Nouvelles de l'environnement

En pleine frénésie de braconnage des rhinocéros, s’annonce une période sombre pour la société sud-africaine





A white rhinoceros rests in Kruger National Park, South Africa, the epicenter of a spate of rhino poaching. Photo credit: Rhett A. Butler.Un rhinocéros blanc se repose au parc national de Kruger en Afrique du Sud, épicentre d’une vague de braconnage de rhinocéros. Photo prise par : Rhett A. Butler.



Deux rhinocéros adultes et leur petit sont allongés sous un arbre à 50 mètres de la route. Belle image pour moi dans la chaleur de midi du parc national de Kruger en Afrique du Sud –ma deuxième observation de rhinocéros en deux jours. A l’est de l’horizon, derrière leurs formes endormies, se profile une ligne couleur bleu sombre ; les montagnes de Lembobo marquent la frontière entre l’Afrique du Sud et le Mozambique. Ces collines mortelles produisent des gangs de braconnage en provenance des villages du Mozambique a un rythme tellement rapide que les équipes anti-braconnage de rhinocéros de Kruger ont du mal a réagir a temps pour les arrêter. Les gangs se composent de mozambicains pauvres, attendant leur tour pour une part de l’argent provenant du commerce de la corne de rhinocéros. Cette masse d’argent est déversée par les syndicats internationaux établis essentiellement au Vietnam et en Chine. Encore plus de braconniers sont probablement en train de se mobiliser pour les incursions planifiées pour ce soir. Mais les ennemis des rhinocéros ne viennent pas seulement de l’Est. Il y en a tout autant qui arrivent des cantons sud-africains sur la frontière ouest de Kruger. SAN Parks, l’agence des parcs nationaux de sud-africains, estime que 15 équipes de braconnage de rhinocéros opèrent à Kruger tous les soirs. Il y a eu une nuit de pleine lune ou le braconnage a été intense. Les collines de Lembobo sont aux aguets.

A chaque fois qu’une mouche vole autour d’eux, les rhinocéros secouent les oreilles. La femelle adulte se lève. La silhouette de sa corne se profile sur la toile de fonds de la brume couleur paille. Elle s’éloigne, se tournant en faisant des allers retours, tel un chien avant d’uriner. Le flot jaillit un long moment. Puis elle revient à pas lents vers l’ombre et s’affale dans la poussière, mais son repos est agité.

Tandis que je l’observe, une douzaine de voitures s’arrêtent afin de voir ce que je regarde. C’est un mélange d’Afrikaners, de noirs, d’étrangers, d’asiatiques, de jeunes et de vieux, dans des véhicules bon marché ou des voitures couteuses. Certains s’attardent, mais il y a peu à voir. On voit seulement les oreilles des rhinocéros qui s’agitent. J’observe quelques voitures avec soupçon. Après une demie heure d’attente, j’obtiens enfin ma séance photo – les trois rhinocéros sont debout et commencent à paître. Clic, clic, clic, fait mon appareil photo. Le male s’avance et semble regarder les trois voitures, y compris la mienne ; on entend une fois encore un clic, mais je sais qu’il est trop aveugle pour nous voir. Puis il s’éloigne. Un dernier clic vers les montagnes de Lembobo et ils s’évanouissent ensemble dans la brousse.

J’ai observé au moins 20 personnes s’arrêter afin de regarder et faire des photos. C’est tout à fait normal de voir des rhinocéros ici parce que le parc Kruger abrite la plus grande population de rhinocéros blancs du Sud au monde –entre 8 400 et 9 600 individus, d’après un recensement SANParks datant de 2013. Les rhinocéros blancs du Sud (Ceratotherium simum simum) sont les seuls rhinocéros qui n’ont pas le statut d’espèce menacée selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Ils sont « quasi menacés ». Mais si l’une de ces 20 personnes s’avérait être un observateur pour le compte d’un syndicat du commerce de la corne de rhinocéros, tous les rhinocéros faisant partie de ce petit groupe pourraient se retrouver sans vie le lendemain.

L’Afrique du Sud est dans l’œil d’un cyclone mondial de braconnage de rhinocéros, avec un taux de 393 animaux abattus au cours du premier trimestre de l’année 2015 –ce qui représente une hausse de 18 pour cent comparé à 2014. Le parc Kruger se situe au cœur de la tempête, car les braconniers y ont abattu 290 animaux entre janvier et avril de cette année. La situation a tellement empiré que les groupes de conservation se sont mis à déplacer les rhinocéros hors du pays vers des refuges plus sûrs au Botswana.

Rhinos mingle with other wildlife in Kruger National Park. Photo credit: Mic Smith.
Les rhinocéros se mêlent à d’autres animaux sauvages dans le parc national de Kruger. Photo prise par : Mic Smith.


La crise de braconnage est alimentée par la demande en provenance de la Chine et dans une plus grande mesure du Vietnam. La corne de rhinocéros était un ancien remède de la médecine traditionnelle chinoise. Elle avait prétendument quelque propriété curative permettant de réduire la fièvre et de traiter l’empoisonnement, mais moins que les propriétés d’autres plantes médicinales. Cependant, sa rareté était très appréciée, donc le manque en termes d’efficacité de la corne de rhinocéros était compensé par son côté mythique. De nos jours, grâce aux médias, à Internet, aux nouvelles richesses et a l’explosion démographique au Vietnam et en Chine, les applications médicinales de la corne de rhinocéros sont bien plus diversifiées et moins testées que sous l’ancien système traditionnel. Parmi toutes les applications en usage au Vietnam au cours des 10 dernières années –traitement pour gueule de bois, impuissance, élixir de santé général, cadeau ou bien symbole de statut social –l’application qui paraît avoir le plus suscité un accroissement de la demande était celle de remède contre le cancer.

Les chances pour qu’un patient cancéreux reçoive un traitement qui lui sauve la vie dans un pays en voie de développement comme le Vietnam sont à peu près les mêmes que d’obtenir la priorité sur un rond-point de Saigon. C’est-à-dire fort minimes. De ce fait, les vendeurs d’huile de serpent ont inventé le remède du cancer ayant pour ingrédient de base la corne de rhinocéros. Une rumeur infondée selon laquelle un homme politique de Hanoï avait soigné ses tumeurs grâce à l’application de la corne de rhinocéros s’était propagée telle une trainée de poudre. En 2011, je me suis rendu au plus grand hôpital pour traitement de cancéreux de la ville de Ho Chi Min et j’ai pu y constater les tentatives hasardeuses et désespérées auxquelles se livraient les personnes souffrant d’un cancer. Les habitants des villages ruraux qui n’avaient même pas assez d’argent pour acheter un crayon à leurs enfants pour écrire à l’école étaient en train de verser près de 200 dollars aux vendeurs de corne de rhinocéros en échange d’un petit cube de celle-ci. Ce montant représentait plus d’argent qu’ils n’en pouvaient gagner en un an. Souvent, ce n’était même pas de la vraie corne de rhinocéros.

Le prix de la corne de rhinocéros au Vietnam se situe quelque part entre 25 000 et 45 000 dollars le kilogramme et quelquefois il peut atteindre le montant souvent cité de 65 000 dollars, selon Annette Hübschle Finch, chercheure en marchés illicites et en crime organisé transnational à l’Université du Cap, en Afrique du Sud. Elle a produit ces chiffres après avoir eu des entretiens en 2013 avec des consommateurs de corne de rhinocéros, des médecins et des commerçants au Vietnam, ainsi que des contrebandiers asiatiques et des intermédiaires en Afrique du Sud et au Mozambique. Le prix de la corne de rhinocéros qui reste assez vague, est peut-être bien selon toute mesure élevé –suffisamment élevé pour susciter un commerce international au marché noir florissant où tous les coups sont permis.

The wall of a hunting outfitter's lodge in Nelspruit, just outside Kruger National Park. Photo credit: Mic Smith.
Mur d’un gite de pourvoyeur de chasse à Nelspruit, non loin du Parc National de Kruger. Photo prise par : Mic Smith.


Les syndicats ne voient pas le braconnage comme l’unique source de corne de rhinocéros. Depuis des siècles, les chasseurs de trophée ont décimé des populations entières de rhinocéros à travers l’Afrique. Des milliers de trophées sont accrochés à des murs aux Etats-Unis et en Europe, et, ces dernières années, les cornes de rhinocéros se trouvant dans les musées, les maisons de ventes aux enchères, chez les antiquaires ou dans les ateliers de taxidermistes sont devenues la cible de groupes criminels organisés.

Une autre manière pour les syndicats au Vietnam et en Chine d’obtenir la corne de rhinocéros est à travers l’organisation de « pseudo-chasses ». Ces pratiques ont commencé aux environs de 2003 lorsqu’ un vietnamien qui n’avait jamais chassé auparavant a payé un supplément afin qu’un pourvoyeur de chasse sud-africain organise une chasse aux trophées de rhinocéros, comme à l’habitude, et aussi pour que ce pourvoyeur aide à tuer les rhinocéros, ce qui n’est incontestablement pas l’habitude. Les chasseurs professionnels ont compris que les Vietnamiens pouvaient occasionner de bonnes affaires et ont commencé à imposer leurs services. Les voyages d’affaires « pseudo-chasse » avaient l’apparence de la légalité mais étaient louches à plusieurs égards, en particulier du fait qu’il est illégal de revendre des trophées ou des cornes, ce que les vietnamiens étaient clairement en train de faire. Au moment où les sud-africains ont arrêté de remettre des permis de chasse aux Vietnamiens, il était déjà trop tard. La fièvre de l’argent provenant du commerce de la corne de rhinocéros s’était emparée des gens, déclenchant l’une des pires crises de braconnage jamais vue en Afrique du Sud. Les statistiques concernant le braconnage ont enregistré une hausse constante, passant de 83 rhinocéros en 2008 à 1 215 en 2014.

Climat de suspicion

Quelques heures après l’observation du rhinocéros, j’ai rencontré un anti-braconnier dans le café d’un hôtel devant la porte principale Sukuza du Parc National de Kruger. C’est un homme dans la quarantaine, ayant passé la majorité de sa vie à travailler dans des réserves sauvages africaines, mais cela fait cinq ans qu’il travaille à la protection exclusive des rhinocéros. Il ne veut être ni identifié par son nom ni photographié, mais n’en donne pas la raison. J’ai l’habitude de cela. Beaucoup de sources ne veulent pas être identifiées. Quelques uns s’expliquent en disant : « Je travaille sous le couvert de l’anonymat », ou bien « j’ai une famille ». D’autres disent : « Je perdrai mon emploi. C’est comme ça que ces gens-là opèrent ».

J’ai expliqué à l’anti-braconnier que le responsable d’un autre parc national sud-africain m’avait dit n’avoir confiance qu’en 50 pour cent de son personnel. L’anti-braconnier m’a répondu sèchement avoir confiance en zéro pour cent des hommes avec lesquels il travaille. Un collègue proche dans le domaine de l’anti-braconnage a détruit toute la confiance qu’il avait gagnée au sein de son propre secteur en travaillant au noir comme braconnier de rhinocéros. « J’ignore encore s’il était poussé par l’appât du gain ou manipulé [par les syndicats], » dit-il. Depuis lors, mieux ils se portent et travaillent dur, moins il leur fait confiance.

Si vous travaillez pour la protection des rhinocéros, trahir votre position ne doit pas impliquer une chose aussi extrême que d’appuyer sur la détente. Les gens abusent secrètement de leurs responsabilités d’une autre manière, fit remarquer l’anti-braconnier. « Il y a une énorme fuite de renseignements provenant de l’intérieur même des parcs [à l’intention des syndicats], que ce soit des réserves de chasse privées, du parc Kruger ou quoi que ce soit. C’est énorme. Ils ne peuvent pas s’en tirer sans ces indics – sources d’information interne. Que ce soit des gens qui travaillent à l’intérieur ou bien ceux qui roulent aux alentours des sites. C’est énorme… Ils sont en train de perdre entre trois et quatre rhinocéros par jour au parc national de Kruger, me dit-il. Les activités de braconnage ont doublé dans le parc cette semaine. « C’est une question de tactique. Ils y envoient cinq équipes et voient ce qu’ils peuvent en tirer, » indique l’anti-braconnier.

« Tout autant qu’il existe des informateurs à l’extérieur [au sein des syndicats], il en existe aussi dans nos propres rangs, m’a indiqué un homme travaillant pour SANParks et qui ne voulait pas être identifié. Il savait que le personnel des parcs nationaux avait été abordé par des membres des syndicats. « Je vous garantis que 90 pour cent du temps, il s’agit d’informations provenant de l’intérieur… Nous sommes persuadés que cette corruption a atteint le niveau des échelons les plus élevés. »

Les organisateurs de braconnage se mettent en contact avec les personnes qui travaillent à l’intérieur d’un parc. Ils donnent des téléphones portables au personnel des parcs nationaux, depuis les gardes forestiers, aux anti-braconniers, jusqu’au personnel des cuisines, en leur disant :« Si vous obtenez des informations au sujet des rhinocéros, vous n’avez qu’à nous envoyer un SMS et nous vous donnerons plus d’argent que vous n’en gagnez en un mois. Selon la rumeur, les tarifs pour l’obtention d’informations varient entre 1 000 (82 dollars) et 10 000 rands (825 dollars). C’est une bonne affaire si l’on considère que le tarif en vigueur est de 10 000 dollars pour une équipe de trois braconniers pour une corne de rhinocéros.

« Il y aura toujours des membres de la communauté pour se tourner vers le marché noir pour gagner un peu d’argent », commente l’anti-braconnier.

A mother rhinoceros and her calf in Supingstad, South Africa. Photo credit: Ryan Kilpatrick.
Une mère rhinocéros et son petit à Supingstad en Afrique du Sud. Photo prise par : Ryan Kilpatrick.


Avant de venir à Kruger, je me suis rendu dans la Province du Cap Oriental, soit 1 500 kilomètres (930 milles) au sud. Pendant 10 jours j’ai discuté avec les parties intéressées du phénomène de la progressive transformation de la province, passant du statut de sanctuaire contre le braconnage des rhinocéros en point chaud du braconnage. Beaucoup de propriétaires de rhinocéros ont soupçonné la participation de gens de l’intérieur dans les opérations de braconnage et se montraient ainsi réticents à partager des informations avec quiconque.

Un propriétaire de réserve qui ne voulait pas être identifié s’est montré à la fois terrifié et dégoûté par les syndicats. Un membre d’un syndicat l’avait appelé et il s’était senti l’objet d’une tentative d’intimidation. Quand je l’ai appelé, il semblait au bord de la paranoïa. « Vous êtes stupide si vous pensez que je vais vous parler au téléphone. Qui êtes-vous ? Je ne sais pas qui vous êtes », aboyait-il.

Il avait été appelé plusieurs fois par un membre de syndicat vietnamien, qui lui avait impudemment demandé de lui fournir de la corne de rhinocéros. Le propriétaire de rhinocéros a dit que tous les autres fournisseurs avaient été pareillement contactés mais ne l’avoueraient pas. Il avait repéré le vietnamien dans des cafés. Il savait qui était ce vietnamien, et tous les autres le savaient aussi, a-t-il remarqué. Au début, il s’était vraiment passionné à l’idée de coopérer avec la police et à la perspective de coincer cet homme, mais cela avait été une perte de temps et il ne s’intéressait plus, ni ne voulait plus rien savoir au sujet des rhinocéros.

« Personne ne m’a rien dit de ceci, » ai-je dit.

« C’est juste qu’on s’expose inutilement au danger. Ca n’en vaut pas la peine. Est-ce qu’on vous a raconté la version à l’eau de rose de l’histoire? »

« Oui, c’est la seule version que j’ai eue. »

« Alors, on ne vous a rien dit. On a dit à tout le monde : « Ne vous mêlez pas de cela… Les auteurs de ces actes n’ont aucun scrupule… Il y a des gens qui se font assassiner… C’est hautement organisé. Cela va continuer et personne ne peut y mettre un terme. »

Après cet appel, je me suis senti comme cloué au pilori et bombardé de tomates pourries. J’ai réfléchi sur les entretiens que j’avais eus dans la Province du Cap Oriental. Cet homme avait raison. Il y avait beaucoup de choses que les gens ne me raconteraient pas. J’avais posé des questions comme : Savez-vous qui étaient ces braconniers ? Savez-vous qui les a payés ? Ou bien Qui mène l’enquête ? Ou alors : Comment avance l’enquête ? Ou bien encore, Où se trouvent les Vietnamiens ? Leurs réponses étaient insatisfaisantes, et je l’ai ressenti. S’agissait-il d’une question de diplomatie, de peur, de manipulation, ou de futilité ? J’aurais dû insister plus fortement..

Le lendemain de ma discussion avec l’anti-braconnier, j’ai visité la ville de White River près de Kruger. Jan Sutherland m’a reçu sur le parking devant son bureau qui fait partie de la South African Hunters and Game Conservation Association [l’Association sud-africaine des chasseurs et de la conservation du gibier]. C’était l’heure de la pause déjeuner et il faisait chaud. Sutherland s’est montré amical et franc. Habillé en vêtements de travail, il avait les ongles sales ainsi que les bottes. Nous avons discuté dans la cafétéria poussiéreuse des bâtiments de l’Association. Il a indiqué que les chasseurs contribuaient beaucoup à la conservation des rhinocéros car les parties de chasse confèrent une valeur monétaire au rhinocéros. C’est grâce aux chasseurs que les agriculteurs ont commencé à élever des animaux sauvages au lieu de les abattre. Il y a une ou deux brebis galeuse dans la communauté des chasseurs mais « les chasseurs sont très unis » et ils « éliminent les brebis galeuses autant que possible » me dit-il. Sutherland n’a pas cité de noms ni de lieux mais il connaissait l’existence de chasseurs professionnels ou de pourvoyeurs de chasse ayant été contactés par des syndicats. Il fit remarquer que ça arrivait aussi aux vétérinaires spécialistes de la faune.

Les épines et les roses

Les risques moraux pour quiconque ayant des responsabilités liées à la conservation des rhinocéros sont réels. La criminalité liée aux rhinocéros est réputée pour rapporter gros et c’est très tentant. Aux ventes aux enchères légales d’espèces sauvages qui ont lieu en Afrique du Sud, un rhinocéros vivant est vendu par un éleveur ou une réserve pour la somme d’environ 30 000 dollars. Si on le tuait pour sa corne, ce même rhinocéros vaudrait peut-être 10 fois plus – soit 300 000 dollars. Les hommes et les femmes honnêtes peuvent ainsi être tentés de se tourner vers le marché noir, en particulier s’ils ont des problèmes financiers. Et si l’on ajoute à cela que les équipes anti-braconnage reviennent très chères, beaucoup de réserves de faune ne veulent pas avoir à payer pour assurer la garde des rhinocéros.

Des semaines avant d’aller à Kruger, lors de ma tournée de la Province du Cap Oriental, j’ai rencontré Jacques Matthysen, connu sous le nom de Matt. C’est le garde forestier responsable adjoint à la Kariega Private Game Reserve [Réserve de faune privée de Kariega]. Un groupe de braconniers avait mutilé trois rhinocéros à Kariega en 2012. Un seul a survécu à l’attaque, une femelle dénommée Thandi. Elle avait de multiples blessures à la tête –environ 50 – infligées par les braconniers avec une machette en lui coupant la corne, après lui avoir administré par fléchette des tranquillisants vétérinaires.

Jacques Matthysen, a ranger at Kariega Private Game Reserve in Eastern Cape province, gives the author a tour of the reserve. In 2012, poachers brutally hacked the horns off three living rhinos at Kariega. Only one survived. Photo credit: Mic Smith.
Jacques Matthysen, garde forestier à la Kariega Private Game Reserve [Réserve de faune privée de Kariega] accompagne l’auteur pour une visite guidée de la Réserve. En 2012, des braconniers ont brutalement tranché les cornes de trois rhinocéros vivants à Kariega. Un seul a survécu. Photo prise par : Mic Smith.


L’usage d’armes à fléchettes munies de tranquillisants au cours des attaques de braconniers est plus répandu dans la Province du Cap Oriental qu’à Kruger. C’est une question de tactique plutôt que d’éthique. Le tir d’une fléchette est silencieux, ainsi, les anti-braconniers travaillant dans les réserves, qui sont beaucoup plus petites que le parc Kruger, lequel s’étend sur une surface de près de 20 000 kilomètres carrés (7 700 milles carrés), n’entendront pas les détonations des fusils. Une autre raison est qu’un braconnier muni d’une fléchette contenant une triple dose d’un puissant opioïde tel que l’Etorphine (également connu sous le nom de M99) n’a pas besoin de bien ajuster son tir. Il suffit qu’il touche le rhinocéros quelque part pour que l’animal vacille et s’écroule. L’anti-braconnier qui travaillait près de Kruger a remarqué que les braconniers qui utilisent des fusils de chasse ne réussissent qu’à blesser un tiers de leurs cibles, ce qui leur permet de s’enfuir. Il a dit que le fait que beaucoup de rhinocéros sauvages portent des blessures par balle est le résultat implicite de la crise du braconnage. Il a aussi indiqué que, bien que beaucoup de braconniers utilisent un silencieux « ils ne sont pas de même nature que ceux utilisés au cinéma. Le son voyage une distance de deux à trois kilomètres en fonction du vent. » Et il a ajouté que pour appliquer un silencieux à un fusil, il faudrait enlever le viseur, affaiblissant ainsi considérablement le degré de précision.

Matthysen, qui avait travaillé avec Thandi pendant plus de huit ans, aimait le rhinocéros « comme un membre de la famille » et avait été le témoin de son rétablissement. Il se montrait sceptique quant au fait de faire confiance à quiconque. Il avait cette expression pour décrire ceux qui font commerce de la faune : « Les épines et les roses ». Etant un homme de cœur, il m’a consacré beaucoup de son temps. Mais il semblait faire très attention à ce qu’il disait. Nous avions parlé pendant toute une matinée lors d’une visite guidée personnelle dans une Land Cruiser décapotable, mais il n’avait fait aucun commentaire sur ses soupçons au sujet des responsables de cet acte.

Vidéo : Trois ans plus tard : une journaliste relate la scène du braconnage des rhinocéros

Journaliste chevronnée de la télévision sud-africaine, Sandy McCowan décrit l’impact émotionnel du reportage sur le triple braconnage de rhinocéros à la Kariega Private Game Reserve [Réserve de faune privée de Kariega] dans la province du Cap Oriental. Vidéo filmée par : Mic Smith.

Au lieu de cela, il a résumé ses frustrations. « La semaine dernière, un policier s’est fait arrêter avec une corne de rhinocéros dans le coffre de sa voiture et a été libéré contre la somme de 500 dollars. Ils sont censés protéger notre patrimoine. » Il est possible que vous puissiez avoir confiance en quelqu’un mais comment savoir si l’on peut avoir confiance en un individu à un niveau supérieur de la hiérarchie ? « Les épines et les roses. Il est difficile de savoir en qui on peut avoir confiance. Ainsi, la Réserve s’appuie principalement sur sa propre Agence de protection, » me dit-il. Toute information sur les rhinocéros de Kariega était confidentielle. Ainsi, on ne m’avait même pas communiqué des informations basiques telles que le nombre de rhinocéros vivant dans la Réserve. Il en allait de même pour tous les visiteurs.

Dale Howarth parlait anglais au téléphone avec un accent britannique très prononcé. Je l’avais appelé après avoir quitté Kariega car sa réserve, Pumba, dans la Province du Cap Oriental, avait perdu six rhinocéros d’élevage à cause du braconnage l’année dernière. Il a raconté que ses propres employés avaient fourni aux braconniers des informations confidentielles au sujet des opérations de la réserve et de l’endroit où se trouvaient les rhinocéros.

« Mon garde forestier en chef et deux gardes d’un échelon supérieur ont échoué lamentablement à leur soumission au détecteur de mensonges, » dit-il. Suite à cela, il avait démantelé la totalité de son équipe anti-braconnage et l’avait remplacée par une équipe en qui il avait confiance « à 100 pour cent. » L’attaque avait porté atteinte à la réputation de sa réserve, ainsi qu’aux animaux reproducteurs. « Les trois premiers [rhinocéros] avaient été découverts lors d’une séance d’observation matinale. Ce n’est pas le genre de spectacle auquel s’attendent les visiteurs. C’était horrible, horrible, horrible, » m’a-t-il expliqué.

Howarth a indiqué avoir une entière confiance envers les policiers d’investigation, une nouvelle unité d’élite de province dont la mission consiste à enquêter sur les crimes contre les rhinocéros. L’équipe est composée de cinq officiers des Hawks, comme on surnomme la direction d’investigation criminelle de la police sud-africaine (Directorate for Primary Crime Investigation of the South African Police (SAPS). Avant la nomination de ces cinq officiers, un haut responsable des Hawks s’était opposé a des enquêtes sur plus de 50 cas de braconnage de rhinocéros au Cap Oriental. Il avait été licencié et remplacé par cette nouvelle unité spéciale, dont Howarth ainsi que d’autres propriétaires privés se portaient garants.

Quelques jours après avoir parlé à Howarth, un autre propriétaire de réserve non loin de Pumba a fait une découverte macabre dans une zone reculée de sa propriété. Trois des rhinocéros appartenant à Elvin Krull avaient été abattus à l’aide de fusils à gros calibre, et leurs cornes avaient été tranchées à la hache. Le triste hasard a voulu que ce soit le quatre-vingtième anniversaire de Krull. Elvin Krull était l’un des nombreux éleveurs de bétail au Cap Oriental à prendre conscience des avantages à élever des animaux sauvages. Il a transformé sa vaste propriété d’élevage, appelé Tyityaba, en réserve prospère de gibier de chasse. Onze jours après ce terrible incident, il a encore trouvé trois autres rhinocéros abattus, la face gravement mutilée, et les cornes arrachées.« Ce n’est pas agréable de voir des pachydermes comme ceux-ci gisant sans vie, la face mutilée, » m’a-t-il dit quand j’e l’ai appelé après le deuxième incident.

A en juger par la manière dont les rhinocéros ont été traqués et la position des balles qui les ont tués, l’acte a été commis par un chasseur professionnel qui connaissait la réserve, m’a dit Krull.

Div de Villiers, directeur principal chargé de la conformité et la mise en application des procédures au Département du Développement Economique, des Affaires Environnementales et du Tourisme de la Province du Cap Oriental –également connu sous le nom de Conservation de la Nature –a enquêté sur les deux incidents de Tyityaba. De Villiers a indiqué que la situation du braconnage de rhinocéros au Cap Oriental était « très tendue » et que « toute information devait être partagée avec la plus grande précaution. »

Juan de Beer est directeur du Groupe d’Investigation au Département de la Conservation de la Nature dans la Province de Mpumalanga. Il a qualifié les braconniers de rhinocéros comme «très actifs », ajoutant qu’ils ne le laissaient pas fermer l’œil. Il m’a rencontré au bureau provincial de la Conservation de la Nature, en périphérie de la capitale de la province, Nelspruit, tout près de Kruger en voiture. De Beer n’a pas voulu être photographié en raison de ses fonctions d’infiltré, mais il a accepté d’être cité.

Il mène des enquêtes aux niveaux 1 et 2 des syndicats de la corne de rhinocéros : les braconniers se trouvent au niveau 1 tandis que les acheteurs et ceux qui coordonnent les opérations des braconniers sont au niveau 2. A Mpumalanga son Unité a fait arrêter des gens du niveau 1 jusqu’au niveau 4, soit les intermédiaires directement liés aux caids des syndicats en Asie. Ces affaires sont actuellement portées en cour de justice.

Lorsque je l’avais appelé de Kruger afin de fixer ce rendez-vous il y a deux jours, dee Beer était sur le lieu d’un double braconnage de rhinocéros sur une des réserves les plus luxuriantes d’Afrique du Sud, Sabi Sands, sur la frontière ouest de Kruger.
« Les zones qui jouxtent Kruger sont des sites ou le braconnage est tout aussi actif qu’a Kruger même. Ils attaquent de tous les côtés, » a-t-il commenté au téléphone. Il n’a rien voulu me dire au sujet de ses enquêtes, mais j’ai obtenu plus de détails grâce à une source anonyme.


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Un rhinocéros tué par les braconniers pour sa corne dans la province du Cap Oriental. Photo prise par : de Villiers/ Département du Développement Economique, des Affaires Environnementales et du Tourisme de la Province du Cap Oriental.

Les braconniers de Sabi Sands étaient bien organisés. Le trio – tireur, abatteur à la machette et guetteur – avait franchi la barrière de sécurité à travers un trou du côté sud-africain, abattu un couple de rhinocéros et arraché leurs cornes. Une fois à l’extérieur de la réserve, ils ont du être rejoints par un chauffeur à un point pré-établi et conduits dans une maison sûre pour les braconniers dans une des centaines de villes noires se trouvant le long de la frontière ouest de Kruger. Ils y sont restés jusqu’à ce qu’il soit possible de livrer les cornes de rhinocéros et le fusil de chasse en toute sécurité au coordinateur/acheteur (niveau 2 du syndicat). L’acheteur est probablement basé au Mozambique car l’application de la loi est bien plus « brûlante» en Afrique du Sud. Mais il pourrait tout aussi se trouver dans l’une des villes sud-africaines le long de la frontière ouest de Kruger, m’a expliqué ma source.

Il est presque 17h et de Beer est assis en face de moi derrière une table de salle de réunion immense. Il me dit que je peux tout lui demander mais qu’il se réservait le droit de répondre ou non. Sa réponse « sans commentaire » a caractérisé une grande partie de notre entretien. Les enquêtes sur le braconnage des rhinocéros sont de plus en plus de nature judiciaire, mais l’enquêteur de la Conservation de la Nature de Mpumalanga ne peut dévoiler ses méthodes d’investigation. Il me dit cependant qu’à la réserve de Sabi Sands, les balles des braconniers ont traversé les corps des animaux, ne laissant aucune preuve balistique. Avoir des preuves pour pouvoir condamner est essentiel ; sans preuve, il n’existe aucune possibilité de recours en justice, même si l’on connait les coupables, comme c’est souvent le cas. Dans le meilleur des cas, les sections criminelles peuvent accéder à la balistique, aux empreintes digitales, à l’ADN, à la technologie d’analyse des portables – des outils sans lesquels se déroulent bon nombre d’enquêtes pour meurtre. (Selon un rapport de SAPS pour l’année 2013/14, il y a eu 47 meurtres et 47 tentatives de meurtre chaque jour en Afrique du Sud). Pourtant, de Beer ne me semble pas être un homme à jouir de beaucoup de journées idéales. La devise est « Bienvenue en Afrique ! » Il me raconte qu’il soupçonne l’existence de liens entre les syndicats de rhinocéros et les grands syndicats de trafic d’or, de diamants et de drogue, en plus des gangs de contrebande d’armes et de vol de véhicules.

De Beer ne peut pas me parler bien longtemps car il est bientôt l’heure de rentrer et il doit aider sa femme dont la voiture est tombée en panne. Je ne veux pas le retenir car si ma propre voiture était tombée en panne sur la route je ne me sentirais certainement pas en sécurité. Pour une femme c’est bien pire. Apparemment, les femmes ne sont pas obligées de s’arrêter aux feux rouges (qu’on appelle « robots » en Afrique du Sud) si elles se sentent en danger.

De Beer a la corpulence massive que je commence à apparenter à tous les hommes blancs sud-africains : trapu, cheveux blonds, une solide et blanche dentition et de gros mollets. Son expérience en première ligne du braconnage lui démontre que les hommes de main du niveau 1 et les coordinateurs de braconnage du niveau 2 qu’il recherche sont un mélange d’un « peu de tout » Selon lui, il y a des blancs, des noirs, des mozambicains, des sud-africains, des afrikaners, des riches et des pauvres. En 2014, 92 rhinocéros ont été braconnés dans son secteur à Mpumalanga, qui n’inclut pas Kruger, mais en 2015, les activités de braconnage ont démarré en force. « Du premier janvier [à fin février] il n y a eu aucun répit…C’est comme un centre de criminalité organisée, hautement planifié, hautement organisé. » Il n’a encore identifié aucun suspect dans l’affaire Sabi Sands.

Cela faisait trois semaines seulement que le Brigadier Hangwani Mulaudzi occupait son nouveau poste de porte-parole pour les Hawks lorsque je l’ai contacté par téléphone après avoir parlé à de Beer. Selon SAPS, les Hawks sont officiellement responsables des enquêtes sur les « formes graves de criminalité organisée, de délit commercial et de corruption. » Le Brigadier affirme que les Hawks ne prétendent pas avoir fait des découvertes capitales concernant les syndicats. Beaucoup d’hommes de main, de braconniers du Mozambique et de l’Afrique du Sud (particulièrement dans les provinces nord de Limpopo et Mpumalanga) se font arrêter, mais ceux qui tirent les ficelles parviennent à passer à travers les mailles du filet.

« Il y a des gardes forestiers qui se sont fait arrêter pour avoir fait office de guetteurs, certains ont même été impliqués dans l’abattage des rhinocéros, a déclaré Mulaudzi. « Nous savons pertinemment que notre pays voisin, le Mozambique, est l’endroit à travers lequel la majorité des cornes de rhinocéros transite. »

Risque moral

Peter Britz est un expert en matière de syndicats sud-africains impliqués dans le commerce illégal de l’ormeau. Il travaille à l’Université Rhodes, située à Grahamstown dans la Province du Cap Oriental. Je l’ai rencontré dans sa maison de bord de mer à Port Alfred, peu après avoir parlé à Howarth. Il a expliqué que le commerce illégal florissant de l’ormeau et le trafic illégal de corne de rhinocéros dans le pays avait certaines similarités : La flambée des prix a entrainé une ruée vers l’or, et le gouvernement est incapable de faire face aux facteurs sociopolitiques et économiques. Dans les deux cas, Britz a dit être convaincu que le commerce légalisé est l’unique façon d’endiguer la demande illégale et de rendre le commerce durable. Comme il partage leur point de vue, les dirigeants de Private Rhino Owners Association (PROA) [l’Association des propriétaires privés de rhinocéros] ont invité Britz à faire un discours lors d’une réunion de comité en présence du Ministre de l’Environnement sud-africain, où il a argumenté en faveur de la légalisation du commerce de la corne de rhinocéros. La position de PROA et de SANParks est la même : tant qu’il existe une demande pour la corne de rhinocéros, un moyen durable de la fournir doit être développé afin de sauver l’espèce sauvage de l’extinction.

Peter Britz, an expert in illegal South African abalone syndicates at Rhodes University in Eastern Cape Province. Photo credit: Mic Smith.
Peter Britz, expert en matière de syndicats sud-africains impliqués dans le commerce illégal de l’ormeau. Il travaille à l’Université Rhodes, située à Grahamstown dans la Province du Cap Oriental. Photo prise par : Mic Smith.


Britz m’a préparé un café tandis que nous parlions dans sa cuisine. Outre la sauvegarde de l’espèce, Britz soutenait que la légalisation du commerce sauverait les gens qui travaillent dans l’industrie du gibier. Il se sentait préoccupé par le fait que les lois contre le commerce de la corne de rhinocéros étaient en train de transformer d’honnêtes gens en criminels. « Apparemment, quelques-uns de ces incidents de braconnage sont de véritables marchés conclus avec le propriétaire du rhinocéros ; celui-ci part un weekend, son rhinocéros est braconné, et des dessous de table passent d’une main à l’autre, » a déclaré Britz. Il a ajouté que l’industrie pâtissait lorsque d’honnêtes gens en venaient à de telles pratiques. L’industrie avait besoin de moyens pour les protéger.

Britz a également dit que les mesures incitatives destinées aux propriétaires de rhinocéros privés sous l’actuelle législation en vigueur sont « perverses. » Quand les responsables de l’industrie sud-africaine du gibier font de la publicité pour ou assistent à des ventes ou enchères d’animaux sauvages, le prix courant de 30 000 dollars pour un rhinocéros vivant, est une fraction du prix versé pour la corne de ce même rhinocéros sur le marché noir au Vietnam. Le commerce légal de la corne de rhinocéros se doit de jouer un rôle ici, sinon les gens risquent de pencher du côté obscur, a poursuivi Britz. Il a reconnu que cette approche comportait le risque que des gens s’adonnent au blanchiment de la corne de rhinocéros illégale par le biais du commerce légal, comme le font les syndicats chinois avec l’ormeau. Les quotas légaux sont stricts comparés aux possibilités de prises sans limites offertes aux braconniers. Ses recherches sur les syndicats de l’ormeau ont démontré que ce sont souvent les mêmes personnes que l’on retrouve tant du côté légal qu’illégal du commerce. « Lorsque vous possédez des produits de grande valeur, il est difficile pour d’honnêtes gens désireux de faire des affaires de rester du côté légitime, » m’a-t-il raconté. Il a ajouté que la situation représentait un « risque moral » très répandu à travers l’industrie du gibier.

Tom Milliken, responsable du programme des rhinocéros et des éléphants au sein du groupe de contrôle des crimes contre les animaux sauvages, TRAFFIC, ne pense pas que la légalisation de la corne de rhinocéros puisse résoudre le problème du risque moral. La première fois que je lui ai parlé, c’était au téléphone, quand j’étais au Cap Oriental, environ une semaine avant ma rencontre avec Britz. Nous avons parlé pendant une heure. Je l’ai trouvé extrêmement ouvert et très au fait du commerce de la corne de rhinocéros. Aussi, après ma discussion avec Britz, j’ai envoyé un courriel à Milliken afin d’avoir son avis sur les commentaires de Britz. « Il n’y a aucune garantie qu’une légalisation du commerce élimine ces incitatifs pervers et il se peut même, comme ce fut le cas avec d’autres formes de commerce d’animaux sauvages… qu’on se retrouve avec deux commerces parallèles, » a-t-il écrit. « Nous n’avons pas encore de contrôle sur l’étendue de la demande, nous ne comprenons pas le rôle que joue la spéculation dans le commerce, nous ne savons pas si un commerce légal ne va pas simplement accroitre le nombre de consommateurs. »

Porte-parole des Hawks, le Brigadier Hangwani Mulaudzi connait bien les risques moraux. « Si nous sommes capables de faire arrêter certains membres de notre propre police, les gardes forestiers, ainsi que les gens des ports qui ont été payés pour faire passer les cornes de rhinocéros, nous ne pouvons éliminer le fléau de la corruption, » m’explique-t-il par téléphone. Un cas récent impliquait le responsable de la conservation à SANPARKS, Hector Magome. Magome a été suspendu de ses fonctions l’année dernière pour avoir planifié en détail et préparé la vente de 260 rhinocéros vivants du parc national de Kruger aux pourvoyeurs de chasse contre la somme de 80 millions de rands (environ 26 000 dollars par rhinocéros) prétendument sans l’accord du comité d’administration de SANParks. La transaction a été annulée et une enquête a été ouverte sur cette affaire. En février de cette année, on a appris que, afin de mettre un terme au braconnage des rhinocéros, les Hawks se sont associés à la fine fleur des services de renseignement sud-africains : La Division du renseignement criminel de SAPS et son Groupe d’intervention national (spécialisé dans les hold-up de fourgons de sécurité blindés, appelés crimes « de fonds en transit »), l’Agence de Sécurité de l’Etat et les Services de Renseignement pour la Défense. Le « Groupe de Travail » à tête d’hydre a pénétré dans Kruger.

Mais était-il bien sage d’injecter encore plus d’agents de renseignement dans l’épicentre du braconnage de rhinocéros ? L’Afrique du Sud possède un lourd passé d’agents de renseignement militaires et policiers qui ne rendent aucun compte au gouvernement. Bien des histoires sud-africaines ont circulé lors des 50 années passées, avec preuve à l’appui, sur ces agents secrets dont l’uniforme est entaché du sang des rhinocéros, des lions, des zèbres et des éléphants.

Major Général de l’armée à la retraite, Johan Jooste de SANParks a la réputation à travers tout le pays d’être l’homme à qui parler à propos de la lutte contre le braconnage de rhinocéros. Avec un fort accent Afrikaan, le Commandant des Projets Spéciaux et responsable du programme anti-braconnage de Kruger, est la source d’information par excellence des médias. Il a accepté de me rencontrer durant mon séjour à Kruger, mes ses obligations l’en ont empêché, aussi ai-je du me contenter d’un entretien par téléphone quelques jours plus tard. « Les braconniers dénoncent leurs acheteurs lorsqu’ils sont capturés », me dit le Général. Mais les syndicats font généralement en sorte que les braconniers ne connaissent même pas l’identité des autres braconniers de leur propre équipe, et encore moins celle du maillon suivant en remontant la chaîne. « Cela est organisé d’une manière telle que ce n’est pas chose facile de remonter à la source » m’explique-t-il par téléphone.

A rhino spied from the road in Kruger National park. Photo credit: Mic Smith.
Un rhinocéros observé depuis la route au parc national de Kruger. Photo prise par : Mic Smith.


Quelques villages de population noire le long de la frontière ouest de Kruger de Mtshawu à Bushbuck Ridge ont prospéré grâce à l’argent du commerce de la corne de rhinocéros dans une certaine mesure, mais pas de façon aussi évidente que dans les villes du Mozambique. D’après le Général, dans les villages où habitent des acheteurs, de nombreuses familles et entreprises ont réalisé des bénéfices à travers le blanchiment de leur argent. De ce fait, les braconniers qui se sont fait arrêter peuvent courir un grave danger après leur remise en liberté quand ils rentrent chez eux s’ils sont soupçonnés d’avoir coopéré avec les autorités. Les braconniers qui collaborent obtiennent une certaine protection de la part de SANParks ou de la police, déclare Joote. Sa stratégie consiste à débarrasser le parc des braconniers venant de l’extérieur. Parmi les 386 braconniers qui se sont fait arrêter l’année dernière, 212 ont été capturés à l’extérieur du parc. « On n’essaie pas d’arrêter un cambrioleur une fois qu’il a pénétré chez vous, on commence par l’empêcher d’entrer chez soi, » souligne le Général.

Malgré les rapports des medias selon lesquels des responsables de SANParks auraient été arrêtés pour avoir trempé dans des affaires de braconnage de corne de rhinocéros, le Général déclare n’avoir aucune preuve que des responsables du parc soient impliqués, mais à l’extérieur du parc ou le braconnage devient la responsabilité de la police, ce pourrait être une toute une histoire. « Il se peut qu’il y ait des personnes impliquées, » fait-il remarquer. L’argent du commerce des rhinocéros achète des gens à tous les niveaux. »”

Les niveaux 3, 4 et 5 des syndicats ne font pas partie de ses responsabilités. La police est chargée de l’activité qui se passe à ces niveaux.

Après ma conversation avec le Général, je quitte Kruger pendant quelques heures afin de parler à un taxidermiste, mais il annule notre rendez-vous à la dernière minute. Sur le chemin du retour, je me fais arrêter par la police qui me demande de me garer à l’extérieur de l’entrée principale de Kruger. Je demande au policier noir ce qui se passe. Il me répond que je roulais à 80 à l’heure dans une zone limitée à 60. Je suis étonné.

« On peut rouler à 80 ici, n’est-ce pas ? »

« Non, il y a un panneau là-bas qui indique 60. On roule à soixante tout au long de la route depuis la bretelle de sortie. »

L’agent en uniforme a raison. Il vérifie mon permis de conduire. « Michael Scott Smith, d’Australie. »

Il sort un carnet et passe en revue une liste d’infractions pour voir le montant de ma contravention : 1 000 rands. Je paye sans hésiter. Il me dit qu’il va les remettre au poste de police et que je peux passer récupérer le reçu plus tard si je veux. Je dis que je le ferai, mais ne devrait-il pas me donner un reçu maintenant pour que je puisse le récupérer ? « Vous comprenez parfaitement ce que je veux dire. » répond-il. Je hoche la tête, n’en croyant pas mes yeux que la corruption puisse être aussi flagrante aux portes mêmes de Kruger.

Le nombre d’agents de police sud-africains est de 157 470. En août 2013, SAPS a reconnu que 1 448 policiers en activité avaient commis des actes criminels graves. Un nombre significatif d’entre eux avait été condamné pour actes criminels multiples. Les crimes graves allaient de meurtre et tentative de meurtre a viol, agression, corruption, vol, cambriolage, effraction, trafic de drogue, violence domestique, et complicités d’évasion. Au moins 64 de ces agents étaient encore en poste au commissariat principal l’année dernière. Et, depuis juillet dernier, tous les 1 448 agents étaient apparemment restés en service actif, le syndicat de police ayant joué un rôle dans leur protection.

Même si cela parait déplorable, et l’est certainement, l’Afrique du Sud fait figure d’un ange comparée à son voisin le Mozambique, où les braconniers de corne de rhinocéros sont encensés, les syndicats protégés et les armes de braconnage fournies par la police et l’armée. Lors d’une affaire récente, un chinois s’est fait arrêter par la police dans la capitale du Mozambique, Maputo, en possession de 65 cornes de rhinocéros et 340 défenses en ivoire. Une semaine plus tard, les cornes et l’ivoire avaient disparu d’un entrepôt policier.

« Tout le monde veut cet argent »

L’extrémité sud de Kruger représente la zone de pâturage idéale pour les rhinocéros blancs. Un pourcentage significatif d’incursions pour braconnage en provenance d’Afrique du Sud et du Mozambique y a lieu, le long de Crocodile River. Mon séjour en Bas-Sabie hier soir a marqué ma quatrième et dernière nuit à Kruger. Ce fut génial de voir autant d’animaux sauvages de si près. Depuis le camp de Skukuza, 200 kilomètres (124 milles) au nord jusqu’aux camps de Satara et Olifants, puis au retour vers le sud durant 250 kilomètres (155 milles) vers Bas-Sabie, il n’y a pas eu un seul mille de parcouru sans avoir pu observer des espèces animales.

Au matin, je commande le petit-déjeuner avant d’entamer les 20 kilomètres (12 milles) de route vers Crocodile River. Le jeune serveur noir me raconte l’histoire d’un grand troupeau de rhinocéros dormant au seuil du camp de Crocodile Bridge.
Ils cherchent à se protéger, dit-il. « Les rhinocéros restent près du camp –ils ont trop peur d’aller au dehors. » Les touristes les voient tous les jours. Les braconniers de rhinocéros parcourent Crocodile River, dit le serveur : « ils en boivent une lampée et apprennent à connaître le rhinocéros afin de le tuer. « Le serveur parle de l’eau de la rivière comme si elle avait des propriétés magiques. Les hommes peuvent vendre les cornes de rhinocéros du côté sud-africain, sinon ils vont à Maputo à travers la frontière du Mozambique, où ils peuvent gagner plus d’argent mais risquent aussi de se faire escroquer. « Tout le monde veut cet argent, » dit le serveur.

A white rhinoceros in Kruger National Park. Photo credit: Rhett A. Butler.
rhinocéros blanc au parc national de Kruger. Photo prise par : Rhett A. Butler.


A une demi-heure de l’entrée principale Skukuza de Kruger se situe la ville de Hazyview. J’y suis allé pour un entretien avec un éleveur de rhinocéros qui a également sa propre affaire de lutte anti-braconnage (il protège tout sorte de gibier, pas uniquement les rhinocéros) et de chasse professionnelle. C’est un atout supplémentaire pour moi parce qu’il peut m’ouvrir d’autres perspectives.

Je me perds dans Hazyview parce que mon GPS cesse de fonctionner. Puis il se remet à fonctionner à nouveau et me guide vers l’école privée des enfants de ma source d’information. On avait convenu de se rencontrer lors de la journée sportive de l’école, où un mélange d’enfants noirs et blancs de milieu aisé venant des écoles de toute la province vient s’affronter en athlétisme. Une femme dans la trentaine me regarde tandis que j’attends. Je vérifie s’il y a des SMS sur mon portable de la part de l’éleveur de rhinocéros. Il est en retard. Après une heure, la femme devine que je suis le journaliste que son mari se presse pour rencontrer. « Vous n’avez pas l’air sud-africain, » dit-elle. « Mon mari est à seulement quelques minutes d’ici. »

Parce qu’il est en retard et que je dois rentrer, je demande à l’éleveur, qui ne veut pas être identifié, si on peut parler sur le parking de l’école. Il accepte mais semble nerveux. Il ne tient pas à s’exprimer à portée de voix des autres parents. « Cela risque de parvenir aux oreilles des braconniers que j’ai parlé à un journaliste, » me dit-il. Il monte dans la voiture et met le moteur et la radio en marche afin que les gens autour ne puissent nous entendre. Il me montre une photo sur son portable d’un membre de son personnel anti-braconnage avec la gorge tranchée. Des feuilles de cannabis sortent de la large entaille. Sa femme et ses filles attendent hors de la voiture pendant que nous discutons. « Ça ne fait rien. Nous avons l’habitude, » dit sa femme. Il me montre un des uniformes de son entreprise. Il porte un trou fait par un coup de couteau au milieu de la poitrine la nuit dernière. « L’homme est actuellement en soin intensif. »

Est-ce que tout ira bien pour moi quand je partirai d’ici ? Il me répond que oui.

L’Afrique du Sud, le Swaziland, et la Namibie sont les seuls pays au monde où les rhinocéros peuvent être la cible de la chasse sportive. Titulaire d’un permis de chasse professionnelle à Mpumalanga, l’éleveur a travaillé avec « beaucoup de Vietnamiens » à l’organisation de pseudo-chasses, quand elles étaient encore populaires –ces parties de chasse où le client n’est pas un vrai chasseur mais désire le trophée (la tête de rhinocéros) uniquement pour sa corne. Le processus de mise en place d’une de ces parties de chasse était compliqué. Beaucoup de gens étaient impliqués, mais ça en valait la peine parce que les Vietnamiens offraient bien plus que le prix proposé pour une chasse au rhinocéros ordinaire.

Voilà comment se passait une pseudo-chasse typique. Les clients vietnamiens, généralement à travers un intermédiaire local vietnamien, répondaient à une annonce pour une chasse au rhinocéros postée sur le site web d’un pourvoyeur. Le pourvoyeur fournissait un permis de chasse et un permis CITES préliminaire d’exportation du trophée obtenu de la part du Département de la Conservation de Nature de la province. Il fournissait également un chasseur professionnel pour assister le client. Le marché mis en place, les rhinocéros étaient déplacés vers une réserve, payée pour abriter la chasse. Le client vietnamien arrivait en Afrique du Sud, se rendait directement à la réserve ou la chasse se faisait le plus rapidement possible. Durant la partie de chasse, à laquelle devait assister un représentant du Département de la Conservation de la Nature, les chasseurs professionnels étaient parfois obligés d’aider physiquement les clients vietnamiens, qui n’avaient jamais tenu de fusil, à viser afin qu’il ou elle n’ait plus qu’à appuyer sur la détente. Techniquement parlant, ceci était illégal car les permis de chasse stipulent que le chasseur doit lui-même tirer sur l’animal. Puis la corne devait être munie d’une micro puce, insérée par le représentant du Département de la Conservation de la Nature. Le pourvoyeur de chasse envoyait alors la peau et la tête à un taxidermiste pour préparer le trophée pourvu de sa corne. Ensuite, Le taxidermiste signait le permis d’exportation. Les pseudo-chasses étaient en fait essentiellement une grosse mascarade jouée afin de légitimiser la vente d’une corne de rhinocéros.

Entre 2003 et 2010 au moins 329 rhinocéros ont été chassés par des vietnamiens à l’aide de permis de chasse légaux. Ces soi-disant chasses et trophées leur ont couté environ 20 millions de dollars en frais versés aux pourvoyeurs de chasse, mais les cornes de rhinocéros leur rapporteraient entre 200 à 300 millions de dollars au marché noir au Vietnam. Le gouvernement a fait une grosse erreur en mettant un terme à ces chasses, dit l’éleveur.

Il parlait du temps des pseudo-chasse vietnamiennes comme si c’était la belle époque de l’innocence avant la prise de contrôle des syndicats. Mais il n’y avait là rien d’innocent. Selon CITES, seuls treize rhinocéros avaient été tués illégalement en Afrique du Sud en 2007, mais les pseudo-chasses qui avaient lieu cette année-là étaient le véritable problème. Près de 9 sur 10 des cornes qui quittaient l’Afrique du Sud « légalement » entre 2003 et 2012 n’étaient pas déclarées à la douane des aéroports vietnamiens, pas plus que n’était rendu le permis d’exportation afin d’empêcher sa réutilisation. Le flux de cornes autorisées par des permis CITES et provenant de rhinocéros blancs du Sud (lesquels figurent sur l’Annexe II de la liste CITES) a stimulé la demande de corne de rhinocéros au Vietnam et a causé une hausse des prix, encourageant encore plus les activités illégales. Les pseudo-chasses ont également permis aux syndicats vietnamiens de s’implanter en Afrique du Sud.

Lorsque je demande à l’éleveur où se trouvent actuellement les vietnamiens qui ont agi comme intermédiaires pour toutes ces parties de chasse, il prétend ne rien savoir. Mais Julian Rademeyer, journaliste d’investigation sud-africain et auteur de l’ouvrage Killing for Profit : Exposing the illegal rhino horn trade (Tuer pour le Profit : Révélations sur le commerce illégal de la corne de rhinocéros), m’a dit plus tôt à Johannesburg qu’il soupçonnait un des grands agents vietnamiens d’être toujours basé à Pretoria. L’agent avait travaillé avec des hommes blancs sud-africains de l’industrie du gibier sauvage, surnommés la Boermafia (mafia des agriculteurs). Le boermafieux ayant fait l’objet du plus grand nombre d’écrits était Dawie Groenewald, chasseur de rhinocéros et propriétaire de réserve, qui en 2011 a été inculpé pour 1736 accusations de racket, blanchiment d’argent, escroquerie, intimidation, chasse illégale, et trafic de cornes de rhinocéros. Dans Killing for Profit, Julien Rademeyer a cité les propos de Groenewald après son inculpation: « Putain, je suis tellement en colère contre le système que je veux abattre autant de rhinocéros que possible. » Aujourd’hui, dans l’attente de son procès, Groenewald est peut toujours acheter des rhinocéros aux enchères et il a beaucoup d’amis influents dans l’industrie.

L’éleveur partage la colère de Groenewald quant à l’injustice perçue du système qui fait que rien des sommes d’argent colossales provenant des rhinocéros ne revient à leurs propriétaires sud-africains. Il dit qu’il n’était pas nécessaire de tuer tous les rhinocéros qu’il a contribué à abattre lors des pseudo-chasses. Il reconnait aussi que les vietnamiens n’étaient intéressés que par les cornes, et non par les trophées. Mais la loi rendait nécessaire le trophée pour pouvoir faire sortir la corne du pays. L’éleveur dit que les « chasses vertes » au cours desquelles le rhinocéros est immobilisé avec une fléchette anesthésiante et où les cornes sont tranchées avant que l’animal ne reprenne conscience auraient été une solution humaine à la crise, à la fois à cette époque-là et aujourd’hui. Mais l’Afrique du Sud a interdit les chasses vertes en 2010. L’éleveur n’arrive pas à comprendre pourquoi.

Les pseudo-chasses ont encore lieu, mais les syndicats recrutent des tchèques ou des russes afin de contourner l’interdiction à l’encontre des chasseurs vietnamiens. L’Inspection Environnementale Tchèque de CITES a déclaré que les autorités tchèques enquêtaient sur le commerce illégal très répandu de cornes de rhinocéros blanc importées de l’Afrique du Sud vers la République Tchèque pour être revendues, probablement au Vietnam. « Les organisateurs de ce commerce étaient liés à la communauté vietnamienne et recrutaient des personnes de nationalité tchèque. Ces personnes n’étaient pas de vrais chasseurs, ils n’avaient pas de permis de port d’armes et ils n’étaient membre d’aucune association de chasse », a-t-il été signalé dans le rapport.

Henk Coetzee, a hunting outfitter based in Nelspruit, just outside Kruger National Park. Photo credit: Mic Smith.
Henk Coetzee, un pourvoyeur de chasse basé à Nelspruit, non loin du parc national de Kruger. Photo prise par : Mic Smith.


Un pourvoyeur de chasse auquel j’ai rendu visite à Nelspruit avant de venir à Kruger Henk Coetzee, avait emmené un russe chasser légalement un vieux rhinocéros noir pour 150 000 dollars en 2014. « C’est effrayant de voir combien les chasseurs étrangers dépensent en Afrique du Sud », dit-il. Quand le russe a tué le rhinocéros, Coetzee a demandé à son taxidermiste de fabriquer le trophée avec une fausse corne, emballé avec la vraie pour l’exportation. « Ce n’était pas un bon chasseur. Quant à savoir ce qu’il est advenu de cette corne de rhinocéros, je ne saurais vous le dire, » poursuivit Coetzee.

Comme un poisson dans l’eau

J’ai rencontré Julian Rademeyer pour un café à Melville, banlieue de la classe moyenne de Johannesburg, quelques jours avant de venir à Kruger. Rademeyer avait le visage poupin, l’esprit vif et s’exprimait magnifiquement bien. Il a passé trois ans a rédiger son livre de 2012, Killing for Profit, mais il avait cessé de suivre de près le commerce de la corne de rhinocéros car il avait d’autres projets. Selon lui, la réussite des syndicats était due à leur capacité d’adaptation. Il soupçonnait fort que la majorité des agents vietnamiens, ces pivots des niveaux 3 et 4 liés directement aux grands patrons asiatiques, avait quitté récemment le territoire de l’Afrique du Sud pour le Mozambique, où ils pourraient opérer avec une relative impunité.




Julien Rademeyer, journaliste d’investigation sud-africain et auteur du livre de 2012 Killing for Profit : Exposing the illegal rhino horn trade, décrit comment les syndicats de la corne de rhinocéros opèrent. Vidéo filmée par : Mic Smith.

Dans son ouvrage Vietnam : The Ten Thousand Day War (Vietnam : la Guerre de Dix Mille Jours), l’auteur, Michael Maclear ancien correspondant en Extrême Orient de la CBC, a cité une ancienne guérilla Viet-Minh (également connue sous le nom de Viet Cong, Front national de libération du Sud Viêt Nam) : « Les Viet Minh étaient comme des poissons dans l’eau. C’était la devise. Nos combattants se déplaçaient et travaillaient comme des poissons dans l’eau. »

Cette analogie résonne encore aujourd’hui. Pas une seule fois durant mon séjour en Afrique du Sud je ne me suis trouvé loin d’un rhinocéros abattu illégalement, pourtant, je n’ai jamais rien vu ni entendu à propos des vietnamiens ou des chinois a l’origine de ces incidents de braconnage. Le Général Jooste n’a même pas pensé que les Vietnamiens pouvaient se trouver en Afrique du Sud. Il a dit que la notion selon laquelle les syndicats vietnamiens auraient déménagé au Mozambique était « un peu tirée par les cheveux. » Les grands syndicats se déplacent et travaillent très silencieusement. Les caïds ont des agents à travers toute l’Afrique du Sud, tout comme les Viet Cong avaient des agents au sud Vietnam pendant la Guerre du Vietnam, quand les américains ignoraient en qui avoir confiance ou de qui se méfier.

Au tribunal, les choses étaient tout aussi louches. Beaucoup de vietnamiens dont la plupart était des courriers, ont profité de leur droit constitutionnel à être jugés dans leur propre langue. Plusieurs interprètes vietnamiens employés par les tribunaux étaient eux-mêmes liés aux syndicats et donnaient de fausses traductions ou retardaient tellement la procédure que le procès était renvoyé. Dans d’autres cas, il semblait que les interprètes aient été menacés car ils ne revenaient plus au tribunal.

Le jour de mon départ d’Afrique du Sud, je me suis enregistré à l’Aéroport international King Shaka de Durban. L’employée chargée de l’enregistrement est originaire de Mthata, ville célèbre pour avoir construit une maison pour Nelson Mandela quand il a été libéré de prison. Je le lui mentionne et elle me dit qu’elle a collé toutes les coupures de presse depuis la mort de Mandela dans un album, en témoignage de la vie de cet homme « exceptionnel. » Tandis que la file s’allongeait de plus en plus derrière moi, elle me raconta l’oppression qu’elle avait vécu durant son enfance comparée au bonheur qu’elle connait actuellement, comment Madiba a fait connaitre l’Afrique du Sud au monde entier comme le pays d’un héros de la paix et de la liberté.

Je suis ému car Nelson Mandela a toujours été pour moi un héros. « Je le vois dans vos yeux, » me dit-elle. Je lui fais part des propos de l’anti-braconnier, disant que la situation critique des rhinocéros était « la pire des crises de la faune que l’Afrique du Sud ait jamais connue. » Elle me dit que Madiba était un homme doux qui ne croyait pas au fait d’infliger une quelconque douleur ou souffrance aux gens ou aux animaux. Il adorait les animaux. Elle sent que l’Afrique du Sud est en train de s’éloigner du chemin tracé par l’ANC sous la direction de Mandela. Je le vois dans ses yeux quand je lui dis adieu.

« Le continent africain est tout à fait conscient de l’importance de l’environnement. Mais la plupart des problèmes du continent liés à l’environnement sont simplement le résultat de la pauvreté et d’un manque d’éducation. »
— Nelson Mandela


Traduction révisée par Badia Mrani

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