Nouvelles de l'environnement

La conservation à Madagascar est-elle efficace ? Une nouvelle série d’articles commence bientôt

  • Madagascar a reçu plus de 700 millions de dollars de financement international alloués à la conservation depuis 1990. Ces fonds ont été distribués sur plus de 500 projets. Malgré cela, le pays entier semble plutôt marqué par un déclin rapide de la biodiversité et des paysages naturels.
  • « La conservation à Madagascar » est une série d’articles écrits par Rowan Moore Garety. Le journaliste explore en profondeur les raisons derrière les victoires et les échecs des projets de conservation mis en place sur une île particulièrement riche en biodiversité.
  • Moore Garety a sillonné l’île de Madagascar cet été afin de visiter des sites de conservation, et de parler avec des habitants et des conservationnistes malgaches de leurs expériences.

Voyager à Madagascar, quatrième plus grande île de la bille bleue qu’est notre planète, nous rappelle à quel point nous sommes en réalité petits.

À Madagascar, les trajets se comptent souvent en jours. Lorsque je préparais mon voyage dans le but d’écrire une série d’articles sur la conservation à Madagascar, où je décris les victoires et les échecs des programmes de conservation, un des conseils que l’on m’a donnés était, « d’éviter de voyager dans les terres autant que possible ». J’ai renoncé à visiter une zone protégée située à environ 320 kilomètres de Toliara, au sud-ouest, car on m’a dit qu’il me faudrait cinq jours pour l’atteindre. Pour rejoindre une autre zone protégée, où un groupe de canards rares a été découvert quinze ans après que les chercheurs ont déclaré l’espèce éteinte, j’ai appris que pour parcourir les 50 derniers kilomètres, il me faudrait pratiquement un jour entier, non pas à pied, mais en 4X4 de location.

Six semaines sur place ne me semblaient plus suffisantes pour me faire une vision globale de l’état de conservation à Madagascar. J’ai essayé, dans les histoires qui seront publiées par Mongabay cet automne, de questionner, à l’aide d’exemples concrets, la trajectoire générale qu’ont pris les efforts de protection de la biodiversité sur l’île. Que faut-il mettre en place pour préserver les petites zones protégées dans un paysage sujet aux incendies ? À quoi ont servi les dollars donnés en soutien au travail des scientifiques malgaches et des institutions qui les forment ? Que deviendront les projets qui ne peuvent se reposer sur le soutien à long terme venant de l’étranger ?

Depuis 1990, Madagascar a reçu plus de 700 millions de dollars de financement international alloués à la conservation. Ces fonds ont été distribués sur plus de 500 projets visant à protéger la biodiversité unique du pays. En effet, environ 80 pour cent de la flore et de la faune de Madagascar ne peut être trouvée nulle part ailleurs dans le monde.

Aujourd’hui, de nombreux conservationnistes réévaluent ces dépenses au lendemain du coup d’État de 2009, qui a envoyé Madagascar dans une crise politique prolongée, engendrant des coupures importantes dans les fonds alloués à la conservation. Malgré les gains accumulés au cours des années, la pauvreté rurale et la corruption ont toutes deux récemment augmenté. Madagascar fait aujourd’hui face à une croissance sans précédent de la population, alors que se dessine, l’année prochaine, une élection présidentielle à l’issue imprévisible.

Dans ce contexte, à quoi ressemble un travail de conservation durable et efficace ? Dès la semaine prochaine, Mongabay publiera une série d’articles sur l’enquête que j’ai menée à Madagascar entre juin et août. Nous nous pencherons sur les archives d’anciens travaux de conservation à Madagascar et essayerons d’évaluer quelles sont les priorités et les modèles que les donateurs souhaitent soutenir aujourd’hui et à l’avenir. L’île de Madagascar, avec sa nature ultra diversifiée, sa pauvreté extrême, son instabilité politique et sa vulnérabilité à la sécheresse et au changement climatique, constitue un réel défi pour la conservation. Nous espérons que les leçons tirées de cette série d’articles fourniront des informations utiles pour les efforts de préservation mis en place ailleurs sur la planète.

A lone old-growth mangrove remains at one end of a stripe of coastal forest that once covered more than 10 miles in southwestern Madagascar. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Une mangrove ancienne et solitaire subsiste à une extrémité d’une bande de forêt côtière, qui, par le passé, couvrait plus de 15 kilomètres au sud-ouest de Madagascar. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay .

La majeure partie des financements alloués à la conservation de Madagascar a jusqu’à présent été fournie par le Plan d’action national pour l’environnement [pdf], (NEAP en anglais). Cette aide s’étale sur une période de dix-sept ans, de 1991 à 2008. La Banque Mondiale, l’investisseur principal du NEAP, a décrit ce plan comme étant « le programme environnemental le plus ambitieux et le plus complet d’Afrique ». Durant cette période, le pays a modifié des lois clés sur l’environnement, a formé des centaines de fonctionnaires, et a considérablement agrandi son réseau de zones protégées par des schémas de gestion : parcs nationaux, stations de recherche, forêts gérées par la communauté et financées par les crédits de compensation de carbone. En même temps, Madagascar a accueilli un panel grandissant d’ONG, de consultants, de groupes de conservation affiliés au gouvernement, dont les objectifs collectifs ont en majeure partie été forgés par des donateurs internationaux.

De nombreux écosystèmes se seraient sans aucun doute retrouvés en bien mauvais état à l’heure actuelle s’ils n’avaient pas bénéficié de leur soutien. Mais il existe aussi un nombre important de projets de conservation qui n’ont jamais pris leur envol, ou dont les bénéfices ont été grignotés en seulement quelques années, voire quelques jours. La tendance générale dans laquelle se trouve Madagascar semble se diriger vers un déclin rapide de la biodiversité et des paysages naturels. Le succès de l’agriculture durable et de l’écotourisme, visant à sortir les habitants de la pauvreté, reste une exception à la règle.

Un article sur Madagascar publié dans le journal Plos ONE l’année dernière affirmait que si les investissements dans le « double défi de développement durable et de préservation de la biodiversité ont apporté des bienfaits, ils n’ont cependant pas réussi à inverser les tendances établies » et « ont à peine eu un impact sur la population rurale ». Une étude a montré que les personnes vivant près des projets forestiers communautaires à Madagascar avaient une chance de gagner jusqu’à 50 dollars par an en bénéfice économique net, tandis que les autres – également dépendants des forêts gérées durablement, mais vivant dans un lieu éloigné de celles-ci – pouvaient subir une perte allant jusqu’à 110 dollars par an en raison de l’accès restreint aux ressources naturelles. Mettons de côté in instant les impacts négatifs. Cinquante dollars représente une somme importante dans un pays où le PIB par tête correspond à moins de 500 dollars par an. Mais ce montant est probablement bien trop faible pour transformer les moyens de subsistance sur le long terme, dans des endroits où les habitants sont habitués à vivre de la terre.

Les professionnels de la conservation s’accordent à penser que de nombreuses zones protégées à Madagascar ne sont pas gérées de manière efficace. Pour eux, les différentes causes seraient des financements instables ou insuffisants, un taux élevé de renouvellement au sein des représentants officiels clés du gouvernement, une mauvaise coordination entre les groupes responsables des programmes de développement et de conservation, et enfin un respect faible, voire non existant, des règlements et des lois.

The southern boundary of Zahamena National Park in northeastern Madagascar shows how closely deforestation follows the park's perimeter. Photo courtesy of World Resources Institute.
la limite sud du Parc national de Zahamena, au nord-est de Madagascar, montre que la déforestation suit de près le périmètre du parc. Photo de World Resources Institute.

Malgré cela, d’autres mesures montrent que les zones protégées de Madagascar fonctionnent comme de réels bastions. Christian Mahefa, directeur du Parc national de Masoala, au nord-est du pays, a été recruté précisément pour redresser la gestion du parc à la suite d’une période d’exploitation forestière illégale largement répandue, sous le régime du gouvernement de transition de 2009 à 2014. « Observez une carte de la couverture forestière à Madagascar : si vous voyez une forêt, il s’agit d’une zone gérée par les Parcs nationaux de Madagascar », m’a expliqué M. Mahefa. Examinez des photos aériennes du périmètre de certains parcs nationaux de Madagascar, et vous verrez que les forêts denses, vert foncé, se changent brusquement en coteaux bruns et déserts. Des données semblent indiquer que le simple fait de désigner une terre comme officiellement protégée permettrait d’en ralentir la déforestation. Le statut de protection peut également préserver les écosystèmes des projets industriels et agricoles néfastes.

Évaluer les projets de conservation à Madagascar reste un réel défi : la multitude d’indicateurs utilisés dans les rapports de suivi (qui souvent comprennent des paramètres tels que « kilomètres examinés », ou « nombre de réunions communautaires tenues ») n’ont pas de lien direct avec les résultats de conservation. Ces rapports ne sont d’ailleurs pas toujours rendus publics. De plus, les ONG ne sont pas tenues de révéler leurs dépenses sur leurs projets. Dans de telles conditions, il devient difficile de juger la valeur réelle de chaque dollar dépensé pour la conservation de la biodiversité.

D’après le service forestier des États-Unis, une perte d’un hectare de forêts à Madagascar a plus d’impact sur la dégradation mondiale de la biodiversité qu’une perte équivalente n’importe où ailleurs sur la planète. Leon Rajaobelina, conseiller spécial au président, responsable des programmes pour Madagascar auprès de l’organisation Conservation International pendant vingt ans, a expliqué que les donateurs devraient utiliser des indicateurs concrets et quantifiables, comme le taux de déforestation, pour évaluer les projets de conservation.

Jonah Ratsimbazafy, éminent primatologue malgache, a exprimé une vision plus sombre. Il a dénoncé un système irresponsable dans lequel les donateurs donnent « plus d’argent pour plus de déforestation ».

Leon Rajaobelina, a special advisor to the president who ran Conservation International's programs in Madagascar for 20 years. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Leon Rajaobelina, conseiller spécial au président et responsable des programmes de Conservation International à Madagascar pendant 20 ans. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Et pourtant, même les données sur la perte de forêts ne sont pas aussi explicites qu’elles le semblent. Il existe encore un désaccord important sur la manière d’interpréter les données sur la déforestation et de mesurer la perte de forêts d’une façon constante.

En parallèle, Rajaobelina reconnaît que le programme environnemental de Madagascar a joui de bienfaits qualitatifs visibles. « On voit un énorme pas en avant dans la prise de conscience face à l’importance de la conservation auprès de la population : les gens condamnent le trafic des espèces protégées, ils disent qu’il est important de protéger les ressources naturelles, et sont sensiblement conscients du changement climatique, » dit-il.

Bien sûr, concrétiser ces convictions dans un programme national efficace est une autre histoire. Un chauffeur de taxi de la capitale, Antananarivo, a commenté : « c’est un pays magnifique. Le problème, ce sont les gens qui le dirigent ».

Les histoires de conservation sont souvent des histoires de perte. Le meilleur résultat que l’on puisse espérer pour la biodiversité de Madagascar est simplement de préserver sa situation initiale : éviter de nouvelles extinctions et déforestations, et entretenir un nouvel équilibre, où les pressions de la pauvreté et du profit ne pèsent pas aussi lourdement sur les terres et les habitants.

Ce travail nécessite une certaine dose d’optimisme. Les personnes auxquelles j’ai parlé, et cela est compréhensible, n’hésitaient pas à mettre en avant la moindre évolution positive : de l’augmentation de la conservation marine, au leadership des conservationnistes malgaches, qui portent un intérêt plus fondamental pour l’avenir de leur pays que leurs homologues étrangers. Toutefois, pour le moment, la situation initiale qu’ils tentent de préserver n’a pas cessé de changer.

Le Coquerel Sifaka se balançant sur une branche de bambou. Photo de Rhett A. Butler.

Bannière : Rowan Moore Gerety est un journaliste et producteur radio basé à Miami. Pour plus d’articles, rendez-vous sur www.rowanmg.com.

The suggestion box in the Antananarivo headquarters of Madagascar's environment ministry. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
la boîte à suggestion dans les quartiers généraux du Ministère de l’environnement de Madagascar, à Antananarivo. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Références:

Ganzhorn J.U., Wilmé L., Mercier J. (2014). Explaining Madagascar’s biodiversity. Conservation and Environmental Management in Madagascar. IR Scales (ed.): 17-43.

Gorenflo L.J., Corson C., Chomitz K.M., Harper G., Honzák M., Özler B. (2011). Exploring the Association Between People and Deforestation in Madagascar. In: Cincotta R., Gorenflo L. (eds) Human Population. Ecological Studies (Analysis and Synthesis), vol 214.

McConnell W.J., and Kull C.A. (2014). Deforestation in Madagascar: Debates over the island’s forest cover and challenges of measuring forest change. Conservation and Environmental Management in Madagascar. IR Scales (ed.) (2014): 67-104.

Rasolofoson, R.A, et al. (2016). Impact of Community Forest Management on human economic well-being across Madagascar. Conservation Letters. doi: 10.1111/conl.12272

Waeber P.O., Wilmé L., Mercier J-R., Camara C., Lowry P.P. II (2016). How Effective Have Thirty Years of Internationally Driven Conservation and Development Efforts Been in Madagascar? PLoS ONE 11(8): e0161115.

Madagascar spiny tailed iguanid. Photo by Rhett A. Butler.
Iguane à queue épineuse de Madagascar. Photo de Rhett A. Butler.
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