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L’enchevêtrement de baleines franches freine leur reproduction, à l’heure où la population de ces dernières décline

  • Il ne reste plus de 451 baleines franches de l'Atlantique Nord, alors qu'on en comptait 458 en 2016 et 483 en 2010.
  • L’enchevêtrement dans les dispositifs de pêche et les collisions avec des navires demeurent les deux principales menaces pesant sur la survie de la baleine franche.
  • Selon une étude parue en novembre 2017 dans la revue Ecology and Evolution, les femelles sont moins nombreuses à survivre par rapport aux mâles, et l’intervalle entre les mises bas s’allonge.

Pour les baleines franches de l’Atlantique Nord, l’année 2017 s’est avérée difficile. Quinze baleines sont mortes au cours des 10 premiers mois de l’année, ce qui a suscité de vives inquiétudes parmi les scientifiques, au point où la National Oceanic and Atmospheric Administration (administration nationale américaine des affaires océaniques et atmosphériques) a déclaré que l’été 2017 avait connu une « mortalité inhabituelle. » Un peu plus récemment, une équipe de scientifiques a signalé que 2017 s’inscrivait dans un long déclin continuel enregistré au cours des dernières années.

Point critique, les baleines franches femelles ont du mal à se reproduire, nous apprend l’étude.

« Elles meurent trop jeunes et ne donnent pas assez souvent naissance à des petits » a expliqué l’écologiste Peter Corkeron du Northeast Fisheries Center de NOAA, à Woods Hole, dans le Massachusetts lors de la réunion annuelle du consortium sur les baleines franches de l’Atlantique Nord, qui s’est tenue en octobre 2017 en Nouvelle-Écosse. Peter Corkeron est l’un des auteurs de cet article.

Une baleine franche (Eubalaena glacialis) dont le fanon est clairement visible, en train de s’alimenter en filtrant sa nourriture à travers sa « moustache ». Photo de NOAA Fisheries/Elizabeth Josephson, NEFSC.

Les scientifiques spécialistes des mammifères marins ont longtemps identifié les deux principales menaces pesant sur la baleine franche de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis), une espèce menacée d’extinction figurant sur la liste de l’UICN : se faire heurter par un cargo de fret et se retrouver pris dans l’un des nombreux engins de pêche au large de la côte est du Canada et des États-Unis. Avant ces problèmes, des siècles de chasse avaient décimé ces espèces ; les baleines franches, particulièrement lentes lorsqu’elles sortent de l’eau pour s’alimenter, étaient les « bonnes » baleines à tuer. En 1990, leur population ne comptait plus que 270 animaux.

Grâce à vingt ans de recherches et de stratégies visant à garder davantage de baleines en vie, la population de ces dernières est repassée à 483 en 2010. Mais l’étude récente, parue dans le numéro de novembre 2017 de la revue Ecology and Evolution, vient confirmer ce que les scientifiques du secteur avaient observé lors de la décennie écoulée : le nombre de baleines franches est bien sur le déclin. À l’aide d’une méthode unique de modélisation, l’équipe a établi, avec une certitude quasi totale, que l’on comptait 458 animaux en 2015. Or on estime actuellement à 451 le nombre de baleines franches d’Atlantique Nord.

« Bien que nos travaux révèlent une baisse relativement faible, le message implicite est que ces espèces sont actuellement dans une situation désespérée » a indiqué dans une déclaration Richard Pace, biologiste au Northeast Fisheries Center, et également auteur principal du rapport.

L’étude a par ailleurs mis le doigt sur une autre tendance inquiétante : les baleines franches femelles meurent plus rapidement que les mâles, ce qui rend encore plus difficile la résolution du problème.

Selon Peter Corkeron, lorsque l’on s’attelle à augmenter le nombre d’animaux, « ce qui compte réellement c’est le nombre de femelles de cette espèce. »

Une baleine femelle doit subvenir à ses besoins et ceux de son fœtus durant une grossesse de 12 mois ; elle doit protéger et nourrir son petit qui peut atteindre 4,5 mètres de long et peser 900 kilos à la naissance. D’après Scott Kraus, biologiste au New England Aquarium de Boston, une population aux femelles fragilisées peut mettre en péril sa reproduction, situation d’ailleurs observée par les scientifiques depuis 2010.

« Il existe deux explications à cela, étayées par des preuves scientifiques solides », a avancé Scott Kraus, l’un des coauteurs de l’étude, lors de l’événement du mois d’octobre 2017.

Il se peut que les femelles n’aient pas assez à manger car leurs proies (les tonnes de krills et de zooplancton dont elles dépendent) ne sont plus au même endroit qu’auparavant, ou parce que les baleines ne parviennent pas à en trouver en quantité adéquate pour subvenir aux besoins de leur masse colossale.

Chez les baleines franches, les mères potentielles tiennent le raisonnement suivant : « il faut être grosse pour avoir des petits » a souligné Scott Kraus.

Autre possibilité, peut-être plus insidieuse : l’enchevêtrement dans les engins de pêche peut causer pas mal de problèmes, qu’il s’agisse de la traînée produite par le transport du matériel ou des blessures infligées. Ceci peut empêcher les baleines de prendre suffisamment de poids et de se reproduire comme elles le faisaient autrefois.

Selon Scott Kraus, on peut s’attendre à ce qu’une femelle en âge de se reproduire ait des petits tous les trois à six ans. Or un récent rapport sur les baleines franches de l’Atlantique Nord a indiqué qu’en moyenne, ces dernières avaient des petits tous les 10 ans ou plus ; ceci concernait les cinq femelles qui avaient eu des petits en 2017.

Photo de Caleb Gilbert, NOAA Fisheries/NEFSC Protected Species Branch.

Dans le même temps, peu de baleines franches échappent aux enchevêtrements dans le matériel de pêche.

« Ceci est très courant pour les baleines franches. Elles souffrent toutes d’un certain nombre de blessures » a ajouté Scott Kraus. « À terme, cela va très certainement avoir un fort impact sur la reproduction. »

Et si cela ne suffisait pas, en juillet 2017, un secouriste formé pour désenchevêtrer les baleines des engins de pêche a été tué alors qu’il tentait de libérer une baleine franche dans le Golfe-du-Saint-Laurent au Canada.

Selon Peter Corkeron, pour les baleines mâles, un enchevêtrement dans des engins de pêche peut causer un handicap tel que l’incapacité de se reproduire s’ils ne sont pas capables de rivaliser avec d’autres mâles. Pour une femelle, cela rallonge considérablement l’intervalle entre les accouchements, à l’heure où leur longévité est déjà tronquée en raison des menaces qui pèsent sur les baleines.

Les chercheurs ont connaissance d’une baleine franche femelle d’Atlantique Nord qui a vécu jusqu’à l’âge de 69 ans. Elle est décédée suite à une collision avec un bateau, et non de mort naturelle. Les baleines boréales, également membres de la famille des Balaenid, vivent deux cents ans ou plus et les baleines franches australes (Eubalaena australis) vivent elles aussi très longtemps. Dans ce contexte, la longévité actuelle de 30 ans des baleines franches d’Atlantique Nord nous laisse d’autant plus perplexes.

« Leur vie semble bien trop courte pour un Balaenid et bien plus courte que celle des baleines franches australes d’Afrique du Sud » a commenté Peter Corkeron. « Si elles commencent à se reproduire à l’âge de 10 ans et meurent à 20 ou 30 ans, les intervalles de reproduction que nous observons en ce moment nous aident à expliquer le déclin actuel. »

Des baleines franches d’Atlantique Nord photographiées par l’équipe de relevé aérien du NEFSC en mai 2016. Photo de NOAA Fisheries/Tim Cole, NEFSC.

Ce qu’on en tire c’est que les scientifiques et les responsables de pêcheries doivent trouver un moyen de réduire ces enchevêtrements. Mais ce défi s’avère plus difficile à relever que celui des collisions avec les navires, a ajouté Scott Kraus.

Selon ce dernier, les gouvernements du Canada et des USA ont limité une énorme quantité de collisions avec les baleines, et ce, en déplaçant les voies de navigations très fréquentées qui coupaient l’habitat des baleines franches et en demandant aux capitaines de réduire la vitesse de leur bateau. Dans certains cas, le risque de collision avec un navire a été diminué de 90 pour cent.

Toutefois, les efforts et les recherches visant à surmonter le problème lié aux engins de pêche n’ont pas produit d’aussi bons résultats, a précisé Scott Kraus.

Selon lui, « Cela fait 20 ans que nous essayons de réduire les enchevêtrements dans les engins de pêche. Nous avons essayé des tas de choses. Et pourtant, cela n’a eu aucune incidence sur le taux d’enchevêtrements ou sur la gravité de ces derniers. »

« Cela fait 20 ans que nous devinons et nous ne sommes pas très forts en devinettes » a-t-il ajouté.

CITATION

Pace, R. M., Corkeron, P. J., & Kraus, S. D. (2017). State-space mark-recapture estimates reveal a recent decline in abundance of North Atlantic right whales. Ecology and Evolution7(21), 8730-8741.

Image de bannière de baleines franches de l’Atlantique nord de NOAA Fisheries/Tim Cole, NEFSC.

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