Nouvelles de l'environnement

L’agroforesterie apporte l’autonomie aux femmes des montagnes du Maroc

Suisi Rehia, the president Hanane Lachhab, Fatima Stitou and other member of Femmes Du Rif at the top of Rehia's parcel. Aïm Beïda village, Ouezzane Province. Morocco, November 2018.

  • Les populations des montagnes du Maroc cultivent les oliviers depuis toujours, mais en raison du changement climatique, ce patrimoine est en danger.
  • Dans les systèmes d'agroforesterie où les oliviers, les figuiers et les caroubiers empêchent l'érosion et apportent de l'ombre aux fruits, légumes et plantes herbacées qui poussent au-dessous, la culture des oliviers a permis à plusieurs groupes de coopératives de femmes d'obtenir de meilleures récoltes.
  • Les coopératives Femmes du Rif ont fait monter la valeur de l'huile d'olive produite par leurs 328 membres, avec des conséquences considérables sur le plan social, comme une meilleure éducation pour leurs enfants, de meilleures infrastructures et même la promotion de certains membres à des responsabilités politiques, au niveau régional et national.
  • L'instabilité du climat a été la cause d'un retard exceptionnel cette année pour la récolte des olives, soulignant le besoin de s'adapter continuellement aux conditions changeantes grâce à des techniques comme l'agroforesterie.

OUEZZANE, Maroc — Rheia Suisi vérifie le degré de maturité de ses olives devant l’ huilerie du village, ou pressoir à huile d’olive. Nous étions déjà à la mi-novembre 2018, mais certaines olives étaient encore vertes alors que d’autres étaient presque entièrement violettes. Toutes étaient pleines d’eau, pas encore prêtes à être récoltées à cause de pluies trop abondantes après une longue période de sécheresse. Dans le Rif, la région des montagnes les plus au nord du Maroc, le climat est plus instable que jamais.

Rheia, 85 ans, n’arrive pas à croire que les fruits n’étaient pas encore mûrs. « Je n’ai jamais rien vu de pareil de toute ma vie. Et l’été dernier nous n’avons pas récolté de figues, » ajoute-t-elle. « Généralement, à cette époque de l’année, nous avons déjà terminé la récolte des olives. »

La récolte aurait dû se terminer le 20 novembre, date de l’anniversaire du prophète Mohamed. La famille de Rheia devrait déjà avoir de l’huile d’olive fraîchement pressée à sa table, tout particulièrement pour préparer le tajine, ce plat typique qui doit son nom au récipient en terre cuite où il cuit à petit feu. Mais pendant l’été 2018, les températures ont atteint 44 degrés, assez pour brûler les fleurs de figuier. Puis l’automne a été tellement pluvieux que les olives n’ont pas mûri.

Rheia Suisi, 85 ans, vérifie la maturité des olives. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay.

Rheia et 328 autres femmes font partie de Femmes du Rif, un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) supervisé par l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI). C’est un projet qui rassemble 10 coopératives féminines qui pratiquent l’agroforesterie et produisent de l’huile d’olive dans les montagnes du Rif. La plupart sont éparpillées dans des villages reculés aux alentours de Ouezzane, haut lieu du soufisme musulman.

Olives et changement climatique

Les membres de Femmes du Rif cultivent des oliviers (Olea europaea), figuiers (Ficus carica), caroubiers (Ceratonia siliqua) et diverses plantes annuelles semées alternativement comme les pois chiches, les fèves, le blé et des plantes fourragères. Ce peuple des montagnes (Jbala) a longtemps pratiqué ce système d’agroforesterie où les plantes annuelles sont cultivées en association avec les arbres qui les aident à se développer et à survivre à la sécheresse. Les arbres sont parfois très anciens : « La plupart des oliviers ont été plantés de manière dispersée par mes ancêtres, » explique Rheia. « Ils ont plus de deux cents ans. »

L’économie des Jbalas est liée aux oliviers depuis des lustres, mais le dérèglement climatique semble devoir remettre en cause cette tradition. L’USAID (Agence américaine pour le développement international) prévoit une hausse des températures moyennes au Maroc entre 1 et 1,5 degrés Celsius d’ici à 2050, entraînant une baisse de rentabilité des récoltes de 50 à 75 pour cent pendant les années de sécheresse pour les cultures dépendantes de la pluie. Un rapport récent de l’Organisation météorologique mondiale souligne que les niveaux de gaz à effet de serre ont atteint un nouveau record mondial en 2017, ce qui influence le changement climatique à long terme, la montée du niveau des océans et leur acidification, et cause une augmentation du nombre de phénomènes climatiques extrêmes.

L’agroforesterie offre une alternative, grâce aux arbres. Cette pratique de cultiver des arbres comme les oliviers associés aux cultures annuelles réduit l’érosion des sols et les pertes en eau. Elle est déjà bien établie idans les oasis et les régions montagneuses du Maroc où les terres arables et les ressources en eau sont rares, d’après une étude de AGFORWARD (AGroFORestry thatWill Advance Rural Development), un projet de quatre ans financé par l’Union européenne.

Olives arrivant à maturité. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay.

Le gouvernement marocain prévoit d’augmenter son soutien aux systèmes d’agroforesterie utilisant des arbres résistant au changement climatique, comme les oliviers et les figuiers, plutôt que des essences plus fragiles comme les orangers, les citronniers et les pruniers. Le Plan Maroc Vert (PMV) est un programme gouvernemental qui a aussi permis la création de Femmes du Rif. « En plantant des oliviers et des figuiers, nous luttons contre le changement climatique, la désertification et l’érosion des sols, » explique Otman El Mrabet, responsable agricole de la province, à Mongabay. « Nous soutenons le travail de ces femmes des milieux ruraux pour produire une huile d’olive avec un label IGP (Indication géographique protégée), un produit d’excellente qualité. Les Jbalas sont depuis toujours réputés pour la culture des olives. »

Des montagnes au marché

Pur Projet, un groupe Français, finance également Femmes du Rif depuis 2011. « Les oliviers sont des arbres qui vivent longtemps, résistent à des conditions climatiques sévères, et garantissent un revenu constant grâce à la commercialisation de l’huile d’olive avec le GIE Femmes du Rif, » explique Anaïs Gentit, coordinatrice de Pur Projet pour les projets d’agroforesterie en Afrique. « Les oliviers sont cultivés sur les mêmes parcelles que les légumineuses annuelles qui enrichissent le sol en azote. En outre, les figuiers, caroubiers et les légumineuses apportent un revenu supplémentaire aux paysans qui peuvent vendre le surplus au souk, » ajoute-t-elle.

Rabia Hakouche, 56 ans, vit dans la partie la plus fertile d’Asjen, qui sert aussi de refuge à de nombreux lièvres, sangliers et perdrix. Sur son terrain, elle cultive tomates, betteraves, légumineuses, des oranges et de l’avoine pour nourrir ses chèvres, ses vaches et ses poulets. Elle cultive également des plantes médicinales comme la camomille, le thym, la menthe et la verveine pour en faire des huiles essentielles qui traiteront les rhumatismes, les maux de tête et autres affections de la peau ou de la bouche.

Rabia Hakouche est veuve, elle est vêtue d’une djellaba noire, le vêtement traditionnel marocain. Elle a pu payer les études de ses sept enfants grâce au produit de la vente de l’huile d’olive mais aussi des fruits, légumes et légumineuses, et des huiles essentielles. Par le passé, nombreux étaient les enfants qui devaient aider leurs mères dans les champs au lieu d’aller à l’école.

Désormais, grâce aux avantages de la coopérative, de nombreuses femmes ont vu se réaliser leur objectif de pouvoir payer les études de leurs enfants. « J’ai pu envoyer ma fille à l’université, » raconte fièrement Rabia. « Aujourd’hui, elle est la dentiste de notre village. »

De gauche à droite : Suisi Rheia, Hanane Lachehab (présidente de Femmes du Rif), Fatima Stitou et d’autres membres de Femmes Du Rif au sommet du terrain de Fatima Stitou à Aïm Beïda, province de Ouezzane. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay..

L’union fait la force

L’huile d’olive des Femmes du Rif a permis d’assurer ces revenus. L’appellation IGP, qui garantit que l’huile est produite dans la région, permet aux femmes de vendre leur huile à un meilleur prix par litre, 43 dirhams (environ 4,30 €) au lieu du prix habituel du marché, soit 30 dirhams (environ 3 €). L’appellation IGP signifie également que l’huile peut parvenir à des clients différents, comme les hôtels. Elles économisent aussi les frais de déplacement jusqu’au marché en ville, à plus d’une heure de route de leurs villages.

Fatima Stitou, 60 ans, a pu récemment rénover sa maison. Elle vit dans le village de Aïm Beïda et Rheia est sa voisine. Comme souvent ici, leurs parcelles sont situées en pente, elles y cultivent des oliviers, des caroubiers et des figuiers. Depuis le sommet, on a une vue panoramique sur la vallée et les montagnes environnantes, presque totalement couvertes d’oliviers. À l’horizon, une voisine rentre chez elle à dos d’âne, un voile autour du visage pour se protéger de la poussière.

Une fois rentrées au village, les femmes prennent le thé à la menthe dans la cour de Fatima. Elles mangent le khobz, le pain rond traditionnel cuit dans un four à bois, accompagné d’olives vertes et noires assaisonnées à l’ail. Tout ici provient de leurs terres, y compris les ingrédients de base de la recette préférée des Jbalas, la bessara, une soupe à base de fèves sèches, copieusement arrosée d’huile d’olive et assaisonnée de cumin et de paprika. L’huile d’olive est un ingrédient essentiel de la cuisine marocaine, comme dans toute la région méditerranéenne.

« Pour chaque femme, nous estimons le bénéfice annuel à environ 6 000 €. » Ces bénéfices apportent une stabilité économique aux familles et aux villages, » explique Hanane Lachehab, 38 ans, présidente de Femmes du Rif. Elle raconte que le financement d’une grande partie des infrastructures locales, y compris la route menant à Nefzi, le village le plus reculé de la coopérative, à près de 60 kilomètres de Ouezzane, vient de cet argent. Cela permet aux villages « d’éviter l’exode rural qui a sévi par le passé, » déclare Hanane, et de « donner une chance à la jeune génération de rester ici au lieu de migrer vers les grandes villes comme Fès ou Tanger. »

Fatima Stitou dans son potager à l’ombre des oliviers. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay.

Et sans doute le plus important, la nouvelle stabilité économique des familles leur a permis d’abandonner la culture du cannabis. Bien qu’illégal, il est surtout cultivé dans la province de Larache, près de Fès et des montagnes du Rif, plus particulièrement dans la région de Chefchaouen.

Au parlement marocain

Pour Hanane Lachehab, Femmes du Rif représente bien plus que de l’agroforesterie et de la production d’huile d’olive IGP. C’est la raison qui fait sortir les femmes de chez elles et qui leur apporte une reconnaissance bien méritée pour leur travail, si souvent méconnu. Elles ont également gagné de nouveaux droits sociaux, leur rôle au sein de la coopérative figure sur leurs papiers et est certifié par la municipalité. Cela leur permet de voter pour les représentants politiques locaux à la chambre d’agriculture et d’être elles-mêmes éligibles.

Hanane a étudié la gestion à l’université pour ensuite décider de revenir dans son village et de trouver un moyen de créer des emplois pour ses voisins. Elle est maintenant une représentante politique locale pour le Comité Régional Nord, élue grâce à son travail avec Femmes du Rif (pour lequel elle a aussi gagné un prix Terres du Femmes Prize en 2017). C’est avec fierté qu’elle raconte l’histoire de sa voisine Fatima Habboussi : en 2015, cette membre de Femmes du Rif est devenue la première femme élue au parlement marocain, après être passée par le comité régional de la Chambre d’Agriculture.

Fatima Stitou avec d’autres produits issus de sa culture en agroforesterie, betteraves et citrons. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay.

Selon Hanane, « les femmes jbalas ont toujours travaillé dans les champs d’oliviers. » « Grâce aux coopératives, les femmes sont de plus en plus impliquées dans la vie publique. Elles existent aussi en dehors de leur village et de leur famille. La plupart d’entre elles ont voyagé pour la première fois loin de leur village pour participer à des réunions au Maroc ou à l’étranger, » ajoute-t-elle, faisant référence à un voyage récent en Espagne pour promouvoir l’huile d’olive du groupe.

Un retard exceptionnel

Mais Hanane, tout comme Rheia, n’a jamais connu un tel retard dans la période de la récolte des olives au cours de ses 18 d’expérience. En consultant les prévisions météorologiques sur son téléphone, elle remarque que davantage de pluie est prévue pour la semaine suivante ; les olives ont besoin d’une semaine de soleil au moins pour arriver à maturité.

Bien que la saison de la récolte soit retardé pour les Femmes du Rif, elle ont maintenant les moyens de patienter, un luxe dû aux meilleurs revenus et à l’indépendance financière apportée par leur coopérative, ainsi qu’au système d’agroforesterie durable qui leur fournit l’huile d’olive.

Tournées vers un avenir meilleur, les Femmes Du Rif au sommet du terrain de Fatima Stitou, entouré des terres où poussent oliviers, figuiers et caroubiers. Photo Monica Pelliccia pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2019/01/agroforestry-empowers-moroccos-mountain-women/

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