Nouvelles de l'environnement

Les forces locales et mondiales s’unissent pour sauver la tortue étoilée de Madagascar

  • Avec 12 millions d’individus estimés en 2005, la tortue étoilée de Madagascar connaît un déclin rapide ; elle est actuellement répertoriée comme espèce gravement menacée sur la liste rouge de l’UICN et pourrait s’éteindre à l’état sauvage d’ici à 20 ans.
  • La survie continue d’Astrochelys radiata, ou tortue étoilée, se trouve d’autant plus menacée par des troubles politiques constants et un soulèvement économique dans l’un des pays les plus pauvres du monde.
  • Les privations économiques locales ont fait naître un commerce illégal et prospère de tortues comme nourriture et animaux de compagnie, les traditions tribales qui les protégeaient autrefois du danger étant tentées de les trahir en raison de la demande mondiale.
With so much of Madagascar's natural spiny desert forest cleared, Radiated Tortoises now feed heavily on the introduced prickly pear cactus (Opuntia sp). Photo courtesy of the Turtle Survival Alliance (TSA)
Une grande partie des buissons épineux naturels de Madagascar ayant disparu, les tortues étoilées se nourrissent désormais principalement de cactus raquettes (Opuntia sp). Photo avec l’aimable autorisation de la Turtle Survival Alliance (TSA)

Région d’Androy, Madagascar, octobre 2011 : les aînés de tribus Tandroy du village de Tragnovaho envoient des coureurs chercher des policiers pour qu’ils les aident à arrêter des braconniers découverts dans une forêt voisine. Un grand groupe de la tribu Antanosy a dû parcourir plus de 160 km pour chasser la tortue étoilée (Astrochelys radiata) qui abondait autrefois. Cet animal magnifique a disparu de leur ancien territoire qui faisait autrefois partie des terres ancestrales des Antanosys. La tribu est donc désormais forcée de faire route au sud, jusqu’au contrées des Tandroy, pour en trouver.

Il ne s’agit pas d’une marche d’affamés désespérés. « La viande de tortue a toujours été un mets délicat, » explique Rick Hudson, président de la Turtle Survival Alliance (TSA), une association de conservation à but non lucratif aidant les Malgaches à en apprendre davantage sur les tortues de terre et de mer de leur île et à les préserver. « Ils sèchent la viande et la vendent dans les villes au nord car les gens ne mangent pas de poulet s’ils peuvent avoir de la tortue. Ils capturent également les plus petits jeunes pour les vendre comme animaux de compagnie. Cela porte un sérieux coup aux populations locales de tortues qui ont d’autant plus de mal à s’en remettre. Elles ont toujours constitué une ressource locale, mais les braconniers disposent désormais de marchés supplémentaires, de nombreuses motivations et de peu de risques de se faire prendre. »

Les marchés auxquels M. Hudson fait référence sont les marchés noirs avides d’un commerce des animaux de compagnie mondial ainsi qu’une forte demande de membres de tortues dans la médecine traditionnelle chinoise. Un réseau social affiche la photo d’un individu moyen-oriental arborant sa pile de tortues « de compagnie ». En parallèle, des études des sites de braconnage ont mis au jour des centaines de carapaces fracassées de manière très précise, preuve que les tortues avaient été tuées pour leur foie, un organe considéré comme un aphrodisiaque en Asie. Les enclaves autrefois sûres de tortues étoilées sont souvent prises pour cible. Dans la réserve spéciale du cap Sainte-Marie, l’un des derniers endroits où les tortues se trouvent encore en populations significatives, M. Hudson révèle qu’« ils viennent et les enlèvent juste sous nos yeux. »

The killing fields of Tranavaho. Piles of thousands of adult tortoise shells litter the ground at a major poaching event. Photo courtesy of TSA
Les lieux de massacre de Tranavaho. Des amoncellements de milliers de carapaces de tortues adultes jonchent le sol, signes d’activités de braconnage majeures. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
Going undercover to purchase cooked tortoise meat at a popular restaurant in Tsihombe. Unfortunately, government workers, military personnel, corrupt gendarmes and charity relief workers are known to purchase and eat tortoise meat here. Photo courtesy of TSA
Un achat clandestin de viande de tortue cuisinée dans un restaurant populaire à Tsihombe. Malheureusement, il est de notoriété publique qu’employés gouvernementaux, personnel militaire, gendarmes corrompus et travailleurs humanitaires y achètent et consomment de la viande de tortue. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Bien que les motivations économiques du trafic illégal soient excessivement tentantes, « seule une minorité de Malgaches pratique le braconnage, » explique le Dr Christina Castellano, experte mondiale des chéloniens qui travaille étroitement avec la TSA, en collaboration avec le Hogle Zoo, en Utah, dont elle est la directrice adjointe en charge des efforts de conservation de la tortue étoilée.

« Les résidents du sud n’ont pas accès aux informations » qui concernent le trafic, affirme Mme Castellano. « Le taux d’analphabétisme est élevé, rares sont ceux qui savent lire et la télévision comme les journaux abordent très peu le sujet. Ils voient les tortues qui se promènent dans les forêts et dans leurs villages, mais ils ne comprennent pas vraiment qu’elles vont droit à l’extinction. »

Un serment ancien, une nouvelle attitude

Selon les aînés de la tribu Tandroy à Tragnovaho, les Antanosy braconnaient, mangeaient leurs parents et en faisaient commerce. Connues chez eux sous le nom de « Sokake », les tortues étoilées sont considérées comme les esprits réincarnés des ancêtres du village. Plus encore, les tortues sont perçues comme des faiseuses de pluie qui apportent les moussons vitales à leurs champs assoiffés. Il existe un « fady », ou tabou, très strict à l’encontre de quiconque les consomme ou les touche. C’est ce tabou qui entraîne le « Dina », un accord contraignant entre les tribus animistes Androy, Mahafaly et Antandroy, afin de protéger les Sokake.

Le Dina est double : il considère que tout mal fait aux Sokake dans les zones protégées par la tribu relève de leur responsabilité. La preuve d’un braconnage exige des villageois qu’ils sacrifient un zébu, une espèce de bétail, dans un rituel de purification du pêché contre des membres sacrés de leur famille étendue. Étant donné que 9 Malgaches sur 10 vivent avec seulement deux dollars par jour et qu’un zébu coûte largement 500 dollars US, il s’agit d’une autre raison décisive pour respecter le Dina et pour protéger les tortues.

Baby radiata: Juvenile Radiated Tortoises are beautiful, and hence are smuggled out of Madagascar in large numbers for the illegal international pet trade. Photo courtesy of TSA
Un bébé étoilé : les jeunes tortues étoilées sont magnifiques et pour cette raison, nombre d’entre elles se retrouvent exportées clandestinement de Madagascar pour alimenter le marché noir des animaux de compagnie. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Depuis juin 2012, des villages de la province d’Androy utilisent l’application du Dina dans un effort coordonné avec la TSA et le Fonds mondial pour la nature (WWF) pour protéger les tortues. « Heureusement que nous avons le Dina, » affirme Mme Castellano. « Je pense sincèrement que la raison pour laquelle ces animaux existent toujours repose sur le fady. Sans cela, je pense qu’il en resterait aucune. »

Cette nuit d’octobre 2011 s’est révélée être le pire massacre de tortues enregistré avec 2000 carapaces de tortues étoilées gisant vides et sanglantes. Des officiels forestiers et la police nationale malgaches ont fermement aidé les villageois à imposer le Dina, ainsi que les lois nationales et internationales, en appréhendant six braconniers et en sauvant 200 tortues étoilées qui étaient « attachées aux arbres et sur le point d’être massacrées ». Plus tard, la TSA a permis de satisfaire les conditions du Dina en fournissant les animaux nécessaires : une chèvre pour que le maire puisse accomplir son devoir et un zébu pour le rituel de purification. Il s’agissait certes d’une petite victoire, mais importante dans un effort international croissant de préserver A. radiata à l’état sauvage.

Un coup d’État désastreux

En 2008, le rapport de l’UICN qui a élevé le statut d’A. radiata de Vulnérable àA. radiata from Vulnerable to Gravement menacé citait une « utilisation locale en tant que nourriture » comme contribution majeure à son déclin. Désormais, les scientifiques ont ajouté les facteurs suivants comme menaces sérieuses à la poursuite de sa survie dans la nature : habitat décroissant, perte de sources d’alimentation, braconnage renforcé pour fournir le marché noir mondial et exportation pour la nourriture et les marchés de médicaments asiatiques. L’émergence de ces dangers et leur impact croissant est étroitement lié aux bouleversements politiques et économiques qui meurtrissent Madagascar depuis dix ans. Il est plus aisé de comprendre les motivations d’un braconnier malgache lorsque l’on réalise que plus de 80 % de la population vit dans la pauvreté tandis que des consommateurs chinois sont prêts à débourser jusqu’à 50 dollars US pour une tortue. Un jeune A. radiata sur le marché noir peut rapporter des milliers. Bien que ce niveau de profits ne se retrouve guère en bas de l’échelle du réseau de trafiquants, les braconniers gagnent beaucoup tout en prenant peu de risques.

A poacher in Beloha stands in front of his pig pen where the remains of hundreds of adult Radiated Tortoises were found. Photo courtesy of TSA
Un braconnier à Beloha se tient devant son enclos à cochons, où les restes de centaines de tortues étoilées adultes ont été retrouvés. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
Implements of slaughter. Tools of the poaching trade found at a poaching camp discovered outside of Lavavolo. Photo courtesy of TSA
L’équipement du massacre. Les outils du commerce de braconnage retrouvés dans un camp de braconniers découvert en-dehors de la forêt de Lavavolo. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

L’agitation politique à Madagascar continue de paralyser l’économie et d’épuiser tout élan environnemental restant d’avant le coup d’État politique de 2009. La sécurité et l’application des lois anti-braconnage ont été quasiment inexistantes sous l’autoproclamée Haute Autorité de transition qui est au pouvoir depuis.

Le gouvernement sans scrupules a courtisé des firmes multinationales (FMN) comme le géant minier Rio Tinto dans l’espoir de relancer l’économie et de conserver le pouvoir. La Chine, la France et les États-Unis comptent parmi les principaux partenaires commerciaux de Madagascar, mais ce sont les Chinois qui y investissent le plus depuis l’ouverture de son marché. Il s’agit d’une politique sans vision à long terme à travers les pays émergents qui maximisent l’extraction, le développement industriel et agricole tout en minimisant ou en refusant de reconnaître les dégâts écologiques. Un rapport de chercheurs de l’université du Michigan établit que les faits ont montré que « lorsque les FMN dirigent leurs efforts de mondialisation vers des pays relativement pauvres possédant des terres et une biodiversité riches, des normes environnementales peu exigeantes mèneront inévitablement à la destruction des habitats et à la mise en danger des espèces. »

Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

La perte de la Vision Durban

En septembre 2003, le gouvernement malgache a annoncé l’extension de mandats environnementaux qui, pour l’essentiel, tripleraient le « réseau de zones protégées » de leur pays de 1,7 à 6 millions d’hectares, soit près de 10 % de la superficie du pays, au cours des cinq années suivantes.

A Radiated Tortoise (Astrochelys radiata). Photo by Bernard Dupont licensed under the Creative Commons-Attribution Share-Alike 2.0-Generic-license
Une tortue étoilée (Astrochelys radiata). Photo de Bernard Dupont, agréée sous la licence générique Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0.

Connue sous le nom de Vision Durban, il s’agit d’une initiative audacieuse pour protéger la nature et pour assurer la croissance de l’écotourisme, deuxième plus importante source de revenus du pays, tout en obtenant l’admiration de la communauté internationale de la conservation. Alarmé par les pertes économiques perçues issues de l’arrêt de la poursuite de l’activité minière et du développement dans une région préservée depuis peu, le parti d’opposition a organisé de grandes manifestations dans la capitale, Antananarivo, a dissous le gouvernement et a finalement pris le pouvoir par la force.

La Vision Durban n’a pas été oubliée pour autant. Les aides étrangères se sont taries dans la mesure où les autorités régionales comme internationales ont refusé de reconnaître et de financer le gouvernement nouvellement installé.

Bien qu’étant finalement autorisé à élire un nouveau président en 2012, le peuple malgache continue à faire face à de graves défis environnementaux provoqués par l’abandon de la Vision Durban. En octobre 2010, le ministère de l’intérieur et de la décentralisation malgache a octroyé à des investisseurs internationaux un bail généreux à long terme dans le cadre des dispositions d’une loi de 2003 permettant la vente ou la location d’une propriété malgache à des investisseurs étrangers, et ce sans contrôle. Les tribus qui occupaient traditionnellement les lieux depuis des millénaires se sont trouvées contraintes de produire des actes de propriété si elles ne voulaient pas perdre leurs terres. TANY, un groupe d’action citoyen malgache formé pour rendre publique la récupération des terres et pour s’y opposer, pointe directement du doigt la volonté de la Chine et des firmes internationales d’obtenir des terres agricoles de premier choix et des matières premières pour leur production.

Des objectifs à la croisée des chemins

Pour bien comprendre la situation désespérée de la tortue étoilée, remontons un peu le temps. Madagascar est une nation insulaire largement sous développée, dont la taille avoisine celle de la France et qui est située à près de 400 km au large de la côte est de l’Afrique, dans l’océan Indien. Elle se trouve sur les routes commerciales historiques reliant l’Europe et l’Asie ; son emplacement privilégié, sa nourriture abondante, sa faune et sa flore diversifiées et son eau douce ont attiré des colonies sporadiques et une exploitation irrégulière depuis que les premiers hommes ont dérivé de l’Afrique et traversé le canal du Mozambique.

An oxcart loaded with bags of tortoises and tortoise meat. Poachers formerly transported loads of live tortoises, but today, generally roast the meat in the field for easier transport. Photo courtesy of TSA
Un char à bœufs rempli de sacs contenant des tortues et de la viande de tortue. Les braconniers transportaient autrefois les animaux vivants, mais désormais, ils font en général rôtir la viande dans les champs pour faciliter le transport. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Plus tard, d’autres colons sont arrivés en suivant les routes commerciales depuis l’Indonésie. À cette époque, deux autres espèces plus grandes de tortues se trouvaient également à Madagascar : Dipsochelys grandidieri, une tortue dotée d’une carapace massive et particulièrement plate qui s’est éteinte il y a environ 1200 ans, et Dipsochelys abrupta, une tortue plus typique avec une carapace en dôme qui était en partie sympatrique, c’est-à-dire capable de partager la même zone géographique que D. grandidieri. Les scientifiques supposent que toutes deux se sont éteintes du fait de la prédation humaine, tout comme la majeure partie de la faune géante de Madagascar, comme l’oiseau-éléphant ou le lémurien géant.

Les premiers récits conservés de l’exploration malgache nous proviennent de marchands arabes ayant atteint l’île à la recherche d’esclaves au cours du IXe siècle. Ils n’étaient pas intéressés par la colonisation et il faut attendre le XVIe siècle et l’arrivée d’un navire portugais en 1500 pour se ravitailler en viande fraîche et en eau pour que Madagascar soit officiellement répertoriée sur les cartes européennes. Ils n’ont alors probablement eu guère de mal à se procurer de la viande : il suffisait de débarquer et de parcourir quelques kilomètres vers l’intérieur des terres, dans les forêts d’épineux qui bordent les côtes est et sud, pour trouver des tortues étoilées.

Madagascar est vite devenu un territoire sans foi ni loi fréquenté par les négriers et les pirates. L’île a longtemps un refuge légendaire de pirates, nombre d’entre eux s’y installant définitivement et se mariant avec les populations locales.

Des indigènes lourdement armés ont chassé les tentatives de colonisation portugaises et anglaises et ont dirigé l’île par « monarchies » successives, jusqu’à son invasion française, en 1894. La France a conservé Madagascar comme avant-poste colonial et a établi un commerce de produits exotiques comme le bois de rose et la vanille, jusqu’à son indépendance, en 1963. La tortue étoilée de Madagascar est devenue une célébrité durant cette période troublée, apparaissant dans des revues d’histoire naturelle au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Les motifs colorés lumineux de sa carapace, si chers aux illustrateurs d’histoire naturelle de l’époque et aux collectionneurs d’animaux d’aujourd’hui, constitue un camouflage efficace contre les prédateurs dans l’habitat aride et herbeux de la tortue, lui permettant de devenir quasiment invisible entre les touffes de végétation.

A Stunning Radiated Tortoise individual using the road. Photo courtesy of TSA
Une magnifique tortue étoilée se déplaçant sur la route. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

A. Radiata est rapidement devenue une espèce très prisée des collections des musées et des zoos, réputée pour sa beauté, son tempérament calme, ses facilités d’élevage et sa longévité. Un spécimen, que l’on suppose avoir été offert au roi de Tonga par le capitaine Cook en 1773 (ou en 1777), a atteint le vénérable âge de 189 ans. Dans une perspective historique, cette tortue était vivante au moment de la révolution américaine et à l’aube de l’ère spatiale ; elle est décédée en 1966. La tortue étoilée est une espèce fertile, les femelles pondant jusqu’à douze œufs par an. Avant leur déclin actuel, d’immenses populations existaient, dont les nombres ne peuvent qu’être estimés. Rick Hudson, de la TSA, a été stupéfait de la densité d’individus qu’il a trouvée au cap Sainte Marie en 1995. « Il y en avait tellement que je devais faire attention à ne pas leur marcher dessus, des adultes aux jeunes de quelques mois à peine. » Les indigènes lui ont appris que les tortues se trouvaient souvent sur les sentiers du village et sur les routes. Ces routes sont désormais vides ; les populations actuelles sont estimées à moins de six millions d’individus, soit une chute de 80 % au cours des 20 dernières années et la raison pour laquelle l’espèce est à présent répertoriée dans la Liste rouge.

Une évolution isolée

Madagascar est un vaste plateau entouré de plaines côtières, plus larges à l’ouest, et étroites à l’est. Une chaîne de montagnes parcourt une bonne partie de l’est de l’île, créant des zones de précipitations variées. Autrefois formé d’une grande variété d’habitats, du tempéré au tropical et des prairies à la jungle et à la brousse, le plateau est désormais en grande partie déboisé.

Avec plus de 10 000 espèces endémiques qui composent les trois quarts du biote total de Madagascar, pas étonnant que l’île soit considérée comme une zone de haute diversité. À l’heure où l’exploration scientifique semble ne pas avoir laissé la moindre parcelle de la planète inexplorée, Madagascar continue d’être le théâtre de nouvelles découvertes. En 2015, plusieurs nouvelles espèces de fourmis ainsi qu’une possible nouvelle espèce de lémurien ont été recensées. Madagascar doit sa biodiversité unique à des forces géologiques et à un emplacement providentiel. Nombre d’animaux et de plantes ont dérivé, nagé ou volé depuis l’Afrique, à quelques centaines de kilomètres de là. D’autres se sont retrouvés isolés lorsque Madagascar, autrefois le centre du super continent qu’était le Gondwana, s’est finalement détaché du sous-continent Indien, il y a près de 80 millions d’années. Ce fut la population de mammifères inhabituelle de Madagascar qui donna pour la première fois du crédit à la théorie des plaques tectoniques, les scientifiques ayant remarqué des similitudes entre les espèces présentes en Inde et en Afrique avec les lémuriens de Madagascar.

A June 2014 confiscation. Juvenile tortoises are frequently smuggled with the head and feet taped inside the shell to restrict movement to avoid detection. This restricts their ability to breathe and increases mortality in shipments. Photo courtesy of TSA
Une confiscation en juin 2014. Les jeunes sont fréquemment introduits clandestinement avec la tête et les pattes emprisonnées à l’intérieur de la carapace pour restreindre leurs mouvements afin d’éviter qu’ils ne soient détectés. Cela gêne leur respiration et augmente le taux de mortalité lors des envois. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
These tortoises were packed so tightly in this suitcase, confiscated at the airport in Antananarivo, that mortality from crushing or suffocation was inevitable. Diapers were used to suppress the smell and prevent soiling of the inside of the suitcase. Photo courtesy of TSA
Ces tortues étaient tellement tassées dans cette valise, confisquée à l’aéroport d’Antananarivo, que certaines n’ont pas pu survivre à l’écrasement ni à la suffocation. Des couches ont été utilisées pour supprimer les odeurs et ne pas salir l’intérieur de la valise. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

De par la présence de tortues à motifs étoilés en Asie et en Afrique, les chercheurs ont supposé que les tortues de Madagascar avaient un ancêtre historique commun. Des analyses ADN ont montré que les cinq chéloniens endémiques de Madagascar sont plus liés les uns aux autres qu’à n’importe quelle espèce continentale en raison de la vicariance, ou l’isolation géographique, puis de la dispersion, les tortues se répandant à travers les habitats variés de Madagascar et devenant des espèces différentes en soi, chacune de leur côté.

Les tortues malgaches présentent également une certaine sympathie. Ce n’est pas commun parmi les espèces de tortue, mais cela peut se produire lorsque des espèces omnivores occupent le même territoire que d’autres espèces au régime alimentaire plus restreint. Les différences de taille et peut-être les motifs des carapaces peuvent empêcher une hybridation. La tortue étoilée, de taille moyenne, a probablement partagé son territoire avec la tortue géante, désormais éteinte, dont d’extraordinaires fossiles sont encore trouvés dans le désert d’épineux. La disparition de ces grandes tortues, outre l’extinction de prédateurs possibles comme l’oiseau-éléphant, peut avoir contribué à l’incroyable densité d’A. radiata, allant jusqu’à 2 200 individus par kilomètre carré enregistrés en 1995. Aujourd’hui, A. radiata, plus massive avec 40,6 cm pour 15,8 kg (16 pouces pour 35 livres), est sympatrique avec la pyxide arachnoïde, Pyxis arachnoides, une toute petite espèce gravement menacée ; toutes deux partagent un territoire commun et un avenir incertain.

Les tortues qui vivent en dehors des réserves de Madagascar passent désormais leur temps à éviter les sabots dévastateurs du bétail le long des limites des clairières de charbon et des champs agricoles. Certaines sont détenues dans des enclos avec des poulets, par des villageois qui ne sont pas liés par le fady : les tortues mangent les déjections de poulets et préviennent ainsi les maladies.

La forêt d’épineux est toujours présente, mais elle est désormais fragmentée et principalement peuplée de cactus raquette (spp. Opuntia), une espèce introduite qui se répand grâce au bétail et, ironiquement, à la tortue étoilée. Glaneuse diurne, la tortue est herbivore et se nourrissait principalement, au départ, de plantes des familles des Didieraceae et des Euphorbiaceae, ainsi que de fruits et d’herbes endémiques. Désormais forcés de se rabattre de plus en plus sur les Opuntia, les chéloniens sont souvent trouvés « la gueule tachée de jus rouge et en train de se cacher derrière les plantes », affirme M. Hudson.

« Bien que les Opuntia fournissent un abri bienvenu pour les tortues, puisque les herbes endémiques disparaissent en raison de la surexploitation des pâtures, de la sécheresse et des combustions de charbon, personne ne connaît les éventuels effets à long terme si [les tortues] doivent de plus en plus se nourrir de cactus raquette », avertit M. Hudson. « Encore un élément d’un puzzle déjà complexe… Nous finançons actuellement un étudiant universitaire malgache qui est en train d’étudier la situation. » Les cinq tortues de terre et de mer endémiques de Madagascar sont désormais répertoriées sur la Liste rouge des espèces gravement menacées de l’UICN.

Un triage mondial redonne de l’espoir pour sauver les tortues

Les 200 survivantes du massacre d’octobre 2011 ont été rapidement remises par la police et les villageois à l’équipe de la TSA, qui a créé quatre centres de triage dans le sud de Madagascar pour faire face aux confiscations de tortues en réponse au braconnage et au trafic dans le pays.

Radiated Tortoises exist in close proximity to the village of Antsakoamasy, where a strong protective custom exists, known as the Dina. The TSA built a primary school here as a regional model, linking tortoise protection to community enhancement. Photo courtesy of TSA
La tortue étoilée vit à proximité du village d’Antsakoamasy, où il existe une forte coutume protectrice connue sous le nom de Dina. La TSA y a construit une école primaire et l’a érigée en modèle régional en liant la protection des tortues à l’amélioration des conditions de vie de la communauté. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Ces centres de triage n’ont pas ménagé leurs efforts pour rendre leur liberté en toute sécurité aux tortues saisies par les autorités. Malgré le triste spectacle de centaines de jeunes tortues étoilées confisquées sur les routes, dans les aéroports et dans les ports, enfermées dans des couches-culottes et empaquetées dans des valises, maintenues par du scotch à l’intérieur de leur coquille afin de les empêcher de bouger ou de faire du bruit, les équipes de triage composées de travailleurs formés localement et de scientifiques se montrent positives et optimistes.

« Nous travaillons ici parce que nous avons de l’espoir », explique Mme Castellano. « Le peuple malgache, notamment au sud, ne souhaite pas que cet animal disparaisse. Il fait partie de leur identité, de leur tradition et de l’environnement. Nous avons rencontré un soutien incroyable, et il s’agit là de l’un des piliers de notre programme de conservation. » Elle explique que le programme se focalise sur quatre points : la création de moyens de faire respecter l’ordre pour mettre fin au braconnage et protéger les populations sauvages ; un programme de réintroduction pour remettre les tortues confisquées dans la nature ; des sciences appliquées qui soutiennent la recherche universitaire informant sur le programme de réintroduction ; et enfin, une éducation sur la conservation.

« Nous avons commencé à sensibiliser l’opinion publique avant tout pour que chacun connaisse le contexte des événements », affirme Mme Castellano. « Lorsque nous nous sommes rendus au sud de Madagascar, les gens ne comprenaient pas la situation. Nous cherchons donc des moyens de communiquer avec la population à un niveau qui nous aiderait à former ces relations et à partager notre message concernant la conservation. »

En 2008, l’UICN a mené le processus de réévaluation du statut d’A. radiata. Dans cette optique, trois ateliers ont mené des experts des tortues jusqu’à Madagascar pour élaborer des solutions à la crise. Peu de temps après, le Hogle Zoo, dans l’Utah, et la TSA ont mis en place un partenariat pour commencer à construire des relations entre les communautés qui bordent l’habitat de la tortue étoilée. L’un de leurs premiers objectifs a été de faire d’A. radiata une vedette de cinéma en tournant un court film, « Tortoises in Trouble » (« Tortues en danger »), en collaboration avec The Orianne Society, les parcs nationaux de Madagascar et MOZ Images (une entreprise cinématographique sud-africaine), afin de promouvoir le rôle déterminant que les communautés devraient jouer pour garantir la survie de la tortue étoilée.

La préparation des bases sociales a constitué un élément essentiel en vue de la reconstitution des populations de tortues étoilées. « Nous sommes conscients que la clé du programme de réintroduction réside dans l’établissement de relations avec ces communautés, qui nous permettent de travailler dans leurs villages et sur leurs terres. Nous reconnaissons que sans leur aide, nous ne serions pas là. Il s’agit surtout d’un programme local dans les villages », explique Mme Castellano.

« Nous organisons des réunions à Tana [Antananarivo], la capitale, pour nous adresser à la classe politique, mais c’est dans ces communautés que les choses changeront », ajoute-t-elle. « Ce sont ces personnes qui sont affectées chaque jour par ce qu’il se passe avec l’environnement et ces animaux. Pour nous, il s’agit de leur fournir les outils, les ressources et l’aide nécessaires pour permettre ce changement. »

C’est donc ce qu’ils ont fait, en créant quatre centres de triage afin de gérer l’excès de tortues récupérées du centre de confiscation d’Ifaty, tenu par le Village des Tortues en France, en fournissant des motocyclettes aux gendarmes afin d’améliorer la sécurité et de les aider à arrêter les braconniers, en contribuant au respect du Dina dans les communautés pauvres, en construisant une nouvelle école dans le village d’Antsakoamasy, au cœur du territoire de la tortue étoilée, en soutenant les projets de recherche universitaire de trois doctorants (dont deux Malgaches), en tenant des ateliers d’élevage afin d’entraîner les habitants de la région à prendre part aux efforts de réintroduction, alors que le nombre de confiscations augmente, et en préparant les bases d’un centre de conservation des tortues (TCC) régional et polyvalent.

A Dedicated and determined group of villagers are now part of the Tortoise Patrol keeping the Radiated Tortoises safe from poaching. Photo courtesy of TSA
Un groupe de villageois dévoué et déterminé fait désormais partie de la Patrouille des tortues qui protège les tortues étoilées du braconnage. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Le TCC constitue « la prochaine grande étape et le pilier de nos efforts au nom de la tortue étoilée », explique M. Hudson. « Le TCC fournira une aide vétérinaire et un accompagnement pour les tortues du sud de Madagascar, comportera un centre d’entrainement pour des ateliers et mettra des lieux de vie à disposition des étudiants universitaires et des scientifiques en visite. »

Il n’est pas uniquement question de travail, sans la moindre distraction. Les efforts internationaux d’aide sociale ont aussi inclus, en 2015, un événement communautaire intitulé « Soccer for Sokake » (« Du football pour les Sokake »). Les ONG de conservation ont organisé un tournoi de football et un défilé, avec des noms d’équipes et des identités basés sur la nature locale, qui a rassemblé les membres du village de Lavanono, des plus jeunes aux plus âgés. Les participants ont fièrement posé avec de nouveaux T-shirts illustrés d’audacieuses tortues étoilées.

Ces efforts se révèlent payants. Les confiscations de tortues issues de trafic ont régulièrement augmenté et la prise de conscience s’est accrue dans la région. Le TCC et les quatre centres de triage situés le long de voies de trafic clés visent à utiliser les normes scientifiques de l’UICN pour implémenter la réintroduction. Les défenseurs de l’environnement et les communautés locales sont de plus en plus nombreux à vouloir relever le défi.

« Bien que nous ayons fourni une aide éducative, nous restons des scientifiques », précise Mme Castellano, qui ajoute que « lorsque vous travaillez au sein d’une culture ou d’un environnement qui a été exploité par le passé, il est difficile et très long d’instaurer des liens de confiance. Il s’agit presque du travail d’une vie. Nous accordons beaucoup d’importance à nos relations avec la communauté et les chefs des villages, qui peuvent réellement faire la différence pour cet animal », affirme-t-elle. « Ce ne seront pas nous qui la ferons, jamais. Ce seront toujours eux. Il s’agit de faire prendre conscience aux gens… de les amener à pouvoir le faire. Il s’agit de protéger une espèce, l’environnement et, à terme, leur propre mode de vie. »

« C’est une idée vraiment holistique », conclut Mme Castellano. « Le TCC représente les animaux, la forêt, les gens, et notre engagement. Nous restons ici et nous sommes optimistes pour l’avenir. Je suis persuadée que cette histoire peut connaître une fin heureuse. »

Astrochelys radiata. An adult tortoise displays the fading shell patterns that occur with age. Photo courtesy of TSA
Une tortue étoilée, Astrochelys radiata. Les motifs de la carapace d’une tortue adulte s’estompent avec son âge. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA

Citations:

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Randriamahazo, R. Hudson, C. Castellano (2012) TSA Madagascar Leads Fight to Conserve Imperiled Radiated Tortoise. Turtle Survival 2012, pp. 24-27

Randriamahazo, R. Hudson, C. Castellano (2013) Rise in Tortoise Confiscations Underscores Need for New TSA Triage Centers. Turtle Survival Journal 2013, pp. 28-30

Randriamahazo, A. Currylow, R. Hudson, C. Castellano (2014) Mobilizing TSA’s Confiscation to Reintroduction Strategy for Radiated Tortoises. Turtle Survival Journal 2014, pp. 34-37

This pile of shells, the remains of slaughtered tortoises. was discovered behind a poacher’s house in Beloha, in his pig pen. Photo courtesy of TSA
Cet amas de carapaces, les restes de tortues massacrées, a été découvert derrière la maison d’un braconnier à Beloha, dans son enclos à cochons. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
A particularly beautiful juvenile A. radiata. Trafficked tortoises that are confiscated are moved through a triage center and then returned to the wild. Photo courtesy of TSA
Une jeune A. radiata particulièrement magnifique. Les tortues victimes de trafic qui sont confisquées sont envoyées dans un centre de triage, puis relâchées dans la nature. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
Confiscated groups of juvenile tortoises require intensive care and rehabilitation, including treatment for dehydration and malnutrition. Trafficked tortoises are often kept without water or food for long periods of time prior to shipment. Photo courtesy of TSA
Des groupes confisqués de jeunes tortues nécessitent des soins intensifs, notamment un traitement contre la déshydratation et la malnutrition, et une réintroduction. Les tortues victimes de trafic sont souvent privées de nourriture et d’eau pendant un certain temps avant leur envoi. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
Ampanihy: One of four TSA-managed tortoise rescue centers that are already at capacity due to the growing number of confiscations. Photo courtesy of TSA
Ampahiny : un des quatre centres de sauvetage des tortues géré par la TSA déjà en exploitation en raison du nombre croissant de confiscations. Photo avec l’aimable autorisation de la TSA
A Radiated Tortoise traverses a barren landscape, an easy target for poachers. Photo by Frank Vassen licensed under the Creative Commons Attribution 2.0 Generic license
Une tortue étoilée se déplace sur fond de paysage malgache. Photo de Frank Vassen, agréée sous la licence générique Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0.
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