Nouvelles de l'environnement

Populations en expansion, économies émergentes, biodiversité menacée : Les tropiques ne seront plus jamais ce qu’ils étaient


Les êtres humains ont d’abord évolué en Afrique tropicale avant de se déplacer vers les régions tempérées. Depuis lors, de nombreuses civilisations parmi les plus remarquables au monde ont vu le jour puis ont disparu sous les tropiques, tels les Mayas en Amérique du Nord et en Amérique Centrale. Photographie : Rhett A. Butler.

Les êtres humains ont d’abord évolué en Afrique tropicale avant de se déplacer vers les régions tempérées. Depuis lors, de nombreuses civilisations parmi les plus remarquables au monde ont vu le jour puis ont disparu sous les tropiques, tels les Mayas en Amérique du Nord et en Amérique Centrale. Photographie : Rhett A. Butler.


Pour ceux qui vivent au nord ou au sud des tropiques, l’idée qu’ils ont de cette ceinture verte autour de l’équateur inclut souvent des forêts tropicales verdoyantes, des animaux exotiques, et un climat toujours clément ; elle évoque aussi une pauvreté profondément ancrée, des gouvernements instables, et une destruction de l’environnement épouvantable. Un nouveau rapport imposant, The State of the Tropics (État des tropiques), nous apprend cependant que la vérité est bien plus complexe (et bien plus intéressante).




A commencer par la croyance erronée d’Aristote selon laquelle aucune civilisation ne pourrait prospérer sous les tropiques, la région (qui couvre environ 40 pour cent de la surface du globe) a longtemps été définie par des opinions extérieures. Cependant, selon Sandra Harding, l’un des co-auteurs du rapport, cela doit changer.



« À une époque de préoccupation croissante pour la durabilité sociale, environnementale et économique, il est grand temps d’avoir une approche différente, » écrit Harding, Présidente et Vice-Chancelière de la James Cook University. « Il est temps d’admettre et de reconnaître que les tropiques sont une région qui se définit de l’intérieur plutôt que de l’extérieur, et d’accepter la sagesse et l’expérience de ses populations. »



Compilé par 12 institutions, le rapport de plus de 400 pages tente une analyse de la région des tropiques dans sa globalité, incluant les notions de démographie, la santé, l’économie, la biodiversité et le changement climatique entre autres questions. Il établit que des changements majeurs sont à prévoir, parmi lesquels une croissance démographique stupéfiante, un poids économique croissant, des conflits sur l’usage des terres, une biodiversité menacée et des conséquences du changement climatique allant en s’aggravant.



Explosion démographique



À ce jour, les tropiques sont le foyer d’environ 40 pour cent de la population mondiale, mais ils abritent la majorité (55 %) des enfants de moins de cinq ans. La population des tropiques (particulièrement en Afrique) croît à un rythme bien plus élevé que celle des régions tempérées. En fait, dans quarante ans, on prévoit que les tropiques abriteront plus de la moitié de la population mondiale et 67 % de ses jeunes enfants, un chiffre sidérant. Selon le rapport, la région devrait voir sa population augmenter de trois milliards (soit 42 % de la population mondiale d’aujourd’hui) d’ici à la fin du siècle.



Enfant au Gabon. Les tropiques deviennent l’épicentre de la population mondiale, la région est déjà l’épicentre de la croissance démographique. Photographie Rhett A. Butler.
Enfant au Gabon. Les tropiques deviennent l’épicentre de la population mondiale, la région est déjà l’épicentre de la croissance démographique. Photographie Rhett A. Butler.

« Puisque la plupart des enfants du monde vivront sous les tropiques en 2050, nous devons repenser les priorités mondiales concernant les aides, le développement, la recherche et l’éducation, » a déclaré Harding. Par exemple, on estime qu’environ 467 millions de personnes dans les régions tropicales vivaient dans des bidonvilles en 2001, représentant 46 % de la population urbaine de cette région.



Une telle croissance démographique implique également des besoins locaux croissants en nourriture, en eau et autres ressources naturelles, alors même que quantité de ces ressources sont déjà exportées vers les régions tempérées. Dans le même temps, les économies des pays tropicaux ont un rythme de croissance 20 % plus rapide que dans les pays tempérés, et pourtant les tropiques restent le foyer des deux tiers de la population mondiale vivant dans une extrême pauvreté.



Alors que l’extrême pauvreté recule en Asie du Sud-Est et en Amérique Centrale, elle a doublé en Afrique Centrale et du Sud depuis le début des années 80. Cependant, tout n’est pas si sombre.



Le rapport dit que « La prévalence de la sous-alimentation dans les tropiques a diminué d’un tiers sur les vingt dernières années, » et aussi : « la majorité des indicateurs de santé montrent une amélioration rapide, et cela dans la plupart des régions de la zone tropicale. »



L’espérance de vie est en augmentation dans les tropiques, tandis que la mortalité infantile et maternelle a été réduite considérablement en quelques dizaines d’années. De tels changements pourraient aussi, à long terme, ralentir la croissance démographique, puisque lorsque les femmes sont assurées de la survie de leurs enfants, elles seront moins portées à avoir une famille nombreuse. Cependant, la région reste loin des statistiques des régions tempérées. En outre, les populations des régions tropicales doivent faire face à des maladies particulièrement graves que l’on trouve rarement dans les pays des zones tempérées, telles que la dengue et le paludisme, qui reste la cause de mortalité la plus importante dans de nombreux pays tropicaux.



Luttes pour les terres et l’environnement



Forêt tropicale intacte à Bornéo. Les destructions de forêts tropicales en Indonésie et en Malaisie sont maintenant parmi les plus importantes du monde. Photographie : Rhett A. Butler.
Forêt tropicale intacte à Bornéo. Les destructions de forêts tropicales en Indonésie et en Malaisie sont maintenant parmi les plus importantes du monde. Photographie : Rhett A. Butler.



Des populations en augmentation (avec la consommation qui en découle) font surgir de nouveaux problèmes politiques et sociaux, parmi lesquels un nombre croissant de conflits sur l’usage de la terre. Les populations locales et les groupes indigènes luttent pour garder le contrôle de leurs terres ancestrales alors que des sociétés (souvent étrangères) recherchent toujours plus de terres pour les cultures, l’élevage, ou pour extraire des matières premières telles que le bois, les énergies fossiles et les minerais. L’accaparement des terres (« land-grabbing »), comme on l’appelle, est devenu un problème politique de premier plan dans des pays comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Cambodge, le Kenya et le Cameroun.



Dans le même temps, les écologistes et les environnementalistes se battent pour préserver de la destruction les forêts tropicales, les récifs coralliens, et d’autres écosystèmes vitaux.



« Les [tropiques] abritent approximativement 80 % de la biodiversité terrestre et plus de 95 % de la biodiversité de la mangrove et des récifs coralliens, » peut-on lire dans le rapport.



En fait, les tropiques (à la fois sur terre et dans les mers) sont bien connus comme étant les latitudes de la planète les plus riches en espèces. Ainsi un seul hectare du Parc National Yasuni en Equateur, par ailleurs menacé par des forages pétroliers, recèle plus d’espèces d’arbres que la totalité des États-Unis et du Canada réunis. En conséquence, si le monde veut préserver sa richesse biologique (et échapper à une extinction massive) il doit d’abord sauvegarder les écosystèmes des tropiques.



Rizières du Laos. Photographie : Rhett A. Butler.
Rizières du Laos. Photographie : Rhett A. Butler.


« L’étendue des forêts primaires dans les tropiques diminue rapidement avec des risques associés grandissants pour la biodiversité. Les taux de perte ont apparemment diminué depuis l’an 2000 en Amérique Centrale, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est, Afrique du Nord et Moyen-Orient. Cependant ils ont augmenté en Océanie, » mentionne le rapport. « En outre, et de manière déconcertante, les avancées technologiques basées sur les améliorations dans le domaine de la télédétection laissent à penser que les pertes sont sous-déclarées dans certaines régions. »



Tout en soulignant ces diverses tendances, de nouvelles études utilisant des images satellites haute résolution ont découvert que l’Indonésie éclipse pour la première fois le Brésil dans la destruction des forêts. Alors que le Brésil est parvenu à réduire (sinon à éliminer) la déforestation ces dix dernières années, la destruction de la forêt est en rapide augmentation en Indonésie, principalement à cause des plantations de palmiers à huile, des industries de pâtes et papier, et de l’industrie forestière. Et ce en dépit d’un moratoire qui a fait l’objet d’un battage médiatique considérable sur les nouvelles coupes de bois et les plantations en monoculture.



Du côté positif, les pays tropicaux ont un pourcentage plus élevé de leurs terres en zones protégées que ceux des régions tempérées, toutefois les parcs font face à plus de problèmes dans les tropiques. Nombreux sont ceux qui manquent de financement et de personnel. La déforestation illégale et le braconnage sont tellement répandus dans certaines zones protégées des tropiques que les défenseurs de l’environnement les ont surnommées « paper parks » (c’est-à-dire des parcs sur le papier seulement). Un autre danger vient du fait que de nombreux gouvernements de pays tropicaux ouvrent maintenant des fractions de leurs parcs naturels, ou parfois même des zones protégées entières, à l ‘exploitation forestière ou minière, à l’agriculture, à l’exploitation des énergies fossiles et à l’ouverture de routes.




Dans les océans



Les ressources marines des tropiques subissent également une pression sans précédent. De la même façon que les forêts pluviales tropicales, les océans de la région affichent les écosystèmes les plus riches en variétés d’espèces : les récifs coralliens. En outre, les tropiques abritent la plus grande partie des mangroves du monde.




« Les océans couvrent 76 pour cent des tropiques, » dit le rapport. « Ils sont souvent moins profonds et plus chauds que dans d’autres parties du monde, et ils contiennent généralement moins de nutriments et permettent donc de nourrir une moindre densité d’organismes marins. Toutefois, bien qu’affichant une biomasse halieutique totale inférieure, la part de la zone tropicale dans les prises mondiales de poissons sauvages est en augmentation. »



Mais la surpêche et les méthodes de pêche destructrices ont déjà mené au déclin de plusieurs espèces dans certaines parties des tropiques.



« On prévoit que la croissance démographique, particulièrement dans les zones côtières tropicales, et l’affluence croissante de la population, vont augmenter la pression sur les ressources halieutiques marines, » dit le rapport. Parmi d’autres menaces, on peut citer la pollution, le développement des zones côtières, les déchets plastiques, l’exploitation des énergies fossiles et, à l’horizon, l’exploitation minière des fonds marins.



La mangrove au premier plan avec au fond les collines karstiques du Parc National « Los Haitises » en République Dominicaine. Photographie : Jeremy Hance.
La mangrove au premier plan avec au fond les collines karstiques du Parc National « Los Haitises » en République Dominicaine. Photographie : Jeremy Hance.


Les mangroves, un des écosystèmes marins les plus importants de la région, sont assiégées. Bien que les mangroves protègent les populations côtières des tempêtes tropicales, fournissent une importante zone d’alevinage pour les poissons, et assimilent d’énormes quantités de carbone, ces forêts marines sont rapidement détruites pour faire place à l’aquaculture et au développement humain. Entre 1990 et 2005, la planète a perdu entre 19 et 35 pour cent de ses mangroves.




« Les mangroves sont l’un des écosystèmes les plus menacés dans le monde, » dit le rapport.



Dans le même temps, des menaces croissantes comme le changement climatique et l’acidification des océans pourraient mener à l’effondrement écologique de certains écosystèmes et même à une extinction massive. Un exemple : à l’heure actuelle, plus de la moitié des récifs coralliens de la région sont classés comme étant soumis à un risque élevé ou moyen.




Pour l’avenir



L'un des défis à relever dans les tropiques : préserver la biodiversité au milieu des populations en augmentation et des exigences croissantes en ressources naturelles et en terres. Photographie : Rhett A. Butler.
L’un des défis à relever dans les tropiques : préserver la biodiversité au milieu des populations en augmentation et des exigences croissantes en ressources naturelles et en terres. Photographie : Rhett A. Butler.



De la même façon que pour le reste du monde, le changement climatique est l’un des plus grands défis à relever pour les tropiques dans les années à venir. Des conditions météorologiques plus extrêmes, la hausse du niveau de la mer, la modification du schéma des précipitations et les répercussions de l’agriculture, tous ces facteurs pourraient mettre en péril les populations des régions tropicales. Les experts craignent que de tels bouleversements fassent augmenter le nombre de réfugiés et de conflits régionaux.



Toutefois, le changement climatique entraîne l’extension des zones tropicales à des régions précédemment tempérées. Selon le rapport, les tropiques s’étendent vers le nord et vers le sud à un rythme d’environ 38 à 277 kilomètres tous les 25 ans.



« On pourrait finalement rencontrer des conditions subtropicales arides dans des régions de latitudes plus élevées qui bénéficiaient historiquement d’un climat plus tempéré… Ceci a des implications sur la gestion des ressources en eau et sur l’agriculture, » déclare le co-auteur du rapport, Jo Isaac. « Pourtant, certaines zones qui bordent actuellement la région équatoriale pourraient connaître une augmentation de précipitations extrêmes qui pourraient entraîner des inondations, des déplacements de populations et une incidence accrue de certaines maladies. »



Avant tout, dans l’avenir des tropiques se profilent une influence et une richesse croissantes, mais aussi des luttes pour éliminer la pauvreté et la faim, améliorer les normes sanitaires, préserver la biodiversité, atténuer le changement climatique, et sauvegarder les ressources naturelles pour les générations futures.



« Nous avons entrepris ce projet pour essayer de redéfinir la vision du monde qu’ont les gens (le rapport confirme le formidable potentiel des régions tropicales) et on peut dire que l’avenir appartient aux tropiques. » retient le professeur Harding.




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