- Le mois dernier, la Cour suprême de Singapour a déclaré Wong Wee Keong coupable d'avoir importé du bois de rose de Madagascar en 2014 en violation avec la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).
- Ce verdict a été annoncé par des groupes environnementaux ; ce nouveau jugement revient sur la décision prise en première instance et permet d'éviter toute revendication conflictuelle sur la question de la régularité du transport de la marchandise impliquant les autorités malgaches.
- L'énorme cargaison en route vers Singapour était plus importante que l'ensemble des saisies de bois de rose effectuées dans le monde entier depuis dix ans.
C’est un revirement significatif qui a eu lieu le mois dernier, lorsque la Cour suprême de Singapour a déclaré Wong Wee Keong et sa société, Kong Hoo, coupables d’avoir importé illégalement du bois de rose de Madagascar. L’homme d’affaires et son entreprise avaient été acquittés en première instance. Début 2014, les autorités avaient saisi une cargaison de bois de rose à l’initiative de la société Kong Hoo à Singapour car elle représentait une violation de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. La saisie de près de 30 000 rondins de bois de rose représente l’une des plus importantes saisies d’espèce sauvage depuis la création de la CITES.
Les groupes environnementaux ont été soulagés lorsque le verdict a été prononcé. « C’est tellement difficile d’obtenir des condamnations, » a déclaré Mark Roberts, avocat principal au sein de l’Environmental Investigation Agency (EIA), une ONG située à Washington. « Nous sommes très satisfaits par la décision de la Cour suprême de remettre en question la décision initiale prise en première instance, » a-t-il déclaré à Mongabay.
L’énorme cargaison en route vers Singapour était plus importante que l’ensemble des saisies de bois de rose effectuées dans le monde entier depuis dix ans. Le bois dur rouge foncé est l’espèce sauvage dont le trafic est le plus important dans le monde. Selon les documents juridiques, la valeur de cette cargaison, aujourd’hui confisquée et stockée à Singapour dans un entrepôt aussi grand que deux terrains de football, est estimée à plus de 50 millions de dollars.
Les demandes en bois de rose proviennent en majorité de la Chine, où la sublime partie intérieure du tronc est utilisée dans la fabrication de meubles haut de gamme. À Madagascar, le but des exploitations forestières est loin d’être aussi noble. Toutes les sortes de bois de rose malgache (Dalbergia spp.) recensées par l’Union internationale pour la conservation de la nature – environ 40 espèces à ce jour – sont classées dans la catégorie ‘Espèces menacées’. En plus de réduire la quantité de bois de rose, l’exploitation excessive des forêts a sérieusement perturbé les habitats locaux: les forêts sont asséchées, les espèces envahissantes se multiplient, et la consommation de viande de brousse augmente…
Les trafiquants se sont emparés des exploitations de bois de rose à Madagascar en 2009, lorsqu’un coup d’état a conduit à un vide réglementaire que les magnats du bois se sont empressés d’exploiter. En 2010, le gouvernement malgache a publié un décret: interdisant l’exportation du bois de rose. Malgré cela, le trafic a continué avec la complicité de certains représentants du gouvernement. En 2013, Madagascar a officiellement proclamé l’interdiction de l’exportation des bois de rose et d’ébène (Diospyros spp.) ainsi que la mise en place d’un plan d’action visant à améliorer la protection des forêts. Mais d’après un rapport de l’EIA publié en septembre, le gouvernement n’a pas respecté ses engagements.
Madagascar retourne sa veste
Le verdict récemment prononcé à Singapour a été salué par le président de Madagascar, qui a attribué les preuves ayant permis d’aboutir à cette décision à son propre gouvernement. Pourtant, les autorités malgaches ont envoyé des messages contradictoires pendant toute la période de l’enquête, soit trois ans, ce qui a compliqué la mise en accusation de Wong, citoyen de Singapour, et Kong Hoo, une entreprise d’exportations basée à Singapour.
Même si aucun document de la CITES n’était joint à la cargaison, la défense a par la suite fourni des documents provenant de Madagascar, qui selon elle, légalisaient le transport de cette cargaison. En janvier 2015, à la suite d’un voyage à Singapour, Anthelme Ramparany, ministre de l’environnement, de l’écologie et des forêts à cette époque, a confirmé l’authenticité de ces documents, selon les archives judiciaires.
Par la suite, le Premier ministre Jean Ravelonarivo a tenté de revenir sur les déclarations de Ramparany en affirmant que la cargaison de bois de rose était bien illégale. Cependant, en avril 2016, le président de Madagascar l’a contraint à démissionner. Selon une personne impliquée de près et qui souhaite restée anonyme car elle n’est pas autorisée à parler de l’affaire, c’est la position anti-trafic ferme de Ravelonarivo qui lui aurait principalement coûtée sa place.
Au cours des six mois qui ont suivi le départ de Ravelonarivo, les représentants malgaches ont refusé de clarifier le statut légal de la cargaison, ce qui a nettement compliqué la mise en accusation. Lors de la déclaration du verdict, la juge du procès de Singapour ayant acquitté Wong et Kong Hoo a déclaré que l’enquête avait connu de nombreux revirements.
« Madagascar doit faire bien plus que tout ce qui a été fait l’année dernière, » a déclaré Hanta Rabetaliana, Secrétaire général du Ministère de l’environnement, de l’écologie et des forêts jusqu’au mois de février de cette année à Mongabay.
En octobre 2016, le gouvernement malgache a commencé à se prononcer en faveur d’une condamnation après la rencontre internationale de la CITES en Afrique du Sud au cours de laquelle, l’affaire de Singapour était au centre des discussions. Pour faire pression sur les autorités malgaches, certains participants de la rencontre de la CITES se sont démenés pour interdire l’exportation de toutes les espèces protégées de Madagascar. Aujourd’hui, les seules espèces malgaches frappées d’embargo total sont le bois de rose et d’ébène.
La menace d’une pareille interdiction a incité les autorités malgaches à agir. « Les gouvernements n’aiment vraiment pas être sanctionnés, » a déclaré Roberts, avocat au sein de l’EIA. « Plus la sanction est sévère, plus c’est embarrassant. »
L’interdiction totale d’exportation représenterait la sanction la plus sévère prise par la CITES et selon Roberts, aucun pays dans le monde n’a actuellement à faire face à un tel embargo. Lorsque le pays a obtenu un sursis, ces représentants en Afrique du Sud ont exprimé leur soulagement. Début 2017, le pays a respecté sa parole en envoyant des documents à Singapour prouvant que le transport de la cargaison de bois de rose de 2014 était bien illégale.
Ce verdict a été salué par la communauté environnementale et a permis au gouvernement malgache de réaffirmer sa contribution à l’enquête une fois que leur implication avait été reléguée au second plan. En réalité, la juge de la Cour suprême a refusé d’accepter les nouvelles preuves, elle a déclaré lors du communiqué écrit de son verdict: « Il n’y a aucune explication au revirement évident du gouvernement de Madagascar vis-à-vis de certaines preuves… En l’absence d’explication, la fiabilité des documents impliqués doit être remise en question. »
En d’autres termes, si la véracité des précédents documents authentifiés par le gouvernement n’était pas assurée, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de raison d’accepter les nouveaux documents proposés par Madagascar comme légitimes.
Malgré tout, la juge a déclaré Wong coupable. Comme le statut légal de l’exportation depuis Madagascar n’était pas clair, l’affaire reposait sur la question de savoir si le bois de rose avait été importé à Singapour, signataire de la CITES. La défense a avancé que la cargaison était toujours « en transit » vers Hong Kong plaque tournante du marché illégal du bois où les permis d’importation du bois de rose n’étaient pas obligatoires à ce moment-là. La juge de la Cour suprême a conclu en déclarant qu’il n’y avait pas de plan immédiat pour transporter le bois vers Hong Kong puisque Wong n’avait pas encore trouvé d’acheteur.
Une condamnation en attente
La condamnation de Wong et de la société Kong Hoo est définitive sauf si un accord d’utilité publique est trouvé, ce qui, d’après Roberts, avocat au sein de l’IEA, a peu de chance d’aboutir dans ce cas. Les prochaines auditions serviront à définir la durée de la peine d’emprisonnement de Wong et le montant de l’amende pour la société Kong Hoo. L’accusation réclame au moins 18 mois d’emprisonnement et une amende d’un montant maximum de 500 000 dollars.
Les représentants de la société Kong Hoo, eux, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Le sort des 30 000 rondins de bois sera décidé lors d’auditions différentes. Même s’ils pourraient être attribués à l’État de Madagascar, les rondins ont peu de chance de revenir dans ce pays où ils pourraient très bien se retrouver à nouveau sur le marché illégal du bois. (En fait, des preuves laissent penser que plusieurs rondins saisis appartenaient auparavant au gouvernement malgache ils faisaient partie des réserves de bois récoltées de façon illégale et saisies après le coup d’état de 2009.)
Les partisans d’une condamnation espèrent que désormais, le bois de rose pourra être vendu et que les bénéfices profiteront aux communautés malgaches. « Singapour a fait le boulot, » a déclaré Rabetaliana, ancien représentant du Ministère de l’environnement. « Il est maintenant temps pour Madagascar d’agir pour protéger ses forêts. »