Nouvelles de l'environnement

La gestion forestière communautaire peut-elle être la solution pour Madagascar, ses forêts et sa population ?

  • Ces dernières années se sont multipliées à Madagascar « les aires protégées de gestion des ressources », ces forêts dont la population locale gère l'usage des ressources naturelles. Leur but est de favoriser développement économique et effort de conservation en permettant aux populations locales de contribuer aux prises de décision.
  • Ces groupes communautaires en charge de la gestion forestière ont cependant souvent toutes les peines à exercer un véritable contrôle sur les paysages dont ils doivent assurer la protection. Ils dénoncent aussi le fait que les promesses d'aide au développement qui leur ont été faites n'ont jamais été tenues.
  • Cela n'empêche pas les défenseurs de cette méthode de gestion communautaire d'avancer que son succès est possible si elle est accompagnée de projets bien conçus et de suffisamment de soutien, notamment financier.
  • Voici le premier article de la série « Conservation à Madagascar » que vous propose Mongabay.

Anôsy, Madagascar — Les terres du bassin du fleuve Mandrare, dans le sud-est de Madagascar, ne semblent pas à première vue propices à une économie reposant sur l’exploitation du bois. Les arbres y sont petits, broussailleux et couverts de ronces. Les plantes succulentes étendent leurs excroissances charnues vers un ciel sans nuage. De larges plantations de sisals s’étalent en damier sur les plaines arides.

Mais le bas-côté de la route qui mène à l’ouest laisse bientôt apparaître ici ou là les produits d’une incroyable forêt d’épineux. On y voit d’épais blocs de bois sculptés destinés à empêcher les sorties de route des camions, des piles de sacs remplis de 50 kilos de charbon, entassés à la va-vite jusqu’à hauteur d’homme, et des planches de bois grossières issues des troncs d’ocotillos épineux (Alluaudia procera) utilisés ici pour construire des maisons.

A huge sisal plantation stretches to the horizon along one side of Ankodida New Protected Area, a community forestry project in southern Madagascar. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Une gigantesque plantation de sisals s’étend à perte de vue sur un côté de la nouvelle aire protégée d’Ankodida, projet de gestion forestière communautaire du sud de Madagascar. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Manadidy Roandria se demande combien de temps cela pourra durer. Selon lui, s’il reste des forêts sur la zone montagnarde protégée qui surplombe sa maison, c’est parce que se trouve à proximité une autre parcelle d’où l’on peut extraire du bois sans aucune restriction. « Sans cela, on s’attaquerait très vite à la forêt », affirme-t-il. Cette parcelle voisine sera bientôt défrichée et recouverte de sisals par l’entreprise qui la possède.

Ce fermier d’une soixantaine d’années à la silhouette frêle et allongée est le président de la fédération locale de COBA, ou « Communautés de Base », six groupes chargés d’assurer des patrouilles et de gérer l’accès à cette forêt au-dessus de sa demeure. La nouvelle aire protégée d’Ankodida, créée là en 2006, est l’une des premières aires protégées à avoir vu le jour grâce à une grande expérience nationale, la « Vision Durban ». Le but de la Vision Durban, qui tient son nom de la ville d’Afrique du Sud où le président Marc Ravalomanana a annoncé cet effort de conservation en 2003, était de tripler en dix ans maximum l’étendue des aires protégées de Madagascar et de réinventer le rôle de la conservation dans la société malgache.

Les premiers parcs nationaux de l’île, établis au sein d’un réseau cohérent dans les années 1990, étaient les descendants des zones naturelles protégées strictes et des stations de recherche créées par le régime colonial français. Ils étaient en grande partie inaccessibles aux populations locales dont l’existence dépendait du bois. La gestion de ces parcs nationaux impopulaires auprès des communautés voisines était aussi coûteuse. Cependant, malgré une inégale application des règles, les limites imposées sur l’accès à ces zones naturelles s’avérèrent incroyablement bénéfiques à leur conservation. Les analyses de chercheurs sur les tendances de la déforestation dans les années 1990 révèlent que le « statut protégé » est à lui seul le principal vecteur de la réduction de la déforestation. Ce statut a plus d’impact que la pente ou les difficultés pratiques d’accès au terrain, ou même que la densité de la population locale ou son taux de pauvreté Ils conclurent que le statut de zone protégée avait réduit les chances de déforestation de 60 % au cours de la décennie étudiée.

La Vision Durban s’inspirait de deux analyses en apparence contradictoires: l’une défendant l’intérêt de limiter l’accès des populations aux zones naturelles, l’autre affirmant la nécessité de mettre les populations rurales au centre de la stratégie de conservation de Madagascar. Le nouveau modèle, fait de ces « aires protégées de gestion des ressources » (managed resource protected areas, ou MRPA) telles que celle d’Ankodida, associe développement et conservation : la gestion durable des ressources naturelles ainsi que des programmes d’extension de l’agriculture devaient permettre d’extirper les populations de la pauvreté, tandis que des mesures de contrôle local de la conservation garantiraient son efficacité et l’engagement des populations locales. De telles initiatives se sont multipliées de par le monde ces dernières années, de Colombie en Mongolie.

« La grande découverte de la Vision Durban, c’est que développement et conservation sont liés, que l’implication de la population est essentielle pour lui donner une alternative à la culture sur brûlis », confie à Mongabay Léon Rajaobelina, qui a été en charge des programmes mis en place à Madagascar par l’ONG Conservation International pendant vingt ans.

Quinze ans plus tard, Madagascar accueille d’innombrables aires protégées de gestion des ressources contrôlées par les populations locales et fondées selon le même principe. Les groupes communautaires qui en ont la charge ont cependant du mal à exercer un véritable contrôle sur les forêts dont ils sont responsables. Le peu de recherches effectuées sur le sujet montre plutôt qu’à Madagascar, les projets de gestion communautaire des forêts ont des effets minimes sur les taux de déforestation et une faible tendance à aider au développement des populations locales. Le coup d’état de 2009 a marqué le début d’une ère d’instabilité politique sur l’île qui ne permet pas de faire la part des performances des projets de conservation et des facteurs échappant au contrôle de ceux qui en ont la charge. De nombreuses aires protégées à la création récente furent mises en attente pendant des années, tandis que le gouvernement se muait en partenaire faible, ou entièrement absent.

A roadside market in Ranomainty, just outside Ankodida New Protected Area. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Marché de bord de route à Ranomainty, juste à l’extérieur de la nouvelle aire protégée d’Ankodida. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Gérer une forêt sacrée

À Ankodida, l’ONG World Wide Fund for Nature (WWF) est devenue sponsor du projet en 2002. L’organisation a tout pris en charge, depuis la levée de fonds pour créer et gérer une aire protégée de 10 600 hectares jusqu’à la conduite de relevés écologiques et au recrutement de partenaires pouvant participer à des initiatives d’aide au développement local. Le gouvernement supervise le projet par le biais d’un contrat signé avec les communautés locales recevant le soutien logistique du WWF.

La population d’Antandroy qui vit sur place a de longue date protégé la forêt qui est un site sacré connu pour être la demeure d’un ancien roi. Le WWF veut utiliser ce tabou pour aider à la conservation de cette forêt d’épineux qui accueille une partie des espèces qui constituent la fameuse biodiversité malgache. Foyer de cinq espèces de lémuriens, Ankodida concentre également la plus forte densité d’arbres de la famille des didieréacées, semblant tout droits sortis d’un livre du Docteur Seuss, et abrite deux espèces de grenouilles tout récemment découvertes, ainsi que deux aloès parmi les plus rares du monde.

White-footed sportive lemur (Lepilemur leucopus), a species that lives in the Ankodida forest, in a spiny Madagascar ocotillo (Alluaudia procera). Photo by Rhett A. Butler.
Ce lépilémur à pattes blanches (Lepilemur leucopus) grimpant sur un ocotillo épineux malgache (Alluaudia procera) appartient à une espèce en danger vivant dans la forêt d’Ankodida. Photo de Rhett A. Butler.

Les aires protégées gérées par des communautés ont en leur sein un « noyau dur » forestier dont l’exploitation par les humains est interdite et qui est entouré par une série de « zones d’utilisation contrôlée ». Chaque partie de l’aire protégée est gérée par une Communautés de Base différente qui dispose de son propre comité de gestion ; elles travaillent ensemble dans une fédération comme celle dont Roandri se trouve à la tête.

La première déclaration sur l’impact de ce projet sur l’environnement d’Ankodida a fait une révélation inquiétante : à Taranty Ambendra, la zone autour du village de Roandria, plus de 80 % des familles dépendaient pour survivre de la production de charbon de bois. À Ranomainty, autre zone d’Ankodida, ce chiffre dépassait les 90 %. Cette déclaration estimait que pour qu’un « usage durable » soit fait des ressources de l’aire protégée, la population de Ranomainty devrait réduire sa production de charbon de bois de 97 %, ou bien se fournir en bois ailleurs.

À cette fin, un certain nombre de stratégies furent énoncées au début du projet dans le but d’améliorer la qualité de vie des populations locales en diminuant peu à peu les usages les plus destructeurs des ressources naturelles, par la promotion d’une production plus efficace du charbon de bois et l’optimisation des techniques agricoles, et en planifiant des projets d’artisanat et d’écotourisme.

Ankodida se trouve en zone rurale dans l’Anôsy, l’une des régions les plus pauvres de Magascar, dont plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national, soit 1,90 $ par jour.

Roandria, l’un des hommes les mieux lotis de son village, offre une illustration de la qualité de vie que le WWF souhaitait pour les populations qui vivent près d’Ankodida. Il gagne sa vie grâce à une pompe à irrigation qui lui permet de cultiver tomates, oignons et légumes verts le long d’un tribut du fleuve Mandrare, et grâce à un char à bœufs avec lequel il va vendre une fois par semaine ses produits au marché dans la capitale régionale. La pompe de Roandria est cependant bien rare : il n’y en a que trois pour une population locale de 300 personnes. Les autres ne peuvent faire qu’attendre la pluie, dit-il, et les précipitations sont de plus en plus erratiques.

Mitadysoa, jeune femme qui gère un dépôt de charbon de bois sur le bord de la route près de Taranty Ambendra avec des membres de sa famille élargie, nous a expliqué comment la sécheresse avait conduit de nombreux habitants de la région à délaisser l’agriculture pour se tourner vers la production de charbon de bois. Elle raconte que durant la saison sèche, produire du charbon de bois est le seul moyen de subvenir à ses besoins. « Dès qu’il commence à pleuvoir, nous nous ruons dans nos champs pour planter du maïs », ajoute-t-elle.

People in the village of Taranty Ambendra, near the protected area, grow sugar cane on the banks of a tributary of the Mandrare River. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Les villageois de Taranty Ambendra, à proximité de l’aire protégée, cultivent la canne à sucre sur les rives d’un tribut du fleuve Mandrare. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

La cohésion du programme de gestion de l’aire protégé est assurée par un contrat communautaire connu sous le nom de « dina », un ensemble de réglementations en accord avec la loi malgache, mais appliquées par les autorités traditionnelles locales. La dina d’Ankodida stipule le montant élevé des amendes infligées à ceux qui couperaient des planches ou produiraient du charbon à partir du noyau dur : l’abattage d’un zébu pour un repas collectif ainsi qu’un montant de 20 $ payable au comité de gestion local. Roandria explique que le comité a reçu le montant de ces amendes cinq ou six fois ces dernières années, ce qui renforce un tabou qui interdit de longue date que l’on prenne du bois dans la forêt sacrée.

« À Ankodida, la cohésion traditionnelle est encore très forte, rappelle la directrice du WWF à Madagascar Nanie Ratsifandrihamanana, il est donc plus facile de faire appliquer ces règles que quand vous avez beaucoup d’immigrants qui arrivent et tout ce genre de choses. »

En revanche, cette cohésion sociale rend aussi mécaniquement l’application des règles plus difficile dès qu’il s’agit de les imposer à sa famille ou à des voisins qu’on a connu toute sa vie dans les zones d’utilisation contrôlée d’Ankodida, où la production de charbon et la découpe de bois sont autorisés.

« C’est là que tout devient flou, affirme Ratsifandrihamanana. Il y a d’abord cette question de savoir si les gens sont [des membres] de la COBA, ou pas. » Les 36 membres de la COBA de Taranty Ambendra paient une petite cotisation annuelle. En théorie, c’est ce qui leur permet de faire paître leur troupeau ou de couper du bois dans les zones d’usage contrôlé, mais il est difficile de restreindre l’accès à ces terres considérées depuis longtemps comme une ressource commune.

Pour rendre la situation à Ankodida plus compliquée encore, selon Roandria, des personnes arrivent parfois de l’extérieur de la région munies d’autorisations délivrées par le bureau gouvernemental de la gestion forestière qui vont à l’encontre des règles établies dans le contrat de gestion de l’aire protégée. « Nous protégerons cette forêt parce qu’elle est à nous. C’est à cause du gouvernement que les gens abattent des arbres. Les autorisations d’abattage viennent de la ville », se plaint-il.

Le contrat de gestion passé entre les groupes communautaires, le gouvernement local et le ministère de l’Environnement, de l’Écologie et des Forêts précise les quantités spécifiques de bois qui peuvent être extraites de chaque aire protégée, conformément aux estimations sur un usage durable des ressources. En pratique, Roandria rapporte que la COBA en fait une application plus souple. « Pour nous, [produire du] charbon n’est pas quelque chose que les gens peuvent faire tous les jours : ils peuvent seulement couper du bois pour [produire du] charbon si leur vie en dépend. », soutient-il. Le groupe essaie d’imposer une limite de huit sacs de charbon de bois par mois pour chaque famille, soit environ la moitié de la production estimée avant la création de l’aire protégée. C’est une forte réduction, mais c’est encore trop pour un usage durable. Quant au gouvernement, il lui faut encore accomplir l’examen qu’il devait mener sur le projet au bout de trois ans et qui permettrait aux COBA d’Ankodida de renouveler le contrat d’aire protégée qui a expiré il y a un an.

“WWF has told us we can’t cut, but they haven’t told us how they can help us earn more,” said Manadidy Roandria, who chairs a federation of community groups that manages Ankodida New Protected area. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Manadidy Roandria, président d’une fédération de groupes communautaires qui gère la nouvelle aire protégée d’Ankodida, avec une jeune voisine. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

« Le WWF nous a dit que nous ne pouvions pas couper [du bois], mais ils ne nous ont pas dit comment ils vont nous aider à gagner plus d’argent », explique Roandria. Il se souvient que quand le projet a démarré en 2002, la population de Taranty Ambendra réclamait une école et une petite digue qui lui permettrait d’irriguer les terres cultivables sur les rives de la rivière voisine. Quinze ans plus tard, les programmes de développement qui avaient été évoqués en accompagnement des mesures de conservation sont restés lettre morte. « Ce ne sont que des mots, constate-t-il. Ce n’est pas encore arrivé. »

De tels manquements ont freiné des projets dans tout Madagascar. En 2010, l’Agence des États-Unis pour le développement international a commandé un rapport cinglant intitulé « Paradis perdu ? » qui analysait 25 ans de travail environnemental à Madagascar. L’une de ses principales conclusions étaient que le succès des programmes de conservation financés par l’Agence des États-Unis pour le développement international dépendait souvent de programmes complémentaires de santé et de développement qui étaient rarement mis en place.

Un plan de gestion sur cinq ans pour Ankodida publié en 2008 est truffé de références à « la recherche de partenaires et de fonds » pour des activités telles que la formation des populations locales à la culture de légumes ou encore l’amélioration des infrastructures nécessaires selon la communauté sur place. Consultante engagée par le WWF en 2015 pour mener une étude sur la stratégie de cette organisation dans le sud-est, Zoely Ramanase confie que nombre des objectifs énoncés dans les documents initiaux relatifs au projet n’étaient que des propositions sans garantie de financement.

« [Le WWF] a joué son rôle, mais ils n’ont pas pu trouver de partenaires. C’était là un engagement du gouvernement, fait-elle remarquer. C’était le gouvernement, en fait, qui aurait dû trouver des partenaires dans le secteur privé. »

Peu de défenseurs de l’environnement à Madagascar, même parmi les fonctionnaires, refuseraient d’admettre que l’état a souvent été un partenaire sur lequel on ne peut pas compter. Dans le tumulte politique qui a suivi le coup d’état, des fonctionnaires à des postes-clés ont été mutés ou remplacés de manière répétée, parfois plusieurs fois dans la même année. Pourtant, dans la loi malgache, ce sont les sponsors d’aires protégées, ici le WWF, qui sont responsables du financement des projets qu’ils prennent en charge. C’est pourquoi le WWF s’efforce de faire augmenter la part de 40 % qui, dans le budget d’un projet donné, était traditionnellement allouée au soutien du développement économique, selon Ratsifandrihamanana, directrice de l’organisation dans l’île.

A man makes a beehive in the village of Ranomainty, just outside Ankodida protected area. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Un homme construit une ruche dans le village de Ranomainty, juste en dehors de l’aire protégé d’Ankodida. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Davantage de soutien est nécessaire

L’implication du WWF à Ankodida consiste aujourd’hui seulement à envoyer une fois par mois un technicien collecter des données fondées sur les patrouilles des membres des COBA locales, et à effectuer des sondages aériens pour déterminer l’étendue de la perte en couverture forestière de l’aire protégée. Selon la publication du WWF sur son site internet, ces sondages aériens montrent à Ankodida une réduction drastique de 77 % du rythme d’abattage sur une période de cinq ans entre 2012 et 2016.

Barry Ferguson, chercheur de Tolagnaro, une ville voisine, a effectué des examens botaniques à Ankodida. Il émet des doutes quant à la valeur de ces sondages superficiels. « Qu’il y ait un déclin de la perte de forêt, oui, mais il y a une augmentation énorme de l’abattage sélectif pour produire des planches et du charbon de bois. »

Le WWF et d’autres organismes de défense de l’environnement ont rapidement étendu leur action sur l’île après l’annonce de la Vision Durban afin d’exploiter ce moment propice où la conservation faisait l’objet d’un soutien politique de haut niveau et de bénéficier des aides financières associées.

Ferguson y a vu des illusions allant crescendo. « Les ONG ne peuvent pas commencer le projet avec [la question] ‘quel est le problème ? Comment le régler ?’, dit-il. Ils commencent avec la question ‘Combien de donateurs peut-on trouver et combien d’argent ont-ils ?’ » C’est pourquoi, selon lui, les « organismes promouvant la conservation ont entrepris des projets très ambitieux avec des ordres de grandeur tels qu’ils n’ont pas les fonds qui sont sans doute nécessaires pour gérer une aire protégée. »

Le WWF s’est récemment retiré de huit forêts [pdf] où il avait été le fer de lance de la création d’aires protégées à gestion communautaire dans la région d’Anosy au début des années 2000. La région en compte près de vingt au total, dont la plupart n’ont qu’un statut d’aire protégée « temporaire ». Le WWF cherche à s’extirper de deux autres encore, Ankodida et Ifotaka. L’organisme tente de recruter une autre ONG pour lui succéder dans le sud-est. Sans sponsor, les aires protégées retombent sous la coupe du ministère de l’Environnement, de l’Écologie et des Forêts. Dans les faits, cela a par le passé conduit à un défaut de supervision des aires protégées qui sont souvent qualifiées de sites « orphelins ».

Le WWF cite l’augmentation de l’insécurité dans le sud comme raison principale de son retrait. Mais Ratsifandrihamanana avance que le WWF a aussi pris en compte le coût et les difficultés associés au soutien des efforts de conservation durable à gestion communautaire. Elle mentionne que l’organisation cherche « à réduire notre empreinte, mais aussi à être plus réaliste et concentrée, et à faire moins peut-être, mais mieux. »

Nanie Ratsifandrihamanana, country director for the NGO WWF in Madagascar. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Nanie Ratsifandrihamanana, directrice du WWF Madagascar. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Miara Rakotomalala travaille dans le sud-est avec WWF depuis 2009, à superviser le travail de terrain sur certaines aires protégées soutenues par le WWF par le biais d’un projet en partie financé par Air France. Il rapporte que la phase 1 du projet a inclus la création de 89 COBA distinctes entre 2009 et 2012. « Nous espérions qu’à la fin de la première phase, toutes les structures que nous aurions mises en place seraient pleinement opérationnelles. Pas autonomes à proprement parler, mais au moins opérationnelles, ajoute-t-il. Mais nos évaluations ont montré qu’à la fin, seules 10 % de nos COBA étaient fonctionnelles, dynamiques. » Il n’existe aucune donnée publique disponible sur la santé des forêts supervisées par ces 89 COBA, et le WWF ne nous a pas fourni les informations que nous avions demandées sur les résultats de leurs examens écologiques de la région.

Quand nous avons demandé à Rakotomalala ce qui fait vraiment la différence entre les COBA qui marchent et les autres, un seul mot lui est venu : « l’accessibilité. ».

Les COBA les plus actives étaient simplement celles qui étaient le plus facilement accessibles, dit-il, des endroits où le personnel du WWF pouvait se rendre assez régulièrement pour rendre plus solides les organisations qui venaient juste d’être mises en place quand le projet a commencé. En y repensant, ajoute Rakotomalala, « si j’avais appartenu à l’équipe qui a conçu le projet, j’aurais ajouté au moins cinq agents de terrain », ou 50 % de personnel supplémentaire ayant pour vocation de travailler sur place avec les organisations communautaires.

Augmenter les capacités des COBA ne permettrait cependant pas nécessairement de promouvoir un véritable développement. En 2007, une analyse de Agence des États-Unis pour le développement international [pdf] dans l’est de Madagascar a conclu que près de 100 % du revenu des COBA provenaient des frais d’inscription payés par des membres de la communauté, tandis que plus de la moitié était dépensée à l’extérieur de leur communauté. Une fois effectuées les dépenses liées à leurs obligations contractuelles telles que la signature de formulaires en ville ou l’achat de matériel pour tenir les registres, très peu d’argent était encore disponible pour financer des projets de développement communautaires. Alors que les groupes promouvant la conservation avaient souvent présenté les COBA comme un moyen, non seulement de protéger les forêts, mais aussi d’attirer les soutiens et les investissements en faveur du développement, cette vision gagnant-gagnant est rarement devenue réalité. Les chercheurs de l’Agence des États-Unis pour le développement international ont en fait découvert que les COBA représentaient souvent une charge économique pour les communautés qu’elles avaient l’air de soutenir.

A view of the mountain that makes up the core of Ankodida New Protected Area. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Cette montagne au loin se trouve au cœur de la nouvelle aire protégée d’Ankodida. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

D’autres persistent à dire que les COBA peuvent encore être grandement bénéfiques, si tant est que les projets sont conçus adéquatement. « Je crois dur comme fer à l’approche qui associe conservation et développement », explique Serge Rajaobelina, fils de Léon et fondateur et directeur de l’ONG Fanamby qui gère un certain nombre d’aires protégées selon ce principe. L’une d’entre elles, Loky Manambatao, au nord-est, est au centre du commerce de vanille mondial. Rajaobelina a essayé de tirer parti de l’emplacement du projet en promouvant des partenariats destinés à vendre la vanille directement à des entreprises comme L’Oréal et Costco. Le but de Fanamby est de créer une chaîne logistique où des contrôles stricts et un système de vente directe permettraient aux producteurs de gagner 50 ou 60 % du prix de vente final du kilo de vanille, au lieu des 2 ou 3 % qu’ils gagnent actuellement. Des questions d’échelle demeurent cependant problématiques : « à Loky Manabato, nous avons 300 producteurs, mais une population de 35 000 personnes, confie Rajaobelina. L’aire protégée que nous gérons est aussi grande que l’île de La Réunion. »

« Ce n’est pas compliqué, ajoute-il. Il nous faut une plus grande implication du secteur privé. Les ONG n’ont pas assez d’argent. »

Roandria demeure optimiste quant à la capacité des habitants d’Ankodida de continuer à respecter la dina qui protège le noyau dur. Même sans recevoir grande aide au développement, remarque-t-il, ils ont accepté de réduire leur production de charbon de bois et de se porter volontaires dans la COBA une fois par an pour planter les ocotillos de Madagascar utilisés pour la construction. Si les forêts étaient intactes lors des premières visites du WWF il y a vingt ans, c’était parce que les populations locales les considéraient comme sacrées. « Les gens ont du respect pour la conservation, même si le WWF a ignoré nos exigences ». Et d’ajouter que la COBA « peut durer dans le temps ».

Rowan Moore Gerety est journaliste et producteur de programmes radio à Miami. Lisez d’autres exemples de ses écrits sur www.rowanmg.com.

Cet article est le premier volet d’une série sur la « Conservation à Madagascar » publiée par Mongabay durant l’automne 2017. Vous pourrez trouver la série d’articles dans son ensemble ici.

Ouvrages cités :

Gardner C.J., et al. (2008). Integrating traditional values and management regimes into Madagascar’s expanded protected area system: the case of Ankodida. In Protected landscapes and cultural and spiritual values 2.

Gorenflo L.J., et al. (2011). Exploring the association between people and deforestation in Madagascar.. In Human Population :197-221. Springer Berlin Heidelberg.

Pollini J., et al. (2014). The transfer of natural resource management rights to local communities. Conservation and Environmental Management in Madagascar. IR Scales (ed.): 172-192.

Rasolofoson R.A., et al. (2015). Effectiveness of Community Forest Management at reducing deforestation in Madagascar. Biological Conservation 184: 271-277.

Rasolofoson, R.A., et al. (2017). Impacts of Community Forest Management on Human Economic Well‐Being across Madagascar. Conservation Letters, 10(3), 346-353.

Shafer C.L. (2015). Cautionary thoughts on IUCN protected area management categories V–VI. Global Ecology and Conservation 3: 331-348.

Gray mouse-lemur (Microcebus murinus), a species that lives in the Ankodida forest. Photo by Rhett A. Butler.
Microcèbe mignon (microcebus murinus), espèce de lémurien vivant dans la forêt d’Ankodida. Photo de Rhett A. Butler.
Le phymateus saxosus vit à proximité de la forêt d’Ankodida. Photo de Rhett A. Butler.
Quitter la version mobile