Nouvelles de l'environnement

Une nouvelle enquête trouve une population étonnamment large de hibou menacé

Malgré de vastes pertes de forêt, le petit-duc d’Anjouan se maintient aux Comores




Le Petit-duc d’Anjouan. Photo: Alan Van Norman.

Le Petit-duc d’Anjouan. Photo: Alan Van Norman.


Le Petit-duc d’Anjouan – un hibou insaisissable se trouvant uniquement sur sa petite île éponyme – était autrefois considéré parmi les hiboux les plus menacés du monde, et même les oiseaux les plus menacés. Cependant, la première enquête complète sur les hiboux de cette île trouve que, en fait, la population est bien plus grande que celle initialement estimée. Dans un nouvel article publié dans Bird Conservation International, des scientifiques estiment que 3500 à 5500 hiboux survivent aujourd’hui contrairement à la dernière estimation de seulement 200-400 oiseaux.



« Notre travail ne montre pas vraiment que ce hibou va mieux ou que son statut s’est amélioré, il montre juste que notre connaissance de son statut s’est améliorée, » dit Hugh Doulton, le directeur technique de l’organisation locale de conservation Dahari et co-auteur de l’article.



« Cela montre le danger de baser des estimations de conservation sur des études rudimentaires, et peut-être une tendance à tirer la sonnette d’alarme pour des espèces sans suffisamment de données pour confirmer ces évaluations. »


Le hibou invisible



Encore aujourd’hui, le hibou demeure incroyablement hors de portée. Malgré que Doulton ait vécu et travaillé à Anjouan – une petite île des Comores – pendant les sept dernières années, il n’a en effet jamais eu le plaisir de voir le hibou endémique.



« De temps en temps, je vais camper les week-ends et j’entends les hiboux hululer entre eux, mais, malheureusement, je n’en ai jamais vu un », dit-il à mongabay.com.



Ishaka, technicien écologue de Dahari, cherchant les hiboux au crépuscule. Photo: Dahari.
Ishaka, technicien écologue de Dahari, cherchant les hiboux au crépuscule. Photo: Dahari.

Même l’équipe de suivi sur le terrain ne dépendait pas de la vue des petits-ducs, à la place ils écoutaient et enregistraient leurs sifflements caractéristiques.



« Le seul moyen de recenser des espèces comme le petit-duc est de compter les individus la nuit grâce à leurs cris», explique Doulton, qui décrit le travail de terrain comme très difficile.


« [Cela] a impliqué de beaucoup grimper les pentes très raides d’Anjouan, et de camper dans la forêt. Après le crépuscule l’équipe partait avec des torches et installait des points d’observation tous les 200 mètres le long du chemin – c’est trop pentu et dangereux pour s’égarer hors des chemins. Ils restaient à chaque point d’observation pendant 8 minutes, d’abord en écoutant passivement puis en diffusant le cri du petit-duc à l’aide d’un MP3. Tous les hiboux qui étaient entendus ont été enregistrés et une estimation de leur distance par rapport au point d’observation a été faite. »



Mais le bénéfice scientifique de cette étude était important. Non seulement les scientifiques ont déterminé que la population du petit-duc d’Anjouan était plus de dix fois supérieure à celle précédemment estimée, mais l’équipe était aussi étonnée de trouver le hibou dans des paysages de forêt dégradée et des paysages d’agroforesterie.



« La précédente estimation était… basée sur une hypothèse de complète dépendance des hiboux pour le peu de forêt naturelle restante, alors que notre étude a montré des taux de rencontre relativement élevés dans des zones de forêt dégradée et d’agroforesterie » explique Doulton. Trouver les hiboux dans les forêts dégradées et les aires d’agroforesterie est très important, car il ne reste que très peu de forêt naturelle à Anjouan.



Les forêts décimées d’Anjouan



Le paysage déboisé d’Anjouan. Photo: Dahari.
Le paysage déboisé d’Anjouan. Photo: Dahari.



Anjouan était dans le passé couverte de luxuriantes forêts tropicales – tout comme les trois îles des Comores – ce n’est plus le cas de nos jours.



« Selon la dernière évaluation globale des ressources forestières réalisée en 2010 par la FAO, les Comores ont souffert du plus haut taux de déforestation dans le monde entre 2000 et 2010 – 9,3 pour cent par an. Cependant, c’est difficile de valider ces chiffres étant donné le manque de données, » dit Doulton.



Pour obtenir des informations plus exactes, la fondation Bristol Conservation & Science a publié un rapport qui s’appuie sur trois récentes sources de données satellite. S’intéressant à Anjouan, qui est encore plus petite que la Barbade, le rapport démontre qu’aujourd’hui seulement sept pour cent de l’île sont couverts de forêt naturelle, ce qui veut dire que l’île a perdu la grande majorité de sa forêt historique.



Le rapport global décompose les paysages ainsi : près de 33 pour cent de la surface d’Anjouan est consacré à l’agroforesterie (13,825 hectares), 14 pour cent représentent les forêts dégradées (5,913 hectares), et sept pour cent la forêt naturelle (2,956 hectares).



La perte de forêt se produit toujours. Selon Global Forest Watch, Anjouan a perdu 65 hectares de forêt de 2001 à 2012 sur la base d’une densité de canopée supérieure à 75%. La superficie de forêt perdue s’élève à 88 hectareslorsqu’on prend en compte une densité de canopée supérieure à 10%. En comparant cela à la couverture de forêt naturelle identifiée dans le rapport, cela représente environ deux à trois pour cent du total de l’île.






En haut à gauche : Les forêts d’Anjouan avec la prise en compte d’une densité de canopée supérieure à 75% (source : Global Forest Watch). En haut à droite : Les forêts d’Anjouan avec la prise en compte d’une densité de canopée supérieure à 10%, qui compte probablement les zones d’agroforesterie, les forêts dégradées et les paysages de plantations (source : Global Forest Watch). En bas à gauche : la localisation de l’île d’Anjouan entre l’Afrique et Madagascar. En bas à droite : une image satellite d’Anjouan. Cliquez sur l’image pour agrandir.


« Quelque soient les chiffres, il est clair qu’il y a une déforestation massive depuis la fin du contrôle des coupes d’arbres qui a suivi la décolonisation, en 1975, » dit Doulton. « J’ai vu des vieilles photos du paysage d’Anjouan couvert de forêt ancienne, des paysages qui sont aujourd’hui seulement parsemés de girofliers et de parcelles agricoles. »



La perte radicale de forêt a aussi impacté les rivières et l’agriculture sur l’île, créant des défis importants pour les communautés locales.



« Sur les 45 rivières permanentes de l’île, environ 30 ne coulent désormais qu’à la saison humide, l’érosion des sols est permanente, et les pertes de fertilité conséquentes ont causé de grande baisses des rendements agricoles, » dit Doulton. « Une étude que nous avons commandé à un hydrogéologue a suggéré que la réduction des ressources en eau était en partie due à la perte de la forêt humide dans les régions montagneuses qui participait à la rétention d’eau grâce à la couverture de mousses et de lichens qui capturent l’eau de la brume. »



Les forêts d’Anjouan sont importantes tant pour les hiboux que pour les hommes. Doulton note que même si les hiboux sont présents dans les plantations et les forêts dégradées, ils sont toujours dépendants des forêts naturelles.



« Il est clair que le peu de forêt naturelle restante est importante pour les hiboux. En raison de l’absence de recherche sur l’écologie de l’espèce, on ne peut que spéculer sur la raison ; les facteurs pouvant être favorables à l’espèce incluent probablement une faible perturbation humaine et la présence de cavités d’arbres indigènes favorables. »



Les chercheurs ont aussi trouvé que même si les hiboux étaient localisés dans des habitats dégradés, ils étaient souvent encore proches de la forêt naturelle.



Aller de l’avant


Le petit-duc d’Anjouan. Photo: Alan Van Norman.
Le petit-duc d’Anjouan. Photo: Alan Van Norman.



Malgré que la population de hiboux soit plus large que les craintes initiales, l’espèce est toujours menacée. En fait, les conservateurs recommandent maintenant que le statut du petit-duc d’Anjouan soit changé de « En danger critique » à « En danger ». Des efforts de conservation seront probablement nécessaires pour empêcher ce hibou de disparaitre.



« L’action de conservation la plus importante est de préserver ce qu’il reste de cet habitat », dit Doulton. Dans le but d’accomplir cela, l’organisation s’est concentrée sur la conservation communautaire intensive.



« Comme toujours, c’est un problème social plus qu’un problème écologique. La déforestation menace non seulement la biodiversité endémique qui inclue le petit-duc, mais aussi les moyens de subsistance de 90 pour cent de la population d’Anjouan qui sont dépendants de l’agriculture, » explique Doulton. « C’est pourquoi notre approche de conservation chez Dahari a été de premièrement se concentrer largement sur les besoins en développement des populations locales. Sans concevoir des moyens leur permettant de générer suffisamment de nourriture et de revenues pour vivre confortablement, la pression sur l’habitat forestier restant ne fera qu’augmenter et les mesures de conservation seront inefficaces. Nous avons donc passé la majeure partie des sept dernières années à développer un programme de développement agricole qui a pour l’instant bénéficié à plus de 2500 agriculteurs, et qui permet d’améliorer la fertilité des parcelles proches des villages dans le but de réduire le besoin de défricher de nouveaux terrains en haut dans la forêt. »



Faredil, technicien agricole de Dahari, explique comment produire un insecticide biologique à base de tabac. Photo: Dahari.
Faredil, technicien agricole de Dahari, explique comment produire un insecticide biologique à base de tabac. Photo: Dahari.



Le groupe local, Dahari, supporté en partie par Bristol Zoological Society et Durrell Wildlife Conservation Trust, commence également des discussions avec les populations locales concernant la création d’aire protégées pour certaines zones de forêt.



« Nous commençons juste ces conversations avec les villageois, en se concentrant premièrement sur les aires de forêt d’importance directe pour eux, particulièrement les zones qui contiennent les points d’eau et les rivières, » dit Doulton



« Ce sont les tout premiers essais pour mettre en place des mesures de conservation terrestre aux Comores et le chemin à mener ne sera pas facile – en partie à cause de la pression extrêmement élevée sur la forêt, mais aussi à cause du manque de mécanismes de régulation. »




A l’avenir, l’équipe prévoit aussi de conduire une prochaine étude sur le petit-duc d’Anjouan qui comprendra l’étude des besoins écologiques de l’espèce et pourquoi cela requiert l’accès à la forêt naturelle. Ils vont également commencer l’étude de la Roussette de Livingstone (Pteropus livingstonii), qui se trouve uniquement aux Comores, sur les îles d’Anjouan et Mohéli. L’espèce est listée comme en danger avec une population estimée à seulement 1200 individus en 20022.


« Grace aux résultats encourageants de cette étude sur le petit-duc, notre équipe Dahari concentre maintenant ses efforts de travaux écologiques et de conservation sur la Roussette de Livingstone, étant donné que nos études précédentes ont montré que cette espèce souffre d’une grande menace, » dit Doulton.







A gauche : Les trois îles principales des Comores (Grande Comore, Mohéli et Anjouan) montrant la couverture de forêt avec une densité de la canopée supérieure à 75%. A droite : la couverture forestière avec une densité de la canopée supérieure à 10% pour les trois îles. Images de Global Forest Watch. Cliquez sur l’image pour agrandir.




Un couple de petit-ducs d’Anjouan. Photo: Charlie Marsh.
Un couple de petit-ducs d’Anjouan. Photo: Charlie Marsh.


Kais, technicien agricole de Dahari, conduit une formation sur la récolte de pommes de terre. Photo : Dahari.
Kais, technicien agricole de Dahari, conduit une formation sur la récolte de pommes de terre. Photo : Dahari.



Inzou, technicien agricole de Dahari, formant les vulgarisateurs villageois. Photo: Dahari.
Inzou, technicien agricole de Dahari, formant les vulgarisateurs villageois. Photo: Dahari.


Inzou, technicien agricole de Dahari, formant les villageois sur la plantation en lignes régulières. Photo: Dahari.
Inzou, technicien agricole de Dahari, formant les villageois sur la plantation en lignes régulières. Photo: Dahari.



Siti, technicienne agricole chez Dahari, enseignant les techniques de compost aux villageois. Photo: Dahari.
Siti, technicienne agricole chez Dahari, enseignant les techniques de compost aux villageois. Photo: Dahari.


L’équipe Dahari. Photo: Dahar.
L’équipe Dahari. Photo: Dahar.



Citations:



Quitter la version mobile