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HydroCalculator, un nouvel outil en ligne gratuit pour une évaluation citoyenne des barrages

  • Plusieurs méga-barrages sont actuellement prévus dans le monde, en particulier en Amazonie et sur le Mékong. Dans ce contexte, l’ONG Conservation Strategy Fund (CSF) a développé un nouvel outil gratuit permettant d’évaluer un projet de barrage selon sa viabilité économique, ses émissions de gaz à effet de serre, et bien d’autres facteurs.
  • HydroCalculator permet de faire une estimation de la valeur économique nette d’un projet de barrage, avec et sans prise en compte du coût des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que du nombre d’années nécessaire avant que le projet génère un profit, et pour que les émissions nettes de carbone deviennent négatives.
  • Cet outil a été utilisé par CSF, par l’ONG International Rivers ainsi que par une banque de développement, et tous l’ont trouvé d’une grande utilité. Ses prévisions ont été comparées par rapport à la viabilité économique et aux émissions de carbone de barrages existants et se sont avérées justes.
  • HydroCalculator est destiné à un usage par les communautés, les chercheurs et les activistes, qui se retrouvent fréquemment exclus du processus technique de planification des barrages. Cet outil est disponible en ligne gratuitement.
Le barrage de Belo Monte en cours de construction en 2015. Un nouvel outil, développé par l’ONG Conservation Strategy Fund, vise à rendre le processus décisionnel concernant la construction de barrages plus transparent. Photo par Pascalg622 sous licence CC BY 3.0.

La construction de méga-barrages est en plein essor dans le monde entier. Leurs promoteurs vantent l’énergie hydro-électrique comme une source d’électricité verte et renouvelable ainsi qu’un moyen de freiner le changement climatique. Mais étant donné que ces barrages sont construits en Amazonie, sur le Mékong et ailleurs, ils ont un impact social et environnemental négatif très important, et leur légitimité écologique est désormais remise en question.

De grandes quantités de gaz à effet de serre sont par exemple relâchées par les sols submergés et la végétation en décomposition, ainsi que par les turbines et les déversoirs, en particulier dans les tropiques. Les projets de barrages sont donc rarement la solution respectueuse de l’environnement qu’ils prétendent être. Mais l’évaluation des différents impacts des barrages en même temps que celle de leur viabilité économique est une tâche complexe, et le processus décisionnel les concernant n’est guère transparent.

Un nouvel outil a désormais été développé par l’ONG Conservation Strategy Fund (CSF), et vise à rendre les évaluations de ce type plus ouvertes et accessibles à tous. Il est gratuit, facile à utiliser et disponible en ligne. John Reid et Thaís Vilela, ses développeurs, respectivement fondateur de CSF et chercheuse au sein de l’organisation, espèrent qu’il permettra « à un large ensemble de citoyens, de chercheurs et de décideurs d’anticiper et de contrôler les conséquences économiques et environnementales des projets hydro-électriques ».

Le résultat final produit par HydroCalculator offre une présentation claire de la valeur économique nette du barrage examiné, avec et sans prise en compte du coût provoqué par les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que du nombre d’années nécessaire avant que le projet génère un profit, et pour que les émissions nettes de carbone deviennent négatives.

Le lac Qiandao (littéralement « lac aux milles îles ») en Chine, résultat d’un barrage construit dans les années 50 sur le fleuve Qiantang. Les émissions de gaz à effet de serre issues des réservoirs sont substantielles, et l’outil HydroCalculator, disponible depuis peu, incorpore le coût des émissions de carbone dans les calculs de rentabilité économique des barrages. Photo par Bryan Ong sur Flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

John Reid a eu l’idée de développer HydroCalculator après avoir effectué de nombreuses analyses de rentabilité de barrages, et s’être rendu compte que bon nombre de ces projets « menaçaient les écosystèmes tout en offrant peu d’avantages économiques », explique-t-il. « Je voulais faciliter ce genre d’analyse pour les autres gens. »

Il continue : « Pendant trop longtemps, les écologistes ont accepté tacitement que l’évaluation du mérite économique d’un grand projet de construction ne les regardait pas. C’est absurde. Cet outil s’inscrit dans un effort général pour que les défenseurs de l’environnement deviennent de véritables acteurs des grandes décisions en matière d’investissements publics. »

Pour Thaís Vilela, le nombre de projets qui ne sont pas économiquement viables « est surprenant ». Elle ajoute: « La transparence au cours du processus décisionnel est notre but principal. »

Pour utiliser l’outil, accessible via le site internet de CSF, l’utilisateur entre les données principales du projet : étendue de la zone inondée, types de végétation submergée, coûts prévisionnels, capacité de production du barrage, et prix de vente de l’électricité.

Les valeurs par défaut de plusieurs facteurs, comme la teneur en carbone de la végétation, le prix de gros de l’énergie et son taux de rabais sont disponibles en ligne si ces détails sont inconnus. Toutes les analyses de projets de barrages effectuées précédemment sont également consultables sur le site internet.

Illustration des principaux facteurs agissant sur les émissions de gaz à effet de serre des barrages hydroélectriques. Ces derniers, et les lacs qui les accompagnent, sont une source majeure de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Image par Vilela et Reid (2017) sous licence CC BY 4.0.

Les développeurs de l’outil l’ont validé en comparant ses évaluations à des études approfondies et évaluées par les pairs sur les répercussions de barrages amazoniens, et en ont conclu que leur méthodologie simplifiée produisait des résultats similaires. Bien que sa précision soit variable, les coûts et les avantages de différents barrages amazoniens existants ainsi que leur viabilité économique étaient semblables. L’inclusion des coûts liés aux émissions de gaz à effet de serre a pu avoir un effet positif ou négatif sur la rentabilité économique de différents barrages, mais n’a pas modifié leur viabilité globale.

Des études scientifiques récentes ont montré l’importance des barrages hydroélectriques en tant que sources de méthane, un aspect largement ignoré au cours des évaluations de leurs effets. Le méthane a un impact sur l’effet de serre plus fort que le CO2, mais il se dégrade également plus rapidement. Sur 100 ans, son effet est plus de 30 fois supérieur au CO2, mais cela augmente à 86 fois lorsqu’on prend en compte une période de 20 ans. Selon les scientifiques, c’est ce délai court qui est important, étant donné l’urgence de la réduction des émissions afin d’éviter un réchauffement climatique catastrophique à l’échelle mondiale.

Par conséquent, l’intégration d’estimations précises des émissions de gaz à effet de serre était un élément clé de la création d’HydroCalculator. Cela « a nécessité l’installation d’une carte mondiale de la densité en carbone, de déterminer les émissions selon le bouquet énergétique de chaque pays, et de trouver une formule permettant de mesurer les émissions issues des barrages et applicable à n’importe quel projet », explique John Reid. « La difficulté avec la mesure des émissions montre le problème central de n’importe quel outil d’analyse en ligne : trouver l’équilibre entre précision et fonctionnalité. »

Le déversoir du barrage de Tucuruí, sur le Rio Tocantins, au Brésil. Les barrages émettent d’importantes quantités de gaz à effet de serre au cours de l’aération de l’eau à travers les turbines et les déversoirs. Cette source de carbone n’est toutefois pas encore prise en compte par HydroCalculator, et ses estimations actuelles sont donc modérées. Photo fournie par International Rivers sur flickr, sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

HydroCalculator fait bien quelques concessions en matière de précision, au nom de l’aspect pratique et de la facilité d’utilisation. Les émissions provenant de turbines et de déversoirs, par exemple, n’ont pas été incluses dans cette version, car la quantité produite par ces sources est trop incertaine, explique Mme Vilela. Par conséquent, les estimations faites par ce calculateur sont pour l’instant modérées, mais CSF prévoit d’intégrer ces sources additionnelles dans une version future.

HydroCalculator a fait l’objet de nombreux tests. Il a été utilisé par CSF depuis un certain temps, et d’autres organisations, comme l’ONG environnementale International Rivers ainsi qu’une banque de développement, ont également employé l’outil au cours de leurs recherches.

Sarah Bardeen, d’International Rivers, a indiqué que les membres de l’ONG ont « trouvé HydroCalculator utile pour l’évaluation de la viabilité économique [d’un barrage] lorsque nous n’avons que des informations limitées sur un projet ».

« HydroCalculator montre que l’énergie hydroélectrique est loin d’être neutre en carbone, et permet à ses utilisateurs de calculer une approximation des émissions de gaz à effet de serre d’un lac de barrage, » a-t-elle ajouté. « C’est important, parce que cela met les informations concernant les émissions des barrages entre les mains des communautés affectées, qui sont souvent exclues des processus de planification opaques qui entourent les projets hydroélectriques. »

Le barrage de Santo Antônio sur le Rio Madeira, au Brésil, une partie du projet Madeira. Une vague de développement de barrages à travers tout le bassin amazonien pourrait, si elle se poursuit, causer des dommages irréparables aux écosystèmes forestiers et aquatiques, selon certains scientifiques. Les grands barrages obstruent l’acheminement de sédiments et de nutriments depuis la source jusqu’aux plaines inondables, perturbent les cycles d’inondation naturels, entravent la circulation des animaux et les migrations le long des lits des rivières, et favorisent la déforestation. Ces effets vont pour l’instant au-delà des capacités d’évaluation d’HydroCalculator, bien qu’ils fassent partie du coût final de n’importe quel barrage. Photo par le Programme brésilien d’accélération de la croissance (Programa de Aceleração do Crescimento) sur flickr, sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

Mme Bardeen, tout comme les membres de CSF, insiste sur le fait que cet outil ne devrait pas être utilisé isolément, mais plutôt dans le cadre d’un processus d’évaluation plus large. « L’énergie hydroélectrique est connue pour être une source d’énergie complexe et risquée, et aucun outil ne peut réellement appréhender et faire apparaître toutes les conséquences environnementales, sociales et économiques qui interviennent après la construction d’un barrage, » explique-t-elle.

L’évaluation du pour et du contre du développement de l’hydroélectrique devrait avoir lieu à travers « une analyse approfondie des données de base, tout en étant à l’écoute de ceux qui seraient affectés », convient M. Reid. « HydroCalculator permet simplement de faire le premier pas. »

Les risques environnementaux majeurs liés aux barrages, tels que les conséquences directes et indirectes sur la biodiversité, les effets sur la connectivité écologique des espèces sauvages, et la diminution de la circulation des nutriments et des sédiments dans les cours d’eau, de même que les conséquences pour les communautés locales, doivent être mesurés attentivement par rapport aux avantages d’un projet de barrage. Mais pour l’instant, aucun de ces risques n’est pris en compte par HydroCalculator. Ce dernier demeure toutefois une contribution importante à l’autonomie des communautés affectées par les projets de barrages, selon les experts.

Vue aérienne du barrage de Tucuruí. Le nouvel outil gratuit HydroCalculator offre une aide technique utile aux communautés, scientifiques, universitaires et activistes dans l’évaluation des projets de barrages en Amazonie, sur le Mékong et dans le monde entier. Photo par Bruno Huberman, fournie par Repórter do Futuro sous licence Creative Commons Attribution 2.0 Generic

En Amazonie, où des projets de méga-barrages sont prévus sur de nombreux cours d’eau du bassin, certains scientifiques craignent que leurs dégâts soient irréversibles. Là-bas, populations indigènes et communautés fluviales traditionnelles luttent pour protéger leurs terres sacrées et leurs moyens d’existence. De plus, un nombre incalculable d’espèces encore jamais répertoriées sont en danger.

« Les communautés qui cherchent à protéger leurs terres et leurs cours d’eau ont besoin de toute l’aide possible pour évaluer les conséquences des projets de barrages prévus. Dans le contexte de l’Amazonie, cet outil est une corde de plus à leur arc, » explique Mme Bardeen. « Mais les projets hydroélectriques néfastes peuvent se réaliser pour bon nombre de raisons. Et au Brésil, la corruption, le trafic d’influence et l’autoritarisme ont tendance à écraser la science et la raison. »

Le débat mondial autour de l’énergie hydroélectrique « est susceptible de s’intensifier, alors que la pression monte afin de satisfaire la demande croissante en électricité ainsi que de mettre un frein aux émissions de gaz à effet de serre », conclut le rapport de John Reid et Thaís Vilela. Les outils comme HydroCalculator peuvent contribuer à fournir les connaissances nécessaires pour mener ce débat.

Citation :

Vilela, T. and Reid, J. (2017) Improving hydropower choices via an online and open access tool. PLOS One 12: e0179393

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