Nouvelles de l'environnement

Surveillance sonore des braconniers camerounais pour la protection des primates en voie de disparition

  • Rassembler des données sur le braconnage n’est pas chose facile: non seulement les territoires en question sont extrêmement vastes, mais en plus ils sont la plupart du temps constitués de forêts impénétrables, de maquis montagneux ou de marais.
  • Une équipe internationale de scientifiques du parc national camerounais de Korup a réalisé une étude visant à déterminer la location et l’heure des tirs des braconniers; Ils ont enregistré tous les sons émis sur une surface de plus de 54 kilomètres carrés (21 miles carrés) et ce pendant plus de deux ans.
  • Les résultats ont montré que la chasse dans le parc avait surtout lieu au début de la semaine alors que les braconniers se préparent pour les marchés du samedi. Elle dure toute l’année mais atteint son point culminant durant la saison sèche de novembre à mars, et avant les vacances les plus importantes. On a pu aussi mettre en évidence les lieux de prédilection des braconniers.
Researcher Christos Astaras and project field team member Motia Innocent prepare to install an acoustic sensor. Sensors were placed in a lock box to protect them from rain and damage by monkeys and birds. Photo © Christos Astaras.
Le chercheur Chrisophe Astaras et Motia Innocent, membre de l’équipe de terrain, installent un capteur sonore. Les capteurs ont été préalablement placés dans un boîtier hermétique afin de les protéger de la pluie, des singes et des oiseaux. Photo © Christos Astaras..

La forêt du parc de Korup est le lieu de vie d’éléphants, de chimpanzés, de colobes roux, de drills, ainsi que de toute une myriade d’espèces bruyantes dont les cris et hurlements remplissent l’atmosphère. Pendant plus de deux ans, 12 capteurs acoustiques répartis sur 54 kilomètres carrés (21 miles carrés) de cette surface de forêt tropicale protégée ont enregistré tous les moindres sons. Ils ont été en particulier dédiés à l’écoute d’un seul d’entre eux 24 heures sur 24: les coups de feu des braconniers.

“Notre ultime objectif est d’accroitre l’efficacité des patrouilles anti-braconnage dans les forêts tropicales protégées d’Afrique,” déclare à Mongabay Joshua Linder, un des chercheurs responsables du projet de surveillance sonore.

Le gibier est une source de protéines majeure en Afrique centrale, comme en témoignent les quatre tonnes et demie de viande prélevées chaque année dans le bassin du Congo. Chasser n’est pas nécessairement interdit, et le gibier constitue pour la population pauvre un apport vital en protéines, et une denrée recherchée pour la population riche. En revanche, chasser des espèces menacées, particulièrement à l’intérieur d’aires protégées est hors la loi et représente une réelle menace pour la survie des espèces, particulièrement quand celles-ci sont rares.

Preuss’s red colobus monkey is among the world’s most endangered primates, and is threatened by poaching in Korup National Park, Cameroon, an important stronghold for the species. Image by Astaras [Attribution], via Wikimedia Commons
Le colobe roux du Cameroun fait la cible des braconniers dans Korup alors qu’il compte parmi les primates les plus menacés du monde et que le parc représente un important bastion pour l’espèce. Credit photo: Wikimedia Commons

La proximité du parc de Korup avec le Nigéria qui se trouve à seulement quelques kilomètres le rend attractif pour les braconniers. “La demande provient majoritairement du Nigéria et des centres urbains camerounais,” explique Linder. “Le gibier est très commercialisé de nos jours. Certains chasseurs professionnels tirent même la plus grande partie de leur revenu annuel de cette activité. Les chasseurs nigériens viennent au parc pour y chasser, puis repartent vendre le gibier au Nigéria où il est vendu à meilleur prix.

L’équipe de chercheurs tente d’apporter des solutions au sérieux problème posé par les braconniers dans “l’une des plus importantes aires protégées du Golfe de Guinée”. Parmi les membres du projet figurent Joshua Linder de l’Université James Madison, Peter Wrege de l’Université de Cornell, et Christos Astaras ainsi que Davis Macdonald de l’unité de recherche pour la faune sauvage (Wildlife Conservation Reasearch Unit) de l’Université d’Oxford; ils collaborent aussi avec des organisations camerounaises pour la conservation de la faune.

Leur mission est urgente: “Nos enregistrements suggèrent que des milliers de primates sont tués par des tirs illégaux chaque année a Korup,” l’équipe le confie-t-elle à Mongabay.

Des antilopes, des rongeurs, et même des éléphants sont aussi tués dans le parc, mais ce sont les primates qui suscitent le plus d’inquiétude de la part des défenseurs de l’environnement.

“Mes recherches personnelles à Korup montrent que le braconnage entraine un déclin au sein de certaines espèces de primates figurant parmi les plus menacées d’Afrique,” ajoute Linder. C’est le cas du colobe roux du Cameroun (Procolobus preussi), une espèce endémique de l’ouest du Cameroun et du Nigéria. En effet le colobe roux a été classé en danger critique d’extinction et fait partie des 25 espèces de primates les plus menacées. Korup représente un bastion crucial pour la survie de l’espèce. Un autre primate menacé, le drill (Mandrillus leucophaeus), est aussi en déclin, nous informe Linder.

En surveillant le braconnage continuellement pendant plus de deux ans, l’équipe à réussi à rassembler des informations sur ses logiques temporelles et spatiales comme il ne l’avait jamais été fait auparavant. Grâce à ces informations, “les gestionnaires d’espaces protégés vont pouvoir mettre en place des patrouilles anti-braconnage” dont ils pourront évaluer l’efficacité et adapter l’action en fonction des nouvelles données recueillies, l’équipe explique-t-elle.

En effet, l’étude a révélé que la chasse atteint son plus haut point pendant la semaine, quand les braconniers se préparent pour les marchés qui ont la plupart du temps lieu le samedi. Elle est pratiquée tout au cours de l’année, et connait des pics durant la période sèche de novembre à mars ainsi qu’avant les vacances les plus importantes. On a aussi pu découvrir ses lieux de prédilections en ce qui concerne l’aire en question, ajoutent les chercheurs.

Motia Innocent hangs a sensor 10 meters up in the trees. Twelve sensors in total, each with a detection radius of 1.2 kilometers (0.75 miles), were installed in the forest. Photo © Christos Astaras.
Motia Innocent installe un capteur dans un arbre à 10 mètres de hauteur. Douze capteurs au total ont été installés dans la forêt. Ils sont capables de détecter des sons dans un rayon de 1,2 kilomètres (0,75 miles). Photo © Christos Astaras.

“Jusqu’alors, les gestionnaires du parc n’avaient accès à aucunes de ces informations,” Linder remarque-t-il. L’analyse de ces données a à la fois révélé aux patrouilles du parc l’endroit où ils avaient le plus de chance de trouver des braconniers, et quand.

Cependant, mener à terme ce projet n’a pas été sans difficultés. Les douze capteurs acoustiques, chacun capable de détecter des sons dans un rayon de 1.2 kilomètres (0.75 miles), sont alimentés par des batteries lourdes qui doivent être transportées à travers des kilomètres de forêt accidentée et changées tous les trois mois. De plus, plus de 200 000 heures d’enregistrements ont été recueillies (ou l’équivalent de près de 23 années!) ce qui représente énormément d’espace de stockage numérique et de traitement informatique. Ceux-ci sont des aspects à ne pas sous-estimer lors de futurs projets qui voudraient utiliser cette technologie, l’équipe nous prévient-elle.

Les capteurs acoustiques peuvent aussi être utiles dans d’autres contextes: on prévoit par exemple de les utiliser pour étudier le conflit entre les humains et la faune sauvage, particulièrement dans le cas des éléphants. Ou encore pour aider à localiser les populations de colobes roux qui vivent au-delà des frontières de Korup.

Les chercheurs ont partagé leurs conclusions avec des gestionnaires d’espaces protégés du Cameroun et du Nigéria lors d’une conférence qui a eu lieu à la fin de l’année dernière et espèrent continuer à convaincre d’autres gestionnaires d’adopter ce dispositif d’écoute. En conclusion, cet outil pourrait être un atout précieux pour les espaces protégés, les autorités, et les chercheurs en conservation qui tentent de traquer et maitriser les braconniers en Afrique et dans le monde.

En attendant, l’impact du travail des chercheurs se fait déjà sentir a Korup: “Nous avons récemment aidé les gestionnaires du parc à mettre en place un plan de gestion globale de la faune sur toute la surface du parc, plan qui inclut la surveillance sonore.”

“J’ai bon espoir que la surveillance sonore alliée à d’autres stratégies pourra aider à contrôler le braconnage”, nous confie Linder.

The project monitored a 54 square kilometer (21 square mile) area continuously for over two years, generating 200,000 hours of recordings. The data illuminated the hunting habits of poachers, making it possible to develop a responsive wildlife monitoring program in the park. Image courtesy of James Linder
Durant ce projet, 54 kilomètres carrés (21 miles carrés) ont été observés non-stop sur plus de deux ans, représentant 200 000 heures d’enregistrements. Ces données ont mis en évidence les habitudes des braconniers, ce qui a permis de développer pour le parc un programme de gestion de la faune sur mesure
A spectrogram showing gunshots in the upper panel, and the call of Preuss’s red colobus monkeys in the lower panel. Image courtesy of James Linder.
Ce spectrogramme montre deux coups de feu (en haut), et le cri d’un colobe roux (partie du bas). Image reproduite avec l’aimable autorisation de Joshua Linder.
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