudre ses problèmes » déclare Mr. Oram. « Nous espérons constater qu’ils feront les choses dans la bonne direction » ajoute-t-il.
Note du rédacteur : Ce récit a été créé par Places to Watch, une initiative de Global Forest Watch (GFW) destinée à identifier rapidement la perte inquiétante des forêts dans le monde et à déclencher des recherches supplémentaires pour ces zones. Places to Watch est constitué grâce à une compilation de données satellitaires en temps quasi-réel, d’algorithmes automatisés et de domaine d’intelligence pour identifier mensuellement les nouvelles zones. En partenariat avec Mongabay, GFW soutient le journalisme axé sur les données en fournissant des données et des cartes générées par Places to Watch. Mongabay garde une indépendance éditoriale totale sur les récits consignés en utilisant ces données.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/05/huge-rubber-plantation-in-cameroon-halts-deforestation-following-rebuke/