Nouvelles de l'environnement

Tapirs, trafic de drogue et police écologique : préserver l’environnement dans le chaos nicaraguayen

Une interview de Christopher Jordan réalisée dans le cadre de notre série d’interviews consacrée à de jeunes scientifiques.




Un tapir de Baird enregistré par caméra-piège sur la côte Est du Nicaragua. Crédit photo : Christopher Jordan.

Un tapir de Baird enregistré par caméra-piège sur la côte Est du Nicaragua. Crédit photo : Christopher Jordan.


Le Nicaragua est une nation qui souffre encore d’une pauvreté extrême, d’un trafic de drogue sans limites, et qui couve des blessures de guerre après des décennies de combats fratricides. Cependant, comme tout pays défini par ses conflits, le Nicaragua réserve quelques surprises qui ont bouleversé les idées reçues. Une de ces surprises, et pas la moindre, réside dans le fait que ce pays d’Amérique centrale abrite encore aujourd’hui de superbes espèces, notamment des jaguars, des tamanoirs géants, des pumas, et l’animal le plus gros de la nation, le tapir de Baird (Tapirus bairdii). En revanche, il n’est pas surprenant de constater que de nombreux défenseurs de l’environnement ont évité le Nicaragua, à cause de l’instabilité du pays. Le spécialiste des tapirs, Christopher Jordan, qui travaille au Nicaragua depuis plus de quatre ans, affirme qu’il n’échangerait sa place pour rien au monde.



« Ce sont les défis qui rendent ce travail intéressant et gratifiant. Le Nicaragua a une histoire absolument fascinante. La majorité des défis… est issue de l’histoire politique, environnementale et économique du pays. » explique Jordan. « Essayer de comprendre et de surmonter ces défis est donc une occasion pour moi d’approfondir mes connaissances sur l’histoire du pays et d’apprendre de nouvelles choses. »



Avec l’aide de données récoltées sur le terrain et de quelques alliés locaux, et armé d’une caméra-piège, Jordan a pour mission œuvrer pour la sauvegarde des tapirs du Nicaragua. Par conséquent, il doit non seulement collaborer avec le gouvernement nicaraguayen mais aussi avec des groupes autochtones et des colons illégaux. Il doit, par ailleurs, s’efforcer de faire des progrès dans un pays où la pauvreté est endémique (le Nicaragua est le second pays le plus pauvre de l’hémisphère ouest après Haïti) et il doit travailler dans des communautés où le plus grand employeur est, la plupart du temps, un baron de la drogue.



Le Rio Wawa se jette dans la Mer des Caraïbes. Photo de : Christopher Jordan.
Le Rio Wawa se jette dans la Mer des Caraïbes. Photo de : Christopher Jordan.

« Travailler pour un baron de la drogue est l’une des seules options pour avoir un travail stable [dans la région côtière du Nicaragua]. La plupart des employés achètent des barils d’essence et des provisions puis utilisent leur propre bateau pour les livrer aux trafiquants de drogue situés dans les eaux côtières. Ce travail peut être dangereux et mène souvent à des jours voire des semaines en prison, pourtant il est plutôt commun » explique Jordan, avant d’ajouter qu’au niveau personnel, le prix à payer peut être énorme.



« Pas plus tard que l’année dernière, deux locaux qui m’aidaient à installer les caméras depuis des années ont été assassinés pour une histoire de drogue volée. »



Malgré de telles épreuves, les premiers résultats du travail de Jordan commencent à se voir : Jordan a découvert que la plupart des tapirs du pays survivent sur la côte caraïbe, bien que l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) ait jugé qu’aucun tapir n’a survécu dans la zone pour cause de chasse excessive.



« Il reste encore de nombreux habitats adaptés dans la région. Il y en a tellement que nous pensons que la côte [Est] entière a servi de corridor de reproduction entre le Honduras et le Costa Rica jusque récemment. » « Les plantations d’huile de palme et le développement des axes routiers au cours des cinq à sept dernières années ont contribué à la séparation de ce corridor de la côte Est. Cependant, la mise en place d’un plan modéré de conservation et de reforestation pourrait favoriser le rétablissement du corridor.



La région de la côte Est du Nicaragua est une région autonome du pays, très différente, culturellement parlant, de la partie Ouest, plus connue. Cette région est principalement habitée par les populations autochtones ainsi que les populations noires des caraïbes. Cette région abrite la plupart des forêts du Nicaragua et la plus grande zone protégée du pays. Cependant, les colons illégaux ont pris le contrôle de la région depuis des décennies, et celle-ci est désormais connue pour les exploitations forestières et minières qui s’y trouvent.



« Au cours des dix dernières années, le nombre de colons a atteint des sommets et les régions autonomes sont désormais peuplées par plus de colons du Pacifique que de populations autochtones ou de descendants de populations africaines » remarque Jordan.



Christopher Jordan aide à confisquer un bébé tapir au Nicaragua. Jordan a récemment débuté une campagne Indiegogo afin de réunir les fonds nécessaires à la mise en place d'un centre de réhabilitation pour les tapirs et autres animaux en danger sur la côte Est du Nicargua. Crédit photo : Christopher Jordan.
Christopher Jordan aide à confisquer un bébé tapir au Nicaragua. Jordan a récemment débuté une campagne Indiegogo afin de réunir les fonds nécessaires à la mise en place d’un centre de réhabilitation pour les tapirs et autres animaux en danger sur la côte Est du Nicargua. Crédit photo : Christopher Jordan.


Bien que les communautés autochtones chassent les tapirs depuis des millénaires, l’arrivée des colons a perturbé l’équilibre entre les chasseurs et les tapirs.



« [Les communautés autochtones] n’ont jamais procédé au déboisement des forêts pour le développement. La population de tapirs a donc pu survivre à la chasse, sans doute grâce à des dynamiques source-puits. Cependant, depuis les années cinquante, les colons de la côte Pacifique envahissent les forêts appartenant aux communautés autochtones pour les déboiser et y créer des pâturages pour leurs bêtes. De plus, le nombre de tapirs qu’ils chassent atteint des sommets. » explique Jordan.



Par conséquent, la population de tapirs s’est retrouvé en péril, ce qui a conduit le gouvernement nicaraguayen à interdire toute chasse de tapirs. Cependant, ces lois ne sont que très rarement mises en application. Jordan travaille actuellement en collaboration avec le gouvernement et les autorités locales pour garantir une meilleure mise en application de ces lois et prendre des initiatives concernant l’éducation des locaux.



« Si les tendances récentes en matière de chasse persistent, je doute que d’ici une dizaine d’années, les espèces existeront encore dans leur aire de répartition actuelle », dit-il.



Néanmoins, l’arrêt total de la chasse ne suffira pas si la déforestation persiste au Nicaragua.



« Les terres agricoles se situent en majorité à l’Ouest du pays. Cependant, cette frontière glisse rapidement du Pacifique vers la côte Est du pays, entraînant ainsi la destruction des forêts restantes du Nicaragua », explique Jordan. « Dans la réserve de la biosphère de Bosawas, soit disant l’une des réserves les plus protégées du pays, nous perdons presque 43 000 hectares de forêt chaque année. Au total, plus de 100 000 hectares de forêt disparaissent chaque année, et les chiffres ne cessent d’augmenter depuis quelques années. »



La déforestation est principalement due aux colons illégaux qui déboisent les forêts pour y créer des pâturages pour leurs bêtes. Elle est également due au commerce illégal du bois, au trafic de terres, ou encore à l’agriculture et notamment à la production d’huile de palme. Selon Jordan, la meilleure solution pour combattre la déforestation, serait d’accorder aux peuples autochtones les droits de propriété sur leur terres ancestrales, et leur assurer un soutien constant.



« La situation est particulièrement urgente. Si les populations autochtones et les descendants des populations africaines de la côte Est ne se voient pas confier le pouvoir de contrôler la destruction, si elle ne sont ni soutenues, ni aidées à établir des stratégies de conservation des forêts et des stratégies de subsistances viables, le nombre de forêts restantes au Nicaragua d’ici dix à quinze ans sera sans doute très réduit. » prévient Jordan.



En 2011, le gouvernement nicaraguayen a mis en place les premiers bataillons écologiques. Ces unités militaires étaient en charge de lutter contre l’exploitation forestière illégale dans le pays. Cependant, Jordan affirme que le travail de ces bataillons a été entravé par la corruption et le manque de ressources, et doit encore prouver son efficacité. Pourtant, Jordan dit que ces bataillons sont passionnés par leur mission.



« J’ai été vraiment étonné par l’implication des soldats et j’ai travaillé personnellement avec quelques lieutenants qui ont fait preuve de réelles initiatives dans leurs efforts pour protéger les forêts du Nicaragua » remarque-t-il. « De plus, en 2012, la façon de parler et l’attitude du gouvernement central face aux colons illégaux et aux trafiquants de terres sur la côte Est du Nicaragua ont considérablement changé. Jaime Incer Barquero, conseiller environnemental du président Ortega, a publiquement qualifié ces colons de ­« cellules cancéreuses » et le gouvernement de Sandinista s’est publiquement engagé à lutter ardemment contre la déforestation et les incendies de forêt lors de la saison sèche de l’année prochaine. »



La peau d'un jaguar noir qui avait été mise en vente. Crédit photo : Christopher Jordan.
La peau d’un jaguar noir qui avait été mise en vente. Crédit photo : Christopher Jordan.

Le gouvernement n’est peut-être pas le seul à changer d’attitude, selon Jordan, la population, et en particulier les jeunes, prend les problèmes de conservation des ressources très au sérieux. Cependant, d’après Jordan, seul le temps nous dira si cette nouvelle approche entraînera des avancées concrètes sur le terrain.



Le combat pour la préservation des forêts du Nicaragua en est a un stade critique dans la réserve de la biosphère de Bosawas, que les colons illégaux ont envahie.



« Nous sommes les témoins de la destruction complète d’une des réserves les plus étendues et les plus importantes de l’Amérique Centrale. Je me suis rendu à la réserve en avril 2013, dans une région où j’avais procédé à un échantillonnage par caméra-piège sur les tapirs en 2012 et il ne restait aucune forêt, explique Jordan. De plus, les colons présents dans la région étaient tout bonnement en train de tout détruire. La plupart des colons ne cherchaient même pas à s’installer dans la réserve, c’était des trafiquants illégaux de terrains contrôlés par la « mafia du bois », ils ne voyaient donc aucun intérêt à conserver les ressources. Lors de mon voyage, ces colons étaient en train de tout brûler, même les forêts riveraines et les routes à bétail utilisées quotidiennement par le voisinage, afin de défricher plus de terrains, plus vite. »



La destruction de la réserve a eu des impacts sur les forêts et la faune, mais aussi sur les terres des populations autochtones (les Mayangnas et les Miskitos) qui dépendent de ces ressources. Ces tribus ont fait de plus en plus appel au gouvernement pour que celui-ci agisse, jusqu’à menacer d’entrer en guerre contre les colons.



« Juste après que la menace de guerre a été lancée, le gouvernement central a renforcé la présence du bataillon écologique et créé un comité interdisciplinaire pour résoudre les problèmes liés à Bosawas. Le gouvernement a commencé par confisquer le bois, arrêter les exploitants forestiers et les colons illégaux et destituer les responsables corrompus qui autorisaient la destruction de la biosphère. Il est possible que le gouvernement souhaitait sincèrement inverser le cours des choses, mais ces derniers mois, ses actions ont commencé à diminuer. L’année dernière, il semblerait qu’il ait révélé un plan d’action détaillé pour sauver la réserve Bosawas, explique Jordan. En attendant, il est primordial que les institutions et les conservateurs internationaux fassent pression sur le Nicaragua pour préserver la réserve Bosowas. Le scepticisme dont à fait preuve l’UNESCO l’année dernière a aidé à forcer le gouvernement à protéger la réserve, une pression supplémentaire pourrait donc les pousser à renforcer leurs efforts. »



Le combat pour la sauvegarde des tapirs au Nicaragua ne représente, en fait, qu’une partie de la lutte pour la sauvegarde des forêts tropicales et des populations autochtones du pays. Si les forêts disparaissent, le pays perdra cette ressource naturelle ayant le potentiel de garantir un développement durable. Le désespoir des populations replongerait le pays, fatigué de la guerre, dans le chaos et un bain de sang. Si les tapirs du Nicaragua peuvent prospérer, alors peut-être y a-t-il un espoir pour les populations.





Pour aider Jordan dans sa mission au Nicaragua, rendez-vous sur le site de sa campagne Indiegogo, Vous pouvez aussi suivre son travail sur sa page facebook ou en vous abonnant à sa chaîne youtube.





UNE INTERVIEW DE CHRISTOPHER JORDAN


Un jaguar enregistré par une caméra-piège au Nicaragua.




Mongabay: Quel a été votre parcours ?



Christopher Jordan: Ij’ai une Licence en conservation de la faune et une autre en espagnol et études latino-américaines que j’ai validées à l’Université Amherst du Massachusetts. En ce moment, je rédige une thèse sur la pêche et la faune à l’Université publique du Michigan. Je m’intéresse beaucoup à la faune depuis environ huit ou neuf ans. Je suis né dans le Massachusetts où j’ai acquis mes premières expériences. J’ai eu la chance de travailler avec des tortues d’eau douce, des cicindèles, et des salamandres maculées. Il y a environ sept ans, j’ai effectué quelques stages et j’ai occupé des postes au Mexique et en Amérique Centrale où j’étudiais principalement les mammifères terrestres. J’ai entrepris mon doctorat en 2009 à la National Science Fundation (équivalent du CNRS aux États-Unis) en travaillant sur un projet de cohabitation des systèmes humains et naturels. Je me concentrais sur les impacts du développement des axes routiers sur la biodiversité et les populations rurales de la côte Est du Nicaragua.



Mongabay: En quoi les tapirs vous ont-ils intéressés ?



Christopher Jordan: Je crois que c’est difficile de ne pas l’être. Ce sont des animaux remarquables, à la fois du point de vue écologique et de leur évolution. J’ai commencé à m’intéresser aux tapirs de Baird lorsque je me suis chargé de la coordination d’une étude de la biodiversité par caméra-piège le long de la côte Est du pays. Très peu de données scientifiques sur les tapirs avaient été publiées dans le pays alors que je parvenais à rassembler une masse d’informations à leur sujet. J’ai donc décidé de porter mes recherches sur les tapirs afin de développer davantage la base de données. Peu après, j’ai reçu une subvention du Fond pour la conservation des espèces de Mohammed bin Zayyed afin d’en apprendre plus sur les aires de répartition des tapirs dans le pays.



J’ai aussi été attiré par les professionnels qui travaillaient déjà avec les tapirs. Après une de mes saisons sur le terrain, j’ai présenté mes premiers éléments de recherche devant un colloque international organisé par l’UICN et le groupe de spécialistes des tapirs (GST), puis, je suis devenu le coordinateur du GST au Nicaragua. Le GST est de loin le meilleur groupe d’universitaires et de conservateurs avec qui j’ai eu la chance de travailler au cours de ma carrière. Tout le monde participe volontiers à l’effort commun en partageant des données, des idées et des savoir-faire avec les autres membres du groupe pour contribuer à la préservation mondiale des tapirs. Je ne peux en dire assez sur le GST ; ces membres m’ont inspiré, ils m’ont poussé à poursuivre mes efforts pour protéger les tapirs, pas seulement au Nicaragua mais aussi à l’échelle mondiale.



UN TAPIR DE BAIRD AU NICARAGUA



Un tapir de Baird au Nicaragua. Crédit photo : Chirstopher Jordan.
Un tapir de Baird au Nicaragua. Crédit photo : Chirstopher Jordan.



Mongabay: La plupart de gens qui pensent au Nicaragua ne pensent probablement pas aux tapirs. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette espèce et sur ce qui la différencie des autres tapirs?



Christopher Jordan: Nous comptons officiellement quatre espèces de tapirs dans le monde, dont trois se trouvent en Amérique. L’espèce que l’on trouve au Nicaragua est appelée tapir de Baird. Le tapir de Baird a été classé espèce en danger par la UICN. On estime son effectif global à 5 000 voire 5 500 tapirs.



Le tapir de Baird est la seconde espèce de tapirs la plus imposante, les adultes pesant entre 180 et 270 kg, ce qui fait d’eux les plus gros mammifères terrestres du Nicaragua. Les deux espèces que l’on trouve en Amérique du Sud sont très similaires aux tapirs de Baird. Elles ont aussi plus de caractéristiques génétiques différentes que les tapirs de Baird,



bien que tous les tapirs possèdent d’importantes similarités. Par exemple, ils jouent tous un rôle écologique essentiel, notamment par la dispersion des graines et le broutage sélectif, ce qui contribue à structurer les forêts et à garantir leur régénération. Ce sont des animaux uniques en termes d’évolution et d’anatomie. Ils ont un proboscis qu’ils utilisent pour saisir le feuillage ou comme un tuba lorsqu’ils nagent. Les tapirs ayant très peu évolué au cours de l’Histoire, nous pouvons utiliser les données que nous avons récoltées sur leur aire de répartition comme indicateur de l’évolution de la surface forestière. Toutes les espèces de tapirs se reproduisent très lentement. Les tapirs de Baird ont une période de gestation de 400 jours, après quoi ils donnent naissance à un seul petit. Le jeune tapir reste avec sa mère de 12 à 18 mois et n’atteint pas sa maturité sexuelle avant plusieurs années. Ce cycle de reproduction, extrêmement lent, les rend particulièrement vulnérables à la chasse et à la disparition de leur habitat, les deux principales menaces de ces animaux.



Bien qu’ils soient charismatiques, intéressants, grands et essentiels d’un point de vue écologique, il reste beaucoup à apprendre sur les tapirs de Baird et les tapirs en général, qui sont très peu connus du public dans les pays où ils sont présents.



Mongabay: Selon vous, combien reste-t-il de tapirs au Nicaragua?




Compilation de quelques vidéos de tapirs au Nicaragua.



Christopher Jordan: Mon équipe de recherche rassemble actuellement toutes les données récoltées dans les différents habitats des tapirs au Nicaragua afin de pouvoir estimer avec un certain degré de certitude, le nombre de tapirs présents dans le pays. Cependant, j’ai déjà étudié la plupart des tapirs du pays. À partir de ce que l’on sait sur leur aire de répartition et leur densité dans d’autres pays, si je devais faire une estimation, je pense qu’il doit rester entre 900 et 1 100 tapirs au Nicaragua.



Mongabay: Qu’avez-vous appris de leur aire de répartition et de leur comportement grâce à vos recherches?



Christopher Jordan: Quasiment toutes les données que mon équipe a rassemblées sont nouvelles pour le pays. La découverte la plus intéressante réside probablement dans le fait que la côte Est du pays, auparavant considérée par l’UICN comme une zone où l’espèce était en péril, soit actuellement la zone à la plus forte densité de population de tapirs. « Il reste encore de nombreux habitats adaptés dans la région. Il y en a tellement que nous pensons que la côte entière a servi de corridor de reproduction entre le Honduras et le Costa Rica jusque récemment. » « Les plantations d’huile de palme et le développement des axes routiers au cours des cinq à sept dernières années ont contribué à la séparation de ce corridor de la côte Est. Cependant, la mise en place d’un plan modéré de conservation et de reforestation pourrait favoriser le rétablissement du corridor.



Mongabay: Quelles sont les principales menaces pour les tapirs?



Christopher Jordan: On compte trois menaces principales pour les tapirs : la destruction de leur habitat, la chasse, et la capture et le trafic de jeunes spécimens pour le commerce illégal d’animaux de compagnie.



Ces trois menaces se sont intensifiées au cours des dernières années suite au déplacement de la frontière entre les zones agricoles et forestières dû aux paysans et aux éleveurs bovins de la côte Ouest. Les agriculteurs et les éleveurs quittent leurs exploitations suite à des crises économiques ou après avoir détruit leur propre exploitation en adoptant des pratiques trop agressives. Ils déboisent et s’installent ensuite dans les zones protégées sur la côte Est du pays pour recommencer. Il est évident que toutes ces menaces sont reliées entre elles et accélèrent la disparition des tapirs dans leur aire de répartition actuelle.



Mongabay: Qui sont les principaux chasseurs de tapirs ? Pourquoi est-il si facile de braver l’interdiction de chasser les tapirs ?



Christopher Jordan: Les populations rurales sont les principaux chasseurs de tapirs, comme dans de nombreux pays développés. Cependant, le problème de la chasse des tapirs est plus compliqué. Historiquement, la côte Est du Nicaragua a toujours été séparée économiquement et culturellement de la côte Ouest. À la fin de la guerre civile, la côte Est a été officiellement décrétée région autonome. Les populations autochtones et les descendants des populations africaines détiennent donc les titres fonciers communaux des forêts. Ces communautés ont toujours chassé les tapirs mais n’ont jamais procédé au déboisement des forêts pour le développement. La population de tapirs a donc pu survivre à la chasse, sans doute grâce à des dynamiques source-puits. Cependant, depuis le 20e siècle, les colons de la côte Ouest envahissent ces forêts afin de les déboiser pour leur troupeaux. « Au cours des dix dernières années, le nombre d’immigrants a atteint des sommets et les régions autonomes comptent désormais plus d’immigrants du Pacifique que de populations autochtones ou de descendants de populations africaines » remarque Jordan. De plus, les populations originaires de la côte Ouest, chassent les tapirs en très grand nombre. Nous avons constaté que les communautés autochtones continuent de chasser au même rythme que dans le passé. Seulement, ces taux ne sont plus viables car les grandes étendues de forêts qui servaient auparavant de refuges aux populations de tapirs chassées ont disparu. De plus, depuis 2000, la chasse pratiquée par les populations autochtones s’est ajoutée aux taux extrêmement élevés des colons.



Si les interdictions de chasse sont bravées aussi facilement c’est que l’application des lois environnementales n’a pas lieu dans la majorité des forêts de la côte Est. Je n’ai jamais rencontré un membre de l’organisation MARENA dans les zones protégées de la côte Est. Un bataillon écologique a été crée au sein de l’armée nationale en 2011 afin de renforcer les lois environnementales dans les milieux ruraux. Cependant, ils sont situés à des endroits stratégiques du pays et ne sont donc pas vraiment présents dans la plupart des forêts. De plus, ces bataillons ont été entraînés à mettre un terme à l’exploitation du bois et ne se préoccupent pas activement de faire appliquer les lois sur la chasse. Nous collaborons avec le zoo national du Nicaragua et MARENA pour changer la situation et pousser l’armée à appliquer davantage les lois sur les restrictions de chasse. Néanmoins, dans la situation actuelle, la plupart des populations autochtones et les descendants de populations africaines détenant des titres fonciers communaux se retrouvent seuls pour gérer leurs terres et appliquer les lois environnementales. Même si les nicaraguayens ont une réelle volonté de préserver leurs forêts et de défendre leurs terres, ils possèdent rarement les ressources et la main d’œuvre nécessaires pour le faire.



Nous sommes très préoccupés par la chasse excessive des tapirs qui provoquerait la disparition des tapirs dans la plupart de leurs aires de répartition.



Mongabay: Quelles actions sont nécessaires pour empêcher la disparition des tapirs au Nicaragua ?



Un jeune tapir retenu en captivité a été confisqué par les autorités. Crédit photo : Christopher Jordan.
Un jeune tapir retenu en captivité a été confisqué par les autorités. Crédit photo : Christopher Jordan.


Christopher Jordan: Deux facteurs essentiels doivent être respectés afin de garantir la survie des tapirs : Une réduction du nombre de tapirs chassés au niveau national et un réel effort de la part du gouvernement pour aider les populations autochtones et les descendants des populations africaines à protéger leurs forêts.



Une interdiction permanente de chasser les tapirs existe, mais les lois environnementales sont rarement appliquées en dehors des villes majeures (où il n’y a pas de tapirs). Nous travaillons avec les autorités territoriales et les gouvernements locaux à mettre en place des interdictions concernant la chasse des tapirs. En agissant au niveau local, les populations devraient se sentir plus concernées et les autorités autonomes auraient plus de chances de mettre en application ces lois. À leur décharge, de nombreuses communautés autochtones sont très intéressées par la création de ses lois car la vie de la faune dans leurs forêts fait partie intégrante de leur culture et de leurs moyens de subsistance. Récemment, le gouvernement territorial d’Awaltara a rédigé et approuvé une première interdiction de chasse concernant toutes les espèces en danger. Au cours des prochains mois, nous avons prévu d’organiser, avec l’aide du groupe de spécialistes des tapirs UICN, des ateliers afin d’aider les communautés à planifier et organiser la mise en application des lois. Nous espérons pouvoir répéter l’opération avec d’autres gouvernements territoriaux de la côte Est l’année prochaine.



En général, les colons de la côte Ouest n’accordent aucune importance culturelle aux tapirs ; ils sont donc moins enclins à faire des efforts pour les préserver. C’est dans de telles situations que nous intervenons avec les bataillons écologiques de l’armée afin de les aider à identifier la chasse illégale et à l’empêcher. De plus, à travers nos efforts de sensibilisation à l’environnement, nous essayons de toucher le plus de nicaraguayens possible, à la fois les populations métisses de la côte Ouest mais aussi les populations autochtones et les descendants des populations africaines. Nous souhaitons qu’ils prennent conscience, mais surtout qu’ils soient fiers d’avoir une population aussi importante de tapirs dans le pays. Nous pensons être sur la bonne voie, mais si les tendances récentes de chasse persistent, je doute que d’ici une dizaine d’années, les espèces existeront encore dans leur aire de répartition actuelle.



Le second problème, qui est de garantir les droits fonciers des terres communales aux populations autochtones et de les aider à défendre les forêts de la côte Est, est sans doute le plus important et aura un impact à la fois sur la chasse et sur la destruction de l’habitat des tapirs. Historiquement, le gouvernement national n’a pas offert le soutien qu’elles méritent aux populations de la côte Est. À ce stade, la délimitation officielle des terres a été évitée pendant des décennies, en partie pour éviter des conflits d’ordre juridique pour des terres acquises illégalement par les colons de la côte Ouest. Plusieurs fois dans le passé, l’encouragement actif à la colonisation illégale des forêts de la côte Est a été un aspect clé de la politique du gouvernement central. En aidant les paysans métisses de la côte Ouest à voyager et à s’installer sur la côte Est du pays, le gouvernement central a pu obtenir des soutiens dans des régions auparavant réputées appartenir à l’opposition.



La situation est dorénavant hors de contrôle puisque les exploitants forestiers illégaux, les éleveurs de bovins et les trafiquants de terres détruisent les forêts restantes et chassent à des rythmes non-viables. La situation est particulièrement urgente. Si les populations autochtones et les descendants des populations africaines de la côte Est ne se voient pas confier le pouvoir de contrôler la destruction, si elles ne sont ni soutenues, ni aidées à établir des stratégies de conservation des forêts et des stratégies de subsistances viables, le nombre de forêts restantes au Nicaragua d’ici dix à quinze ans sera sans doute très réduit.



Mongabay: Mis à part les tapirs, quelles sont les autres espèces dans le pays qui pourraient nous surprendre ?


Une vidéo très rare : un tamanoir géant enregistré par caméra-piège au Nicaragua.




Christopher Jordan: Comme tous les pays d’Amérique centrale, le Nicaragua bénéficie d’une biodiversité très élevée due à la grande diversité des écosystèmes. L’une des plus connues et des plus surprenantes espèces du Nicaragua est peut-être le requin-bouledogue, que l’on trouve dans le lac Cocibolca. Il a été démontré que les requins-bouledogues voyagent de l’océan jusque dans cet immense lac d’eau douce par le fleuve San Juan. Bien qu’ils fassent partie de l’histoire naturelle fascinante du Nicaragua, les requins-bouledogues sont sur le point de disparaître du lac à cause des pratiques de pêches trop agressives, de la pollution, et de la persécution des humains. Le lac Cocibolca abrite aussi de nombreuses espèces de cichlidés et représente une source d’eau essentielle en Amérique Centrale. Il sera très intéressant d’observer les résultats de la faisabilité et de l’étude des impacts qu’auraient un canal interocéanique, la plupart des routes proposées traversant le lac.



Une autre espèce surprenante est le jabiru d’Amérique, qui, tout comme le tamanoir géant, n’est probablement pas associé au Nicaragua. Je pense que cette dernière espèce est rare dans le pays car je n’ai pu rassembler qu’une poignée d’informations sur le jabiru d’Amérique.



La tortue verte, pêchée en masse sur la côte Est, est également en péril. Cette pêche traditionnelle existe depuis des centaines d’années et occupe essentiellement le marché national. Les locaux consomment chaque année plus de 10 000 tortues vertes. Cependant, c’est un sujet intéressant puisque les tortues de mer font l’objet d’efforts en terme d’écotourisme dans les autres pays d’Amérique centrale.



Mongabay: Quel rôle jouent les caméras-pièges au cours de vos recherches ?


Jordan (à gauche) et un assistant de terrain posent une caméra-piège. Photo de : Christopher Jordan.
Jordan (à gauche) et un assistant de terrain posent une caméra-piège. Photo de : Christopher Jordan.



Christopher Jordan: Les caméras-pièges représentent un élément clé de mes recherches au Nicaragua depuis cinq ans. Bien que mes recherches se concentrent essentiellement sur la côte Est du Nicaragua et que j’étudie aujourd’hui principalement les tapirs, j’ai commencé mes recherches en étudiant la diversité des mammifères terrestres. Cela signifie que mon travail couvre de grandes régions, de nombreux habitats ayant des impacts anthropiques différents et une grande diversité d’espèces. À certains endroits, la forêt a été dévastée par un ouragan et est difficile d’accès ; à d’autres endroits, elle est entourée de terres agricoles et la faune a sévèrement diminué à cause de la chasse. Ces facteurs associés à une région d’étude très étendue, à des sites peu connus ayant une densité animale très basse, et enfin, à une variété d’espèces ayant des environnements différents, limitent mes capacités d’actions et m’empêchent d’utiliser certaines méthodes telles que échantillonnage par transects. Les caméras-pièges ont été très utiles pour rassembler des données sur de nombreuses espèces dispersées dans cette région, vaste et variée.



De plus, à cause des conflits avec les étrangers et d’un passé marqué par l’oppression économique des entreprises d’extraction des ressources, de nombreux autochtones et descendants de populations autochtones, en particulier dans le nord, ne font pas immédiatement confiance aux étrangers. Bien que j’aie passé un temps considérable dans des communautés et interviewé des exploitants forestiers ainsi que des chasseurs pour établir un contact, je ne pense pas pouvoir sous-estimer la valeur des caméras-pièges et des photos et vidéos enregistrées pour briser la glace. Les caméras-pièges ne font pas cas des différentes cultures. Tout le monde peut apprécier ce sentiment d’excitation lorsqu’il découvre les images d’une caméra pour la première fois. Il a toujours été important pour moi d’imprimer quelques photos et de laisser des albums dans les communautés ainsi que de visualiser les images avec mes assistants de terrain, leur famille, et parfois même les dirigeants des communautés dès lors que l’on rapporte une caméra du terrain. Communiquer grâce à des photos et être capable de laisser des résultats positifs dans ces communautés est un excellent moyen d’établir le contact avec les populations rurales.



IJe pense que mes recherches devraient bénéficier aux régions où je travaille. Bien que partager des photos prises par les caméras-pièges ne garantisse pas forcément une bonne relation avec les communautés, je suis certain que cela a aidé les dirigeants de ces communautés à se sentir plus à l’aise et à collaborer avec moi. Découvrir les résultats avec eux nous a permis d’établir une relation professionnelle basée sur la confiance, jusqu’au point de mettre assez en confiance les gouvernements locaux et territoriaux pour qu’ils osent venir me demander de l’aide pour certains projets ou rapports. Je ne peux pas dire que les caméras-pièges soient le secret mais elles ont certainement facilité les choses et ont été un moyen de communication très efficace.



LES FORÊTS ET LES COMMUNAUTÉS AUTOCHTONES AU NICARAGUA


Descente en canoë mayangna dans la réserve de la biosphère de Bosawas. Crédit photo : Christopher Jordan.
Descente en canoë mayangna dans la réserve de la biosphère de Bosawas. Crédit photo : Christopher Jordan.


Mongabay: Le Nicaragua compte encore beaucoup de forêts mais sont-elles vraiment menacées ? Quelles sont les principales raisons de la déforestation dans le pays ?



Christopher Jordan: Les terres agricoles se situent en majorité à l’Ouest du pays. Cependant, cette frontière glisse rapidement du Pacifique vers la côte Est du pays, entraînant ainsi, la destructions des forêts restantes du Nicaragua. Dans la réserve de la biosphère de Bosawas, soit disant l’une des réserves les plus protégées du pays, nous perdons presque 43 000 hectares de forêts chaque année. Au total, plus de 100 000 hectares de forêts disparaissent chaque année, et les chiffres ne cessent d’augmenter depuis quelques années. Lors de la dernière saison sèche, le gouvernement a estimé que le nombre d’incendies utilisés pour défraîchir les régions déboisées pour l’agriculture était trois fois plus élevé qu’en 2012.



La principale cause de déforestation est l’exploitation illégale du bois, le trafic de terres, et l’augmentation de l’élevage de bovins le long de la frontière séparant les zones agricoles des zones forestières. L’exploitation et la vente illégales du bois, en majorité pour le marché étranger, est un problème majeur sur la côte Est depuis toujours. Récemment, l’exploitation du bois de rose, qu’elle soit légale ou illégale, menace la côte Est. La partie nord de la côte Est du pays ainsi que la réserve de la biosphère de Bosawas, connaissent actuellement un sérieux problème d’exploitation illégale du bois. De récentes études suggèrent que l’extraction illégale du bois est en partie commandée par des acheteurs chinois et gouvernée par des « mafias du bois » qui corrompent les gouvernements et usent de menaces et de la violence pour rester opérationnelles. Bien que beaucoup reste encore à faire, l’armée s’efforce de réduire l’extraction illégale de bois, et a rencontré un franc succès.



De nombreux paysans de la côte Ouest, entrant dans les zone protégées, s’adonnent eux aussi au trafic de terre. Les trafiquants de terres envahissent les régions mal protégées (très souvent des terres appartenant aux populations autochtones), les défrichent, vendent le maximum de bois possible puis vendent les parcelles de terres déboisées grâce à des titres fonciers falsifiés ou obtenus par des agents officiels corrompus. Les trafiquants se dirigent ensuite vers une autre zone forestière et répètent l’opération. Les trafiquants de terres ont une présence particulièrement accrue dans les zones protégées du pays, y compris dans les réserves de la côte Ouest du pays telles que la péninsule Cosigüina. Un article de presse récent détaille les effets néfastes de ce trafic sur l’industrie du tourisme ainsi que sur la faune dans la péninsule Cosigüina.



Pour finir, les éleveurs de bovins achètent ces terres aux trafiquants de terre et utilisent les infrastructures et les axes routiers développés par les entreprises exploitantes de bois. Ils y installent leurs troupeaux et agrandissent petit à petit leur domaine sur des sols néo-tropicaux, non adaptés à l’élevage intensif de bovins. On compte généralement deux types d’éleveurs de bovins : les éleveurs riches qui peuvent acheter de grandes portions de terrain, et les plus pauvres qui eux ne peuvent acheter que de petites parcelles, souvent entre deux et trois hectares. La combinaison de ces deux types d’éleveurs détruit totalement les forêts. En effet, les riches éleveurs achètent généralement de grands terrains, mais il reste toujours quelques zones forestières entre les fermes qui servent de corridors fauniques. En revanche, lorsque les éleveurs les plus pauvres entrent en scène et qu’ils achètent ces petites zones forestières afin de les transformer en petits pâturages, ils détruisent alors les habitats de la faune.



Tous savent que leurs actions sont illégales d’une manière ou d’une autre. Ils se sentent constamment menacés lorsqu’ils rencontrent un étranger, ce qui explique leur méfiance et parfois même leur recours à la violence. Au cours des années passées, nous avons été confrontés à des cas où les colons illégaux et les exploitants de la forêts sont allés jusqu’à tuer des employés du gouvernement ainsi que d’éminents membres des gouvernements autochtones pour avoir remis en question leurs activités illégales.



Pour terminer, je dirais que le dernier facteur responsable de la déforestation est le nombre croissant de plantations de palmiers à huile. La vitesse à laquelle le nombre de plantations de palmiers à huile a augmenté dans certaines régions du Nicaragua est saisissante. Les plantations commencent d’ailleurs à menacer la réserve de la biosphère d’Indio-Maiz dans le sud.



Mongabay: Pouvez-vous nous en dire plus sur les forêts de la côte Est ? Qu’est-ce qui rend ces endroits spéciaux ?


Christopher Jordan: La côte Est du pays abrite de larges régions de forêts tropicales, mais aussi des forêts inondées de façon saisonnière, des forêts de mangrove, des zones marécageuses peuplées de palmiers raphia et de nombreuses savanes épineuses.



La côte Est a toujours été plus conservée que la côte Ouest au cours de l’Histoire, et cela est dû à plusieurs raisons. Dans la majeure partie de l’Amérique centrale, le climat est plus adapté à une agriculture de masse et il y a donc des récoltes tout au cours de l’année sur la côte Ouest ; c’est donc là que la densité de population est la plus forte et que l’agriculture à grande échelle s’est développée. De plus, la côte Est a historiquement été protégée par les britanniques et les miskitos contre les invasions espagnoles. Toutes les invasions ont pu être empêchées par les dangers de la guerre civile dans les années 80. En dehors de cela, les populations autochtones telles que les miskitos, les mayangnas, les ramas et les descendants des populations africaines, tels que les kriols et les garifunas, sont de petits horticulteurs qui alternent les cultures et préservent de grands espaces de forêts comme faisant partie de leurs moyens de subsistance. Bien que l’on pourrait débattre du réel intérêt de ces groupes pour l’environnement par rapport à celui des paysans de la côte Ouest, ils sont très écolos.



Grâce à ce contexte historique, il y avait, jusque récemment, un couloir d’habitats potentiels pour la faune le long de la côte Est, de la frontière avec le Honduras jusque la frontière avec le Costa Rica. Il est très rare de trouver des couloirs qui s’étendent à travers un pays entier, et tout particulièrement, lorsque ces couloirs ne sont pas des chaînes de montagnes. Nous pensons que la côte Est du Nicaragua était jusque récemment un corridor biologique pour de nombreuses espèces, y compris les tapirs. Au cours des cinq dernières années environ, le développement des plantations de palmiers à huile et le déplacement de la frontière agricole, ont sans aucun doute provoqué une interruption du flux génétique dans ce corridor. Cependant, nous en sommes encore à un point où des efforts de préservation et de reforestation pourraient rétablir la fonction primaire de ce corridor de la côte Est.



Il est très frustrant de voir que les efforts faits pour préserver ce genre de paysages ne soient pas considérés comme étant aussi importants que les efforts de préservation réalisés au niveau national. Au lieu de cela, le gouvernement se bouscule pour répondre aux menaces qui pèsent sur les plus importantes réserves de la biosphère du pays.



Mongabay: Ces régions sont maintenant gouvernées par les communautés autochtones et les descendants de populations africaines, en quoi cela impacte-t-il les efforts de préservation ?




Destruction des forêts tropicales sur la côte Est. Crédit photo : Christopher Jordan.
Destruction des forêts tropicales sur la côte Est. Crédit photo : Christopher Jordan.



Christopher Jordan: D’un point de vue logistique, le fait que les écosystèmes de la côte Est soient des régions autonomes et soient gouvernées par différentes communautés autochtones et descendants de populations africaines, rend la recherche et les efforts de préservation plus difficiles. En effet, les chercheurs et les conservateurs doivent obtenir des permis de toutes sortes d’organisations gouvernementales.



Plus important encore, lorsque les chercheurs ou les conservateurs travaillent dans des forêts où les populations locales vivent de l’extraction d’une certaine ressource, les exclure du travail serait contraire à l’éthique. Dans un contexte où les résidents de ces forêts ont été constamment négligés, marginalisés et dont on a toujours tiré parti, il est de la responsabilité du chercheur de garantir, à tout prix, leur implication dans les projets.



Mongabay: Vous avez travaillé en étroite collaboration avec des peuples autochtones. Quel conseil donneriez-vous aux scientifiques voulant instaurer un partenariat efficace avec les communautés autochtones ?



Christopher Jordan: Si les écologistes veulent inclure les communautés autochtones en toute légitimité et collaborer avec elles, je pense qu’il est nécessaire de combiner les efforts de recherche dans le domaine écologique avec les sciences sociales. En ce qui me concerne, pendant presque une année, j’ai consacré mon temps libre à m’intéresser aux modèles mentaux et à des entretiens d’histoire orale. J’ai ainsi étudié les relations des populations locales avec les animaux (non-humains) et l’utilisation qu’ont les peuples de la forêt en général. Cela m’a permis de me faire une idée plus juste du regard que les populations locales portent sur mes recherches, de définir de quelle façon je pourrais faire évoluer notre collaboration pour accroître les avantages locaux et de quelle façon je pourrais établir des relations de travail équitables avec les spécialistes de l’environnement locaux, directement impliqués dans le processus de recherche.



Il est également important d’être non seulement honnêtes, mais également complètement transparents, même lorsque cela ne semble pas nécessaire. Il faut donc expliciter les avantages que la conservation va apporter à chaque partie impliquée et lui expliquer les données, les résultats et les conclusions. Dans ce but, les chercheurs doivent dédier une grande partie de leur temps à comprendre les cultures locales et leur rapport avec leurs écosystèmes en lisant les écrits disponibles, en partageant la vie des populations locales et en interagissant avec elles.



Dans certains cas, les communautés autochtones et traditionnelles ont été victimes d’accords commerciaux inéquitables rédigés par des entreprises d’extraction de ressources naturelles. Dans d’autres cas, elles ont dû mener des guerres pour conserver leurs territoires et leurs modes de vies. La plupart du temps, elles ont été marginalisées et traitées injustement. Si les chercheurs ne se montrent pas complètement transparents du début à la fin d’un projet de recherche, cela peut créer des frictions entre les populations locales et les chercheurs ou les spécialistes locaux ou futurs de la conservation.



Mongabay: comment le gouvernement central s’implique-t-il dans la lutte contre la déforestation ? Sa façon de faire est-elle efficace ? Pourquoi ?



Christopher Jordan: La principale et première méthode de lutte contre la déforestation utilisée par le gouvernement est celle des bataillons écologiques. Il y a quelques années, le gouvernement central a créé une division de l’armée nationale, le Bataillon écologique, et a établi des postes militaires dans les régions protégées et d’autres endroits stratégiques pour appliquer les lois environnementales. Les soldats patrouillent dans les régions sensibles, créent des points de contrôle le long des routes empruntées par les colons pour rejoindre les forêts et surveillent les camions et les équipements destinés à l’exploitation forestière pour s’assurer que les entrepreneurs forestiers disposent des permis requis.



MARENA organise également des ateliers et des forums à Managua, la capitale, et ses alentours pour encourager l’adoption d’idéologies protectrices de l’environnement et d’un mode de vie plus vert. Ces dernières années, le gouvernement central a fait pression en faveur de la reforestation.



Pour être honnête, ces efforts ne suffisent pas encore à limiter la déforestation. Ces difficultés sont liées aux priorités et aux ressources du gouvernement central. Le Nicaragua est un pays très pauvre, et comme d’autres pays pauvres, il ne pense pas pouvoir se permettre le luxe d’investir massivement dans la protection des forêts et des ressources naturelles. Même si MARENA a mis au point quelques projets pour limiter la déforestation, elle ne dispose pas du personnel ou du budget nécessaires pour assurer une présence forte dans les régions isolées du pays, sur lesquelles s’étend la plupart des forêts. Ces efforts sont avant tout concentrés sur la côte Ouest. Ils ont conduit à des reforestations dans le centre du pays, mais les efforts entrepris pour protéger les forêts de la côte Est manquent pour la plupart de profondeur.



Cependant, l’inefficacité n’est pas uniquement le résultat du manque d’un budget approprié. La corruption est très présente dans les délégations régionales de MARENA. En général, les délégués sont choisis pour des raisons politiques et financières plutôt que pour leurs qualifications. J’ai entendu dire que souvent, les entreprises exercent une influence plus importante que le Ministère des ressources naturelles sur les décisions environnementales. Par exemple, les délégués régionaux ont parfois été soumis à des pressions visant à légitimer l’exploitation forestière illégale en délivrant des permis aux entreprises forestières après que le bois a été récolté, et parfois même après que le bois a été saisi par l’armée. Dans certains scénarios, le délégués ont refusé de coopérer ou de délivrer des permis à des ONG protectrices de l’environnement et à des écologistes simplement pour montrer publiquement qu’ils n’étaient pas d’accord avec eux ou pour contester leurs décisions. Avec le manque d’autorité et de présence du gouvernement central dans la région de la côte Est, ces actions se poursuivent sans relâche. Ni les délégués corrompus ni les principaux responsables de la déforestation considèrent que le Ministère national des ressources naturelles est légitime.



Néanmoins, j’ai bon espoir que cela change. Tout d’abord, malgré les problèmes initiaux avec le bataillon écologique, j’ai été vraiment étonné par l’implication des soldats et j’ai travaillé personnellement avec quelques lieutenants qui ont fait preuve de réelles initiatives dans leurs efforts pour protéger les forêts du Nicaragua. Les commandants régionaux et nationaux des bataillons écologiques m’ont également impressionné et je suis convaincu qu’ils croient en leurs missions et qu’ils continueront à développer les bataillons jusqu’à ce qu’ils soient efficaces.



De plus, en 2012, la façon de parler et l’attitude du gouvernement central face aux colons illégaux et aux trafiquants de terrains sur la côte Ouest du Nicaragua a changé considérablement. Jaime Incer Barquero, conseiller environnemental personnel du président Ortega a publiquement qualifié ces colons de ­« cellules cancéreuses » et le gouvernement de Sandinista s’est publiquement engagé à lutter ardemment contre la déforestation et les incendies de forêt lors de la saison sèche de l’année prochaine. Ils ont également ordonné publiquement le déploiement de soldats en renfort pour empêcher la colonisation de la réserve de la biosphère de Bosawas en réponse à l’incertitude de l’UNESCO, qui ne sait pas si la réserve doit, ou non, continuer à être classée réserve biosphère.



De plus, MARENA compte un grand nombre de passionnés, le ministre inclus. MARENA a été très réceptive à notre projet et s’est surpassée pour manifester son soutien. À plusieurs reprises, elle a directement affecté des ressources pour nous aider. Récemment, elle nous a fourni un camion, de l’essence et un technicien de terrain lorsque nous tentions de confisquer un tapir détenu illégalement et mis en vente près de Rosita.



On observe également un changement dans l’attitude des jeunes nicaraguayens, principalement dans les zones urbaines et près des deux réserves biosphères du pays. C’est très certainement dû aux efforts du gouvernement central, et notamment de la première dame du pays, Mme Rosario Marillo, pour promouvoir un mode de vie plus vert à Managua. De nombreuses ONG font également du bon travail près des biosphères, contribuant ainsi à ce changement d’attitude.



Pour résumer, avec l’inefficacité des efforts du gouvernement central, le niveau actuel de corruption et la faiblesse des ressources, contrôler la déforestation dans un futur proche constitue un réel combat. Toutefois, nous commençons à apercevoir les signes d’un changement radical dans notre pays. L’année prochaine, en particulier lorsque le plan du gouvernement pour sauver Bosawas aura été dévoilé, nous verrons si ces changements étaient vraiment sincères.



Mongabay: Récemment, le bruit court que la réserve biosphère de Bosawas et ses communautés autochtones sont sous le joug de milliers de colons illégaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation ?


Une forêt brûlée dans la zone tampon de Bosawas. Photo de : Christopher Jordan.
Une forêt brûlée dans la zone tampon de Bosawas. Photo de : Christopher Jordan.


Christopher Jordan: La situation de Bosawas est extrêmement décourageante. Nous sommes les témoins de la destruction complète d’une des réserves les plus étendues et les plus importantes de l’Amérique Centrale. Je me suis rendu à la réserve en avril 2013, dans une région où j’avais procédé à un échantillonnage par caméra-piège sur les tapirs en 2012 et il ne restait aucune forêt. De plus, les colons présents dans la région étaient tout bonnement en train de tout détruire. La plupart des colons ne cherchait même pas à s’installer dans la réserve, c’étaient des trafiquants illégaux de terrains, contrôlés par la « mafia du bois », ils ne voyaient donc aucun intérêt à conserver les ressources. Lors de mon voyage, ces colons étaient en train de tout brûler, même les forêts riveraines et les routes à bétail utilisées quotidiennement par le voisinage, afin de défricher plus de terrains, plus vite.



La réserve perd entre 40 000 et 50 000 hectares chaque année. On a estimé que presque la moitié de la réserve, incluant 20 à 30 % du noyau central, a été endommagée par les colons. Les populations autochtones, qui y vivent et possèdent un droit de propriété sur ces forêts, désespèrent. Ce sont surtout des populations autochtones de Mayangna. Elles n’ont jamais disposé des ressources financières suffisantes pour surveiller le Bosawas dans son ensemble, mais leurs moyens de subsistance dépendent de la réserve dans son ensemble, même des régions où elles n’ont jamais été. La réserve assure leur sécurité alimentaire et leur fourni de l’eau potable, des matériaux de construction et des matières vivantes. Elles sont conscientes que la destruction de leur réserve constitue une menace directe à leur vie et beaucoup sont activement engagées dans la protection de la réserve. Un groupe de Mayangna a récemment menacé d’entrer en guerre contre les colons si le gouvernement central ne mettait pas en place une stratégie détaillée et honnête.



Juste après que la menace de guerre a été lancée, le gouvernement central a renforcé la présence du bataillon écologique et créé un comité interdisciplinaire pour résoudre les problèmes liés à Bosawas. Le gouvernement a commencé par confisquer le bois, arrêter les exploitants forestiers et les colons illégaux et destituer les responsables corrompus qui autorisaient la destruction de la biosphère. Il est possible que le gouvernement voulait sincèrement inverser le cours des choses, mais ces derniers mois, ses actions ont commencé à diminuer. Il semblerait que l’année prochaine, un plan d’action détaillé pour sauver la réserve Bosawas sera révélé.



En attendant, il est primordial que les institutions et les spécialistes de la conservation internationaux fassent pression sur le Nicaragua pour préserver la réserve Bosowas. Le scepticisme dont à fait preuve l’UNESCO l’année dernière a aidé à forcer le gouvernement à protéger la réserve, une pression supplémentaire pourrait donc les pousser à renforcer leurs efforts.



La façon de réagir des jeunes nicaraguayens constitue l’évolution la plus encourageante au sujet de Bosawas. Depuis près d’un an, plusieurs groupes d’étudiants, notamment le groupe « Mision Bosawás », organisent des sessions d’information, des conférences, des concerts et des événements culturels pour soutenir Bosawas. Ils ont également organisé des excursions à Bosawas pour en apprendre plus sur la culture de Mayangna et pour se rendre compte du type de menaces qui pèsent sur la biosphère. Il est encore trop tôt pour savoir si ces actions vont se transformer en un mouvement efficace à long terme ou non, mais elles sont très encourageantes, et ces cinq dernières années, j’ai connu très peu d’actions qui pouvaient se targuer de l’être.



Mongabay: Pouvez-vous nous en dire plus sur le bataillon écologique ? Comment cette solution fonctionne-t-elle ?



Jordan (au milieu) accompagné d'un membre du bataillon écologique (à gauche). Crédit photo : Christopher Jordan.
Jordan (au milieu) accompagné d’un membre du bataillon écologique (à gauche). Crédit photo : Christopher Jordan.


Christopher Jordan: Je me ferais un plaisir de commander les soldats et les commandants du bataillon écologique une nouvelle fois. Selon moi, ils accomplissent un effort légitime et sont vraiment passionnés par leur travail.



Cependant, ce n’est pas une solution aussi efficace qu’on le souhaiterait. Les soldats sont chargés de faire respecter les lois environnementales du pays, pourtant, la plupart du temps ils doivent agir en l’absence du Ministère des ressources naturelles. Ce qui signifie que les soldats doivent interpréter les lois environnementales en fonction du contexte de leur site d’action. Par manque de certitude, ils finissent le plus souvent par agir uniquement dans les situations les plus extrêmes, dans les cas d’enfreinte publique volontairement nuisible à aux lois environnementales. En d’autres termes, ils intercepteront 8 camions manifestement illégaux remplis d’espèces de bois interdites d’exploitation mais ils n’agiront probablement pas si un colon illégal tue un tapir, malgré l’interdiction régulant la chasse de ces espèces.



De plus, les soldats changent de poste tous les 2 ou 3 mois environ. Cela engendre d’importants problèmes car les soldats ne disposent d’aucun moyen officiel pour laisser des informations à leurs futurs remplaçants. À titre d’exemple, nous collaborons étroitement avec le bataillon écologique dans la réserve du mont Wawashang. Un groupe de soldats postés au Wawashang était particulièrement actif en mars-avril 2013. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec eux pour surveiller et sanctionner la chasse illégale. Nous les avons également présentés aux fermiers et aux membres de la communauté qui collaborent étroitement avec nous et avons mis au point des actions pour surveiller leurs fermes d’éventuels braconniers. Pour résumer, nous avons réalisé des progrès évidents avec ce groupe et commencé à réprimer sévèrement les chasseurs de tapirs. Néanmoins, en mai 2012, la troupe entière a été remplacée, ne laissant aucune information à leurs successeurs, nous devions donc repartir de zéro.



Pourtant, dans l’ensemble, leur passion, notamment celle des responsables au niveau régional et national, me laisse espérer qu’il est possible de continuer à développer cette solution jusqu’à ce qu’elle soit efficace.



TRAVAIL DE CONSERVATION AU NICARAGUA


Myrmidon (Cyclopes didactylus) au Nicaragua. Photo de :Christopher Jordan.
Myrmidon (Cyclopes didactylus) au Nicaragua. Photo de :Christopher Jordan.


Mongabay: Pouvez-vous nous parler des conditions de vie des populations du Nicaragua, 2ͤ pays le plus pauvre de l’hémisphère nord (après Haïti) ?



Christopher Jordan: En général, l’offre d’emploi est faible au Nicaragua et les emplois disponibles sont mal payés. Le salaire d’un instituteur, à titre d’exemple, tourne autour de 200 à 300 $ par mois. Un vétérinaire professionnel qui travaille pour le gouvernement touchera 400 $ par mois. Même si le coût de la vie est probablement moindre comparé à celui de New York, tout n’est pas toujours bon marché ; le salaire n’est presque jamais suffisant.



De plus, la côte Est (et le nord, tout particulièrement) reste la région la plus pauvre du Nicaragua. Jusqu’à peu, aucune route ne reliait cette côte à Managua. Même si la situation connaît un changement ces dernières années, le réseau routier relié aux petites communautés reste très limité sur toute la côte. C’est pourquoi, les populations rurales doivent attendre des jours, ou même des semaines, selon les conditions climatiques, pour se procurer des provisions. La plupart des autochtones et des nicaraguayens d’ascendance africaine de la côte Est développent une économie de subsistance et dépendent de petites exploitations agricoles, de la pêche artisanale et de la chasse. Dans beaucoup de ces communautés, les adultes sont des spécialistes de l’environnement, ils se soucient profondément de ce sujet et chérissent l’autonomie que leur prodigue leur mode de vie.



Ce modèle est en train de changer avec les nouvelles routes et une économie de marché émerge dans certains centres économiques. En conséquence, certaines zones de pêche ont été surexploitées et les forêts, défrichées. Avec le développement économique des 10 dernières années, une part importante de la population s’est équipée de la télévision par câble, de téléphones portables et d’une connexion Internet. Pendant mes cinq années sur la côte caraïbe, le pays a changé à un rythme spectaculaire. Lorsque j’ai commencé mes recherches, beaucoup des communautés parmi lesquelles je travaillais n’avaient même pas l’électricité. Aujourd’hui, en plus de l’électricité, elles possèdent également des téléphones portables, la télévision par câble et une connexion Internet.



Beaucoup de communautés de la côte caraïbe vivent toujours dans des maisons en bois aux toits de chaume en feuilles de palmier et travaillent pour elles-mêmes et leurs familles grâce à leurs plantations, à la chasse et à la pêche. En parallèle, elles disposent également d’un meilleur accès aux marchés et ressentent un besoin croissant d’argent. Comme la frontière agricole et l’extraction de ressources à but lucratif progressent vers la côte, les populations autochtones et les communautés d’ascendance africaine, pour la première fois de l’histoire, luttent incroyablement pour vivre de leur environnement. L’alcoolisme et la toxicomanie, ainsi que les problèmes qu’ils engendrent, et l’exploitation irrationnelle des ressources découlent de la pénurie d’emplois et du désespoir qui guette les populations de la côte caraïbe.



Malgré leurs difficultés, les valeurs des populations de la côte caraïbe brillent toujours. Les résidents de la côte sont des personnes fondamentalement très humbles, détendues et ouvertes. Une fois qu’elles commencent à vous faire confiance, elles sont disposées à partager leurs foyers, leurs pensées et leurs connaissances avec vous.



Mongabay: De quelle manière la dernière guerre civile influence-t-elle le travail de conservation et la population en générale aujourd’hui ?




Une communauté Miskito à Kahkabila, sur la côte caraïbe.
Photo par : Christopher Jordan.
Une communauté Miskito à Kahkabila, sur la côte caraïbe.
Photo par : Christopher Jordan.



Christopher Jordan: La guerre civile dévoilé un autre aspect fascinant de la vie professionnelle au Nicaragua. Pour les raisons mentionnées plus haut, très peu d’étudiants en université sont disponibles pour le poste d’assistant de terrain. Pour aider la recherche écologique, il est donc souvent nécessaire, éthique et plus efficace d’employer des spécialistes de l’environnement locaux appartenant à chaque communauté. Beaucoup de ces assistants de terrain sont des anciens combattants, spécialistes de la survie dans les jungles nicaraguayennes. Par conséquent, chaque expédition en forêt est une incroyable expérience d’apprentissage. Au cours des années, j’ai accumulé énormément de techniques pour survivre et me constituer des provisions en forêt tropicale, techniques auxquelles je n’aurais jamais été exposées si j’avais effectué mon travail dans une station biologique avec des étudiants en université. Je suis donc très reconnaissant à mes différents collaborateurs de m’avoir enseigné tout ce qu’ils savaient.



Parmi les faits que j’ai pu collecter sur la guerre civile, les conséquences qu’elle a pu avoir sur la chasse dans la région de la côte caraïbe me semblent constituer l’élément le plus captivant. J’ai rassemblé des données historiques sur la chasse des tapirs allant des années 50 à aujourd’hui. Les données révèlent une diminution importante de l’utilisation des armes à feu dans la chasse aux tapirs lors de la guerre civile et des décennies qui ont suivies. Pendant la guerre, l’utilisation d’armes pour la chasse comportait le risque d’alerter l’ennemi de sa position, c’était apparemment trop dangereux. Après la guerre, le gouvernement a récupéré la plupart des armes à feu. Étant donné leur taille, il est plus simple de chasser les tapirs avec des armes à feu ; la chasse aux tapirs est alors devenue plus difficile. Depuis l’an 2000, l’utilisation d’armes à feu dans la chasse aux tapirs a encore une fois augmentée pour atteindre les niveaux d’avant-guerre.



Évidemment, travailler avec des populations qui ont grandi en temps de guerre engendre de nombreuses complications. Quand une personne est habituée à la guerre, elle semble éprouver plus de difficultés à adopter une vision à long terme et préfère se concentrer sur sa survie au jour le jour. Cette situation est aggravée par le taux de pauvreté élevé sur la côte caraïbe du Nicaragua. Une vision à long terme représente un réel luxe que beaucoup ne peuvent pas se permettre. Cette vision va évidemment à l’encontre notre propre approche du monde en tant que spécialistes de la conservation et conduit à la vente de ressources, à la sur-récolte ou à d’autres comportements destructeurs de l’environnement qui représentent un apport économique important. Dans ce contexte, identifier les gardiens locaux qui adoptent un point de vue à plus long terme, plus conservateur, et s’allier avec eux, devient indispensable. Ces alliés sont plus crédibles et se heurtent à moins de difficultés au moment d’expliquer les avantages de certains comportements ou projets en faveur de la conservation aux autres membres de leur communauté qu’une personne extérieure qui ne partage pas nécessairement la même réalité.



Mongabay: Quel rôle le trafic de drogue joue-t-il dans la région où vous travaillez ? En quoi ce trafic complique-t-il le travail de conservation ?



Christopher Jordan: La côte caraïbe du Nicaragua est une voie active en matière de trafic de drogue, ce qui signifie que le trafic de drogue a une forte incidence sur la majorité des communautés situées dans la région.



Les effets sont amplifiés par la pauvreté extrême de la région. Travailler pour les barons de la drogue locaux représente l’une des rares opportunités d’emploi stable. La plupart des employés achètent des barils d’essence et des provisions puis utilisent leur propre bateau pour les livrer aux trafiquants de drogue situés dans les eaux côtières. Ce travail peut être dangereux et mène souvent à des jours voire des semaines en prison, pourtant il est plutôt commun.



Les populations locales génèrent également des revenus de ce trafic de drogue, d’une autre manière. La marine nicaraguayenne est très douée pour capturer les trafiquants de drogue. Quand la marine poursuit un trafiquant, les passeurs de drogue cherchent souvent une opportunité d’abandonner leur chargement en mer. Ces packs flottants remplis de cocaïne atterrissent sur les plages rurales ou se retrouvent dans les filets de pêche, fournissant un salaire rapide et conséquent aux pécheurs ruraux.



Pour les communautés, c’est autant une bonne chose qu’une mauvaise chose. Je me souviens avoir lu un article récent rapportant qu’une administration communale du nord de la côte caraïbe avait déclaré que l’argent de la cocaïne devait être utilisé comme un fonds de développement, protestant ainsi, en partie, contre le manque de soutien de la part du gouvernement central. Parfois, ceux qui trouvent de la drogue réalisent de bons investissements et améliorent leur niveau de vie. Il est difficile de blâmer les populations rurales lorsque l’argent est mis à profit pour améliorer la qualité de vie. Cependant, la majeure partie de l’argent obtenu en revendant la cocaïne abandonnée est dépensée dans l’alcool et les soirées et n’est pas du tout utilisée pour améliorer la qualité de vie à long terme. Dans certaines situations tragiques mais pourtant fréquentes, j’ai vu des communautés devenir dépendantes au crack. Les autochtones qui trouvent de la cocaïne la transforme en crack et la vendent ainsi à leurs propres familles et à leurs amis.



Même si un tel événement semble rare, de la cocaïne échoue assez fréquemment sur les plages. En mer, les pêcheurs en profitent pour chercher de la cocaïne, qu’ils appellent parfois « la langouste blanche » et certains organisent même des voyages uniquement pour chercher de la drogue quand ils entendent qu’un démantèlement a eu lieu. Cela se produit assez souvent pour que les jeunes de la côte se vouent corps et âme à parcourir les plages dans un sens puis dans l’autre plutôt que de se consacrer à l’agriculture. Dans certaines régions, la déforestation a même diminué grâce à ce phénomène qui entraîne un déclin de l’agriculture. La présente décroissante des populations autochtones et des communautés d’ascendance africaine dans la forêt diminue également la surveillance de la forêt et ouvre la porte à la colonisation de leurs terres par des étrangers.



Les populations locales déplorent également la réussite du gouvernement central concernant l’arrestation des trafiquants de drogues. Ted Hayman, un des barons de la drogue de Bluefields, a récemment été arrêté et incarcéré. Sur la côte, les réactions divergeaient. Hayman était un employeur important dans la région et bénéficiait du soutien de beaucoup de personnes. La rumeur court qu’il organisait des fêtes immenses et payait des frais élevés aux magasins locaux en leur réclamant de ne pas faire payer les articles d’alimentation et d’approvisionnement aux clients pendant la durée des festivités.



Le trafic de drogue a directement affecté mon travail sur les sites les plus au sud auxquels j’accédais en bateau par la mer des Caraïbes. Un bateau suspecté de trafic de drogue et poursuivi par la marine a été amarré dans la communauté où j’ai travaillé une fois. Il a ainsi créé le chaos et perturbé ma recherche sur le terrain mais m’a permis de mettre l’accent sur un moyen supplémentaire pour les populations locales de gagner de l’argent grâce aux trafiquants de drogue. Lorsque des trafiquants de drogues arrivent dans une communauté de cette façon, les membres de la communauté les aident à cacher la cocaïne et à échapper aux autorités en échange d’importantes sommes d’argent. Dans de telles situations, j’ai dû faire très attention à ne pas autoriser qu’on voyage avec notre bateau d’une communauté à l’autre, pour être sûr que la cocaïne ne pénètre pas dans le bateau sur lequel je me trouve. Les populations locales devaient également faire attention et devaient résister à la tentation de voler les drogues cachées. Pas plus tard que l’année dernière, deux locaux qui m’aidaient à installer les caméras depuis des années ont été assassinés pour une histoire de drogue volée.



Le trafic de drogue affecte également la conservation des ressources et la recherche dans la région en créant des perspectives économiques faussées. Beaucoup de personnes de la région sont habituées à collecter rapidement des sommes d’argent et sont moins disposées à travailler sur des projets de conservation et de recherche et à se contenter ainsi d’un salaire raisonnable. De la même façon, les communautés sont souvent plus intéressées par les projets créant immédiatement des richesses que par les investissements à long terme, souvent à faible rendement, tels que la recherche et la conservation.



En somme, le trafic de drogues a des impacts sociaux, économiques et environnementaux.



Mongabay: Pourquoi faut-il absolument soutenir les jeunes scientifiques et spécialistes de la conservation nicaraguayens ?




Un assistant de terrain posant une caméra-piège. Photo de : Christopher Jordan.
Un assistant de terrain posant une caméra-piège. Photo de : Christopher Jordan.


Christopher Jordan: Les nicaraguayens fortunés n’ont jamais possédé de comptes en banque qui dépendaient de l’économie du Nicaragua, ils ont plutôt investi dans les économies des pays développés. Même si certaines preuves montrent que cette tendance change, les investisseurs nicaraguayens voient les citoyens de leur propre pays comme une source de travail bon marché, rien de plus, ce qui ralentit évidemment le développement global. De plus, très souvent, les emplois et les postes importants sont attribués selon des buts politiques et non en fonction des qualifications ou de l’expérience. À moins d’avoir en tête un parcours clair menant à un emploi en dehors du pays, il n’est pas assez avantageux pour les nombreux étudiants de postuler eux-mêmes ou de faire des sacrifices pour s’enrichir d’une expérience et prendre de l’avance sur leurs pairs pour différentes raisons. Tout d’abord, les investisseurs nationaux sont peu disposés à soutenir pleinement leurs confrères nicaraguayens. Ensuite, l’expérience de travail et les diplômes universitaires ou d’autres qualifications ne mènent pas nécessairement à un bon emploi. Pour ces raisons, trouver des étudiants ou de potentiels assistants de terrain disposés à consacrer leurs efforts à la recherche et à la conservation, et ainsi investir dans leur futur et le futur de leurs pays, représente un réel défi. De tels étudiants et spécialistes de la conservation existent pourtant, et je pense qu’il est important de leur présenter toute opportunité d’apprentissage et de développement, et de les récompenser pour leur vision à long terme.



La science et l’enseignement de la science au Nicaragua souffrent de nombreuses lacunes. Les incompréhensions générales relatives à la notion de recherche sérieuse et le fait que l’intégrité de la recherche constitue une priorité pour la conservation reflètent cette constatation. J’ai vu des représentants du gouvernement et d’ONG environnementales avancer des affirmations exagérées basées sur des données inadaptées ou mentir sur les résultats qui ne correspondaient pas à un programme donné. Le Nicaragua n’est évidemment pas le seul pays qui connaît ce genre d’actions mais les conséquences sont plus importantes au Nicaragua, pays où la plupart des étudiants n’acquiert pas le bagage scientifique suffisant au lycée ou à l’université. Très peu de scientifiques locaux sont capables de remettre en cause les conclusions scientifiques contestables. Par conséquent, les scientifiques orientés politiquement, les plus visibles aux yeux du public, sont les scientifiques qui mettent en forme la façon dont le public voit la science. Pour ceux qui ont été sensibilisés à l’obligation morale de transmettre des sciences intelligentes et honnêtes, cela peut constituer un obstacle.



Le piètre état de la science dans le pays est également reflété par le manque de recherches de qualité concernant la faune et la flore du pays. Nous connaissons très peu de choses sur la biodiversité nicaraguayenne, notamment sur les zones où apparaissent les différentes espèces et sur les solutions adoptées par les populations pour s’en sortir. Quelques espèces font office d’exceptions : les grands aras verts de la région du Río San Juan, les jaguars du Bosawas, les stocks halieutiques de Laguna de Perlas, les tapirs de Baird nationaux et les tortues de mer des côtes caraïbe et pacifique. Cependant, nos connaissances des espèces présentes dans le pays sont pour le moins limitées.



Dans ce contexte, créer des projets de recherche dans le pays et des opportunités d’emplois liés à la recherche est d’une importance capitale pour les nicaraguayens. Il est alors important de trouver des étudiants, actuels ou futurs, passionnés par la conservation et de les faire participer à des projets pour qu’ils se forgent leurs expériences et se préparent à occuper un emploi dès aujourd’hui, ou à l’avenir. Ils méritent de bénéficier d’un bon enseignement scientifique et d’intervenir de manière appropriée dans le processus de prise de décision lié à la conservation des ressources naturelles et à leur exploitation. Le pays pourrait tirer de grands avantages des bases solides fournies par les scientifiques nicaraguayens qui s’appliquent à comprendre et à conserver la faune et la flore du pays.



Mongabay: En tenant compte de tous ces défis, pourquoi continuez-vous vos recherches au Nicaragua ?



Christopher Jordan: Je continue mes recherches au Nicaragua pour une raison pratique tout d’abord. J’ai passé des années à créer un réseau, en Amérique Centrale, qui me soutienne, moi et mon travail, et qui tire des avantages de ma position dans le pays. De plus, je pense que je peux contribuer plus efficacement ici que je ne le pourrais dans un contexte différent, comme les États-Unis.



Cependant, d’un point de vue plus fondamental, ce sont les défis qui rendent le travail ici intéressant et gratifiant. Le Nicaragua a une histoire absolument fascinante. La majorité des défis est issue de l’histoire politique, environnementale et économique du pays. Essayer de comprendre et de surmonter ces défis est donc une occasion pour moi d’approfondir mes connaissances sur l’histoire du pays et d’apprendre de nouvelles choses.



Mongabay: Comment les populations peuvent-elles soutenir les efforts de conservation dans le pays ?


Christopher Jordan: À un certain degré et dans certaines régions du pays, il est important que les populations visitent le Nicaragua et s’investissent dans le bien-être du pays, de sa faune et de sa flore. Le tourisme a nettement augmenté ces deux dernières années grâce à l’intérêt que la presse internationale porte au pays. Encore beaucoup de touristes viennent pour les hôtels, les très petites réserves, ou pour acheter des maisons de retraite sur la plage et ne sont pas exposés aux nombreux problèmes complexes causés par la destruction de la biodiversité nicaraguayenne. Je suppose que la situation touristique des autres pays en développement est similaire, mais visiter quelques-unes des zones les plus menacées pour aider à attirer l’attention sur les principaux moteurs de l’environnement et la destruction culturelle ferait le plus grand bien aux touristes. Comme mentionné plus haut, l’indignation internationale concentrée sur la destruction du Bosawas a aidé à forcer le gouvernement à agir ; des campagnes similaires se concentrant sur d’autres réserves peuvent avoir un effet comparable.



Plusieurs ONG acceptent aussi des volontaires ou des dons, comme la Fondation pour l’autonomie et le développement de la côte caraïbe du Nicaragua (FADCANIC) et la Fondation des amis du zoo national nicaraguayen (FAZOONIC). FAZOONIC dirige le seul centre de secours du pays et le zoo national. Certains membres clés de notre projet pour la préservation des tapirs appartiennent à la FAZOONIC et la FADCANIC.



Nous sommes également au centre d’une campagne de récolte d’argent Indiegogo pour notre Centre de secours et de réadaptation des tapirs situé à Wawashang. Ceux qui souhaiteraient contribuer sans se déplacer peuvent se rendre sur notre site. Nous publions souvent des vidéos ou des actualités concernant notre travail sur la conservation des tapirs sur facebook et youtube. En consultant ces pages de façon fréquente, vous en apprendrez plus sur les possibilités de s’impliquer dans le projet.



Je dois insister sur le fait que nous aimerions qu’un plus grand nombre de personnes, d’institutions et d’universités soient impliquées dans le projet, ce qui ne veut pas nécessairement dire que nous appelons aux dons. Nous nous réjouirions que le grand public, ou même les artistes, les étudiants en marketing, les chercheurs et les zoos, nous contactent pour partager leurs idées concernant la façon dont ils pourraient contribuer à protéger le tapir de Baird au Nicaragua. Ouvrir nos portes, en permanence, à de potentiels collaborateurs et à des approches différentes en matière de conservation est important pour nous. N’hésitez donc pas à me contacter pour me faire part de vos idées, commentaires et suggestions.



Mongabay: Vous avez déjà accompli énormément de choses au cours de votre carrière. Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui comptent entreprendre une carrière dans le domaine de la conservation ?




Un tapir enregistré par une caméra-piège au Nicaragua.



Christopher Jordan: J’insisterais sur l’importance de s’efforcer à maintenir des études le plus interdisciplinaires possible. Pour relever les défis de la conservation efficacement, il nous faudrait un étudiant en anthropologie, en marketing, en communication, en histoire, etc. Dans la plupart des programmes universitaires, cette tâche est plus difficile qu’elle n’y paraît. Toutefois, il est extrêmement important de travailler en étroite collaboration avec d’autres personnes et de disposer des outils nous permettant d’en apprendre plus sur elles et leurs cultures. Je ne fais pas uniquement référence aux populations locales, mais également aux donateurs, à la presse, aux autres chercheurs, aux autres spécialistes de la conservation et aux universités.



Pour les étudiants universitaires travaillant sur des projets de recherche et souhaitant appliquer leur travail aux initiatives de conservation, je leur suggère d’adopter une vision à très long terme des conséquences de leur recherche sur la zone d’étude. Les étudiants, en particulier les étudiants en master ou en doctorat, cherchent souvent à être vraiment efficaces et à obtenir des résultats le plus rapidement possible, mais cette approche ne conduit pas nécessairement aux meilleurs résultats en matière d’effort de conservation à long terme. Puisque nous avons affaire à des paysages habités et non à des paysages sauvages, il est nécessaire d’adopter un processus d’apprentissage élargi pour établir un rapport avec les populations locales et pour comprendre réellement la complexité des problèmes et des questions qui entourent la recherche et la conservation. Il est également important de rencontrer des responsables du gouvernement et des employés, et de comprendre comment leurs opérations fonctionnent. Cela peut supposer de s’accorder des pauses dans la recherche sur la biodiversité pour passer du temps simplement à vivre avec les populations locales, à assister à des réunions et des présentations organisées par des employés en agence de gestion des ressources et à apprendre à connaître les potentielles parties intéressées. Établir des bases solides qui reposent sur un soutien national et local peut être difficile si ce processus est écourté. Cela ne signifie pas que notre principale priorité soit de rendre tout le monde heureux en permanence, mais plutôt que ce type de processus d’apprentissage est nécessaire pour réaliser un plan à long terme axé sur la réussite.



Agir avec humilité et garder ses portes ouvertes à n’importe qui est également primordial. La conservation est un travail complexe impliquant une multitude d’acteurs. Tous ces acteurs, si importants, puissants ou spontanés qu’ils puissent être, sont susceptibles d’avoir un effet positif ou négatif sur le projet de conservation. En tant que chefs de projet, il est important d’accueillir tout le monde, de communiquer de manière efficace et d’apprendre à travailler avec les derniers arrivés pour voir avec qui ils peuvent le mieux cohabiter, de qui ils peuvent tirer le plus de bénéfices, et comment ils peuvent contribuer à notre travail.





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