- Le projet Atama a été annoncé en 2012, et devrait impacter une énorme zone de marais et de forêts dans l’une des régions les plus sauvages de la République du Congo. Alors que la plantation est encore largement en friche, les terres sont soumises à une exploitation forestière significative et des dommages considérables sont infligés à l’habitat naturel.
- Cette région affiche l’une des plus grandes densités de gorilles au monde, et pourrait abriter quelques 80000 gorilles des plaines occidentales en danger critique (classement UICN), ainsi que d’importantes populations de chimpanzés et d’éléphants de forêt. Le colobe rouge de Bouvier, qu’on pensait éteint, a pu également y être observé.
- Les protecteurs de la nature craignent que, du fait du secret qui l’entoure, de sa vaste étendue, du déboisement, et de son possible abandon, le projet Atama ne soit un présage de ce qui va se développer en Afrique, alors que les compagnies d’huile de palme ont des pratiques non durables similaires à celles employées en Asie du Sud Est.
En décembre dernier, un petit groupe d’officiels de l’administration ont entrepris un voyage long et pénible pour visiter le site reculé d’une plantation de palmiers à huile en République du Congo. La concession de palmiers à huile d’Atama couvre 470 000 hectares (4700 km carrés), soit la surface d’un département français, et est annoncée comme étant la plus vaste du bassin du Congo.
Mais quand les officiels sont arrivés, accompagnés par un représentant du Fonds mondial pour la nature (WWF), une surprise les attendait : la plantation semblait en grande partie abandonnée.
Selon Ludovic Miaro, Responsable régional du programme huile de palme à WWF Afrique, qui faisait partie du voyage, 700 hectares seulement avaient été plantés, la plus grande partie en piteux état. La compagnie avait déclaré vouloir développer 180 000 hectares (1800 km carrés). La plantation était quasiment désertée, y compris par le responsable qui était « en congés », selon ce qui a été dit aux visiteurs.
Mais le site n’était pas totalement inactif : le groupe a pu observer une activité de déboisement importante, avec de grosses machines empilant des grumes fraîchement coupées des forêts connues pour leur remarquables populations de gorilles, de chimpanzés, d’éléphants de forêts et de nombreuses autres espèces.
Les représentants du gouvernement se retrouvent à se demander ce qui s’est passé et ce qu’ils doivent faire désormais.
Atama a-t-elle l’intention d’achever sa plantation ? Ou cette opération visait-elle principalement à exploiter les bois précieux du Congo ? Ou bien la compagnie a-t-elle eu un problème, les poussant à changer leur programme d’agriculture industrielle pour passer à l’exploitation forestière, un scénario qui n’est pas sans précédent dans l’industrie de l’huile de palme ?
Les représentants du gouvernement devaient se rencontrer le 8 février pour discuter ce mystère et décider comment avancer sur le cahier des charges d’Atama, l’accord gouvernemental signé par les investisseurs à l’origine du projet.
Mais quel que soit le résultat de cette réunion, que le Congo annule le projet Atama ou non, des dégâts considérables ont été commis par le déboisement et l’afflux de personnel sur le site qui en découle.
Plantation d’huile de palme ou exploitation forestière ?
Quand la plantation de palmiers à huile d’Atama a été annoncée en 2012, les protecteurs de la nature furent immédiatement sur leurs gardes. Sam Lawson, directeur de Earthsight, une firme de conseil et d’investigations environnementales qui suit le développement de la plantation, déclare : « Quand vous superposez les limites du projet sur une carte des forêts du bassin du Congo, cela ressemble à un coup de fusil au cœur de ces forêts. Nous parlons ici d’une surface trois fois supérieure à celle du grand Londres. »
La concession d’Atama était principalement couverte par des forêts primaires, des forêts marécageuses et les rares forêts à Marantacées, connues pour abriter les populations les plus denses de gorilles dans le monde. Les écologistes craignaient non seulement la destruction à grande échelle de l’habitat forestier de la région au bénéfice de l’huile de palme, mais aussi un accès facilité par le projet pour les braconniers et l’exploitation forestière illégale.
D’autres raisons de s’inquiéter : les responsables de l’implémentation du projet, Wah Soeng Berhad, une société malaisienne, n’avaient aucune expérience dans les plantations de monoculture ni en agriculture. Leurs affaires étaient basées jusqu’alors sur la fourniture de services dans le cadre de projets de gazoducs et oléoducs. Contactées à plusieurs reprises, ni Wah Soeng Berhad ni Atama n’ont souhaité répondre aux questions sur ce sujet.
Selon Simon Counsell, responsable de la Rainforest Foundation UK, et qui a suivi le projet depuis le début, « étant donné que la société engagée n’avait aucune expérience dans l’huile de palme, on a toujours soupçonné qu’elle avait au moins l’intention de profiter de la vente des arbres abattus sur la terre théoriquement destinée à devenir une plantation ».
Depuis le début, le projet de la plantation d’Atama est entouré du plus grand secret et manque de transparence. En dehors la société de revêtement de pipeline, Wah Soeng Berhad (qui aurait payé 25 millions de dollars pour la majorité des parts sur le projet), Atama est la propriété de deux autres sociétés mystères.
« Les véritables propriétaires s’abritent derrière d’obscures sociétés fictives situées dans des juridictions opaques comme les Iles Vierges britanniques, » déclare M. Lawson de Earthsight, qui ajoute que cela pourrait être un signe de possible corruption dans la création de la plantation.
Les observateurs ont également remarqué plusieurs infractions quand Atama a commencé à déboiser. Des officiels qui ont visité le site en 2012 ont trouvé des preuves d’exploitation forestière illicite et d’étiquetage frauduleux du bois, d’après Seeds of Destruction (les graines de la destruction), un rapport de la fondation Rainforest UK. Les officiels ont également trouvé la société en train d’abattre des arbres sur plusieurs kilomètres à l’extérieur de sa concession, et agissant sans aucune évaluation des répercussions sur l’environnement.
Selon S. Counsell, si les investisseurs avaient prévu de financer le développement de la plantation avec la vente du bois, il est possible que leur plan ait tourné court : « il semble que cette partie du plan ait échoué car il n’y a tout simplement pas assez d’arbres de qualité destinés à l’export dans la région pour en tirer beaucoup d’argent. »
Un vaste habitat, refuge de nombreux gorilles
En 2008, des scientifiques de la Société pour la Conservation de la Vie sauvage (WCS, Wildlife Conservation Society) ont étudié une immense zone de forêt marécageuse et de marantacées au Congo (une partie de laquelle correspondait à ce qui devait constituer la plantation Atama). Ce qu’ils y trouvèrent les stupéfia.
Ils ne trouvèrent aucun gorille mais purent compter de nombreux nids de gorille, un signe que cette région pourrait abriter une des plus importantes populations de gorilles du monde. Les chercheurs ont estimé que la région pourrait au total abriter quelques 80 000 gorilles des plaines (Gorilla gorilla gorilla), faisant passer alors l’effectif de cette espèce en danger critique à environ 125 000 individus. Un souffle d’optimisme pour la protection des grands singes, domaine où les bonnes nouvelles sont rares, surtout de cette importance.
À ce jour, près de 15 000 de ces gorilles sont protégés au sein du Parc National de Ntokou-Pikounda, créé en 2013. Mais d’autres portions de cet habitat sont sans protection et sont maintenant assaillies de toutes part, une attaque qui inclut les opérations d’abattage et le développement des infrastructures liés au projet Atama.
David Morgan, expert renommé des grands singes chez WCS Congo, a récemment voyagé dans la région et a remarqué que le développement y était indéniable. « C’était la première fois où j’ai pu observer un déboisement à une telle échelle au Congo, » a-t-il déclaré. « La rapidité avec laquelle a eu lieu la conversion des terres est étonnante. »
D. Morgan, chercheur résident au Lincoln Park Zoo et aussi participant au projet Goualougo Triangle Ape, a remarqué que les gorilles ne survivent pas à la transformation des forêts primaires en plantations de palmiers à huile, de la même façon que leurs cousins orangs-outans en Indonésie et en Malaisie. Les gorilles dépendent des « plantes de surface » pour survivre, plantes qui sont éradiquées pour laisser place aux plants de palmiers.
Selon S. Counsell, « Bien que la disparition totale de l’habitat au profit de la plantation ait été désastreuse pour les primates de la région, si l’opération dégénère maintenant en déboisement chaotique et à grande échelle dans la zone [de la concession], les conséquences pourraient être importantes. »
Il est possible que les gorilles qui vivaient dans les régions traversées par Morgan aient survécu au déboisement initial en déplaçant leur territoire vers les forêts voisines encore intactes. En outre, si le projet Atama se termine, non pas avec une plantation qui détruit complètement de l’habitat, mais avec une opération de déboisement qui si elle est perturbante, n’est pas complètement destructrice, la population de gorilles pourrait un jour revenir sur ces terres quand la forêt repoussera. Des études ont même démontré que dans certains cas, les gorilles peuvent rester dans une concession d’exploitation forestière si elle est bien administrée.
Un avenir incertain pour les gorilles, les chimpanzés, et d’autres encore
Tandis que le projet Atama est sans aucun doute une mauvaise nouvelle pour les gorilles en danger critique, il est probablement pire encore pour les chimpanzés de la région, même si la plantation n’entre jamais en activité. Les chimpanzés de cette zone sont de la sous-espèce des chimpanzés communs (Pan troglodytes troglodytes), considérée comme « en danger » selon l’UICN. Ils doivent faire face aux mêmes menaces que les gorilles : destruction de leur habitat, braconnage et maladies. Mais contrairement aux gorilles, les chimpanzés ne migrent pas facilement.
D. Morgan explique que « parce que les chimpanzés sont attachés à leur territoire, il est très difficile aux femelles et aux petits de se relocaliser dans une communauté voisine, et c’est impossible pour les mâles. En conséquence, quelle que soit la part de leur territoire qui se trouvait dans la zone déboisée pour Atama, elle est perdue. »
Le projet pourrait également entraîner une hausse du braconnage des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), une espèce très menacée. De nombreux chercheurs affirment que les éléphants de forêt, bien qu’ils ne soient pas encore reconnus par l’UICN comme une espèce à part entière, possèdent des caractéristiques génétiques et morphologiques qui les différencient de l’espèce plus familière des autres éléphants de savane africains. Les éléphants de forêt ont subi le poids du braconnage ces dix dernières années : une étude de 2014 a démontré que leur population en Afrique Centrale avait subi une baisse effarante de 64 % en à peine 10 ans en raison d’un braconnage acharné.
Un autre animal remarquable vivant dans cette partie du Congo est le colobe rouge de Bouvier (Piliocolobus bouvieri). Alors qu’on croyait l’espèce éteinte depuis 40 ans, elle a fait les gros titres l’année dernière quand deux chercheurs, Lieven Devereese et Gaël Elie Gnondo Gobolo, ont redécouvert ce singe dans le Parc National Ntokou-Pikounda récemment créé. L. Devreese, un jeune primatologue belge, a également pris les toutes premières photos d’un P. bouvieri vivant. On pense qu’une partie de l’habitat de cette espèce rarement observée se trouve sur la concession Atama. Classée comme étant en danger critique, personne ne sait combien d’individus de cette espèce revenue d’entre les morts survivent encore.
Même si le gouvernement supprime la concession Atama, les experts s’accordent à dire que le développement anarchique de la région, avec le déboisement et les routes qui en découlent, va continuer à se répercuter sur la faune en raison des arrivées de population sur la zone. Certains viendront pour braconner les animaux, pour la viande de brousse ou pour les vendre sur le marché des animaux vivants, d’autres pour abattre illégalement les arbres en dehors de la concession ou dans les zones protégées aux alentours.
L’année dernière, Devreese avait déclaré à Mongabay que le commerce d’animaux sauvages était florissant dans la région : « Il existe un commerce actif de viande de brousse qui utilise les rivières comme voies de passage. Quand la forêt n’est pas inondée, seulement quelques mois par an, les chasseurs professionnels abattent tout ce qu’ils peuvent et vident la forêt. » Le trafic, explique-t-il, n’est pas destiné aux habitants de la région mais aux citadins de Brazzaville, la capitale du Congo.
Des leçons qui n’ont pas été retenues
L’histoire de la plantation Atama, avec sa création opaque, sa vaste étendue, ses nombreuses infractions de déboisement et maintenant son possible abandon, est particulièrement inquiétante pour les protecteurs de la nature car elle pourrait indiquer que l’industrie de l’huile de palme a fort peu appris de son expérience en Malaisie et en Indonésie. De nombreuses sociétés y ont détruit de vastes étendues de forêt vierge et ont mis en danger un nombre incalculable d’espèces, tout en menant une bataille juridique et éthique contre les écologistes.
Selon D. Morgan, « nous devons à tout prix éviter les erreurs environnementales qui ont été reconnues ailleurs, surtout maintenant que nous disposons d’informations scientifiques sur lesquelles nous baser. La réhabilitation des anciennes plantations de palmiers à huile devrait être une priorité. »
Les experts ont remarqué qu’il y a un certain nombre de plantations de palmiers à huile abandonnées au Congo qui pourraient facilement être remises en production avec un très faible impact environnemental, si seulement elles garantissaient l’investissement. Il existe une autre possibilité. Le WWF et ProNAR (agence congolaise en charge du reboisement) ont mené une étude pour trouver des sites adaptés aux plantations de palmiers à huile dans la savane plutôt que dans la forêt.
Ludovic Miaro du WWF affirme que son ONG a identifié près de 290 000 hectares de savane dans les provinces de Cuvette et Cuvette Ouest qui seraient adaptés à la culture des palmiers à huile, avec un impact environnemental beaucoup moins important. L. Miaro mentionne qu’à l’étape de sa conception, il avait même été recommandé que la plantation d’Atama soit déplacée de son site actuel vers la savane afin de réduire « l’empreinte écologique du projet et la perte de biodiversité et d’habitat pour les animaux ».
Des alternatives similaires ont été proposées en Indonésie, mais sans grand succès pour une simple raison : la plupart des producteurs d’huile de palme veulent déboiser les forêts tropicales. Ils vendent les arbres abattus, et font des millions de dollars de profit tout en récoltant l’argent pour démarrer la nouvelle plantation. Et si un projet de plantation ne se réalise jamais ? Les sociétés repartent toujours avec un profit assuré, mais en laissant derrière elles de graves destructions de l’habitat et un accès à la forêt auparavant impénétrable pour la plupart des gens. Avec cet accès arrivent bien souvent le braconnage, l’exploitation illicite du bois et parfois même des habitants.
Une meilleure protection nationale des forêts pourrait renverser cette tendance. D.Morgan affirme que les écologistes et les gouvernements de la région devraient envisager les forêts déjà exploitées (parfois même à plusieurs reprises) comme habitat potentiel pour les grands singes et d’autres espèces.
D. Morgan craint que de nombreuses forêts déboisées au Congo ne deviennent bientôt des plantations de monoculture si les sociétés d’exploitation forestière estiment qu’il n’y a pas assez d’arbres de valeur pour rendre l’affaire intéressante. Cependant, les études ont montré que les forêts déboisées même jusqu’à trois fois, surtout si elles sont bien gérées, contiennent encore une biodiversité considérable, y compris des grands singes. Mais si ces forêts déboisées sont transformées en plantations, toute la biodiversité qui restait sera perdue.
« Plusieurs grandes compagnies d’exploitation forestière travaillant dans la région envisagent déjà de diversifier leurs activités [pour des plantations], » s’inquiète D. Morgan.
Le destin du Congo lié à celui d’Atama ?
Le destin de la plantation d’Atama reste en suspens, mais sera certainement décidé sous peu par le gouvernement. Simon Counsell remarque que le cas embrouillé d’Atama n’est pas unique mais plutôt emblématique de la situation dans le bassin du Congo.
Il décrit la région comme « particulièrement difficile » à surveiller pour les groupes de veille écologique, car les « décisions [du gouvernement] sont prises sur des motifs arbitraires et parfois par pur intérêt personnel, en utilisant des structures opaques, abritées derrière des immatriculations offshore. Même les lois applicables à la transaction peuvent être difficiles à identifier, et l’implémentation peut être « flexible ». »
La seule manière de savoir ce qui se passe, dit-il, est d’enquêter sur le terrain, mais un tel travail d’investigation dans des zones reculées nécessite du temps et de l’argent.
S. Counsell conclut sans ambages : « Les décideurs et les organismes concernés agissent bien souvent, à tous égards, en toute impunité. »
Les protecteurs de la nature craignent qu’Atama ne soit un précurseur pour d’autres cas similaires. À moins d’une amélioration du contrôle du développement des plantations de palmiers à huile en Afrique, d’obscures compagnies pourront continuer à profiter de leurs opérations de spéculation, sachant que les investisseurs tireront toujours de jolis bénéfices de l’abattage des arbres même si le projet s’écroule. La plus grande victime de ces transactions sera le patrimoine naturel du continent, tandis que de nouveaux arbres tombent sous les tronçonneuses, et de nouveaux chimpanzés, éléphants de forêt, gorilles des plaines occidentales, et des milliers d’autres espèces sont chassés de leur habitat et de leurs refuges.