- Ces deux dernières années, de petits groupes de mineurs armés d'outils manuels rudimentaires se sont introduits à répétition dans le Parc national de Ranomafana, dans le sud-est de Madagascar, pour y creuser des mines à ciel ouvert.
- Cette vague d'extraction minière coïncide avec une dégradation progressive de la sécurité de la zone, qui rend plus difficile de faire régner l'ordre et empêche les chercheurs de pouvoir véritablement quantifier le problème.
- Les auteurs d'un article paru récemment se sont servis de systèmes d'imagerie par satellite pour analyser les changements subis par la surface boisée, ainsi que de photographies prises par des drones pour étudier les zones humides au coeur de Ranomafana.
- La zone touchée est relativement restreinte, mais les experts craignent que le problème n'empire rapidement.
D’après un article récent, l’extraction d’or illégale pourrait bien détruire dans son intégralité une forêt de zone humide emblématique située au coeur du parc national le plus célèbre de Madagascar. En effet, depuis peu, le Parc national de Ranomafana a vu sa perte de forêts s’accélérer, et les résultats donnent à craindre qu’une bonne partie des étendues sauvages de Madagascar ne succombe à une double menace : l’extrême pauvreté et le crime organisé.
“Il semble que les pandanus de la zone humide au centre de Ranomafana aient disparu”, a confié à Mongabay Mar Cabeza, l’auteur principal de l’article paru dans la revue Animal Conservation. “Nous savons que cet habitat fait l’objet de destructions à grande échelle, mais nous ignorons si cette destruction sera permanente”, a-t-elle ajouté.
Bien que l’intégralité des habitats sauvages malgaches battent tous les records en matière d’endémisme et de biodiversité, les dégâts écologiques que subissent les zones humides sont particulièrement élevés, d’après Cabeza. “Toutes les plaines ont été utilisées pour produire du riz, et il ne reste pas grand-chose de l’habitat original qui constituait les zones humides”, a-t-elle expliqué.
Ces deux dernières années, de petits groupes de mineurs armés d’outils manuels rudimentaires se sont introduits à répétition dans le Parc national de Ranomafana, situé dans le sud-est de Madagascar, pour creuser des centaines de mines à ciel ouvert dans les zones humides de Soarano, abattant au passage un couvert fermé de vacoas étiolés (une espèce endémique appartenant au genre Pandanus). Cette vague d’extraction minière coïncide avec une dégradation progressive de la sécurité de la zone, comme l’a indiqué Mongabay dans un article de 2017. Cela rend plus difficile de faire régner l’ordre et empêche les chercheurs de pouvoir véritablement quantifier le problème.
Photos d’activités minières prises dans les zones humides de Soarano en 2017.
En 2017, le maire d’Ambalakindresy, une ville située à l’ouest de Ranomafana, a été assassiné. D’après la population locale, il s’agirait de représailles pour avoir participé à la mise en application des lois environnementales. L’année suivante, un commandant de brigade de la police locale qui enquêtait sur des affaires d’extraction d’or et de vol de bétail dans la zone a également été tué par balle. Pendant ce temps, la population locale a fréquemment dû faire face à des vols, entre autres de voitures, perpétrés par des groupes de dahalos armés, un terme malgache qui désigne les gangs impliqués dans le vol de bétail.
Madame Cabeza, une biologiste de l’Université d’Helsinki qui a passé plus d’une décennie à étudier les pratiques de conservation dans le sud-est de Madagascar, a indiqué qu’aucun lien tangible n’a pu être établi entre l’extraction d’or dans le parc national et la menace plus généralisée qui pèse sur l’ordre établi. “Mais, quand on demande aux villageois, ils disent toujours que c’est la faute des bandits”, a-t-elle ajouté.
Les auteurs de l’article mentionné plus haut se sont servis de systèmes d’imagerie par satellite pour analyser les changements subis par la surface boisée et, faute de pouvoir se rendre sans risque dans les zones les plus touchées, ils se sont fondés sur des photographies prises par des drones pour étudier les zones humides du parc national. De plus, ils ont aussi réuni des rapports anecdotiques qui suggèrent que certains locaux ont cessé de cultiver du riz pour s’adonner un à emploi plus lucratif, la prospection. Selon Cabeza, le fait même qu’il soit difficile pour les chercheurs de se rendre dans la zone facilite l’extraction minière dans le parc national en éliminant un obstacle potentiel. “Plus nous battons en retraite, plus ça devient dangereux”, a-t-elle précisé.
Les scientifiques craignent surtout que le problème ne prenne rapidement de l’ampleur. En effet, les étroites vallées d’où est extrait l’or de Ranomafana sont des “zones très importantes en matière de conservation, bien que leur échelle reste pour l’instant très limitée”, a déclaré David Edwards, spécialiste en extraction artisanale à l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni, qui n’a pas pris part à l’étude en question.
“Comment se fait-il qu’ils exploitent 50 hectares par-ci et 10 par-là ? Les gens pensent-ils que l’or est une denrée relativement rare à Madagascar ? Ou bien ne s’agit-il que de la partie émergée d’un énorme iceberg qui pourrait engendrer une gigantesque ruée vers l’or ?”, s’interroge-t-il.
A l’échelle du continent, l’extraction minière semble bien partie pour connaître une expansion fulgurante dans toute l’Afrique. En effet, dans un article publié en 2013, M. Edwards et ses co-auteurs expliquaient que le continent africain recèle environ 30 % des ressources minières mondiales, mais ne représente que 5 % de l’activité minière au fil des siècles. Mais, en parallèle, près de la moitié des mines de métaux africaines se trouvent dans un rayon de 10 kilomètres d’une zone protégée. De plus, d’après les explications de M. Edwards, il n’est pas rare que les découvertes minières majeures soient liées à de la corruption à haut niveau et à des tentatives visant à réduire la surface des zones protégées. A titre d’exemple, au moins deux projets de sables minéraux menés à Madagascar ont empiété sur les zones protégées existantes ou recommandées. Par ailleurs, bon nombre d’espèces endémiques ne vivent désormais plus que dans les concessions minières.
“Le problème majeur avec les mines principales, c’est qu’elles génèrent d’énormes bénéfices”, a expliqué Edwards. Cela ne fait pas pencher la balance en faveur de la conservation. En outre, même l’exploitation minière artisanale peut avoir des conséquences terribles si les gisements minéraux rapportent suffisamment. En 2016, par exemple, un saphir a été trouvé dans le Corridor Ankeniheny-Zahamena, au nord de Ranomafana, ce qui a attiré des dizaines de milliers d’orpailleurs artisanaux ; en quelques semaines, une partie de cette zone protégée n’était rien de plus terrain vague boueux.
L’objet d’étude de la thèse de Daniel Edwards était le sud-est du Pérou, où l’orpaillage clandestin a décimé des dizaines de milliers d’hectares de forêts inondables . “Il est très difficile d’inverser la tendance dans ces régions du monde”, a-t-il indiqué. “Les gens qui n’ont pas d’autres opportunités économiques, ce n’est pas ça qui manque là-bas.”
Les chantres de la conservation à Madagascar craignent que les chercheurs d’or ne suivent bientôt l’exemple sud-américain et ne se mettent à utiliser du mercure pour faciliter leur tâche, ce qui décuplerait les coûts humains et environnementaux puisque ce métal toxique peut contaminer les nappes phréatiques et ensuite se propager jusqu’en haut de la chaine alimentaire.
Mamy Rakotoarijaona, auparavant directeur du Parc national de Ranomafana et co-auteur de l’article sur l’extraction d’or dans le parc, est désormais à la tête d’opérations menées dans 43 zones protégées gérées par l’association Madagascar National Parks (MNP). Il nous a expliqué que l’organisme a rencontré des représentants du Ministère des Mines et des Ressources Stratégiques pour négocier l’introduction de contrôles visant à empêcher l’importation et la distribution du mercure.
Les employés de MNP effectuent parfois des patrouilles à Ranomafana, sous escorte policière ou militaire. Mais, comme l’a indiqué Rakotoarijaona, “il nous faut un budget permanent pour renforcer nos patrouilles et le contrôle que nous exerçons sur le site.” A l’heure qu’il est, à cause de l’extraction minière, de grandes parties du parc national sont pratiquement devenues des zones interdites où même les autorités n’osent pas s’aventurer. Dès lors, les responsables des parcs malgaches sont majoritairement livrés à eux-mêmes en ce qui concerne la sécurité et la sensibilisation communautaire.
Cela dit, d’après Edwards, tenter d’interdire l’exploitation minière à petite échelle pourrait s’avérer contre-productif : “L’exploitation minière va continuer quoi qu’il en soit.” D’après lui, les défenseurs de l’environnement n’ont plus qu’à espérer convaincre les mineurs d’utiliser des méthodes plus respectueuses de l’environnement et de ne pas s’en prendre aux sites les plus importants en matière de biodiversité.
Mme Cabeza a également abondé en ce sens. “Il existe de nombreuses initiatives possibles en matière d’extraction artisanale” qui seraient légales hors du parc national, a-t-elle déclaré, “mais [les gens] ne savent pas comment s’y prendre”.
Bandeau : Vue des zones humides de Soarano, déforestées par des orpailleurs clandestins. Photo prise par Daniel Burgas..
Rowan Moore Gerety est l’auteur de Go Tell the Crocodiles: Chasing Prosperity in Mozambique.
Références
Cabeza, M., Terraube, J., Burgas, D., Temba, E.M., Rakotoarijaona, M. (2019). Gold is not green: artisanal gold mining threatens Ranomafana National Park’s biodiversity. Animal Conservation. https://doi.org/10.1111/acv.12475
Edwards, D.P., Sloan, S., Weng, L., Dirks, P., Sayer, J., Laurance, W.F. (2014). Mining and the African environment. Conservation Letters, 7(3), 302-311.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/02/illegal-gold-mining-destroys-wetland-forest-in-madagascar-park/