Nouvelles de l'environnement

Pour Emmylou Harris, dérèglement climatique et crise des réfugiés sont liés. Elle prête sa voix à la cause

  • Emmylou Harris était à Rome le mois dernier pour en apprendre davantage sur la crise européenne des réfugiés et rencontrer le Service jésuite des réfugiés (SJR) dans le but de l’aider à promouvoir sa « Global Education Initiative » (l’initiative mondiale pour l’éducation) qui agit dans le cadre de l’Année sainte de la miséricorde 2016 de l’Église catholique.
  • La tournée d’Emmylou Harris, intitulée « Lampedusa, Shine a Light, Call for Compassion » (« Lampedusa, éclaire de ta lumière, appelle à la compassion »), qui débutera en octobre, se rendra dans 11 villes des États-Unis pour collecter des fonds au profit du programme du SJR. L'artiste envisage une tournée européenne pour l’été 2017.
  • L’ONU ainsi qu’un nombre croissant de climatologues en sont arrivés à la conclusion que le réchauffement climatique exacerbe la crise des réfugiés en apportant sécheresses, montée des eaux, mauvaises récoltes, famine, pauvreté, instabilité civile, guerre et misère.
Emmylou Harris performs for Jesuit Refugee Service (JRS) officials at the residence of David Lane, US Ambassador to UN Agencies during her refugee fact-finding trip to Rome. Photo by Justin Catanoso
Emmylou Harris monte sur scène pour le SJR à la résidence de David Lane, ambassadeur des États-Unis auprès des agences de l’ONU, lors de son voyage pour en apprendre davantage sur a crise des réfugiés à Rome. Photo de Justin Catanoso

La star américaine Emmylou Harris s’apprête à s’attaquer à une nouvelle crise humanitaire à Rome en Italie, avec l’intention de prêter main-forte et de prêter sa voix. D’après elle, l’une des causes profondes des souffrances engendrées par la crise des réfugiés qui tourmente actuellement l’Europe n’est autre que le réchauffement climatique.

« Je sais que c’est une cause qui s’ajoute à toutes les guerres et l’instabilité civile, » me confie Emmylou Harris le 3 juin à Rome lors d’une interview exclusive pour Mongabay. « Je sais que nous avons beaucoup de climatosceptiques aux États-Unis, mais on ne peut pas nier l’évidence. »

Jack Brady, consultant pour le Service jésuite des réfugiés qui a invité Emmylou Harris à Rome, développe : « Quand on aborde la question des réfugiés en termes de sécurité [nationale], ça attire davantage l’attention. Et il se trouve que le dérèglement climatique pose des problèmes de sécurité pour beaucoup de nations. Le Bangladesh et les pays insulaires [dont le territoire s’élève peu au-dessus du niveau de la mer] sont déjà en danger. »

Un rapport de l’ONU publié récemment établit le même lien qu’Emmylou Harris : « Sécheresses, inondations et autres événements météorologiques dangereux déplacent souvent les populations et sont parfois causés ou aggravés par le changement climatique. Les impacts climatiques dont l’apparition est plus lente, comme l’élévation du niveau de la mer et la sécheresse, peuvent chasser les gens de chez eux au fil du temps. Les effets secondaires du changement climatique, tels que les conflits ou la rareté des ressources, ne sont pas si faciles à définir, mais peuvent déclencher des migrations massives. »

Weather-related displacements and migrations, 2008-2015. !4.7 million people were displaced by weather in 2015, with a record of 38.3 million set in 2010. Chart courtesy of the internal displacement monitoring centre iDMC and Norwegian Refugee Council
Les déplacements liés au climat entre 2008 et 2015 s’élevaient à 172,3 millions de personnes. Plus de 14 millions ont migré à cause du climat en 2015, et le maximum atteint 38,8 millions en 2010, une année El Niño. La moyenne annuelle est de 21,5 millions de réfugiés climatiques

Les experts en matière de crise des réfugiés ont fait le rapprochement dans les régions géopolitiquement instables du monde. Ils démontrent que si la population fuit les régions comme la Syrie et l’Afrique du Nord surtout en raison de l’instabilité civile, des États en morcellement, de la pauvreté et de la famine, ces problèmes sont quant à eux gravement exacerbés par les sécheresses dévastatrices et prolongées et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes dus aux records de chaleur dépassés chaque année.

En Inde, 330 millions de personnes sont touchées par la pénurie d’eau qui sévit actuellement et qui est dû à ce qui semble être la plus grande sécheresse jamais connue dans le pays. En Afrique, , 36 millions de personnes sont au bord de la famine. Un phénomène El Niño sans précédent – et dont les conséquences sont exacerbées par les sécheresses liées au dérèglement climatique – est à l’origine de ces deux situations dramatiques susceptibles d’engendrer de vastes migrations d’urgence.

2015 refugee displacements associated with disasters (shown in blue) and displacements due to conflict (shown in orange). While the refugee crisis in Syria is primarily due to conflict, studies have identified severe drought worsened by climate change as an underlying cause. Map couresty of the Internal Displacement Monitoring Centre (iDMC) and the Norwegian Refugee Council
Les déplacements des réfugiés de catastrophes naturelles (en bleu) et des réfugiés de guerre (en orange) en 2015. La crise des réfugiés syriens est principalement liée au conflit, mais des études ont pointé du doigt une cause sous-jacente, à savoir des sécheresses terribles et aggravées par le dérèglement climatique. Diffusion autorisée par l’IDMC et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC)

Les pays en développement ne sont pas les seuls à pâtir de tels mouvements de population. L’incendie de Fort McMurray au Canada a récemment chassé de chez eux quelque 80 000 personnes. Le lien de causalité avec le changement climatique n’a certes pas été établi, mais le feu de forêt s’est déclenché alors que la région était en proie à une chaleur inédite et des conditions de sécheresse inhabituelles. Les scientifiques annoncent une augmentation spectaculaire des feux de forêt dus au réchauffement climatique et qui seront lourds de conséquences.

Les problèmes de ce type vont crescendo partout dans le monde et engendrent un nombre croissant de réfugiés climatiques.

Une chanteuse porteuse d’espoir et inspirée par le Pape

Emmylou Harris se trouvait à Rome le mois dernier en réponse à l’appel du pape François à s’élever pour alléger les souffrances liées à la crise des réfugiés.

En novembre dernier, lors du 35e anniversaire du Service jésuite des réfugiés, le Pape a demandé l’organisation de mettre sa miséricorde en mouvement. « Ceux qui fuient leur terre natale, poussés par le désespoir de l’instabilité civile et du dérèglement climatique, ont tant perdu, » souligne le pape jésuite. « Mais s’il est une chose qu’on ne peut leur enlever, c’est leur éducation. »

Emmylou Harris as she absorbs bleak information about the refugee crisis from officials with the Jesuit Refugee Service. Photo by Justin Catanoso
Emmylou Harris écoute les responsables du SJR qui lui délivrent les informations peu réjouissantes sur la crise des réfugiés. Photo de Justin Catanoso

Le SJR a répondu en lançant la Global Education Initiative dans le cadre du Jubilé de la miséricorde 2016. Ce programme se dispose à venir en aide à des dizaines de milliers de réfugiés dans les 45 pays où l’organisation est implantée. Le souverain pontife a proposé un défi au SJR : doubler le nombre de bénéficiaires de ses projets éducatifs pour atteindre 220 000 réfugiés d’ici 2020.

« L’école est un lieu de liberté, où perdure la flamme de l’espoir, » déclarait le pape François à l’automne dernier. « Une place à l’école pour un enfant est le plus beau cadeau qui soit. »

Le pape François a également établi un lien direct entre le dérèglement climatique et ses conséquences sur les plus pauvres dans un document pontifical largement diffusé, Laudato Si, sur la sauvegarde de la maison commune, publié par le Vatican il y a près d‘un an. Le pape François a par ailleurs joué un rôle capital dans la défense de l’Accord de Paris sur le climat en décembre dernier.

« L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent, » écrivait le Pape dans sa lettre encyclique.

Emmylou Harris, légende vivante de la musique américaine et femme dont la réputation humanitaire n’est plus à faire, est arrivée à Rome le 3 juin pour y rester trois jours auprès du SJR. Elle est venue pour voir de près la crise des réfugiés, et s’est ensuite envolée vers l’Éthiopie pour y visiter l’un des plus grands camps de réfugiés au monde.

The Banner outside the Joel Nafuma Refugee Center in central Rome. The provides shelter and activities for hundreds of refugees daily. Photo by Justin Catanoso
L’affiche accrochée devant le Centre pour réfugiés Joel Nafuma au cœur de Rome, qui offre chaque jour un toit et des activités à des centaines de réfugiés. Photo de Justin Catanoso

« Comment peut-on voir autant de souffrance et trouver ça normal ? » demande la chanteuse aux treize Grammy Awards. « Ça n’est pas normal. Il nous faut de l’espoir. Il nous faut de la foi. Il nous faut faire de notre mieux. »

Il est rappelé qu’en dépit de son nom catholique et son lien avec le pape François, la mission du SJR est œcuménique et indifférente aux croyances religieuses. « Peu importe la tradition religieuse à laquelle vous appartenez, » explique Jill Drzewiecki, collectrice de fonds pour le SJR. « Il n’y a pas de mission d’évangélisation. En fait, une bonne moitié de nos bénéficiaires est musulmane. »

Une habituée des causes humanitaires

E. Harris, qui, malgré ses 69 ans rayonne toujours d’enthousiasme, de beauté et de jeunesse, est loin d’être une novice en matière de causes humanitaires. À la fin des années 1990, elle avait été invitée à se joindre à l’initiative visant l’interdiction des mines antipersonnel en Asie du Sud-est par son amie de longue date Gail Griffith, aujourd’hui à la tête de la Global Education Initiative du SJR.

« Je venais de prendre conscience du problème grâce au film et au livre [de Michael Ondaatje] Le Patient anglais, » explique Emmylou. « C’est quelque chose que les Américains… enfin ça n’est pas dans leurs préoccupations. Mais ça a touché beaucoup de monde longtemps après la guerre [du Vietnam]. Les armes ont tué et mutilé les habitants. Détruit leur vie. Des pays entiers étaient pris en otage. Mais personne ne s’en souciait parce que la guerre était finie. »

Son amie Gail se remémore : « Quand j’ai appelé Emmylou, je lui ai dit “Tu veux travailler avec moi sur les mines ?” Elle a répondu “Oui, je suis prête à tout faire.” »

Quatre ans de petits concerts intimistes aux États-Unis, au Canada et en Europe sont nés de cet échange, afin de sensibiliser le public et récolter des millions de dollars au service de la cause. Ces concerts acoustiques se déroulaient de manière intimiste dans des salles moyennes. Des musiciens comme Emmylou, Elvis Costello, Buddy Miler, John Prine et Steve Earle interprétaient des morceaux qui convenaient le mieux à l’instant, certains délivrant un message contre les mines antipersonnel. Le public a adoré.

« Je comprends le pouvoir qui va avec la célébrité, et les vertus transformatrices de la musique, » avance Gail Griffith. « Je sais aussi que ce qui pousse le public vers la salle de concert, ce n’est pas la cause, mais les artistes. Une fois qu’ils sont entrés, là on peut leur en parler. »

Et ça a marché. En vérité, quelque chose de plus grand en a découlé. Le vétéran de la guerre du Vietnam Bobby Muller, qui s’est exprimé lors de nombreux concerts, a reçu le Prix Nobel de la paix en 1997 pour son travail sur le sujet. Emmylou Harris avait été invitée à chanter lors de la cérémonie de remise de prix à Oslo l’année suivante.

« Shine a light, call for compassion »

Emmylou et Gail ont la profonde conviction que les plus fortunés des pays développés ont en eux une compassion inexploitée. Elles prévoient donc de reproduire l’expérience de la tournée contre les mines antipersonnel, avec une série de concerts d’Emmylou en faveur des réfugiés européens intitulée « Lampedusa, Shine a Light, Call for Compassion ».

JRS official Jill Drzewiecki shows Emmylou Harris a xenophobic poster seen around Rome. Photo by Justin Catanoso
La responsable du SJR, Jill Drzewiecki, montre à Emmylou Harris une affiche xénophobe vue à Rome. Photo de Justin Catanoso

Des salles dans 11 villes américaines ont été réservées pour octobre. La tournée débutera le 6 octobre à Boulder dans le Colorado et s’achèvera à Washington DC trois semaines plus tard. Chaque concert récoltera des fonds pour le programme éducatif du SJR. Une tournée européenne pour l’été 2017 est en discussion. Bono, chanteur de U2 et philanthrope notoire, s’est vu demander de préparer une vidéo informative de deux minutes à diffuser en ouverture des spectacles.

Le 3 juin à Rome, Emmylou Harris a commencé à en apprendre davantage sur la crise des réfugiés qui va crescendo en Europe. « Là, j’apprends seulement les détails et les subtilités de la crise, » m’explique Emmylou à l’heure du petit-déjeuner. « Les gens du SJR, eux, sont en plein dedans. Pour moi… je vais juste me pointer et faire ce que je sais faire. En espérant que ça fasse une différence. »

Le timing est bon. Il y a quelques semaines, 700 réfugiés ont péri en Méditerranée dans des bateaux pleins à craquer. Le 2 juin, 85 corps supplémentaires ont été retrouvés échoués sur les côtes de Libye. Cet été, plusieurs milliers de réfugiés devraient arriver en Grèce et en Italie. Un million de réfugiés et de migrants sont déjà arrivés dans les 28 pays de l’Union européenne.

Ces chiffres sont impressionnants, mais ils pourraient ne représenter que les prémices d’une marée humaine. Jeffrey D. Sachs est l’auteur d’une étude publiée dans le magazine Scientific American. Il conclut que « Le changement climatique et hydrologique engendré par l’activité humaine est susceptible de rendre certaines régions du monde inhabitables, ou du moins inexploitables. Au cours des prochaines décennies, si ce n’est plus tôt, des centaines de millions de personnes pourront être amenées à s’établir ailleurs en raison de pressions environnementales. »

Une étude faite en 2016 révèle que le dérèglement climatique pourrait rendre certaines régions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient inhabitables d’ici la fin du siècle en raison de températures insoutenables. 500 millions d’habitants sont aujourd’hui concernés.

Long time friends Gail Griffith and Emmylou Harris checking out jewelry made by refugees. Photo by Justin Catanoso
Les deux amies de longue date regardent des bijoux fabriqués par les réfugiés. Photo de Justin Catanoso

Croire en la bonté humaine

Emmylou a prêté oreille, bouche bée, le visage entre les mains, aux responsables du SJR qui l’informaient sur les chiffres des réfugiés et les règlementations dépassées de l’ONU qui entravent une réponse adéquate. Elle s’est rendue au Centre pour réfugiés Joel Nafuma situé près de la Place de la République à Rome, où elle a discuté avec des réfugiés désespérés qui avaient fui l’Afrique et le Moyen-Orient. Elle a notamment entendu l’histoire terrible d’un réfugié malien, orphelin de 25 ans et polyglotte, empêtré dans un embrouillamini juridique à Rome depuis quatre ans.

Tout le long de son séjour, Emmylou s’est raccrochée à l’espoir. Elle croit que la musique a le pouvoir de changer les choses, d’aider, même un peu, le Pape dans son aspiration à alléger les souffrances des réfugiés.

« Je crois en la bonté humaine. C’est peut-être parce que ma vie a été bénie, » me confie Emmylou. « Je me trouve chanceuse de bien des façons. En particulier en tant que musicienne, en tant qu’artiste, qui arrive à en vivre, ce qui est la meilleure façon de vivre, car elle rend incroyablement heureux. À un moment j’ai envie de rendre ce bonheur. »

« Je retrouve [cette qualité] chez tous les artistes, tous les musiciens que je connais, » ajoute-t-elle. « Ils disent tous “Dis-moi ce que je peux faire pour aider”. C’est sûr, je ne suis pas capable de faire le plus dur et le plus gros du travail que les gens que je rencontre [ici, à Rome] font. On n’a pas l’expérience. Mais on va faire ces spectacles. On va récolter des fonds et sensibiliser le public, et on va essayer d’apporter notre pierre à l’édifice. »

De retour à l’église qui héberge le centre pour les réfugiés, notre petit groupe a pu savourer un déjeuner préparé par un réfugié afghan dont la famille a été assassinée avant qu’il n’embarque pour Rome.

Emmylou Harris a assimilé beaucoup d’informations en à peine quelques heures. Certains auraient trouvé que c’était trop d’un coup, trop décourageant. Pas elle.

« L’envie d’accomplir quelque chose est une grande force, » explique-t-elle. « Pour moi, la volonté existe, quelque part. Tout ça est bouleversant, mais pas insurmontable. »

Justin Catanoso est professeur de journalisme à l’université de Wake Forest en Caroline du Nord (États-Unis), et journaliste indépendant installé en Europe pour le printemps. Il écrit régulièrement des articles pour Mongabay.

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