Nouvelles de l'environnement

Pour subvenir au besoin d’une population croissante, l’agriculture locale menace les forêts de Madagascar

  • A Madagascar les agriculteurs défrichent et brulent les forêts pour faire place a des rizières.
  • Bien que traditionnelle, cette pratique est aujourd’hui illégale car dévastatrice pour l’environnement. Multiples espèces sont menacées d’extinction en raison de la perte de leur habitat naturel.
  • La population devrait doubler d’ici 2060, les défis de développement du pays sont donc immenses.

RÉGION DE SAVA, Madagascar – Accroupi pieds nus dans un champ de boue à la périphérie du Parc National de Marojejy, Paul Tiozen arrache les semis de riz de la terre, tout en chassant de son esprit les problèmes les plus pressants de Madagascar: comment obtenir plus de riz? Il semble être amer.

Il nous explique : “Le riz est une source de la vie malgache. C’est si difficile de travailler le riz, parce que nous avons besoin de pelle et d’eau pour le faire. Il me faut plus de terres. J’ai une grande famille, alors j’ai besoin de plus. Ce que je veux, c’est un demi-hectare.”

C’est là que réside le piège. La population de Madagascar est sur le point d’augmenter. Le centre International Futures de l’Université de Denver estime que d’ici 2060 Madagascar comptera près de 60 millions d’habitants, contre 25,5 millions aujourd’hui. Et pourtant, seulement 1,2 million d’hectares de terres sont consacrés à la riziculture, soit une infime partie de la superficie de l’île. Pour nourrir la population, la productivité agricole doit augmenter.

Rice farmer Paul Tiozen says he needs half a hectare of land to grow enough rice for his family, more farmland than he currently has. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Le riziculteur Paul Tiozen aurait besoin d’un demi-hectare de terre pour cultiver suffisamment de riz pour sa famille, plus de terres agricoles que ce qu’il n’en a actuellement. Crédit photo : Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

Mais la croissance démographique dans ce pays largement rural et agraire réduit petit à petit la couverture forestière et souvent de la pire façon possible pour l’environnement. Dans les sentiers vallonnés sur la route de montagne qui mène à Andapa, dans la région de Sava au nord-est du pays, on peut constater le problème sur les flancs des collines et sur les chemins de terre. Les paysans ont coupé tous les arbres dans certaines régions et mis le feu aux terres dans leur quête de transformer les forêts en rizières fertiles.

Cette application classique de l’agriculture par brûlis pour défricher les zones montagneuses en vue de créer des zones fertiles est connue localement sous le nom de tavy. Après avoir brûlé la végétation, les agriculteurs mélangent les cendres riches en éléments nutritifs dans le sol, ce qui leur permet de bien cultiver le riz. Mais les avantages sont de courte durée. Non seulement le riz des tavys produit moins de riz que d’autres type d’agricultures plus productives et plus durables, mais il entraîne également l’appauvrissement du sol en azote. Après la première culture, les agriculteurs doivent laisser la parcelle en jachère, souvent pendant plus de cinq ans, avant de replanter le riz. Pire, la perte des arbres nuit irréversiblement au sol. Sans racines qui la lient, le sol s’érode et le sol devient infertile. Cela créer un cercle vicieux car au bout d’un certain temps, l’agriculteur abandonne sa parcelle et utilise de nouvelles terres fraiches, ce qui accélère le cycle d’appauvrissement et de destruction.

An illegal tavy clearing near the city of Sambava in Madagascar’s northeastern Sava region. The remaining vegetation will be burned and the former forest converted to a farm. Tavy often causes such bad soil erosion that the land is rendered useless. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Une parcelle de tavy illégale près de la ville de Sambava, dans le nord-est de Madagascar. Le reste de la végétation sera brûlé et l’ancienne forêt transformée en culture. Le tavy provoque des érosions intenses du sol, la terre en devient inutilisable. Crédit photo : Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

“Ils le font au même endroit deux ou trois fois. Une fois la parcelle utilisée, le sol devient infertile. Rien ne peut plus y pousser. Et ils se déplacent dans d’autres parties de la forêt. Cette technique est vraiment mauvaise pour les aires protégées”, explique Manantsoa Andriatahima, paysagiste au sein de l’ONG internationale World Wide Fund for Nature (WWF) à Madagascar.

Le tavy est depuis longtemps une pratique illégale, mais est encore utilisée aujourd’hui.

Madagascar, with Sava region outlined in red. Map courtesy of Google Maps.
Madagascar et la région de Sava en rouge. Carte reproduite avec l’autorisation de Google Maps.

Des paysages perdus

Madagascar recèle de quelques-uns des plus beaux et uniques paysages de la planète. L’ensemble de l’Afrique tropicale compte moins de 35 000 espèces végétales et au moins un tiers d’entre elles ne croissent qu’à Madagascar. Les espèces animales endémiques de Madagascar trouvent refuge dans ses jungles: L’eurycère de Prévost (Euryceros prevostii), le gecko à queue plate (Uroplatus phantasticus), et des dizaines d’espèces emblématiques de lémuriens, pour n’en citer que quelques-unes.

Ces espèces vivaient paisiblement jusqu’à il y a environ 2 000 ans. Depuis l’arrivée de l’humanité, 90 pour cent du couvert forestier originel a disparu, dont 40 pour cent au cours des 60 dernières années seulement. Bien que le rythme de la déforestation a sans doute ralenti, Global Forest Watch a constaté que sur des 15 dernières années, 2016 était la pire en terme de perte avec près de 400 000 hectares abattus. Il est difficile d’obtenir des statistiques à l’échelle de l’île concernant le tavy, mais les scientifiques considèrent cette pratique comme une des principales causes de la déforestation.

Dans la plupart des cas, ce sont les forêts non protégées qui sont menacées, les endroits à l’extérieur des parcs nationaux où la nature et l’humanité coexistent sans trop de réglementation. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN), 90 pour-cent de toutes les espèces de lémuriens de l’île sont menacées d’extinction.

Mais les défis de développement du pays sont immenses et à cause de l’augmentation des rizicultures et du tavy, il reste peu de place pour l’environnement.

A lowland streaked tenrec (Hemicentetes semispinosus), a resident of the Sava region. Photo by Rhett A. Butler.
Un Hemicentetes semispinosus, habitant de la région de la Sava. Crédit photo : Rhett A. Butler.

Le bâton ou la carotte

Le gouvernement est au courant des problèmes que pose le tavy depuis des années, de nombreuses solutions possibles on été proposées. Le gouvernement investi dans la recherche de meilleurs engrais et d’une meilleurs irrigation afin améliorer la productivité agricole des terres déjà défrichées, tout en esquissant une stratégie visant à rendre plus de terres disponibles pour la riziculture.

Des programmes de sensibilisation ont aussi permis d’encourager les populations à protéger les forêts. Selon la Banque mondiale, entre 1996 et 2004, 1 248 unités de gestion communautaire des forêts (CFM) ont été créées. Ce sont des zones administratives dans lesquelles les communautés locales gèrent leurs propres forêts. Le but est de donner aux communautés le droit de prendre des décisions sur des parcelles de terre et de récolter les fruits des ressources naturelles qui s’y trouvent. Les pionniers de ce modèle espéraient que la CFM deviendrait plus populaire que les parcs nationaux protégés, car elle permet aux populations de continuer à utiliser les forêts locales et, théoriquement, d’améliorer leurs moyens de subsistance. Les ONG et les responsables gouvernementaux ont été chargés de veiller à ce que les zones soient utilisées de manière durable.

Mais récemment, des rapports suggèrent que le CFM n’ a pas eu d’impact positif sur la déforestation. Un article paru en 2015 dans la revue Biological Conservation n’ a détecter aucun impact du CFM sur le taux de déforestation à Madagascar entre 2000 et 2010. Dans un rapport publié en 2015, la Banque mondiale notait un cadre réglementaire peu rigoureux et une application fragmentaire de la loi. De plus le manque de formation et de ressources ont précipité les unités CFG vers l’échec.

Even around national parks, non-tavy rice paddies like this are spreading. This paddy lies just outside Marojejy National Park, where forest once stood. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Même aux alentours des parcs nationaux, des rizières comme celle-ci se répandent. Cette rizière se trouve juste à l’extérieur du Parc National de Marojejy, où se trouvait autrefois la forêt. Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

En plus du CFM, Madagascar continue d’utiliser les aires protégées qui représentent désormais 5 % des terres de l’île, dont un nombre stupéfiant de parcs nationaux. Ces zones ne peuvent pas être exploitées par les communautés sans l’accord des autorités. Dans sa récente soumission au comité permanent de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) le gouvernement précise qu’au début de l’année 2017, des recrutements de nouveaux agents de police judiciaire des forêts ont été effectué pour “assurer la protection contre le défrichement illégal”.

Mais Arsonina Bera, directrice du département forestier à Sava, admet qu’il est difficile d’empêcher les populations locales de récolter de manière illégale les précieuses ressources naturelles des zones protégées.

Nous en couvert forestier sont riches en ressources. Mais aujourd’hui, cette quantité diminue de jour en jour avec la population croissante “, a-t-il dit. Si vous appliquez une loi, les gens viendront la contester en disant: “Pourquoi faites-vous cela? Nos ancêtres utilisent le bois depuis des années? Comment vivrons-nous?”

Bera croit que lorsqu’il s’agit d’arrêter le développement du riz, la carotte est plus puissante que le bâton. Il soutient que ce n’est qu’en s’engageant auprès des communautés locales et en obtenant leur accord que le changement durable sera possible. “Je connais le dialecte. Je connais les gens. La plupart de ma famille vit ici. Je viens d’ici. C’est en partie un problème d’éducation. La plupart des gens sont analphabètes. C’est difficile d’essayer d’inventer une technologie pour leur apprendre; ce serait très difficile. Mieux vaut trouver une solution en utilisant le dialecte local et en parlant avec eux “, dit-il.

Il nous raconte même qu’il n’ y a pas si longtemps, l’un des hauts fonctionnaires de la région voulait envoyer des militaires pour empêcher les gens de détruire la forêt. “Mais nous l’avons arrêté” dit Bera. “Nous avons préféré chercher le député local pour trouver une solution communautaire. Avoir recours à l’armée ou à la police n’est jamais la meilleure solution.”

Marojejy National Park, one of the country’s reknowned protected areas. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Le parc national de Marojejy, l’une des aires protégées les plus connues du pays. Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

S’attaquer à la cause fondamentale

Aujourd’hui les ONG se tournent de plus en plus vers une approche de développement appelée “Population, Santé et Environnement” (PSE) qui favorise la conservation, l’amélioration de l’accès au soins et à la planification familiale pour les communautés locales.

“Le PSE est une approche holistique qui souligne les défis interdépendants de la santé publique déficiente, des besoins non satisfaits en matière de planification familiale, de l’insécurité alimentaire, de la dégradation de l’environnement et de la vulnérabilité au changement climatique “, explique Laura Robson, gestionnaire des partenariats santé-environnement du groupe de conservation Blue Ventures, basé à Antananarivo. Le groupe aide à coordonner un réseau national d’organisations qui gèrent des projets PSE.

Mais le “P” de PSE est le plus controversé de tous: la population. Dans un pays où le christianisme, le catholicisme et l’islam sont profondément enracinés, l’idée d’instaurer la planification familiale durable peut-elle être mal accueillie? M. Robson promet que les membres du réseau sont déterminés à fournir des contraceptifs aux communautés, tout en respectant le droit des ces personnes à prendre leurs propres décisions. “Ces initiatives ne visent pas à provoquer des changements démographiques, mais plutôt à permettre aux couples d’atteindre leurs propres objectifs de planification familiale “, explique-t-elle.

M. Robson affirme que cette approche d’écoute devient de plus en plus populaire : le réseau PSE regroupe aujourd’hui plus de 40 organisations et sensibilise 135 000 personnes à travers Madagascar. Il permet la création de partenariats improbables. Grâce au succès du planning familial dans les communautés autour de la Réserve Spéciale d’ Anjanaharibe-Sud à Sava, la Fondation Lemur pour la Conservation (LCF) s’est associée à l’ONG de santé reproductive Marie Stopes Madagascar. Ce dernier utilise sa marque de commerce “Marie Stopes Ladies” pour proposer des méthodes contraceptives réversibles à action prolongée, notamment des implants. De plus, la LCF s’engage auprès des communautés de cette région sur le reboisement, la formation à l’agriculture durable, les poêles peu énergivores, le développement de l’écotourisme et diverses initiatives d’éducation relative à l’environnement”, a-t-elle dit. Les groupes espèrent ainsi encourager les communautés à respecter ces valeurs protectionnistes plutôt que de bruler les forêts.

Mais Madagascar n’a peut-être pas assez de temps pour tester les résultats des approches telles que le PSE. La population semble toujours en plein essor, et les forêts s’épuisent rapidement.

Regarde la vidéo de Dan Ashby et Lucy Taylor sur Tavy pour l’émission Africa Live du China Global Television Network, qui a contribué au financement des voyages de ce reportage.

Faire fonctionner le riz

Sur les montagnes de Marojejy, des groupes d’hommes offrent aux touristes et aux scientifiques des services de traque de lémurien, de trekking, de transport et de cuisine. Mais ils ont tous une chose en commun. Même à la première heure de la journée, il n’ y a qu’une seule chose au menu du petit déjeuner: du riz.

Franco Rajaonarison empile une cuillère après l’autre, jusqu’ à l’obtention d’un énorme monticule fumant. Il répétera ce rituel au moins deux fois ce jour-là. Certaines communautés font même des boissons à base de riz. Selon certaines estimations, un malgache consomme en moyenne 140 kilogrammes de riz par an. La consommation a plus que triplé au cours des 30 dernières années et continue d’augmenter.

Plus tard au bord de la rivière, en faisant des ricochets, il rit. “Quand nous étions enfants, on pensait que le nombre de ricochets révélerait le nombre de bol de riz qu’on recevrait en fin de journée. On adore le riz.”

Le besoin accru de riz exercera une pression incalculable sur les forêts de Madagascar dans les années à venir. Le boom de la population aura atteint maturité dans les 30 prochaines années. La survie de milliers d’hectares de forêts tropicales et de zones boisées dépendra de la façon dont cette nourriture sera obtenue.

Dan Ashby et Lucy Taylor sont les correspondants en Afrique de l’Est de l’agence de presse mondiale Feature Story News, basée en Tanzanie. Leurs enquêtes sur le trafic d’espèces sauvages, le commerce de l’ivoire, le braconnage et la pêche à l’explosif ont été publiées par de nombreuses chaînes internationales, et leurs travaux ont déjà été nomination pour les prix de la Royal Television Society et de One World Media. Suivez-les sur Twitter: @danielashby et @lucytaylor.

A baby silky sifaka lemur (Propithecus candidus) in Marojejy National Park. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
: Un bébé propithèque soyeux (Propithecus candidus) dans le parc national de Marojejy. Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

Citations

Rasolofoson R.A., et al. (2015). Effectiveness of Community Forest Management at reducing deforestation in Madagascar. Biological Conservation 184: 271-277.

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