Nouvelles de l'environnement

Pour protéger les tourbières congolaises, protégeons les droits locaux territoriaux (une analyse)

  • En 2017, des chercheurs rapportent l’existence du plus grand ensemble de tourbières tropicales mondial dans le bassin du Congo.
  • Au début de 2018, une équipe de scientifiques, incluant l’auteur, voyageait en République démocratique du Congo (RDC) pour explorer plus profondément les tourbières, lesquelles recouvrent une superficie approximative de la taille de l’Angleterre; et contiennent quelques 30 billion de tonnes de carbone.
  • À la même période, le gouvernement de la RDC a attribué des concessions forestières qui chevauchent les tourbières; une violation sur le moratoire de concession qui dure depuis 16 ans.
  • Cet article est une analyse. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur, et non nécessairement de Mongabay.

LOKOLAMA, République démocratique du Congo – Quelques part en mars, je me suis retrouvé avançant péniblement dans un marécage éloigné au cœur de la forêt tropicale du Congo. Je ne pouvais, tout en essayant d’une manière préoccupée d’empêcher mes bottes de rester prise dans la douce boue brune, cesser de me questionner jusqu’où nous pourrions continuer. C’était notre dernière journée. Dans les deux semaines précédentes, notre équipe de recherche composée de Britanniques et de Congolais, avec des hommes des villages locaux de Lokolama, avons taillé un sentier de 4 kilomètres (2.5 miles) dans cette dense et marécageuse forêt. Cela s’est avéré être un long travail acharné. Il y a des jours où nous passions 8 heures à marcher en long et en large du sentier; ce qui nous laissait avec seulement quelques heures avec la lumière du jour pour travailler réellement. Mais ce jour, sur le point d’atteindre la distance la plus éloignée à date, nous avons essayé d’aller quelques centaines de mètres plus loin, avec le peu de lumière qu’il nous restait – dans le seul but de répondre à une grande question : Sur quelle quantité de boue avons-nous en fait marché ?

Lokolama, un petit village éloigné dans la province Équateur de la partie nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC), a fait les manchettes l’an dernier quand des chercheurs de l’Université de Leeds au Royaume-Uni, en partenariat avec des militants de Greenpeace, ont découverts des dépôts de tourbes enfouis profondément près du village. Même à la lisière extérieure du marécage, l’équipe a trouvé plus de 3 mètres (10 pieds) de tourbe sous leur pied. Leur mesure confirme que la plus large parcelle de tourbière tropicale du monde, décrite premièrement en 2017 dans le journal Nature, s’étend de sa voisine, la République du Congo jusqu’à la RDC. Cachée aux yeux du monde par une dense couverture forestière, une immense réserve de carbone est enterrée sous terre, sous forme matière végétale partiellement décomposée. La tourbière, d’à peu près la taille de l’Angleterre, est estimée contenir 30 billion de tonnes métriques (33 billion de tonnes) de carbone. C’est l’équivalent de 3 années d’émissions mondiales de carburant fossile, ou bien l’équivalent de tout le carbone stocké dans les arbres retrouvés dans la totalité de la forêt tropicale du bassin du Congo.

L’équipe voyageant en pirogue sur la rivière Ikelemba, un affluent de rivière du Congo, pour atteindre un de leur site de recherches. Image de Bart Crezee/Université de Leeds.

À l’Université de Leeds, nous nous demandions à savoir si ces découvertes étaient seulement le début. Si nous avions déjà découvert 3 mètres de tourbe seulement à l’extrémité des frontières de la forêt, quelle quantité de plus pourrions-nous découvrir au cœur du marécage ? Si tôt dans l’année, nous retournions pour 3 mois de travail de terrain, explorant plus loin que jamais dans la tourbière. Après seulement 1 kilomètre (0,6 mile), nous mesurions 4.5 mètres (15 pieds) de tourbe. 4 kilomètres dans le sentier, nos mesures indiquaient plus de 5 mètres (16.5 pieds). Et quand nous avons rajoutés ces quelques mètres supplémentaires lors de notre dernière journée dans le marécage, nous avions possiblement trouvé 6 mètres (19.5 pieds) de tourbe souterraine.

Je dis possiblement parce que, pour connaître la profondeur exacte de la tourbe, nous devons attendre l’analyse en cours des échantillons de tourbe que nous avons ramené au Royaume-Uni. Mais, de ce que nous savons jusqu’à maintenant, la tourbière de la RDC devient plus profonde et ce plus rapidement qu’à travers la frontière de la République du Congo. Il s’agit d’une information cruciale, car cela veut dire que la tourbière pourrait renfermer encore plus de carbone que laissait présager les premières estimations.

La tourbière recouvre la République du Congo et la République démocratique du Congo. L’image est une gracieuseté de Dargie et al., 2017

La quantité de carbone présente dépend de l’ampleur réelle de la tourbière. Pour avoir une meilleure idée de la répartition de la tourbière, nous avons également visité plusieurs affluents de la rivière du Congo. Jusqu’à ce point, seulement un large bassin de tourbe pris entre les deux plus larges cours d’eaux a été étudié. Nous avons découvert que dans la RDC, de vastes dépôts de tourbe atteignant une profondeur d’au moins 4 mètres (13 pieds) existaient dans les zones inondables de la rivière également. De tous les sites visités, nous avons découvert de la tourbe exactement ou le prédisait l’étude Nature 2017. Quelques-uns de ces sites étaient à des douzaines de kilomètres de Lokolama et à des centaines de kilomètres des sites initiaux de recherches de la République du Congo, laissant peu de doute que la plus grande étendue de tourbière tropicale dans le monde était incroyablement vaste.

Des menaces contre la tourbière

Yet while I was wading through the mud, the future of these very forests was on the table in Kinshasa and Brazzaville, the respective capitals of the DRC and the Republic of Congo. In early February, the DRC’s environment minister, Amy Ambatobe, a attribué plus d’un demi-million d’hectares de concessions forestières illégales à deux compagnies chinoises, qui chevauchent partiellement la tourbière nouvellement découverte. Il s’agit clairement d’une violation du moratoire de 16 ans du pays sur les nouvelles concessions. Plus tard en février, le gouvernement signalait ses intentions de lever complètement ce même moratoire. Ces déclarations ont mené à la levée de préoccupations répandues parmi les groupes de conservateurs et les défenseurs des droits de l’homme.

Des trognons de tourbes souterrains recueillis à l’aide d’un carottier en métal et divisés en 5 échantillons de 10 centimètres (4 pouces), pour de plus amples analyses en laboratoire. L’image est une gracieuseté de Bart Crezee/Université de Leeds.

En ce moment, environ 29 000 kilomètres carrés (11 200 miles carrés) de la surface totale de la tourbière siège officiellement sur une concession forestière, même si les activités forestières actuelles dans ces marécages sont limitées due à leur inaccessibilité et leur coût exorbitant. Toutefois, une grande évidence émerge des tropiques, une fois ces activités forestières commencées, elles déclencheront une chaîne d’évènements néfastes. La construction de nouvelles routes donnera accès à d’autres zones de coupe éloignées, résultant indirectement à une dégradation forestière et finalement, à une déforestation complète pour de l’agriculture à grande échelle. En d’autres mots, une coupe sélective peut agir comme un acte précurseur pour la plantation agricole de récolte, telle que l’huile de palme et ainsi, mener à une déforestation à grande échelle.

La manière dont les routes elles-mêmes impacteront l’équilibre hydrologique fragile dont les marécages de tourbe dépendent est à ce jour inconnu. Mais une nouvelle étude publiée par le JournalMitigation and Adaptation Strategies for Global Change en janvier 2018 indique la probabilité que les routes pourraient agir en tant que barrière pour l’écoulement des eaux. Ces barrages naturels pourraient causer de grandes perturbations sous forme d’érosion du sol ou encore de la sécheresse de la tourbière. Le Journal nous prévient aussi de la possibilité d’un scénario futur, dans lequel la hausse des prix des matières premières (particulièrement l’huile de palme) faciliterait l’accès à la commercialisation des routes et rivières, ce qui, jumeler aux températures élevées et aux sécheresses de plus en plus fréquente causées par les changements climatiques, travailleraient ensemble pour reproduire les conditions qui menèrent aux catastrophiques feux de tourbières qu’a connue l’Indonésie en 1997 et au phénomène El Niño en 2015.

Est cité comme exemple, un autre rapport, justement intitulé «La tempête approche», qui parut au même moment où je marchais à travers les marécages. Dans le rapport, l’investigatrice société à but non-lucratif Earthsight, basée à Londres, démontrait comment une des grandes entreprises forestières de la République du Congo avait acquis un permis pour une plantation d’huile de palme d’une superficie de 4 700 kilomètres carrés (1 815 miles carrés), plantation qui empiétait largement sur la tourbière de la République du Congo. Cette transaction, parsemée d’illégalités, mettaient en premier plan le lien étroit entre la coupe forestière et les sociétés productrices d’huile de palme. Le rapport nous prévient aussi que des milliers d’hectares supplémentaires sont à risque d’être anéantis à tout jamais dans le bassin du Congo pour cause de mauvaise gouvernance forestière et de manque de transparence.

Les tourbières tropicales peuvent seulement se former dans une forêt marécageuse, constamment inondée. L’image est une gracieuseté de Bart Crezee/Université de Leeds.

Les gardiens de la forêt

La «tempête» n’a pas de raison d’approcher. La présence des tourbières possédant une vaste réserve de carbone pourrait faire naître un régime international de financement de la lutte contre le changement climatique pour la forêt tropical du Congo. Bien qu’il y aille beaucoup de débats sur l’efficacité et les dangers face aux mesures individuelles, il est clair que des paiements basés sur les résultats du REDD+, une contribution volontaire au projet de compensation du carbone ou un support financier du Fond Vert des Nations-Unis pourrait jouer un rôle cruciale de protection pour les tourbières du Congo.

Toutefois, ces efforts porteront leurs fruits seulement avec une approche particulière, qui inclut le support total des communautés locales et des peuples indigènes. Une récente recherche menée par l’Initiative des Droits et Ressources prouve que la première initiative de la RDC concernant les REDD+ dans la province du Mai-Ndombe ne respecte pas les droits des communautés locales. De plus, ils échouent également dans la protection de leurs forêts. L’auteur du rapport défend qu’il faille donner l’opportunité aux communautés locales de devenir détenteurs de REDD+ et les laisser bénéficier directement de l’argent provenant des REDD+. Pour que cette stratégie fonctionne, ces communautés doivent avoir préalablement acquis une protection de leurs droits fonciers pour leurs forêts, ce qui selon les études, démontre qu’il s’agit d’une des mesures les plus rentables pour prévenir la déforestation. Le code forestier de la RDC, la principale législation du pays qui régit l’utilisation des forêts, donne aux communautés la chance d’acquérir une protection de leurs droits légaux sur quelques 500 kilomètres carrés (193 miles carrés) de forêts, qui historiquement leur appartenaient. Par contre, peu de titres fonciers ont été accordés jusqu’à maintenant. Pour l’instant, il appartient au gouvernement de la RDC de passer de la parole aux actes et de faire respecter ces droits.

Le palmier raphia domine quelques zones de la forêt tourbière marécageuse. L’image est une gracieuseté de Bart Crezee/Université de Leeds.

Heureusement, à mon retour de la forêt, je fus accueilli par de bonnes nouvelles. Ambatobe, le même ministre de la RDC qui avait illégalement attribué des concessions forestières quelques semaines passées, venait tout juste de signer un accord historique avec ses homologues de la République du Congo et de l’Indonésie. Dans la Déclaration de Brazzaville, soutenu par le programme des Nations Unies pour l’environnement mondiale et l’initiative mondiale pour les tourbières, les 3 ministres de l’environnement se sont engagés à travailler ensemble à la protection des tourbières congolaises contre l’utilisation des terres non réglementées; afin de prévenir leur drainage et leur dégradation.

Toutefois, le gouvernement de la RDC n’a toujours pas fait les premiers pas pour annuler l’acquisition des concessions forestières illégales. L’accord de Brazzaville ne fait pas non plus mention des droits fonciers des communautés vivant sur ces territoires – communautés comme celle de Lokolama, qui connaissent ces marécages le mieux. Sans elles, je n’aurais jamais pu m’aventurer dans les profondeurs de la tourbière retrouvée dans la RDC pour mes recherches. Et sans un gouvernement qui respecte leurs droits fondamentaux, ces gardiens de la forêt ne seront bientôt plus en mesure de défendre cette tourbière dont ils dépendent.

L’image en bannière est celle du botaniste Corneille Ewango (droite) de l’Université de Kisangani, prise sur le terrain par Bart Crezee de l’Université de Leeds.

Bart Crezee est une journaliste indépendant et un candidat au doctorat en écologie tropicale de l’Université de Leeds au Royaume-Uni. Son projet de recherche au doctorat met l’accent sur la distribution et la diversité des tourbières à travers le bassin du Congo. Ses récents travaux sur le terrain en RDC a été financé par Greenpeace Afrique. Suivez-le sur Twitter : @bartcrezee

Citations

Dargie, G. C., Lawson, I. T., Rayden, T. J., Miles, L., Mitchard, E. T., Page, S. E., … & Lewis, S. L. (2018). Congo Basin peatlands: threats and conservation priorities. Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change, 1-18.

Dargie, G. C., Lewis, S. L., Lawson, I. T., Mitchard, E. T., Page, S. E., Bocko, Y. E., & Ifo, S. A. (2017). Age, extent and carbon storage of the central Congo Basin peatland complex. Nature542(7639), 86.

Huijnen, V., Wooster, M. J., Kaiser, J. W., Gaveau, D. L. A., Flemming, J., Parrington, M., … & Van Weele, M. (2016). Fire carbon emissions over maritime southeast Asia in 2015 largest since 1997. Scientific Reports6, 26886.

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